LE DÉBLOG du Dr QUENU, psychiâtre sauvage
(N°1)
Buveurs(ses) très illustres, et vous, vérolé(e)s très précieux(ses), c’est à vous, non aux autres, que j’adresse ces fariboles, bols de farine, gaudrioles et tutto ciò che si vuole…
Vieux pilier (j’ai pas dit vermoulu) de La Musardine, j’ai eu envie d’apporter ma pierre à l’édifice. Ça tombe bien, psychiâtre autodidacte, j’ai des idées sur tout, à commencer par le Sexe. Ou plutôt, j’ai des idées sexuelles sur tout ce qui bouge, tout ce qui passe, palpite et tout et tout…
Stéphane m’a demandé de me présenter brièvement aux visiteurs du site.
Me voici :
Mon nom est Édouard Quenu. J’ai déjà ma rue à Paris, dans le Ve précisément (allez-y voir vous-même, si vous ne voulez pas me croire) – pour services rendus, je n’en dirai pas plus… chutt… je dirai même plus « Botus et mouche cousue », et même encore plus « Cactus et bouche moussue » (le Sexe, toujours le Sexe).
Au fait, qui suis-je, moi qui vous parle, à la fin des fins ? On a déjà posé la question à Dieu. L’Être suprême, avec ses deux accents circonflexes, a répondu : « Je suis celui qui suis. » Pas mal, Dieu ! Tu me la copieras, bâtard ! Personnellement, je dirai plutôt à mon sujet : « C’est moi que je suis. » Je n’ai pas peur de me mesurer à Dieu pour la bonne raison que je suis plus important que lui : en effet, moi, au moins, j’existe. Stop là-dessus.
Comment devient-on docteur Quenu, psychiâtre autoproclamé ?
Très jeune, trop jeune, j’ai lu un classique de la psychiâtrie : Psychopathia Sexualis d’un certain Krafft-Ebing, que mon père, brave infirmier psychiâtrique de banlieue, laissait traîner sur sa table de chevet au milieu d’une palanquée de « Série noire ». Je me souviens d’un cas en particulier, dans cette bible de la folie sexuelle humaine, qui m’a marqué à jamais. Celui d’un jeune garçon de mon âge qui avait rencontré une fille nubile ultracomplaisante. Le plus grand plaisir du garçon consistait à faire s’allonger la fille – sur le ventre, jambes écartées, sans culotte, jupes relevées. Il enfouissait son visage là, entre entrecuisse et entrefesse à l’air, et il y restait des heures, comme en prière, en tout cas en attente, sans bouger – bouche ouverte, narines béantes, yeux agrandis, oreilles dressées, langue sortie – à recevoir les flux, reflux, effluves divers et variés qu’émettaient, l’une après l’autre ou toutes ensemble, les ouvertures féminines. Il n’était jamais déçu, le jeune « malade mental » : en effet, il se passe toujours quelque chose à la fourche des femmes, surtout quand on est doué d’une patience d’ange, ce qui était le cas du jeune homme (et de la jeune fille aussi, soit dit en passant). Moi, ça me paraissait le comble du comble de la perversion et de la jouissance. Et la place que le jeune érotomane avait choisi d’occuper, ses cinq sens en alerte, c’était le jardin d’Eden, le vrai. Et dire, me répétais-je, que chaque femme qui passe dans la rue en comporte un, de coin de paradis comme celui-là – pour peu qu’elle veuille bien l’ouvrir !
Écrire autour du Sexe, pour moi, aujourd’hui, c’est replonger dans l’atmosphère – archimoite, ultraconfinée, hyperenivrante – de cette histoire restée gravée à jamais dans ma mémoire sensible. Le jeune « psychopathe », d’emblée, avait mis dans le mille. C’est l’exemple à suivre. C’est là que ça se passe, tout le monde le sait, et personne n’y va. Sauf quelques happy few… Il faut dire qu’il fait vachement chaud dans le cœur en fusion de l’équateur féminin ! Du calme, Édouard !
