A la différence de l’inceste, qui implique des contacts génitaux entre parents, l’incestuel est une relation malsaine qui consiste pour les parents à ne pas respecter l’intimité de leurs enfants… Dans "Les Femmes et leur sexe”, deux cliniciennes expliquent : comment éviter le piège de l’incestuel ?
Imaginez un garçon de 27 ans qui montre son pénis à sa mère parce qu’il a peur d’avoir une mycose. Imaginez un père qui invite des amis pour une soirée foot et, devant sa fille, parle de ses frasques sexuelles puis montre fièrement aux «potes» la poitrine naissante de sa «gamine»… Ces situations peuvent paraître anodines. Elles sont loin de l’être. Dans un livre de poche condensé –Les Femmes et leur sexe, aux éditions Payot–, qui aborde au pas de course tous les problèmes des femmes (ça gratte, ça fait mal, ça brûle, j’ai pas envie, j’ai été violée, j’air peur, je m’ennuie au lit, etc), deux psychologues cliniciennes et sexologue –Heidi Beroud-Poyet et Laura Beltran– consacrent une bonne cinquantaine de pages au problème peu connu de l’incestuel.
Quand la TV est dans la chambre conjugale…
L’incestuel est un terme emprunté au psychiatre et psychanalyste français Paul-Claude Racamier : en 1992, il le définit comme «une relation extrêmement étroite, indissoluble, entre deux personnes que pourrait unir un inceste et qui cependant ne l’accomplissent pas, mais qui s’en donnent l’équivalent sous une forme apparemment banale et bénigne» (Le Génie des origines, Payot). Paul-Claude Racamier en fournit un exemple éclairant. Un couple vient consulter à la demande de Madame qui menace de divorcer : son mari est incapable, dit-elle, de «gérer» leurs trois ados. Ils ne rangent pas leur chambre, ils sortent à pas d’heure et ne respectent pas leur père. Pourquoi ? Paul-Claude Racamier apprend que la seule télévision de la maison est installée dans la chambre à coucher des parents. Les enfants font donc intrusion dans cette chambre, n’hésitant pas à se vautrer sur le lit conjugal pour regarder telle série ou tel film. La confusion entre l’espace privé et public les induit à traiter leurs parents comme des pairs.
Quand une mère confie ses histoires intimes à sa fille…
Les «parents galères», ainsi que les nomment Heidi Beroud-Poyet et Laura Beltran, sont les adultes incapables de maintenir une frontière claire et nette. Ils se croient parfois très libérés ou très libéraux. Ils pensent que les enfants ont «le droit de savoir» et en font, bien malgré eux, leurs confidents… Danger ! «À l’âge où la sexualité est en construction, il faudra éviter de faire connaître à son enfant sa sexualité de parent. Cela peut être perturbant, voire inhibant. En savoir trop sur la sexualité des parents ou de l’un d’entre eux peut provoquer un malaise, qu’on appelle “incestuel” en ce sens qu’il est provoqué par une relation trop étroite dans laquelle le parent partage sa vie sexuelle intime en ignorant que son enfant n’a pas à en être informé, quel que soit son âge.» L’exemple clinique le plus représentatif de ces confusions c’est celui des parents qui prennent leurs enfant à témoin : ton père a une petite queue. Ta mère est une salope, elle m’a encore trompé avec le voisin…
Quand les enfants ne sont pas «protégés de la sexualité des parents»…
Quand les portes des chambres à coucher ou de la salle de bain ne peuvent pas fermer à clé, il arrive que les parents surprennent leurs enfants nus ou en train de se masturber. Il arrive aussi que les enfants surprennent leurs parents faire l’amour. Que cela arrive une fois, pas grave. Que cela relève de la règle : problème. Le pire, c’est lorsqu’une mère (par exemple) parle à sa fille des difficultés relationnelles et sexuelles de sa vie de couple. «Ces confidences du parent, d’une certaine façon, flatteuses pour l’enfant sont, en fait un cadeau empoisonné car elles ont comme effet paradoxal de détruire la sexualité de l’enfant en question.» La trop grande proximité que lie alors l’enfant à sa mère (ou son père) l’empêche en effet de se développer de façon autonome.
