En 1751, un opuscule – L’Art de péter – distingue les pets muets (féminins) des pets vocaux (masculins) et plus précisément les pets qui vous font en enfant dans le dos des pets tirés comme des «coups de fusil» avec une franchise toute virile. Sexisme ?
Plusieurs fois réédité au XVIIIe et au début du XIXe siècle, L’Art de péter devient rapidement un classique de la littérature comico-scatologique. Il est sous-titré : «Essai théorie-physique et méthodique, à l’usage des personnes constipées, des personnages graves et austères, des dames mélancoliques et de tous ceux qui sont esclaves du préjugé». Par souci de discrétion, l’éditeur qui ne dit pas son nom affirme résider «en Westphalie, chez Florent-Q, rue Pet-en-Gueule». L’avis au lecteur explique : «Il est honteux que depuis le temps que vous pétez, vous ne sachiez pas encore comment vous le faites, et comment vous devez le faire. On s’imagine communément que les pets ne diffèrent que du petit au grand, et qu’au fond ils sont tous de la même espèce : erreur grossière. Cette matière que je vais vous offre aujourd’hui, analysée avec toute l’exactitude possible, avait été extrêmement négligée jusqu’à présent ; non pas qu’on la jugeât indigne d’être maniée, mais parce que ne l’estimait pas susceptible d’une certaine méthode et de nouvelles découvertes. On se trompait. Péter est un art et, par conséquent, une chose utile à la vie. Il est en effet plus essentiel qu’on ne pense ordinairement de savoir péter à propos».
L’ouvrage a du succès car tout en prétendant exposer scientifiquement la théorie des vents, il dénonce sa propre imposture en dénombrant pas moins de 62 sons de pet différents au fil d’une taxonomie délirante qui combine «les quatre modes simples du pet, l’aigu, le grave, le réfléchi et le libre» avec une grammaire de règles péteuses, notamment celle de Jean Despautère qui veut «qu’une liquide jointe à une muette dans la même syllabe fait brève ; ce qui signifie que l’effet du pet foireux est très prompt». L’auteur s’en donne à cœur joie dans l’énumération de pets qu’il traite comme une langue à part, une langue dont les circonvolutions calquées sur celles des intestins donnent matière, littéralement, aux jeux de mots les plus vaseux. Ainsi l’auteur parle des «pets de géographes, semblables à des girouettes, tournant à tous les vents. Quelques fois, cependant, ils s’arrêtent du côté du Nord, ce qui les rend perfide».
Il y a aussi le «pet involontaire […] lorsqu’on se baisse, ou lorsqu’on fait de grands éclats de rire, ou enfin quand on éprouve de la crainte. Cette sorte de pet est ordinairement excusable». Le «plénivocal, ou grand pet» qui se manifeste «en raison du calibre ample et spacieux qui le produit» ; le «pet diphtongue» crépitant comme une salve de mousqueterie, particulièrement recommandé «pour bannir le diable» ; le «pet aspiré» qui est un petit pet semi-vocal et chétif ; le «pet de province» qui n’est pas falsifié comme celui «de Paris, où l’on raffine sur tout» ; le «pet des ménages» (sic) qui génère peu de troubles ; le «pet de bourgeoises […] bien dodu et proprement accommodé», dont «faute d’autres, on peut très bien se contenter» et – en bout de liste – le «pet de cocu» qui est bicéphale car «il y en a de deux sortes, dit l’auteur. Les uns sont doux, affables, mous. Ce sont les pets des cocus volontaires : ils ne sont pas malfaisants. Les autres sont brusques, sans raison et furieux ; il faut s’en donner de garde. Ils ressemblent au limaçon, qui ne sort de sa coquille que les cornes les premières».
Mais qui est l’auteur ? «Pierre-Thomas-Nicolas Hurtaut, 32 ans lorsqu’il publie son traité». Ce nom est celui d’un obscur fils de marchand de chevaux, professeur de latin à l’Académie militaire et auteur, notamment d’un Essai de médecine sur le flux menstruel entièrement basé sur une théorie courante à l’époque : plus la femme est libidineuse, plus elle saigne. Autrement dit : «Lorsque la femme ressent les appétits amoureux, la matrice éprouve un gonflement qui dépend de l’extravasation du sang dans le tissu spongieux» et… elle déborde. Pour l’historien Antoine de Baecque, qui préface l’ouvrage, «Hurtaut est un sensualiste de la langue» qui aime jouer avec les mots autour de son obsession du corps et des humeurs. Ceci n’empêchant pas cela, Hurtaut est aussi un misogyne de l’espèce la plus courante à l’époque : il estime que les femmes, étant par nature séductrices, sont des menteuses et des dissimulatrices. La preuve, dit-il : il y a des femmes qui s’empêchent de péter. Et de citer le cas de celle «qui n’avait plus pété depuis 12 ans par coquetterie» et qui «est morte de s’être trop retenue».
Quand elles ne se retiennent pas, les femmes rusent, dit-il. Elles serrent si fort les fesses qu’on n’entend rien. Mais… la nature se venge parfois aux dépens de ces mystificatrices. Car lorsque «par la compression et le resserrement du grand muscle de l’anus» on convertit «en femelle ce qui devait se manifester en mâle […] cette malheureuse finesse fait payer bien cher à l’odorat ce qu’elle épargne à l’ouïe» (1). Conclusion, achève Hurtaut : «les ruses tournent souvent au préjudice de celui [ou celle] qui les emploie». Il ne sert à rien de vouloir imiter les femmes. D’une façon ou d’une autre, le pet a le fin mot.
A LIRE
L’Art de péter de Pierre-Thomas-Nicolas Hurtaut. Introduction d’Antoine de Baecque. Payot, 2006.
NOTE
(1) Hurtaut place ici, en guise d’argument, un extrait du Mercure galant de Boursault : «Je suis un invisible corps/qui de bas lieu tire mon être/Et je n’ose faire connaître/Ni qui je suis, ni d’où je sors/Quand on m’ôte la liberté/Pour m’échapper, j’use d’adresse/Et deviens femelle traîtresse/De mâle que j’aurais été».