L’artiste Annliz Bonin travaille avec du latex liquide dont
elle enduit sa peau… avant de l’arracher. «Les sensations sont très
particulières». L’occasion rêvée se présente bientôt : à Paris, fin août, Annliz Bonin
propose un atelier «Seconde peau» ouvert à tous ceux-celles que tentent
l’expérience de cette mue troublante.
«Offrez-vous les
sensations étonnantes d’un enveloppement unique, celui produit par le latex
liquide. En prenant la forme de notre corps, en s’immisçant dans nos
plis et replis, il nous enserre et finit par transformer nos perceptions…». Du 27 au 30 août, dans le cadre du festival EroSphère qui se déroulera à Micadanses (Paris), Annliz Bonin – 37 ans,
plasticienne, photographe et performeuse – propose une initiation d’un genre inédit. Il s’agit pour les participants de se mettre nu et de se
laisser enduire de latex liquide… Au fur et à mesure qu’elle sèche, la fine
couche de latex devient translucide, invisible, puis adhère à la peau sur
laquelle elle plaque et tend ce que l’on finit par ressentir comme une étrange,
enivrante, métamorphose corporelle. «Du début de l’enveloppement jusqu’à la
fin du talquage, il faut compter 30 à 45 minutes». L’enveloppement –
d’abord onctueux, gluant – durcit, rétrécit, donne l’impression que la peau
devient coquille puis cristal… Une fois sèches, les personnes recouvertes de latex
liquide «sentent» toute la surface de leur épiderme. Le moindre mouvement
multiplie les effets de cette hyper-acuité tactile.
«C’est un vrai cheminement. Le latex
liquide met un certain temps à sécher, selon la température, l’humidité
et la chaleur dégagé par le corps. Une fois sec et talqué, la sensation
est incroyable : on est nu mais on se sent habillé, protégé par un film très fin et très solide à la fois, qui isole complètement du toucher, du vent, du froid. Le
film de latex épouse complètement les mouvements, il a un effet
tenseur, quand on bouge on sent tous ses muscles jouer sous sa peau». Annliz
procède elle-même à la pose du latex, en commençant par le dos et le
haut du corps. Plus elle descend, plus la personne s’immerge. Il s’agit
pour elle d’initier les gens à un véritable repli. Au fur et à mesure
qu’ils sèchent, l’effet corset du latex agit. Ils se sentent «pris» par
la matière qui forme une coque de protection invisible.
«L’ambiance
pendant la pose de la seconde peau est détendue et bon enfant. Une fois
les participants secs et talqués, je leur demande de se rhabiller et de
passer quelques minutes «normales» avec leur seconde peau : aller boire un café, fumer une cigarette. Ils
n’oublient pas vraiment leur seconde peau, mais ils s’y habituent, ils
se familiarisent avec elle. Puis, ensemble et en musique, je leur
demande d’effectuer un power-strip : chaque vêtement qui tombe va leur amener de la force. Une fois nu,
à leur rythme, ils se séparent de leur seconde peau. C’est une
expérience unique, je leur demande de goûter les sensations, de profiter
du moment».
Tirant sur la pellicule élastique, les
participants déchirent la gangue dont ils émergent lentement. Certains
parlent de placenta. D’autres renaissent en boa. «Enlever la seconde
peau provoque beaucoup de sensations. Ce principe de mue, c’est aussi
porter une attention très particulière à son corps, à son enveloppe. De
toutes les personnes avec qui j’ai travaillé, en atelier ou lors de
séances photos, personne n’est sorti indifférent de cette expérience».
QUESTIONS A ANNLIZ BONIN
Quelle est votre méthode pour l’enveloppement ?
Le
latex est étalé à la main, en couche régulière, ni trop fine, ni trop
épaisse. Il y a un coup à prendre : le latex sèche à la chaleur, il faut
être rapide.
Vous enveloppez entièrement le corps de latex liquide ?
J’évite
les mains et les pieds, pour des raisons esthétiques. Ces zones sèchent
mal, en faisant des plis : le latex donne alors un effet «peau brûlée»
qui ne m’intéresse pas. J’évite le cou pour les mêmes raisons et pour
éviter le latex dans les cheveux qui est une vraie calamité ! J’évite
aussi le visage parce que les vapeurs d’ammoniaques sont nocives pour
les yeux. J’évite enfin le sexe, parce que les muqueuses sont fragiles.
Il y a de l’ammoniaque dans le latex ?
