Pendant la messe, le prêtre brandit une coupe et prononce la formule rituelle : «Buvez, ceci est mon sang». Chose curieuse : en 2007, des chercheurs ont trouvé des cellules souches dans le sang des menstrues : des cellules dotées d’un pouvoir de régénération inouïe.
On a pu lui reprocher d’être une sorcière ou une vampire car Paola aime le sang. Celui de ses règles, surtout, Paola Daniele l’aime au point qu’elle en conserve la moindre goutte : il sert de matière vivante dans ses créations, en souvenir de son enfance dit-elle, lorsqu’à la messe, toute petite, elle attendait avec ferveur le moment de l’eucharistie : «le moment où le prêtre lèverait le calice vers le ciel afin de voir ce qu’il contenait, persuadée que c’était du véritable sang et non du vin comme on voulait le lui faire croire.» En 2013, la chorégraphe Paola Daniele créé le collectif Hic est sanguis meus (Ceci est mon sang) pour faire passer le message : le sang, c’est beau et c’est la vie… Elle en fait couler sur des robes, sur des fruits, sur des fleurs avec lesquels elle danse (1). Il se pourrait bientôt que Paola ne soit pas la seule à recueillir précieusement ses règles afin d’en faire un «sang de la vie». Des banques de sang menstruel ont même été créées, afin d’encourager les femmes à faire chaque mois leur stock… Vous voulez en savoir plus ? Lisez Ceci est mon sang.
Entre le lancement de l’I-Phone et une éclipse lunaire…
Publié en 2017 (aux éditions La Découverte) par la journaliste et féministe Elise Thiébaut, ce livre à la fois très documenté et très narquois apporte au mouvement de réhabilitation des règles des éléments nouveaux et troublants. Elise Thiébaut raconte : «L’année 2007, souvenez-vous, commence en fanfare avec la présentation, le 9 janvier, de l’I-Phone aux Etats-Unis par Steve Jobs.» Cette même année, entre une éclipse totale lunaire, l’invention par Ségolène du mot «bravitude» et les émeutes de Villiers-le-Bel, un court article non sourcé et non signé paraît sur le site du «Vulgaris Médical qui fait état de la découverte de cellules souches dans l’endomètre. De mystérieux chercheurs américains ont eu, poursuit l’article, “la curiosité d’analyser le sang des règles, et ils y ont découvert des cellules capables de se multiplier beaucoup plus vite que les autres cellules souches. Elles se divisent toutes les vingt heures, et fabriquent des taux de croissance 100 000 fois plus élevés que les cellules souches issues du cordon ombilical”.»
Cryo Cell : une banque de sang menstruel
Comme le mentionne l’article, 5 ml de sang menstruel ont fourni, en deux semaines, suffisamment de cellules pour obtenir des cellules musculaires cardiaques pulsatives : un nouveau coeur !? «Ces nouvelles cellules souches, baptisées cellules régénératives endométriales, pourront être une alternative à celles issues de la moelle osseuse ou du cordon ombilical.» Elise Thiébaut mène l’enquête. Elle découvre que cette étude, financée par un laboratoire privé (Medistem), a semblé si prometteuse qu’un autre laboratoire (Cryo-Cell) a ouvert dès 2008 une banque de sang menstruel. Les femmes sont invitées à fournir leur sang, mais… c’est payant. «Pour la coquette somme de 499 dollars, assorti d’un coût mensuel de 90 dollars, la femme menstruée se voit ouvrir des perspectives quasi-fabuleuses : elle pourra utiliser ses propres cellules menstruelles pour soigner les maladies qu’elle et/ou ses enfants n’ont pas encore […]. Une assurance sur la mort proposée à grand renfort de publicités alléchantes.»
