Le mot publicité évoque généralement l’image d’une pin-up dénudée posant près d’une voiture, d’un paquet de chips ou d’un déodorant pour homme. Parfois aussi, elle sert à vendre des bonnes causes. Est-ce légitime ? Scandaleux ? Faut-il condamner toutes les affiches sexy, sans distinction ?
«La plupart du temps, il est difficile de savoir pourquoi les publicitaires utilisent des photos de femmes à moitié nues pour vendre leurs produits», constatent deux journalistes du site BuzzFeed. Afin de prouver l’aspect parfois gratuit, voire inadéquat de certaines pubs, elles se sont amusées à supprimer le logo et le slogan sur l’image.
Pourriez-vous deviner ce que permet de vendre la photo d’une femme dont la culotte est tombée sur les chevilles ?
Celle d’une cuisinière qui enfourne une dinde, seulement vêtue de ses dessous ?
Trois réponses sont données au choix. Cliquez pour vérifier : l’exercice est assez drôle. On se trompe une fois sur deux ce qui prouve bien que les publicités jouent sur le décalage entre l’image et le produit. Parfois l’image est si totalement déconnectée du message vendeur que l’affiche fait l’effet d’une plaisanterie de très mauvais goût. Parfois, l’effet de surprise est tel qu’on ne peut s’empêcher de trouver la publicité réussie.
Mais sur BuzzFeed, sans faire la différence entre les publicités, sans même tenir compte du message qu’elles essayent de faire passer, la conclusion est sans appel : toutes ces publicités sont condamnables car – pour attirer l’attention – elles «objectifient» la femme. L’article est d’ailleurs sous-titré : «le sex(isme) fait vendre». Les commentaires qui apparaissent sous l’article soulignent cependant que parmi les pubs dénoncées sur BuzzFeed, il y en a certaines qui auraient dû être mises à part et bénéficier d’un droit à l’exception. Lesquelles ?
Celle de Pamela Anderson en bikini, posant pour la cause animale, sur une affiche de l’association PETA : «Tous les animaux ont les mêmes morceaux. Ayez un cœur. Devenez végétarien».
«Cette publicité pour PETA n’aurait pas dû être classée de la même manière que les autres, car elle a un impact positif sur la société. Il ne s’agit pas juste de montrer une femme dénudée», proteste Victoria.
«C’est pour une bonne cause, mais ça reste un moyen d’attirer l’attention des hommes en utilisant un corps de femme, répond Ryan. Je trouve ironique que pour faire passer un message végétarien on traite la femme comme de la viande.»
«Mais c’est justement là la subtilité du message, s’étrangle Bryony. PETA dénonce le fait que des femmes soient traitées comme de la viande et fait le parallèle avec les animaux en jouant sur la similitude du sort qui leur est réservé !».
Une dizaine d’autres commentaires suivent, sur fond de discordance. «PETA traite mieux les animaux que les femmes», affirme Erin. «Ils utilisent le sexe pour vendre une idée, ce qui est peut-être pire qu’utiliser le sexe pour vendre un produit. PETA use des mêmes techniques de propagande que les nazis allemands», clame Jennifer… «Moi je trouve terrifiant qu’ils parlent d’une femme comme d’un animal. Nous sommes des mammifères. Ça me rend malade, Pamela n’est pas un animal, c’est un être humain», s’indigne Rachel.
Une autre publicité suscite la controverse. Celle d’une mannequin (en bikini également) posant pour le don d’organe. Le slogan dit : «Devenir donneur représente probablement la seule et unique possibilité pour vous d’entrer en elle».
«C’est vraiment glauque», s’offusque une commentatrice nommée Alice. «Ce n’est pas glauque si vous pensez aux millions de gens qui attendent un organe dans l’espoir d’avoir la vie sauve, réplique Paula. Parfois, il faut en passe par le plus petit dénominateur commun pour attirer l’attention des gens sur des choses importantes».