Oui, le latex liquide est un mélange d’hévéa et d’ammoniaque. D’où l’odeur qui peut incommoder certaines personnes… pour ma part je dois avouer que cette odeur est devenue une sorte de «madeleine», je l’aime.
Le latex liquide est-il sans danger ?
Les
enveloppements au latex que je pratique peuvent provoquer un inconfort
(surtout quand il fait chaud car la sudation est bloquée), mais ne sont
pas dangereux car le corps n’est pas totalement couvert (visage, cou,
mains, pieds et pubis restent à découvert) et ils durent peu de temps.
Mon projet porte vraiment plus sur les sensations d’étirements et de
plaisir/douleur qu’on ressent lorsqu’on retire la seconde peau. En
workshop et en atelier, je veille à ce que les participants, une fois
«secs», ne restent pas plus de 15 minutes enfermés dans leur seconde
peau.
Que se passe-t-il si on garde le latex sec trop longtemps ?
D’après
mon expérience, une fois la seconde peau parfaitement sèche, au bout
d’une heure, une heure 15 d’attente, une sensation d’inconfort apparaît.
On commence à ne plus tenir en place, à toucher sa seconde peau sans y
penser. Le latex isole la peau, mais aussi la prive de sa «respiration»
et de sa sudation. De ce que j’ai pu expérimenter sur des festivals où
je me latexais longtemps avant d’entrer en scène, il y a un léger effet
d’asphyxie qui se produit à la longue. Ce n’est pas le truc le plus sain
de l’univers, mais ça décuple les sensations pendant la phase de mue…
Le plus long temps d’attente que j’ai vécu a été de presque deux heures,
je n’ai pas eu de malaise à proprement parler, mais j’ai été surprise
en retirant la seconde peau par un phénomène tout à fait étrange : une
sorte de sudation-express, comme si ma peau se remettait à fonctionner à
grande vitesse et dégageait toutes les toxines enfermées jusque-là. Je
ruisselais littéralement. La sensation de libération était très forte,
animale, jouissive.
On peut tuer quelqu’un par asphyxie en l’enveloppant d’une matière imperméable ?
D’après
mes recherches on ne peut pas mourir d’asphyxie par la peau tant qu’on
respire normalement. La mort de la James Bond girl dans Goldfinger est
donc un mythe ! En revanche, si on est totalement couvert d’une
substance qui bouche les pores, au bout d’un moment le corps
«surchauffe» et cela peut être dangereux.
Comment fait-on pour enlever le latex ? Ça fait quoi ?
Enlever
la seconde peau provoque beaucoup de sensations. Mon expérience
personnelle se situe entre la douleur et l’euphorie. La douleur est
différente selon les endroits. Le latex s’étire, fait des filaments, on
peut en jouer, plus on va doucement plus il s’étire.
Quelles précautions prenez-vous ?
Je
teste toujours les dispositifs plastiques ou performatifs sur moi avant
de convoquer des modèles dans mon atelier. J’ai fait beaucoup d’essai
avant de performer avec du latex, j’ai affiné les choses au fur et à
mesure. Je n’ai jamais eu peur pour moi-même, en revanche j’ai toujours
fait beaucoup plus attention quand je latexais des modèles.
J’ai
eu peur une fois : mon modèle a eu un étourdissement pendant que je
procédais à l’enveloppement. Il faisait très chaud et les vapeurs
d’ammoniaque lui faisaient tourner la tête. Il a suffi de sortir
quelques minutes au grand air. J’ai refusé une fois un modèle qui avait
des cicatrices d’une opération très récente, je ne voulais pas prendre
la responsabilité d’un problème dermatologique.
Quel latex utilisez-vous ?
Un
latex pré-vulcanisé pour moulage. Il existe des latex moins corrosifs
spécialement étudiés pour les effets spéciaux, on les utilise notamment
pour simuler des plaies. Mais il coûte 10 fois plus cher que le latex de
base et ce n’était pas réaliste pour moi qui souhaitais l’utiliser sur des corps entiers.
Il faut quelle quantité de latex pour une personne ?
Pour
un corps complet (excepté pied/visage/parties génitales) il faut
environ 400 ml de latex, avec un peu d’épaississant et de pigment pour
retrouver le ton de peau du modèle.
Combien coûte le latex ?
Environ 18 euros le litre. Le coût du latex est compris dans le billet du festival : les participants n’auront pas à payer de
supplément.
Quelles sont vos recommandations avant une séance d’enveloppement au latex liquide ?
Le latex adhère complètement à la peau. Y compris aux poils ! Je recommande à mes modèles de s’épiler avant une mue.