À la suite de cette lecture, de fil en aiguille, je suis devenu un Zorro du Sexe : je veux dire que j’ai embrassé le Sexe comme une cause. LA CAUSE. Je me suis fait le redresseur des torts qu’on fait au Sexe. Je l’ai dit, je sais tout, et surtout que le Sexe est partout. Or, quand je constate son absence quelque part, par exemple dans les commentaires des critiques sur un chef-d’œuvre de la peinture… hop ! aussi sec, je barbouille le tableau en question avec du Sexe. Je ne suis palefrenier… pas le premier à faire ça, ni le dernier, mais à partir du jour d’hui, j’ai décidé de frapper un grand coup. En commençant par la Vierge Marie : le principal thème de la peinture occidentale.
Mais avant toute chose, vous qui m’écoutez – du moins, je l’espère – posons un postulat en vue de dessiller les yeux les plus obscurantistes ; il a pour auteur Guillaume Apollinaire, grand connaisseur en matière d’art, grand ami des peintres les plus exigeants de son époque, et il s’énonce ainsi :
« CE QUE VOUS VOYEZ N’EST PAS CE QUE VOUS VOYEZ. »
O.K., ça n’éclaire pas forcément la lanterne, mais ça peut parfois soulager la vessie. Et vous allez voir comme ça tombe bien. En effet, mon propos d’aujourd’hui tourne autour de la question alambiquée suivante :
« Comment un petit déjeuner californien réduit à sa plus simple expression (jus d’agrumes variés, café serré sans sucre, parfum de rose à peine éclose), sobrement servi sur une table noire sur fond noir, peut, à l’insu du plein gré du peintre, se métamorphoser en belle fille nue, avec le détail de tous ses attraits – je dis bien TOUS – (de son appas le plus volumineux à sa plus discrète ouverture). »
Démonstration :
Ce que vous avez sous les yeux est une œuvre du peintre espagnol Francisco de Zurbarán (1598-1664). Voilà ce qu’en dit la critique bien-pensante : « Comme pour la plupart des natures mortes de cette époque, la signification est religieuse. Ce tableau est une ode à la Vierge Marie : les citrons, les oranges et leurs fleurs, la rose sans épine, l’eau claire sont des symboles de sa pureté. »
Et voici ce qu’affirme haut et fort le docteur Quenu : oui, c’est bien le portrait – épuré – d’une vierge – mais attention, d’une vierge à poil ! Et je le prouve ! Vous voyez les nichons (euh, les citrons) à votre gauche. J’affirme que ce sont des seins féminins. Faut voir comme ils pointent ! Le fruit du sommet est pourvu d’une véritable tétine, la vache ! Et celui juste en dessous, dirigé vers le bas, pique bien, lui aussi, à remplir une bouche d’adulte. Quand même ! Et au centre du tableau, que trouve-t-on ? Le « panier » (en argot : le cul, et en espagnol aussi… la mano al cesto). Ladite corbeille déborde très haut d’oranges charnues, c’est dire qu’on a affaire à un fessier du genre plantureux (rien dans les Écritures n’affirme ni n’infirme – pour moi, c’est tout sauf une infirmité – que la mère de Dieu n’avait pas reçu de la Nature la grâce d’un beau c..). On remarquera qu’au beau milieu de l’amoncellement d’agrumes d’une chaude couleur de chair, rayonne un ardent soleil de plis : anus en gloire, ou je ne m’y connais pas. Or, je m’y connais en tout, je vous l’ai dit et répété. Vous m’objecterez qu’il y a quatre citrons au lieu de deux, et au moins cinq ou six oranges en place d’une paire… bien observé, cher Watson… mais les grands artistes, comme vous le savez, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît – vous connaissez la chanson.
