Il n’existe pratiquement aucun jeux vidéo sexuels en Occident. L’exposition Game, à Paris, n’en recense d’ailleurs aucun. Comment comprendre que l’industrie vidéoludique fasse l’impasse sur le secteur érotique ?
Le jeu vidéo fait «partie du top 10 mondial des industries culturelles et rapporte des dizaines de milliards d’euros par an». Pour Jean Zeid, auteur de Game, un ouvrage passionnant qui sert de catalogue à l’exposition Game organisée par la Fondation EDF, le jeu vidéo est certainement appelé à devenir toujours plus proche du réel, plus humain, plus sensible et surtout, ainsi qu’il le répète : de moins en moins «sexiste».
Les seins de Lara Croft : de la bombe badass à la fuyarde existentielle
Le mot sexisme revient souvent, semble-t-il, parmi les chefs d’accusation qui frappent cette industrie. Prenez Lara Croft, dit Zeid : en 1996, «c’est le premier personnage féminin à s’imposer dans un secteur rempli de muscles, de mitrailleuses, bref, de caricatures machos. A l’époque, les femmes dans les jeux étaient ou victimes ou otages.» Lara, elle, est forte, si forte qu’on en oublierait presque sa paire de seins-bazookas. Concernant cette hypertrophie, Jean Zeid, raconte qu’à l’origine il n’était pas prévu que Lara soit si bien montée : «Une erreur de manipulation d’une souris aurait provoqué une augmentation mammaire de 150%. Un gonflement qui aurait reçu l’approbation immédiate de l’équipe, avant que [son inventeur] Toby Gard puisse la corriger.» Faut-il prendre cette histoire de souris au sérieux ? Peu importe. Ainsi que Jean Zeid l’indique, lorsque Lara fait son come-back dans le jeu Tomb Raider 2013, sa plastique change. Elle opère son retour en grâce sous les traits d’une fugitive aux seins dégonflés, fébrile, inquiète, souvent impuissante : «une simple survivante», résume Jean Zeid. Traduction : bien plus séduisante que sa version originale. La figure sexy des débuts fait pourtant toujours un peu rêver.
Lara Croft déshabillée par ses moddeurs
En 1996 des rumeurs persistantes couraient quant à la possibilité de jouer avec Lara Croft totalement nue. Il était souvent question d’effectuer des chorégraphies compliquées autour de la piscine dans le Manoir des Croft, à l’aide de codes secrets implémentés dans le jeu (codes similaires à ceux qui permettent par exemple de passer au niveau suivant). Il s’avère que Toby Gard s’y était fermement opposé. Régulièrement, la rumeur renaissait : et s’il y avait des codes dans le nouveau jeu ? En 2013, coup de foudre : un bug de Tomb Raider déshabille Lara. Voilà tous les joueurs qui se précipitent sur les images… plutôt décevantes d’une vague illusion d’optique. Preuve qu’il y a de la demande. Mais les développeurs veillent au grain. Le bug sera certainement corrigé, de même que tous les «moddeurs coquins de la version PC» qui s’étaient attirés en 1996 les foudres d'Eidos Interactive : l’éditeur du titre de l’époque les avait menacés de procès ainsi que tous les sites hébergeant des images de leur version améliorée du jeu Nude Raider. Ce qui nous amène à la question : il y a de la demande pour des produits érotiques dans l’univers vidéoludique. Mais pas d’offre, du moins pas en Occident. Pourquoi ?
