Actuellement en France, l’inceste n’est pas un crime «en soi», pas tout à fait. Le 18 février 2016, le Sénat examinera une nouvelle proposition de loi sur la «protection de l’enfance» dont l’article 22 pose problème : si l’on qualifie d’inceste un acte consenti entre consanguins de 15 ans ou plus, quelles pourraient en être les conséquences ? Frères et sœurs, désormais, devront-ils se cacher bien plus profondément encore dans les ténèbres de l’ignominie à quoi ce mot les voue ?
Eliminé de la liste des «crimes» à la Révolution française, l’inceste revient dans les textes de loi, sans que l’on sache encore très bien à quoi s’en tenir. Ce terme avait été supprimé du Code pénal en 1791 : «Les révolutionnaires considéraient qu’il relevait, au même titre que le blasphème, la sodomie, et la bestialité, d’un interdit d’ordre moral non nuisible à la société et, par conséquent, relégué à la sphère familiale.» Interrogée par Le Figaro la présidente de l’association internationale des victimes (Aivi), Isabelle Aubry, se félicite que l’Etat ait maintenant la possibilité de s’immiscer dans les «affaires de famille». «Il s’agit là d’une avancée symbolique importante qui n’apporte rien au niveau judiciaire», précise-t-elle. La loi a en effet toujours puni les viols, ainsi que les relations sexuelles avec des mineurs de moins de 15 ans. Dans les faits, l’abus des enfants a toujours été sanctionné (1). Quand l’abus avait lieu au sein d’une famille, la sanction était plus lourde encore. Mais le mot «inceste» ne figurait pas dans les textes de loi.
Signe des temps, le 12 mai 2015, l’Assemblée Nationale réintroduit le mot inceste dans le code pénal… tout en affirmant qu’il ne s’agit pas en soi d’une infraction (2). Parallèlement, se pose la question de savoir si l’on peut qualifier d’inceste les «atteintes sexuelles» commises entre enfants du même lit… Le 18 février 2016, après moult relectures, le Sénat examinera une nouvelle proposition de loi sur la «protection de l’enfance». L’article 22 pose problème : si l’on qualifie d’inceste un acte consenti entre consanguins de 15 ans ou plus, quelles pourraient en être les conséquences ? Frères et sœurs, désormais, devront-ils se cacher bien plus profondément encore dans les ténèbres de l’ignominie à quoi ce mot les voue ?
Croyant venir au secours des victimes d’abus, les défenseurs de cette loi affirment qu’il faut renforcer la puissance du tabou. Mais suffit-il de durcir la loi pour faire baisser les crimes ? Pas si sûr. Dans son livre Pervers. Nous sommes tous des déviants sexuels, le scientifique Jesse Bering, spécialiste des comportements humains, note avec beaucoup de justesse que ce n’est pas en stigmatisant l’inceste qu’on empêchera des viols. En stigmatisant l’inceste, dit-il, on ne fera que renforcer le dégoût que la majorité des gens éprouvent pour certains types de relations amoureuses et sexuelles qui ne font pourtant de mal à personne. Il en veut pour preuve l’étonnante histoire d’amour (?) qui lie Milo et Elijah Peters.
«Prenez les frères Élie et Milo Peters, par exemple, deux jumeaux identiques praguois d’une vingtaine d’années jouant ensemble dans des films pornos gays où ils se pénètrent analement l’un l’autre. Non seulement les jumeaux Peters ont des relations sexuelles ensemble depuis leurs quinze ans, mais ils se considèrent également comme un couple, tout comme n’importe quel autre couple dont les gènes ne correspondent pas parfaitement. Ils se disent monogames hors caméra. «Mon frère est mon petit ami, et je suis son petit ami, dit l’un de l’autre. C’est ma force vitale et mon unique amour.» De leurs vrais noms, Michal and Radek Cuma, ces deux acteurs de X se font connaître sur le site hongrois BelAmi dans les années 2009-2010, entraînant un boom des productions estampillées twincest. Grâce à eux, la fréquentation du site BelAmi augmente de 1,5 million d’utilisateurs par mois. Au début très timides, les deux frères se contentent de co-baiser un partenaire dans les orifices duquel ils se succèdent sagement. Les mois passants, encouragés à se rapprocher toujours plus, ils finissent par s’embrasser puis se prendre par tous les orifices avant de… disparaître au terme d’une carrière éclair.
Dans un article publié sur Salon.com (intitulé «Le plus choquant des tabous gay porno»), le journaliste Thomas Rogers, décrit ainsi une de leurs plus mémorables vidéos : «Cela commence par une confession, durant laquelle les deux allongés sur un matelas parlent de l’attraction qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.