«Oui, mais je trouve ça quand même glauque», répond Alice. Une troisième commentatrice, Parisah, s’en mêle : «Cette publicité pour le don d’organe me donne envie de pleurer. Comment peut-on légitimer cette façon de défendre le don d’organe !». «Mais oui, c’est bien cela, il faut vendre sexuellement une femme pour que les gens comprennent la nécessité du don d’organe», se moque Andrea. «Sauver une vie ne suffit pas, il faut que ça soit «sexy«», persifle également Chynna. Nicole fait remarquer que la même phrase fonctionne beaucoup moins bien avec un homme : qui voudrait «pénétrer» un homme ? Elle semble exclure les gays de l’affaire. Les gays ne sont pas concernés par le don d’organe. Une poignée d’autres commentaires suivent… C’est la mêlée.
Dans «La Pub enlève le bas», la chercheuse Esther Loubradou – docteure en Sciences de l’Information et de la Communication – souligne que les affiches cristallisent souvent des réactions antinomiques : «Notre héritage religieux fait que le sexe-plaisir est encore considéré d’un mauvais œil. Les publicités sexuelles, portées par différentes controverses, ont très naturellement à leur tour été étiquetées comme perturbatrices de l’ordre social.»
Pour Esther Loubradou, l’accusation courante portée contre la publicité repose sur un présupposé d’origine puritaine : dans notre société, il est mal vu de mélanger le sexe et l’argent. Quand il s’agit de la femme, en tout cas, le sexe doit relever d’un élan du cœur. Il faut qu’une femme ne se donne à consommer, ou ne livre son corps au regard, que par amour, dans le contexte sanctifié d’une relation sentimentale et dans le but de fonder un foyer. Une femme qui s’offre pour le profit, c’est mal. La femme ne doit s’offrir que pour des raisons «pures». Cette vision rétrograde est d’ailleurs souvent défendue - bec et ongles – par des associations qui militent pour la libération de la femme : ces associations attaquent systématiquement les images suggestives, comme s’il fallait que la femme n’apparaisse dans la sphère publique que boutonnée des chevilles au cou. Le problème, c’est que les publicités qui dénudent des corps ne sont pas forcément des publicités qui discriminent une personne en raison de son sexe.
Le problème, c’est aussi que de nombreuses publicités ont pour but non pas de «vendre» un produit mais une cause humanitaire… Et c’est là que les dissensions apparaissent, révélatrices des contradictions de notre société. Pour Esther Loubradou, les débats autour du soi-disant sexisme des publicités sont souvent ineptes. Dévoiler la plastique d’une modèle n’est pas forcément sexiste, rappelle-t-elle, il s’agit de faire la distinction entre une représentation méprisante et une représentation érotique de la femme. «Cela me semble incompréhensible de ne voir le sexe que comme quelque chose de mauvais. Les choses sont plus complexes.» Par ailleurs, il y a quelque chose d’injuste dans le fait de condamner la pub alors que dans la danse, par exemple, le corps des femmes – outrageusement moulées dans des tutus ou des fourreaux couleur chair – ne semble causer aucune réprobation. «Le sexe marchand reste toujours moins bien accueilli que le sexe dans l’art, souligne-t-elle. D’autre part, à la peur du sexe s’ajoute l’inquiétude traditionnelle concernant la puissance des médias et la manipulation publicitaire. Évidemment, cela ne pouvait qu’entraîner un cadrage général des publicités sexuelles comme menace pour la société, largement soutenu par différentes associations».
UNE IMAGE EROTIQUE EST-ELLE FORCÉMENT SEXISTE ? Testez votre capacité de jugement, en comparant les avis : «L’érotisme c’est du sexisme (chap. I) ?», «L’érotisme c’est du sexisme (chap. II) ?»
EST-CE QUE LE SEXE FAIT VENDRE ?
A LIRE : «La Pub enlève le bas – Sexualisation de la culture et séduction publicitaire», Esther Loubradou, éditions du Bord de l’eau. Ce livre est tiré de la thèse intitulée «Porno-Chic et indécence médiatique : contribution interdisciplinaire portant sur les enjeux communicationnels et socio-juridiques des publicités sexuelles en France et aux États-Unis», de Esther Loubradou. Thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication sous la direction de P. Marchand, Toulouse, Université Paul Sabatier.