Si vous aimez les love hôtel, n’allez pas au Japon, mais au Brésil. C’est du côté de São Paulo ou de Rio de Janeiro que se trouvent les établissements les plus fantaisistes, délirants, bizarres, kitschs et tapageurs du monde.
Au Japon, les love hôtels sont maintenant des buildings sans caractère. Pour la fantaisie, c’est au Brésil qu’il faut aller, ainsi que l’explique l’anthropologue Jérôme Souty, dans un ouvrage intitulé Motel Brasil, rempli d’étonnantes descriptions de ces «drive-in sexuels» aux noms criards : Motel Kama Sutra, Motel La Passion, Motel Capri, Motel Punto G, Motel Penthouse, Motel Moulin Rouge, Motel Play Boy. Les plus excentriques – situés sur les voies rapides – se reconnaissent de loin à leurs formes de navire, de Taj Mahal en stuc ou de château médiéval, en pierre, avec pont-levis. On entre dans certains par des jardins suspendus babyloniens. L’Adventure Motel (São Paulo) imite une montagne artificielle et sa porte d’entrée… une caverne.
Une chambre «piste d’atterrissage»
Certains établissements se surpassent. Le Motel Le Baron (São Luis) propose par exemple une suite Aéroport : la chambre recouvre l’intégralité de trois suites sur une surface de 2 600 m2. Elle contient un véritable avion, une tour de contrôle, un héliport, un sauna et une piscine. Dans ce même motel, les clients peuvent aussi prendre la suite Orient-Express qui contient un wagon de train de trente-deux mètres de long avec sa cabine de machiniste. La suite Tarzan se compose d’une grande cabane en bois dans les arbres et d’une aire de camping au bord d’un lac artificiel…
L’âme de Picasso invoquée par des médiums
Chaque hôtel se doit d’offrir des suites uniques en leur genre : Super héros, Safaris, Hippie, Moulin Rouge, Tantra, Mille et Une Nuits, Golden Souk, etc. «L’imagination n’a pas de limite». Les thèmes relèvent parfois de l’improbable. Préférez-vous la chambre Guillotine (avec une vraie guillotine), Musculation (équipée comme une salle de body-buiding) ou Sports extrêmes ? «Dans le Duplex Rapel, par exemple, l’hôte est invité à escalader deux étages de parois», sur un mur de varappe en pierres reconstituées dans un matériau synthétique. Même lorsque les établissements jouent la carte a priori conventionnelle de l’art, ils y mettent un grain de folie. Au Zapt Motel (São Paulo) par exemple, «la suite Pablo Picasso […] possède des tableaux peints par des médiums qui déclarèrent avoir réalisé ces peintures sous l’influence directe de Pablo Picasso lui-même».
Un love hôtel pour propriétaire de chat ?
Ces motels sont conçus pour le sexe, au sens large du terme : pour le rêve, l’inédit, le désordre… «A noter qu’il n’y a pas que les humains qui fréquentent les motels thématiques, leurs animaux domestiques aussi. Depuis 2012, il existe à Belo Horizonte un établissement nommé Pet Motel. Celui-ci propose aux animaux de compagnie des chambres de rencontres à la décoration thématique (sur le modèle des motels destinés à leurs maîtres) ainsi que les services facilitant une reproduction assistée par un vétérinaire… (1)». Dans ces motels ouverts aux couples, aux trans, aux prostitué.e.s, aux groupes, aux chiens ou aux perroquets domestiques, toutes les créatures sont conviées à se réjouir dans un espace en rupture totale avec le réel.
Le Brésil est-il un pays permissif ?
C’est sur ce point (l’effet de rupture) que l’ouvrage de Jérôme Souty se révèle le plus instructif : contrairement aux préjugés qui associent le Brésil à l’hédonisme, l’anthropologue soutient que l’extravagance des motels correspond probablement plus à la pudeur qu’à la décontraction d’une société pas si permissive que ça. «Malgré certaines apparences trompeuses, le Brésil n’est pas un paradis de la liberté sexuelle. La société brésilienne, outre qu’elle demeure extrêmement violente et inégalitaire, n’est pas spécialement libérale en ce qui concerne la sexualité. Par bien des aspects […], la société est même très conservatrice (2). La censure n’a été officiellement abolie au Brésil qu’en 1988. Au tournant du 21e siècle, 43% des Brésiliens pensaient que les femmes devaient se marier vierges, 81% étaient totalement contre l’homosexualité masculine et 78% contre l’homosexualité féminine».
