Peut-on pratiquer la sexualité dite «cuir» sans qu’aucun animal n’ait été maltraité au cours de la séance ? Depuis environ 2015, Demonia –premier sex-shop en France spécialisé fetish-SM– propose aux clients vegan des alternatives aux vêtements et accessoires en peau tannée.
«Vous avez des accessoires sans cuir ?» Ils viennent de plus en plus souvent avec cette question. «Être Végan BDSM c’est la frustration totale, le vrai masochisme. Quand on a envie d’un coup de martinet, comment faire !? C’est une libération totale d’avoir des alternatives pour eux. Ils sont même parfois étonnés d’en trouver.» Miguel, gérant de la boutique Demonia à Paris, a créé un rayon dédié pour ces clients qui, depuis 2015, ont enfin obtenu gain de cause : «Les fournisseurs et les fabricants commencent à proposer des produits non-organiques.» Harnais en faux cuir de la marque Maze ; menottes, colliers de chien et laisses en silicone ; bâillons et cockring en nylon ; lanières en latex… Plus besoin qu’une vache ou un veau soient morts pour assouvir ses fantasmes. Pour Miguel, l’absence de cuir ne change rien à la pratique. Ce n’est pas du «SM édulcoré», dit-il, au contraire : «Les lanières PVC sont plus plus cinglantes que celles en cuir.» Une cliente vegan confirme : «Je préfère de loin le latex ou le métal qui sont bien plus «puissants» à mes yeux. Par ailleurs, la simple attitude suffit pour marquer sa position.» Dominer ce n’est pas une question de matière, dit-elle : «Un bon dominateur doit pouvoir être crédible en pyjama.» Qu’il soit mâle ou femelle, un bon dominateur n’a pas besoin de manger carné ? Ni de brandir des nerfs tressés dans des testicules de taureau ?
Entretien avec Fanny K., une pratiquante SM vegan
Quelle est la différence entre vegan et végétarien ?
Par définition, un végétarien exclut de son alimentation uniquement la chair animale sous toutes ses formes (viande rouge, blanche, abats, poissons, fruits de mer, insectes...). En revanche, une personne végétalienne ne consommera ni chair animale, ni aucun produit d’origine animale (abrégés POA). Cela exclut les produits laitiers, les oeufs, le miel, le colorant alimentaire E120 (cochenilles écrasées), les confiseries contenant de la gélatine de porc ou de crustacé... (liste non exhaustive). Enfin, une personne végane étendra ce boycott des POA à l’entièreté des aspects de la vie : en plus d’avoir un régime végétalien, elle ne consommera ni cuir, ni fourrure, ni laine, ni soie, ni cosmétique contenant des POA (comme la cire d’abeille, ou les sécrétions de castor), ni cosmétiques ou produits d’entretien testés sur les animaux. Elle n’ira pas non plus au cirque, au zoo, dans les parcs aquatiques, dolphinariums ou divers aquariums et parcs animaliers en général : autant de lieu ou l’animal est vu uniquement comme une ressource, au détriment de son épanouissement. Alors que le végétarisme et le végétalisme sont seulement des choix alimentaires ou des “choix de vie”, le véganisme s’inscrit davantage comme un choix politique, abolitionniste et anti-spéciste.
A quel moment de votre vie avez-vous pris conscience qu’il fallait étendre la non-consommation de la chair animale à la non-consommation de sa peau ? Qu’avez-vous fait de toutes les affaires en cuir que vous possédiez jusque là ?
Je suis devenue végane du jour au lendemain (sans aucune transition par la végétarisme ou le végétalisme) l’année de mes 23 ans. J’ai jeté ou vendu toutes mes pièces en cuir. C’est-à-dire très peu, car j’ai toujours éprouvé un dégoût pour cette matière. Si ma mémoire est bonne, cela se limitait aux chaussures.
Je suppose que vous étiez intéressés par le fétichisme ou le SM avant de devenir vegan… Pouvez-vous raconter l’avant et l’après ?
A mon échelle, je n’ai ressenti aucune différence dans mon approche du SM avant et après être devenue végane car je n’ai jamais été attirée par le cuir. L’odeur et ce qu’il représente m’ont toujours donné la nausée. Avec mon compagnon, nous n’aimons pas particulièrement utiliser des accessoires, préférant le contact direct entre nos corps pour nous procurer des sensations extrêmes. Nous y trouvons des rapports beaucoup plus charnels et intenses que lorsqu’un objet vient faire barrage entre nous deux. Plutôt qu’utiliser un fouet, mon compagnon a toujours préféré user de la force de sa main, pour me sentir autant que je le sens, et ne pas utiliser d’intermédiaire. Nous ne sommes pas des fétichistes dans l’âme, mais plutôt des “primal” extrêmes. Les seuls objets que j’utilise personnellement sont les cordes et les accessoires de kinbaku (bondage traditionnel Japonais), agrémenté de quelques accessoires : uniquement en métal et en verre (une préférence de ma part). Je n’ai donc rencontré aucun problème lors de ma transition vers le véganisme, mes cordes étant en fibres naturelles, et les seules matières me faisant éprouver de l’excitation étant l’acier et le verre.
Comment expliquez-vous votre refus d’utiliser du cuir ?
De nos jours, la plupart des gens sont choqués par la fourrure, qu’ils boycottent volontiers, mais pas par le cuir. Or, il s’agit fondamentalement de la même chose : comme pour la production de la fourrure, les animaux sont élevés dans le but d’être écorchés. Les conditions de vie de ces animaux sont abominables, et il est important de souligner que les conditions de travail pour les humains employés dans les tanneries le sont également. La plupart des peaux proviennent de pays très pauvres comme l’Inde. Les travailleurs sont exposés à des composés toxiques sans aucune protection. Ils marchent parfois pieds nus sur un sol recouvert des produits chimiques. Cette industrie est une honte, que ce soit pour l’animal ou pour l’homme qui y sont tous les deux réduits en esclaves au service du plaisir des oppresseurs.
Pour certains, le SM va avec l’image puissante d’une dépouille prélevée sur un animal mis à mort… Les autres matières leur semblent édulcorées, et leur impact moins puissant sur la libido… Et pour vous ?
Je n’ai jamais entendu parler de cela et ne connais absolument personne dans le milieu SM qui partage cet avis (même si j’admets que cela puisse être totalement inconscient). De plus, je trouve cela assez malsain de penser que la souffrance et la mort insufflent une énergie sexuelle forte dans un fétiche. Depuis que je suis dans ce milieu, j’essaye de faire comprendre aux gens de l’extérieur que les pratiquants SM ne sont pas des fous. Je comprends tout à fait que la souffrance puisse être une source d’énergie sexuelle, et je serais même très mal placée pour dire le contraire. En revanche, la base de toutes relations D/s réside avant tout dans le consentement dans la souffrance et c’est là que ce ressenti sur le cuir, qui prend une composante excitante de par la souffrance et la mort d’un être autre que soi, me pose problème.
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Demonia : 22 av. Jean Aicard, 75011 Paris. Ouvert du lundi au samedi de 11h30 à 19h30.