Saviez-vous que le portrait ornant les billets de 5000 yens au Japon est celui d’une écrivaine morte de faim à 24 ans ? Que le médecin qui a découvert la vaccin contre la syphilis est lui-même… mort de la syphilis ? Que le précurseur de l’électricité au Japon est un auteur de romans érotiques ?
Dans Les 108 étoiles du Japon, le journaliste Matthieu Pinon énumère le destin des «108 personnalités qui ont fait la pop culture telle qu’elle est aujourd’hui, les équivalents de Foucault, Victor Hugo et Sylvie Vartan», ainsi qu’il le dit sur NoLife. Pourquoi 108 ? Parce qu’«il y a 108 coups de cloche sonnés le soir du Nouvel An, répond-il. Les chapelets des moines ont 108 petites billes. Et pour ceux qui vont dans les rakuen shop, ils savent que quand on achète un gadget à 100 yens, en fait il coûte 108 yens. Ce qui fait le top 108 Japonais avec l’ajout de la TVA».
Elle est pop idole à 14 ans, puis femme au foyer à 21 ans
Drôle, enjoué, Matthieu Pinon énumère les destins souvent chaotiques des 108 personnes les plus connues du Japon avec un talent de conteur hors pair. On lit son ouvrage en retenant son souffle, ravi d’apprendre que «La petite musique dans le shinkansen, lorsqu’il y a des annonces pour les voyageurs, c’est une chanson de Yamaguchi Momoe qui fut la première des idoles au Japon». Elle a commencé sa carrière à 14 ans. A 21 ans, au sommet de la gloire, elle tombe amoureuse et annonce qu’elle va devenir femme au foyer. Depuis, plus rien. Yamaguchi Momoe est devenue une anonyme mère au foyer. C’est comme ça, dans le Japon des années 70. Et même maintenant, alors que tout le monde attend le retour de Momoe, elle préfère s’occuper de sa famille.
Il inocule la syphilis à des malades et des petits orphelins
Autre destin surprenant, celui de Noguchi Hideyo (1876-1928). Ce fils de «paysans quasi-analphabètes» se calcine la main gauche à l’âge de 6 ans, en trébuchant dans la cheminée : il perd tous ses doigts. Il a 16 ans quand ses camarades de classe se cotisent pour lui payer une opération. Il se dit «Moi aussi je vais sauver des vies» et décide de devenir médecin, travaillant jour et nuit à l’hôpital, mais en vain : son handicap pèse trop lourd. «Avec sa main foutue», raconte Matthieu Pinon sur NoLife, impossible de faire carrière. A 24 ans, le voilà aux Etats-Unis pour devenir chercheur. A l’Institut Rockefeller où il travaille, Noguchi se passionne pour la syphilis dont il finit par isoler la bactérie pathogène. Comment a-t-il fait ? En inoculant la syphilis à des malades et des enfants orphelins. Grâce à lui, un vaccin est trouvé, mais le scandale est énorme, incitant les instances médicales à mettre en place un Comité Ethique Mondial. Noguchi, quant à lui, proclame son innocence : il en veut pour preuve qu’il s’est inoculé à lui-même la syphilis. Il refuse d’ailleurs de prendre un traitement, comme s’il fallait payer pour le tort qu’il a causé.
Il laisse s’échapper les moustiques porteurs de la fièvre jaune
Sa maladie, lorsqu’elle dégénère en neurosyphilis, lui attaque le cerveau. C’est à ce moment-là qu’il affirme pouvoir anéantir les épidémies de fièvre jaune qui sévissent en Amérique du sud. «Pas de problème, c’est une bactérie, dit-il. Je vous l’identifie en neuf jours». Problème : la fièvre jaune n’est pas une bactérie mais un virus. «Ne supportant pas le discrédit officiel de sa découverte, il se rend en Afrique pour étayer ses théories erronées. De trois mois, le séjour finit par en durer six et, dans la moiteur de la savane Noguchi sombre jusqu’à devenir une menace pour son équipe (il laisse s’échapper des moustiques porteurs du virus). Ayant délaissé les précautions sanitaires, il finit par contracter la fièvre jaune à son tour, dont il meurt le 21 mai 1928 sur ces ultimes mots : Je ne comprends pas». Ses compatriotes – pas rancuniers – choisissent son portrait pour les billets de 1000 yens. Après tout, c’est grâce à Noguchi qu’on demande maintenant la permission aux cobayes humains avant de leur faire des injections.
Il lance les vêtements à l’amiante au Japon
Autre destin surprenant, celui du savant fou Hiraga Gennai (1728 –1780). A l’époque même où Rousseau fait ses herboristeries, ce fils d’un guerrier de bas rang, «apprenti-herboriste dès 12 ans, entre six ans plus tard au service du seigneur local, dont les jardins sont des lieux d’expérimentations botaniques». Dans son livre Les 108 étoiles du Japon, Matthieu Pinon, s’enthousiasme pour ce «touche-à-tout de génie», précurseur en pharmacologie, auteur de pamphlets politico-érotiques, adepte de l’électrothérapie, chercheur de minerais précieux et finalement… assassin. Toute sa vie, Hiraga ne songe qu’à être «le premier au Japon». Il est le premier à développer le thermomètre au Japon, les vêtements à l’amiante (ciel) et les générateurs d’électricité. Sa méthode est celle du «reverse engineering» bien connue dans l’univers des nouvelles technologies : il se procure des objets occidentaux et les démonte pour en comprendre les principes. Pour lui, tout commence en 1752 : il a 14 ans lorsqu’il est «envoyé parfaire son savoir à Nagasaki» où se trouvent les représentants du comptoir de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales. A leur contact, il décide d’abandonner son statut héréditaire de samouraï et de devenir… aventurier ?
Auteur de romans libertins, précurseur de l’électricité
Multipliant les initiatives pour se faire un nom, il essaye d’introduire la culture du ginseng au Japon, ouvre sa boutique d’apothicaire, milite pour l’autosuffisance en matière de racines médicinales et devient une star en 1763 avec une encyclopédie d’histoire naturelle que tout le monde s’arrache. En parallèle, il est le premier à introduire les techniques de porcelaine et de peinture à l’huile. Il se lance aussi, comme spéculateur, dans des opérations de prospection minière, de production de sel, de transport de riz, tout en écrivant des romans sur le tourisme sexuel au Japon, passant en revue toutes les formes de prostitution – y compris mâle – qui se développent alors à travers le pays. Il tient l’équivalent des salons parisiens, des réunions (daishôkai) où ses amis médecins, artistes, imprimeurs et scientifiques échangent des idées novatrices. Il lance des best-sellers qui préfigurent la science-fiction. Est-il un génie ou un tricheur ? La légende veut qu’à force d’échecs répétés, devenu misanthrope et cynique, furieux de ne pas recevoir le soutien qu’il attendait, il exécute un de ses assistants en pleine ville. Il décède du tétanos durant son incarcération. «Privé d’obsèques publiques et incinéré au Sosen-ji, il est réhabilité en 1943, quand sa tombe est désignée site historique national».
A LIRE : Les 108 étoiles du Japon, de Matthieu Pinon, éditions Ynnis, avril 2016.
A VOIR : NoLife, la «chaîne des nouvelles cultures : jeux vidéo, japon, BD, musique, anime, manga, littérature», etc. Sur Noco TV (TV en ligne). Abonnement à 5 euros par mois. A voir en particulier : l’émission 101 pure 100 et surtout l’émission Mots de Saison, extrêmement documentée sur la culture japonaise.
Merci à Eldon Tyrell.