«Merci mon dieu de m’avoir donné les règles»
Pour Cryo-Cell, le sang des règles est appelé «miracle mensuel». Aux Etats-Unis, la machine s’emballe. Le potentiel thérapeutique in vitro des cellules endométriales – appelées tantôt MenSC (menstruel stem cells) tantôt ERCs (endometrial regenerative cells)– fait l’objet de plusieurs études qui semblent confirmer leur immense potentiel. Même Sciences et Avenir s’y met, avec un article «au titre révolutionnaire», se moque Elise Thiébaut : certains scientifiques ont pu rétablir la circulation sanguine de souris souffrant de pathologies vasculaires avancées en injectant des ERCs au niveau des liaisons. Ciel ! Suffirait-il de faire un piqure pour soigner aussi les humains ? Des études portant sur des souris atteintes de diabète et de la maladie de Parkinson laissent entrevoir un avenir radieux : l’humanité sauvée par le sang des règles. Ce «Bloody Mary menstruel» serait-il la panacée médicale à venir, voire «l’élixir d’immortalité que les alchimistes ont cherché durant tant d’années ?»
«Le petit souci avec les cellules souches…»
Elise Thiébaut met un bémol : «le petit souci avec les cellules souches, c’est qu’elles se multiplient à une telle vitesse et avec un tel entrain qu’elles ont tendance à s’emballer quand on les injecte dans un organisme vivant, et à produire des tératomes, un genre de tumeur embryonnaire très agressif qui peut par exemple produire des dents ou des poils dans l’ovaire, ce qui n’est guère pratique pour se coiffer ou se laver les dents., mais aussi des formes de cancer mortel.» De fait, tandis que certains savants paradent avec leurs souris miraculeusement guéries grâce aux ERCs, d’autres soulignent que les traitements à l’aide des cellules souches aboutissent parfois à de véritables désastres. Moins de dix ans après la publication de l’article, la firme Cryo-Cell disparaît. Que sont devenus les échantillons ? Pas de réponse. C’est une filiale de Cryo-Cell (Life Cell) qui continue d’opérer, mais en Inde. Sur le site de Life Cell, une brochure en ligne affirme que grâce à leurs règles, les femmes pourront soigner Alzheiner, l’autisme, le cirrhose du foie, le lupus et l’arthrite. Evidemment, c’est payant.
Avoir ses coquelicots
Elise Thiébaut s’amuse de ces promesses d’éternité. Elle érafle au passage les transhumanistes, fervents défenseurs d’un avenir rendu radieux par la grâce de la perpétuelle régénération cellulaire… Cette croyance-là ne lui plait pas. Elise Thiébaut préfère les vieux rituels magiques et sacrés. Dans d’innombrables civilisations, les règles semblent avoir été considérées comme l’ingrédient principal des liqueurs d’immortalité, dit-elle. «La formule “Buvez, ceci est mon sang” ne prendrait-elle pas sa source dans d’anciens mystères impliquant le sang menstruel ?» Elle ajoute que le nom Adam lui-même signifie non pas «fait d’argile rouge», mais «fait de terre et de sang» : «Le terme hébreu pour sang est dam, qui veut dire dans les langues indo-européennes mère ou femme.» De façon quelque peu téméraire, Elise Thiébaut va plus loin encore : il se peut que le mot hébreu sang (dam) ait donné en français dame ou madame, dit-elle, «comme dans la chanson traditionnelle française J’ai descendu dans mon jardin qui a pour refrain : “Gentil coquelicot Mesdames, gentil coquelicot nouveau”.» Peut-on voir dans ces paroles une allusion au sang ?
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A LIRE : Ceci est mon sang, d’Elise Thiébaut, éd. La Découverte, 2017.
NOTE 1 : pour en savoir plus sur Paola Daniele, il y a son portrait dans l’ Encyclopédie pratique des Mauvais Genres, Céline du Chéné, éditions Nada, sortie le 12 octobre 2017.
POUR EN SAVOIR PLUS SUR LES REGLES : «Pourquoi les femmes indisposées ratent la mayonnaise» ; «Pardon chéri, je suis souillée» ; «Saint Janvier, patron des menstrues ?» ; «Retard des règles : peur et tremblements» ; «Pour ou contre le congé menstruel»; «Est-il normal d’avoir mal ?»