Au Japon quand un ancien catcheur se reconvertit dans le comique, cela donne «Hard Gay», une parodie de pervers sexuel qui vole au secours des mères de famille. Surprise. Personne n’y voit rien à redire. Pourquoi ?
Entre 2005 et 2009 environ, un comique japonais fait un triomphe à la télévision sous le nom officiel de «Razor Ramon HG», ou encore «Hard Gay» (HG). Seulement vêtu d’un mini-short moulant et d’un haut de vinyle noir, coiffé d’une casquette à clous, il se déplace dans les rues des villes japonaises, effectuant ce qu’il appelle du «social improvement» c’est-à-dire que, tout en agitant frénétiquement son bassin sous le nez des passants héberlués, il vient au secours de SDF, incite les jeunes à témoigner plus de respect pour leurs parents, aide les vieilles dames à traverser la rue et joue au redresseur de tort. Son combat : lutter contre la perte des valeurs. Ses moyens : de frénétiques mouvements pelviens, assortis de cris «Fuuuuuuuu !!».
Le message fait mouche. Jouant sur le contraste entre son personnage de «pervers» sado-maso et sa mission d’ange urbain, Hard Gay arpente les rues de Tôkyô en quête de bonnes actions à mener, sans jamais cesser de se tortiller. Peu sensibles à son humour, certains militants gays l’accusent de donner des homos une image négative, renforçant le stigmate qui frappe leur communauté. Il est vrai que Hard Gay n’y va pas de rein mort. Il ondule tellement du bassin qu’on se demande à chaque fois, coeur serré, s’il ne va pas se recevoir un coup de poing dans la figure. Mais non. Au pire, ses interlocuteurs s’enfuient. Hard Gay ne suscite, semble-t-il, jamais la colère, ni l’indignation. Et cela même en présence d’enfants, que dis-je, même dans les jardins d’enfant, Hard Gay se fait applaudir. Les mères ne crient pas au pervers. La police ne vient pas l’arrêter.
Sur cette vidéo ci-dessous, par exemple, il cuisine avec des enfants dans le but de changer leurs goûts en matière d’alimentation. Les mères se plaignent que leurs petits refusent les légumes ? Hard Gay relève le défi. Il se fait fort de convertir un récalcitrant au natto, préparation ultra gluante de soja fermenté. Le natto ressemble à de la morve ou du sperme très épais, au choix. Peu d’enfants apprécient ce plat dont les vertus nutritives sont pourtant reconnues. En avant. Hard Gay se rend dans un parc, joue avec les enfants qui ont «la tête à hauteur de ses hanches» (dit-il, commencez la vidéo à 1:33), remue follement des fesses, multiplie les allusions sexuelles (1) et… finit par faire manger du natto à un petit garçon sous les yeux ravis des mamans.
On pourrait voir dans cette surprenante tolérance une forme très révélatrice de ce que certains nomment «le laxisme» du Japon en matière de pédopornographie. Mais peut-on accuser des mères de famille japonaises de laisser leurs enfants sans protection face à une forme d’intrusion sexuelle violente ? Non. Il semblerait que ni les grands ni les petits ne voient pas «le mal» dans les ondulations pseudo-coïtales de Hard Gay. Exposés à cet étrange personnage, qui tend avec outrance ses parties génitales dans leur direction, les enfants rient, plutôt de bon coeur, sans se sentir agressés par le monsieur. De façon très révélatrice, les vidéos de Hard Gay se regardent avec la même surprise queles images de vulves médiévales : «On regarde ces images en supposant une norme, on traque le passage de la limite, on raisonne en posant implicitement la question du licite et de l’illicite, du tolérable et de l’insupportable».
Nos réactions, face aux vidéos de Hard Gay, témoignent d’une habitude à penser la représentation du sexe en termes de transgression. Mais ce que ces vidéos démontrent c’est que, visiblement, le sexe de hard Gay n’est pas connoté sexuel au Japon. Il est connoté «protecteur» et «magique». Talisman vivant, Hard Gay se sert de son pénis pour chasser les petits loubards. Il éloigne, à coups de pubis, les garçons qui importunent des inconnues dans la rue. Il s’en sert aussi pour chasser les pensées tristes. On le voit ainsi consoler, à coups de pubis, un enfant qui pleure : «Allez, souris», dit-il, en remuant follement du croupion devant le môme qui finit par sourire. «Hard Gay, Okayyyyyy ! Tout va bien maintenant». L’effet est presque immédiat. Plus Hard Gay se décha^ne de l’entrejambe, plus les spectateurs rient, comme si dans cette caricaturale démesure, il prenait les mêmes proportions que ces pénis géants qui, lors des processions shintô, servent de porte-bonheur.
Hard Gay en fait trop. Ce faisant, il confine au cosmique. L’extravagance ostentatoire de ses déhanchés privent ses gesticulations de tout érotisme. Hard Gay ne joue pas à exciter les gens. Il joue à les sidérer, les subjuguer, les frapper de telle manière que son sexe ne soit plus l’expression d’un désir, mais d’un super-pouvoir : celui de mettre en déroute les influences négatives. Pour reprendre les mots de Gil Bartholeyns, Pierre-Olivier Dittmar et Vincent Jolivet, auteurs d’Image et transgression au Moyen-Age «Il serait réducteur de voir dans ces [représentations du sexe] la seule expression du mal tant les indices sont nombreux qui laissent penser qu’elles possèdent des fonctions particulières». En Occident, ce sens-là s’est pour une large part perdu. Les images du sexe comme porte-bonheur n’existent presque plus chez nous. Mais pas au Japon, où les organes génitaux font encore partie des objets cultuels. Hard Gay en fournit une preuve «éclatante».
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CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER EN DEUX PARTIES: «Hochet phallique pour bébé ?»
POUR EN SAVOIR PLUS SUR LES USAGES SYMBOLIQUES DES ORGANES GENITAUX : «Vive la Saint Foutin» ; Jettatura : que Priape m’en protège» (la corne comme porte-bonheur) ; «Hé, le cornu !» (le lien entre phallus et corne) ; «Quel est le lien entre un cocu et un cornichon ?» (pourquoi dit-on que les cocus portent des cornes) ; «La vulve, anti-dépresseur mythique» ; «La plaie du Christ serait-elle une vulve ?« ; «Tu n’as pas honte ?
POUR EN SAVOIR PLUS SUR HARD GAY : «Qu’est devenu le comique Masaki Sumitani ?», VIDEO sur Youtube sous-titrée. Hard Gay oblige des jeunes à souhaiter la fête des pères (et va jusqu’à faire porter à un papa une tenue SM offerte par sa fille)
NOTE
(1) Hard Gay a l’habitude dire «Sei sei sei sei sei», ce qui habituellement compris comme une abréviation de «urusei» : «tais-toi». Mais sei peut aussi se comprendre comme un jeu de mort sur «sexe, sexe, sexe, sexe».