«Prêt-à-dormir» contre «prêt-à-jouir»
Jérôme Souty rappelle que le Brésil est au septième rang mondial des pays les plus violents contre les femmes. «Malgré les avancées de la loi Maria da Penha visant à lutter contre la violence conjugale, le taux des homicides des femmes au Brésil est de 4,4 assassinats pour 100 000 femmes (en 2010), soit plus de 4 000 meurtres par an, dit-il. Entre un imaginaire érotique national (et un imaginaire érotique projeté de l’extérieur sur le Brésil) supposé très libéral, et les pratiques effectives, il peut exister un véritable abîme.» Comment comprendre, alors, que les brésiliens aient fait des sages inventions américaines de véritables lupanars ? Aux USA, les motels (abréviation de motor et hôtel) sont des lieux «prêt-à-dormir» froids et anonymes. «Ils sont le produit d’une certaine rationalité technique et économique, résume l’anthropologue. Les chambres identiques rappellent les constructions préfabriquées. La décoration fait appel à un design utilitaire (3). L’hyperfonctionnalité s’inscrit dans une monotonie architecturale et décorative.»
Le love hôtel comme lieu de honte ?
A l’inverse des motels nord-américains qui sont des lieux «sans qualité», standardisés et appartenant à des chaînes, les motels brésiliens – non-franchisés – se caractérisent par l’originalité exubérante de leurs chambres conçues spécifiquement pour baiser. On pourrait facilement voir là le symbole d’une plus grande licence sexuelle. Mais Jérôme Souty, lui, y voit le produit d’une répression car ce qui fait le succès de ces lieux, c’est avant tout «la gêne ou la honte de namorar em casa, c’est-à-dire de flirter, s’embrasser et avoir des relations sexuelles dans un cadre domestique». L’étroitesse des logements, où cohabitent parents et enfants, autant que la morale religieuse prégnante, dit-il, «poussent les élans juvéniles sexuels vers l’extérieur et la clandestinité». Le motel, c’est le lieu où l’on se cache, conclut-il. Ce qui explique peut-être pourquoi ces hôtels-là sont tellement rococos, surchargés de décorations en toc. L’esthétique des motels est celle du bricolage qui se dit gambiarra en portugais. Gambiarra, c’est le mélange du chic et du faux. Mais ce mot peut désigner aussi un branchement électrique frauduleux… ou la relation extraconjugale.
A LIRE : Motel Brasil. Une anthropologie des love hôtels, de Jérôme Souty, Riveneuve.
NOTES
(1) «L’immeuble qui abrite l’«Animalle Mundo Pet dispose, en outre, toujours à destination des animaux domestiques, d’un salon de fêtes, d’une academia (salle de gym/musculation), d’une piscine, d’un institut de beauté, de services vétérinaires, d’aliments et fournitures, etc.». (Source : Motel Brasil)
(2) «La non-acceptation du topless constitue un autre exemple révélateur des différences culturelles en relation à la pudeur et à la visibilité des corps. Si les micro-bikinis (le string, appelé fio dental – «fil dentaire»–) sont autorisés (et utilisés en masse) sur les plages, il est hors de question pour les femmes d’enlever le haut et d’exposer leurs seins au soleil. Le topless fait encore aujourd’hui systématiquement scandale et les rares femmes qui s’y osent quelques minutes sur la plage sont facilement victimes de la colère et des discriminations d’autres plagistes ; elles sont aussi immédiatement réprimandées, voire embarquées par la police, comme ce fut le cas à Rio à plusieurs reprises ces dernières années». (Source : Motel Brasil)
(3) «Le
philosophe Bruce Bégout se sert même des motels nord-américains comme
d’une métaphore pour dénoncer la banalité aliénante et anesthésiante du
monde contemporain». (Source : Motel Brasil)
POUR EN SAVOIR PLUS SUR LES LOVE HOTELS AU BRESIL : Une interview (avec des photos parlantes) de Bruno Guinard, résidant au Brésil. Un documentaire de Gérard Bonnet «Love Motels. Une tradition brésilienne : faire l’amour au motel» : sur Vimeo, un teaser.