«Quand la mère interdit à sa fille d’être femme»…
Telle patiente culpabilise jusqu’à l’âge de 25 ans lorsqu’elle s’habille sexy et sort avec son petit copain, parce qu’elle a l’impression de «trahir» sa mère : elle voudrait être heureuse, mais s’en veut… Blocage. «Les mères qui ne s’aiment pas en tant que femmes n’aiment pas forcément voir leur fille devenir femme, une femme différente d’elles, une femme qui jouit d’être femme. Comment être femme quand la mère interdit le plaisir d’en être une ?». Pour les deux cliniciennes, le mal-être que certaines mères transmettent à leur fille peut les amener à devenir dépressives ou frigides «par solidarité». Raison pour laquelle, il est tout à fait bon qu’une certaine hostilité se dessine à l’adolescence entre enfants et parents : «Une bonne relation mère-fille doit être “suffisamment mauvaise” pour que la fille puisse se différencier et exister».
Quand les parents «ignorent» que le corps de leur enfant est un lieu privé…
Mais l’emprise prend parfois des formes insidieuses : c’est quand les parents font comme si le corps de leurs enfants était à eux. Ils regardent le sexe de leur adolescent.e avec un regard sans-gène. Castration symbolique. «Comme leur nom l’indique, ces parties intimes sont une partie de l’intimité, soulignent les deux cliniciennes. […] Montrer son sexe, c’est donc montrer une partie de son intimité, et ce n’est pas anodin.» Que faire alors quand la fille a son premier rendez- vous chez la gynécologue ? «Certaines filles tiennent à être accompagnées de leur mère […]. D’autres préfèreront y aller seules. L’essentiel est de respecter ce qui est le plus confortable pour elle. Tout autre est le scénario des mères qui s’imposent, non seulement par leur présence, mais aussi avec leur histoire, et qui veulent être présentes, pour avertir le gynécologue de ce qu’elles ont vécu d’affreux au même âge ou pour surveiller, pour ne pas lâcher ce corps qui pourrait mûrir définitivement et se séparer.»
Quand les parents «se mêlent de quelque chose qui ne devrait plus les regarder»…
Certains parents ayant «pris l’habitude» de langer l’enfant et de le nettoyer ne savent pas quand arrêter. Les soins donnés aux tout-petits conditionnent favorablement le développement sensuel et sexuel de l’enfant. «Pendant la toilette des bébés, on observe bien quel plaisir jouissif ils ressentent», notent Heidi Beroud-Poyet et Laura Beltran qui insistent sur le caractère positif de ces contacts. Mais le devoir des parents c’est «vers deux ou trois ans», d’apprendre aux enfant que leur sexe leur appartient : dès qu’ils sont capables de faire leur toilette intime. «Tout comme les parents encouragent leur enfant à tenir une cuillère ou à enfiler des chaussures, ils peuvent le guider vers cette autonomie […]. Au cours de cette première phase de la construction de l’identité sexuelle, si les soins sont trop intrusifs, ils ne permettent pas à la petite fille d’“acquérir la conviction que son appareil génital est une possession personnelle et unique”, une zone intime de son propre corps, qu’elle seule peut toucher sans danger.» Il s’agit donc d’encourager l’enfant à considérer que son corps lui appartient : personne d’autre que lui ne peut en disposer.
Eloge des limites : les frontières protègent
Il est rare de lire un ouvrage qui pointe du doigt, si clairement, les ravages que peuvent causer les phrases équivoques. «Telle mère, telle fille», par exemple. «C’est moi qui t’ait faite», «Tu n’as rien à me cacher», «Tu es sorti par là, pourquoi en avoir peur», «Je suis ta mère, on peut tout se dire». Les innombrables cas cliniques cités dans Les Femmes et leur sexe donnent un aperçu troublant de l’ampleur d’un dysfonctionnement pouvant aller jusqu’au «meurtre psychique». Le cas le plus criant est celui de Noëlle, dont la mère a été violée à l’âge de treize ans. «Elle m’en a parlé pendant toute mon adolescence. Elle me surveillait, me demandait tout le temps de lui raconter ce qui se passait au collège : “Une fille doit tout dire à sa mère.” […] Elle est allée jusqu’à trouver un gynécologue qui a accepté de rompre mon hymen. Elle était obsédée par l’idée que ça me ferait mal. Elle avait donc décidé que je serai déflorée “chirurgicalement”. C’est ce qui s’est passé, mon hymen a été rompu par un médecin sous les yeux de ma mère ! Voilà le résultat : à quarante-trois ans, je n’ai connu aucun homme, j’en ai une trouille maladive. Et ma mère fait la tronche parce qu’elle n’a pas de petits-enfants.»
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A LIRE : Les Femmes et leur sexe, de Heidi Beroud-Poyet et Laura Beltran, aux éditions Payot, 2017.