Nous sommes «au bord» de la fin du monde. Le mot «bord» se dit brink en anglais. C’est le titre d’un court-métrage bouleversant qui pose la question : le jour où tout va s’effondrer, que ferez-vous ?
«Aujourd’hui, j’ai vu un perroquet qui s’accrochait de toutes ses forces à une clôture grillagée, comme s’il savait ce qui allait arriver. Si tu veux savoir enfin ce que je faisais pendant toutes ces années, à qui je pensais, où j’étais, je peux te le dire maintenant. J’étais ton meilleur ami et je ne pensais qu’à toi, je ne désirais que toi, je n’étais qu’avec toi, tout le temps, en secret. Je voulais juste que tu le saches avant que nous nous envolions. Jeremy». Le court-métrage commence sur ces quelques lignes. Neuf minutes terrifiantes de beauté. Prenez le temps :
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Dans Face à Gaïa, le sociologue et philosophe des sciences Bruno Latour, dissèque le cynisme avec lequel les autorités reculent le moment d’instaurer l’état d’urgence qui permettra peut-être à l’humanité de s’en sortir. «On doit à l’astucieux Frank Luntz, psychosociologue et rhétoricien hors pair [l’invention] de l’expression «changement climatique» à la place de «réchauffement global», explique Latour : «pour arrêter la remise en cause du mode de vie industriel, c’est sur les faits qu’il faut jeter le doute. La plupart des scientifiques croient que le réchauffement global est largement causé par les polluants d’origine humaine qui demandent une réglementation stricte. Le stratège républicain, M. Luntz, [fait] comme si les preuves n’étaient pas conclusives : “vous devez continuer à faire de l’absence de certitude scientifique l’argument central” («Environmental Word games», New York Times, 15 mars 2003)».
Souhaitez-vous continuer à accroitre vos richesses ?
Bruno Latour enchaîne : «La charge prescriptive des certitudes savantes est si forte que c’est à elles d’abord qu’il convient de s’attaquer. D’où le développement de cette pseudo-controverse qui a si merveilleusement réussi à convaincre une grande partie du public que la science du climat reste tout à fait incertaine, les climatologues un lobby parmi d’autres, le GIEC une tentative de domination de la planète par des savants fous, la chimie de la haute atmosphère un complot «contre l’American way of life», l’écologie une atteinte aux droits imprescriptibles de l’humanité à se moderniser»…
Le «droit» de l’humanité à (re)produire sans fin
Il s’agit de répandre l’idée que les scientifiques sont des «catastrophistes», dont les propos non seulement sont sans fondement, mais pernicieux. Vous êtes éco-sceptiques ? C’est bien, continuez. Un jour… ainsi que le prédit Bernard Charbonneau en 1980, dans son livre Le Feu vert : «Un beau jour […] les divers responsables de la ruine de la terre organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et après l’abondance géreront la pénurie et la survie. […] La préservation du taux d’oxygène nécessaire à la vie ne pourra être assurée qu’en sacrifiant cet autre fluide vital : la liberté» (Cette citation est extraite de l’article «Feu vert» dans le Dictionnaire de la pensée écologique). Sombre perspective.
Le rôle du catastrophisme
Il faut lire aussi le témoignage du philosophe Jacques Grinevald (fils de haut fonctionnaire des Institutions Internationales) sur «l’ingérence des écologistes dans les affaire internationales» (dans les Cahiers de l’IUED, publiés à Genève) pour saisir l’ampleur du danger : «La crise planétaire qui s’annonce va impliquer, tôt ou tard, des mesures politiques extraordinaires qui ressemble davantage à l’état de guerre ou l’état d’urgence que les beaux discours onusiens sur le développement.» Catastrophisme ? Jacques Grinevald répond : «Le rôle du catastrophisme est rarement compris ou mis en lumière: on méconnait “l’heuristique de la peur” dont nous parle Hans Jonas (1903-1993) […]. On oublie que la pédagogie du catastrophisme vise à parer au pire.»
Craignons le pire
Le pire, ce serait que l’humanité «cherche dans un surcroît de technique une «solution» à ce «problème», et ainsi de suite indéfiniment», se moque Jean-Yves Goppi dans le Dictionnaire de la pensée écologique. C’est-à-dire qu’elle prolonge son agonie au nom de cette absurdité qu’est le «développement durable» (comme si l’humanité pouvait continuer à se développer sans tuer la planète) et qu’elle confie son sort à des techno-lobbies qui feront leur business de notre oxygène et de notre eau, avant de nous proposer (quand il n’y aura plus d’oxygène à vendre) de nous transplanter dans des machines (machines n’ayant pas besoin de respirer) ? Ou de nous envoyer sur Mars ?
Pensez-vous que le «Progrès» est un processus irréversible ?
Bref, il y a fort à parier que les instances dirigeantes «ne renoncent pas àla croyance en la toute-puissance humaine, via le transhumanisme ou le simple credo économique en une croissance matérielle infinie» (article «Progrès », signé par Floran Aubagneur et Dominique Bourg). Et ce qu’Aldous Huxley prévoyait déjà dans Le Meilleur des mondes arrivera, arrive déjà : «le dégoût de la vie physiologique ; le développement «hors sol» de l’humanité dans les nouvelles tendances du transhumanisme et l’artificialisation sans retour de la condition humaine. Et, last but not least, Huxley n’a pas manqué d’ajouter à son tableau la christianophobie aujourd’hui de rigueur dans les médias et dans certains cercles intellectuels» (article «Huxley”, signé par Bertrand Méheust).
A VOIR : Brink, réalisé par Shawn Christensen, avec Justin Chatwin et Allison Huntington, 2011. Produit par Damon Russell. Diffusé sur l’excellent site www.shortoftheweek.com
A LIRE :
La Biosphère de l’Anthropocène. Pétrole et Climat, la double menace, de Jacques Grinevald, Éditions Médecine & Hygiène, Genève, Suisse, 2007. À lire: entretien avec Jacques Grinevald à propos de son dernier livre.
Face à Gaïa, de Bruno Latour, La Découverte, 2015.
Dictionnaire de la pensée écologique, sous la direction de Dominique Bourg et Alain Papaux, PUF, 2015.
CET ARTICLE EST LA CONCLUSION D’UN DOSSIER portant sur les trois avancées majeures en matière de biologie depuis un demi-siècle : La révolution symbiotique «Femmes, vaches et lapins : même combat» / Le système immunitaire «Notre corps est-il humain ?» / L’hypothèse Gaia «Les midichloriens et l’hypothèse Gaïa»
UN AUTRE ARTICLE SUR LA FIN DU MONDE : Quel sens est le plus sensuel ?