“Rien qu’à voir mon frère se regarder dans un miroir me fait bander“. Rapidement, ils se déshabillent et se retrouvent en monokini, assis sur les genoux l’un de l’autre, puis entament un slow tout en se rappelant des souvenirs (“C’est comme cette nuit au club disco… »). Ensuite, les choses deviennent plus intenses : ils s’embrassent passionnément, se masturbent réciproquement, se sucent et finalement ont une relation sexuelle non-protégée. La scène est perturbante non seulement parce que la vision de deux hommes parfaitement identiques qui s’enlacent est déconcertante, mais parce que ces jumeaux sont soit d’excellents acteurs, soit aiment vraiment le sexe à deux.» Thomas Rogers cite à ce sujet Jack Shamama, rédacteur en chef du Gay Porn Blog : «Ce qui les rend en partie si choquants, c’est qu’ils s’investissent totalement, quand ils baisent, ils le font de tout leur coeur».
Lorsque Milo et Elijah disparaissent du circuit, emportant avec eux leur secret (étaient-ils amoureux ?), le fantasme seul suffit parfois à ressusciter le parfum de leurs sulfureuses étreintes. Les amateurs de twincest se régalent de photos «à la limite de l’érotisme transgressif». qui se contentent parfois tout juste d’évoquer le frisson d’un contact consanguin. D’autres jumeaux reprennent le flambeau. «Les Américains ont Max et Charlie Carver, les Portugais Kevin et Jonathan Sampaio, les Brésiliens ont désormais David et Daivis Fernandes», s’enthouasisme un journaliste de la revue Queerty.com face aux photos finalement très pudiques de deux frères et mannequins de mode posant côte à côte dans des tenues déshabillées. On est loin des étreintes torrides des jumeaux Peters. Mais qu’importe. En matière de twincest, c’est l’intention (parfois même le procès d’intention) qui compte.
L’inceste est à ce point bouleversant, surprenant, scandaleux qu’il suffit de faire semblant pour exciter les foules. Sur Google quand vous tapez twincest, ce sont les photos des frères du groupe allemand Tokio Hotel qui apparaissent maintenant, photos généralement retouchées, accompagnées de phrases suggestives, parfois même de fan-fictions pornographiques ou sado-masos inspirées du manga OHSHC (Ouran High School Host Club, «Le Lycée de la séduction»), dans lequel deux jumeaux – les frères Hitachiin – s’enlacent à qui mieux mieux.
L’amour fraternel a le goût délicieux de l’interdit. Vu de loin, sous des formes fantasmatiques, il fait même puissamment rêver. Mais de près ? Les réactions habituelles à l’inceste sont celles du dégoût. Nous sommes culturellement déterminés à considérer l’inceste comme une déviance horrible et répugnante.
«Considérons les éléments suivants, plaide Jesse Bering : le consentement sexuel enthousiaste et mutuel des jumeaux Peters, leur absence surprenante de honte sur le sujet et leur évident bonheur à être l’un avec l’autre.» Si l’on examine tout cela, il en ressort que ce couple incestueux n’est pas «aussi manifestement «mauvais» qu’on nous a appris à le penser. Faut-il se laisser toucher par leur apparence de félicité conjugale ? Ou rejeter avec violence toute forme d’empathie pour eux? Le point de vue de Jesse Bering est le suivant : «Nos facultés mentales sont aisément obscurcies par nos réactions émotionnelles qui ne peuvent permettre une juste détermination du préjudice, c’est ce que l’on pourrait appeler «le facteur de dégoût». Les sentiments de répulsion ont une façon de saper notre intelligence sociale qui va jusqu’à compromettre notre propre humanité. En réalité, s’il y a une seule chose que les chercheurs ont apprise sur le raisonnement moral et le sexe depuis ce XXIe siècle, c’est que le dégoût est le moteur viscéral de la haine. La bonne nouvelle, c’est qu’une fois que vous comprenez comment tout cela fonctionne, vous pouvez neutraliser ce moteur. Le meilleur espoir de résoudre ce problème si profondément enraciné de dégoût sexuel est d’en déconstruire les fonctions». Autrement dit : il faut désapprendre le dégoût qu’on nous a enseigné à avoir pour certains comportements sexuels et/ou amoureux. Parce que ce dégoût n’a… aucune raison d’exister ?
LUNDI PROCHAIN : l’inceste met-il en danger les humains ?
A LIRE : «Host Club. Le Lycée de la séduction», de Bisco Hatori, éditions Panini. Pervers. Nous sommes tous des déviants sexuels de Jesse Bering, aux éditions H&O (sortie le 12 février 2016).
NOTES
(1) Les peines encourues étaient aggravées lorsque l’agresseur sexuel était «un ascendant ou toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait».
(2) Note de synthèse du Sénat : «En France, l’inceste, c’est-à-dire le rapport sexuel entre deux personnes qui sont parentes
à un degré où le mariage est interdit, ne constitue pas une infraction
spécifique. Si la relation est librement consentie et concerne deux
personnes qui ont dépassé l’âge de la majorité sexuelle, fixé à quinze
ans dans notre pays, elle ne tombe pas sous le coup du code pénal». Source : http://www.senat.fr/lc/lc102/lc1020.html