Le premier jeu porno-video : Custer’s Revenge
Il faut peut-être, pour comprendre, remonter aux origines : le premier jeu vidéo pornographique (un terme bien exagéré au regard de son contenu) est un jeu de viol. Il est développé pour une console appelée à l’époque l’Atari 2600. «L’Atari 2600, console disposant d’une résolution de 120x60, et d’une mémoire vive de 16ko (une bête de course quoi), a en effet bouleversé les bonnes moeurs pendant un temps, avec toute une série de jeux plus que suggestifs.» Ainsi que le racontent Edouard Duchamp, Dave Martinyuk et Français Tarrain, dans la revue PS2 Mag (février 2012), la firme américaine Atari, à l’époque, ne faisait pas vraiment attention au contenu et à la qualité des jeux conçus pour sa machine. A l’époque, une «liberté indécente» était accordée aux développeurs. Mystique, éditeur racoleur, avait donc lancé Custer’s Revenge («La revanche de Custer») un jeu mettant en scène le célèbre général George Armstrong Custer, seulement vêtu de ses bottes et de son chapeau, souffrant de priapisme aigu. Charge au joueur de diriger Custer en direction d’une indienne nue, attachée à un poteau, sous une pluie de flèches. But du jeu : éviter les flèches et violer la squaw.
Agression sexuelle et génocide indien
Dès sa sortie en septembre 1982, ce jeu suscite la polémique. Comme beaucoup d’éditeurs de l’époque, Mystique fait faillite et revend les droits de Custer’s Revenge à la firme Playaround qui la relance dans une version consensuelle : l’indienne fait des signes aguicheurs, en agitant les mains. Cette version est retitrée Westward Ho and The White Man Came («La ruée vers l’Ouest et l’arrivée de l’homme blanc»). Playround lance par ailleurs un jeu «inversé» – General Retreat – qui montre cette fois une indienne, nue, marcher en direction de Custer, visiblement décidée à se le taper en dépit des boulets de canon qui lui tombent dessus. Mais cette version pour «corriger le tir» ne fait guère que renforcer la mauvaise image des jeux vidéo. Un foison de titres transgressifs sont sortis, provoquant l’ire des médias. Le jeu Bachelor party («Enterrement de vie de garçon»), par exemple : construit sur le modèle casse-briques, il montre un célibataire à poil qui joue le rôle de la balle. Il faut l’envoyer contre des femmes à poil également qui jouent le rôle de briques. La version inversée, présentée comme «féministe», n’obtient pas plus grâce aux yeux du grand public. Les jeux vidéo deviennent des jeux pour pervers et addicts, qui banalisent la violence sexuelle, le racisme, etc. Pire encore : ces jeux sont mauvais. Ce qui ne pardonne pas.
Le grand Krach du jeu video
«En 1982, Atari est l’une des sociétés les plus connues au monde, son chiffre d’affaires représente la moitié de celui de sa maison mère, Warner Communications. Sauf que les bornes et les consoles de la firme cachaient en réalité une forêt de jeux vite faits mal faits, et, dès Noël 1982, le public américain bouda ces aventures de bien piètre qualité.» Les titres sont trop mauvais, leur contenu est indigent, l’image grossièrement pixellisée, le son nasillard… Le marché s’effondre. Jean Zeid raconte : «Cette année-là, c’est l’Atari Shock, le krach du jeu vidéo qui frappe la jeune industrie en plein coeur, c’est-à-dire aux Etats-Unis. […] Les magasins ne croient plus dans les jeux vidéo.» Péniblement, l’industrie qui se remet sur pied adopte alors de nouveaux standards. Il faut miser sur la qualité, fournir des oeuvres qui nécessitent jusqu’à 3000 pages de scénario, travailler avec des acteurs, reconstituer des décors plus vrais que nature… et faire oublier les péchés de jeunesse, si possible, en censurant tout ce qui pourrait nuire à l’image d’une industrie encore trop controversée. Le jeu vidéo pour adultes, combien de temps encore faudra-t-il l’attendre ?
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A VOIR : exposition Game. Le jeu vidéo à travers le temps (curateur : Jean Zeid) Fondation EDF (du 1er mars au 27 août 2017). Entrée libre du mardi au dimanche de 12h à 19h. Espace Fondation EDF : 6 rue récamier 75007 Paris
A LIRE : GAME, Le jeu video à travers le temps, de Jean Zeid, Seuil, 2017.
POUR EN SAVOIR PLUS : Tomb Raider, sex symbol ou sex object ?