Il existe des «relations parallèles qui durent toute une vie» et ne s’achèvent qu’avec la mort de l’un des partenaires. Pourquoi les femmes acceptent-elles de rester si longtemps dans une situation qui les fait souffrir ?
Beaucoup de Français sont bigames en secret. Ainsi que le dévoile Marie-Carmen Garcia, sociologue, auteur du livre Amours clandestines, les histoires d’amour parallèles sont nombreuses et elles durent parfois très longtemps… pour le plus grand malheur des maîtresses. Il est difficile pour une femme de ne pas pouvoir vivre avec celui qu’elle aime, ni partir en voyages avec lui, ni rien partager d’autre que des «moments volés». A la différence des amants cachés qui s’accommodent tant bien que mal de la situation (ils se mettent en couple), les amantes cachées restent souvent célibataires, dans l’attente du jour où l’homme marié divorcera. Ce jour-là ne vient parfois jamais.
Le temps ne joue pas en faveur de la maîtresse qui désire être épousée
Sur la longue durée, les infidélités mettent rarement le couple en péril. «Progressivement, en effet, la “raison” prend le pas sur la “passion”», explique Marie-Carmen Garcia. Pour le dire plus clairement : plus les mois passent et plus l’homme se stabilise dans la double vie alors que sa maîtresse, elle, perd confiance et foi en elle-même. L’homme considère que sa relation numéro 2 lui apporte un équilibre précieux. Il trouve agréable de pouvoir passer de l’épouse à la maîtresse, et inversement. Deux femmes l’aiment : n’est-il pas comblé ? La maîtresse, elle, ne parvient que rarement à construire une vie parallèle, afin de compenser. Elle s’obstine à rester seule. Elle développe, inévitablement, une image négative d’elle-même : il est difficile d’assumer le rôle de la «seconde», celle qu’on cache, celle qu’on nie. Arc-boutée dans l’attente, les maîtresses attendent que leur relation soit «officialisée»… en vain. Mais pourquoi s’obstinent-elles ?
Parce que le mari aime son amante
«Si une femme s’estime, pourquoi accepte-t-elle de tenir le “second rôle” ?» Marie-Carmen Garcia avance plusieurs réponses à cette question. Il s’avère, tout d’abord, que l’homme marié affirme souvent aimer sa maîtresse bien plus que son épouse, et cela avec une grande sincérité. Si on lui demande : «Aimez-vous votre épouse ?», il hésite fréquemment : «Je ne sais pas», «Je ne suis pas sûr». «Aimez-vous votre amante ?». «Oui». «Les tergiversations étaient moindres lorsqu’il s’agissait du partenaire clandestin. Cela ne signifie pas que celui-ci soit aimé sans l’ombre d’un doute. Cela signifie que l’amour pour le partenaire clandestin fait partie des registres de justification les plus courants pour expliquer la poursuite d’une relation cachée». Lorsqu’une personne mariée poursuit une relation parallèle longue durée, c’est toujours au nom de l’amour. La maîtresse, qui se sent sincèrement aimée, n’a pas le courage de rompre.
Parce que «nous n’avons pas les mêmes valeurs»
Pour la plupart des hommes qui mènent une double-vie la valeur suprême, c’est la famille. Pour la plupart des femmes, c’est l’amour. Il y a donc un hiatus. Les femmes sont persuadées que l’homme, puisqu’il les aime, finira par divorcer. Elles soupçonnent parfois l’homme de mauvaise foi quand il affirme se sacrifier «par devoir» et «au nom de la famille». Mais l’homme ne ment pas. Les standards d’éducation sont différents pour les hommes et les femmes. «Les publications et les émissions qui expliquent qu’“entre chaque homme et chaque femme, il y a 0,2 % de différence génétique” et que “de ce détail découle une foule de conséquences, biologiques, hormonales ou encore anatomiques” sont légion. Dans l’univers scolaire, si la mixité a été instaurée, […] les représentations des sexes sont fondées, pour la plupart, sur une idéologie de la différence». Les filles sont éduquées à penser leur avenir en couple, les garçons à faire carrière. «Socialement, les hommes sont reconnus pour ce qu’ils font (travailler, fonder une famille, s’engager politiquement, etc.) alors que les femmes sont reconnues pour ce qu’elles sont : des femmes (“révélées” par un homme ou la maternité).»
Parce que le mari dit souvent du mal de son épouse
Si la maîtresse persévère dans le quiproquo, c’est aussi souvent parce que l’homme marié se sent obligé de dénigrer son épouse, en insistant sur le fait qu’il souffre d’insatisfaction sexuelle dans son couple : sa femme n’est pas sensuelle, ni délurée, surtout depuis qu’elle des enfants… «Les discours masculins mettent quasiment tous au centre de leur argumentation la responsabilité de leur épouse dans le fait qu’ils prennent une maîtresse». Parfois le mari prétend qu’il n’a d’ailleurs plus aucune relation sexuelle avec sa conjointe. Les maîtresses, souvent, tombent dans le panneau, y compris quand le mari leur annonce confus que sa femme va bientôt avoir un enfant… Les amantes pensent que c’est un «accident» : «Son épouse l’a bien eu. Elle voulait le garder, elle s’est donc débrouillée pour le piéger», pensent-elles. Parfois, le mari, plus honnête leur dit : «C’est quand même mon épouse, elle ne comprendrait pas que je n’ai plus de désir pour elle». Et les maîtresses hochent la tête, pleines de compassion. Le pauvre.
Si vous êtes une maîtresse…
… et que vous voulez épouser l’homme marié que vous aimez : vite. «Si dans les premiers mois de la liaison les hommes n’écartent pas l’éventualité de “refaire leur vie” avec leur amante, le constat de leur propre incapacité (selon leurs termes) de se séparer de leur épouse installe progressivement cette idée dans la catégorie des rêves déraisonnables qu’ils ont eus au cours de leur vie et qu’ils ont eu raison de ne pas réaliser». Ils cessent alors de voir en l’amante «la femme avec laquelle on voudrait partager sa vie». Ils la perçoivent comme «la femme secondaire avec laquelle s’instaure un simili de conjugalité avec des rites, des souvenirs communs, des discordes et parfois une absence de désir». Le train-train s’installe. Ils cessent de rêver à une «vie à deux» avec l’amante. «Cette dernière, chemin faisant, s’inscrit ainsi durablement, à son corps défendant, dans un “statut” de maîtresse. On a affaire à l’établissement d’une relation qui, de “conjoncturelle” et “transitoire”, passe à “installée” et “ritualisée” : les rôles se définissent, se figent, les pratiques et les discours également : progressivement se met en place un couple clandestin […] pour lequel le terme “aventure” semble de moins en moins adéquat».
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A LIRE : Amours clandestines. Sociologie de l’extraconjugalité durable, de Marie-Carmen Garcia, Lyon, Presses universitaires de Lyon, coll. « Sexualités », 2016.
Cet article fait partie d’un dossier. Première partie : «Amours cachées : pas facile d’être la maîtresse». Deuxième partie : «Marié, mais disponible : portrait-type du mâle adultère». Troisième partie : «Pourquoi les amantes sont-elles humiliées ?».