Reste le troisième terme de la trinité, à droite, constitué de deux éléments posés séparément sur le petit plateau d’étain, et là, ça se corse. Jusqu’ici, vous m’avez suivi, je le sais, mais voilà que ça se complique ; il est vrai qu’on touche au cœur de la féminité la plus secrète de notre vierge. À gauche, cette rose tout juste éclose, ultrapudique, qui ne consent à présenter que son profil frissonnant… eh oui, c’est là que ça se passe pour elle… oui, et par là que ça passe – et repasse et ramone et pistonne… Et la tasse, alors ? C’est là que je vous attendais. On a passé en revue les mamelles durement entêtées, la généreuse croupe trouée en plein milieu, la vulve toute neuve délicatement entrouverte… Qu’est-ce qui reste dans la zone tropicale ? Hein ? Eh non, il n’y a pas trente-six solutions. Pour moi, la tasse remplie d’eau presque à ras bord, c’est (comme je vous l’annonçais au début) la vessie pleine de notre jeune fille émotionnée ; et l’anse cachée dans l’ombre, du côté droit du récipient, son presque indétectable méat urinaire. L’autre anse, déployée en pleine lumière, tout près du sommet de l’ouverture de la rose ? Je penche pour le clitoris – bien sorti, le bougre, hein ! Et last but not least, le rameau de feuilles et fleurs d’oranger qui surmonte tout l’obscène étalage que je viens de décrire ? Là, c’est facile. Les bouquins de psy sont tous d’accord pour traduire « végétation » par « pilosité ». CQFD, on finit par où on avait commencé : la présentation d’une jeune vierge complètement à poil, couchée sur la toile (107 cm par 60), en gros et en détail, par un peintre lubrique, âgé à l’époque de 35 ans.
Revenons à moi. J’habite Paris Ve, dans ma rue, pourquoi me gêner ? et donc, non loin des grands musées. Voici pourquoi. Il faut bien vivre, et un psychiâtre auto-autorisé comme moi (« Je ne m’autorise que de moi-même », comme dit l’Évangile), même s’il a toujours raison sur toute la ligne, n’a jamais de patients dans son cabinet. Même pas de plaque à l’entrée de son immeuble, sinon c’est la prison pour exercice inégal, illégal… je ne sais plus trop. Que pouvais-je faire pour arrondir une retraite réduite aux aguets, aux acquêts… je ne suis plus très sûr… En tout cas, j’ai trouvé une combine – alambiquée, certes – mais bon… Il se trouve que j’ai un copain (boulé comme moi en première année de médecine – il y a quarante de ça, ça ne nous rajeunit pas) qui a monté une agence de tourisme en province. Il fait visiter Paris à des pensionnaires de maisons de retraite. Pour être plus sûr de les aguicher, il leur mélange le classique et le coquin. La tour Eiffel et le Sacré-Cœur d’un côté, les Folies-Bergère et le musée du Louvre de l’autre (pour les femmes nues aussi, mais pas seulement). En effet, la visite guidée du Louvre, c’est ça mon job au noir. En évitant de parler trop fort, je déroule à mes retraités émoustillés le sens sexuel des chefs-d’œuvre (les plus innocents apparemment : ceux dénués de toute nudité). Le Zurbarán, bien sûr (il est à Los Angeles, mais avec une reproduction grandeur nature déroulée par terre, ça marche très bien aussi). Les Vermeer (un sacré pervers, celui-là – La Laitière, c’est à n’y pas croire – elle est à Amsterdam, mais on se débrouille comme j’ai dit). En tout cas, La Dentellière, elle y est, elle, au Louvre (aile Richelieu, 2e étage, salle 38). Et croyez-moi, c’est obscène à tomber par terre aussi… tout y est, de A jusqu’à Z, avec les points sur les i… pas racontable ! Je vous raconterai quand même dans une prochaine chronique (ta mère)… Reprenons : donc, j’y vais à mots couverts avec mes petits vieux. Vous verriez leurs yeux briller, et les femmes alors… elles me sucent la bite des yeux, ça me trouble. Pour finir, j’entraîne tout mon groupe d’auditeurs au musée d’Orsay, et je les abandonne devant L’Origine du monde de Courbet. Là, au moins, pas besoin de discuter : mes clients et clientes comprennent tout… J’attends de pied ferme celui qui osera venir m’affirmer que L’Origine n’est pas un tableau de femme à poil… que c’est, par exemple, une allégorie de l’ouverture aux autres. À autrui, pour mieux dire la chose… Y en a marre à la fin ! C’est vrai, quoi, merde ! Mais je m’emporte… j’arrête là pour aujourd’hui.
La prochaine fois, j’étudierai avec vous l’affiche de Chantal Ladesou à propos de son spectacle Nelson. Encore une obscénité sans nom. Vous doutez ? Attendez de voir ! Et si vous êtes sages, vous aurez droit, en sus, à un décryptage point par point du drapeau du Vatican. Un monument de pornographie à couper le souffle ! Ma parole, L’Origine, ce n’est encore que du vin de messe à côté… de l’eau bénite tiédasse. Qu’on se le dise…