Qu’est-ce qui vous a amené à proposer un atelier sur la «seconde peau» ?
Courant 2013, j’ai réalisé une série de photos intitulée «mue(s)».
Plus les modèles se succédaient à l’atelier, plus j’étais fascinée par
la diversité de leurs réactions. Le panel d’émotions qui les
traversaient était tellement varié ! Sérénité, colère, jubilation,
excitation, frénésie… J’ai vu des curieux, qui jouaient avec la matière
pour voir jusqu’à quel point ils pouvaient l’étendre… Des aventuriers,
qui s’auto-bondageaient dans les filaments de latex qu’ils étiraient de
leur propre corps… Des pressés, qui enlevaient d’énormes plaques de
latex avec beaucoup de satisfaction… Des gourmets, qui, les yeux fermés,
décollaient le latex très lentement en goûtant chaque sensation… Et le
débriefing, à la fin de chaque séance ! L’étonnement, l’impression
d’avoir traversé quelque chose d’unique. Je n’étais donc pas la seule à
mettre beaucoup de symbolique là-dedans !
Très
vite, la photo n’a plus suffi : il me manquait le mouvement, l’émotion.
J’ai monté en février 2014 une performance minimaliste avec deux autres
performeurs. A la rentrée 2014, j’ai mis en place avec mon conjoint un
atelier de performance amateur. L’occasion de retravailler avec du latex
était toute trouvée. Lors d’ateliers, j’ai pu réaliser des mues
collectives.
L’enveloppement vous intéresse pourquoi ?
Pour
l’esthétique. Et pour le «renforcement positif». Je trouve que l’image
de soi est assez malmenée dans notre société. Et je me suis rendue compte que cette histoire de seconde peau touchait à quelque chose de très puissant symboliquement.
Est-il important de commencer l’enveloppement par le dos ?
Le
dos est une un surface plate (en tout cas la plus plane du corps) qui
permet de «trouver le rythme» pour l’application du latex. La deuxième
raison touche à la relation au modèle. Etre à sa hauteur permet de
discuter, de maintenir un dialogue, de jauger ses réactions plus
rapidement (s’il est surpris par l’odeur, indisposé, etc.). C’est un contact intime avec la peau de quelqu’un qu’on ne connaît pas. Le dos est une zone assez neutre, j’aime bien que le premier contact se fasse par là. Ça
permet au modèle de gérer ses sensations (le mélange latex/épaississant
est de la consistance de la crème fraîche, froid de prime à abord, il
se réchauffe vite au contact de la peau) sans être en face-à-face avec
moi, dans un premier temps. Après ce premier contact je passe plus
facilement face au modèle, et je couvre les épaules et la poitrine. Ensuite
le ventre, jusque sous le nombril. Je demande ensuite au modèle de
lever les bras pour faire la jonction entre le dos et le devant, puis
j’enveloppe les bras l’un après l’autre, jusqu’au poignet. A partir de
ce moment-là, le modèle devra laisser les bras levés car le latex colle
au latex : si le modèle remet les bras le long du corps, il va se coller
à lui-même. Le latex devient translucide en séchant. Dès que je repère
des zones sèches, je commence à les talquer. J’accélère souvent le
séchage au niveau des bras avec une source de chaleur (sèche-cheveux ou
radiateur soufflant) pour limiter la station les bras levés, qui est
inconfortable au bout d’un moment. Dès que les zones sont talquées, le
modèle retrouve sa mobilité.
POUR EN SAVOIR PLUS
EroSphère est le festival participatif des créativités érotiques. Cette initiative culturelle non-commerciale et artistique
se consacre à la créativité érotique et au désir. Une équipe
attentionnée de bénévoles déploie un cadre bienveillant, respectueux et
joyeux. Il s’adresse à des personnes en démarche érotique, de toutes
orientations. La dernière semaine du mois d’août, le festival EroSphère
propose 18 ateliers créatifs, ludiques, initiatiques ou techniques
accueillant chacun 30 à 40 participants autour de trois thématiques
complémentaires, avec un final immersif le dimanche. Plus de renseignements ici.
Tarif :
de 150 à 230€ le Pass pour les 4 jours du festival «IN» selon la date.
Sur place, les billets seront en vente à 250€. Pass 1 ou 2 jours en cas
de places restantes. Billetterie ici.
Aux Studios Micadanses : 15 Rue Geoffroy l’Asnier 75004 Paris.
Le site de Annliz Bonin : Anxiogène. Les soirées-performances avec son compagnon : Corps-matière.