Ce matin, le soleil brillait dans le ciel de Paris. Ce soleil d’hiver qui ne réchauffe pas vraiment, mais qui fait du bien, qui donne le sourire. Après les deux jours qui venaient de s’écouler, c’était le soleil de l’espoir, le soleil qui dit merde à l’horreur, à la tragédie, à l’abomination. C’était la lumière au bout du tunnel.
Alors, je suis sortie. Je suis sortie la fleur au fusil. Je suis sortie le sourire aux lèvres pour rejoindre des amies. Le sourire aux lèvres mais le cœur gros.
J’avais la chance de n’avoir perdu personne, de ne connaître personne qui ait été touché. Et pourtant, j’étais triste pour ces dizaines, ces centaines de personnes endeuillées. Pour ces lieux que je connaissais, que j’avais fréquentés, à côté desquels j’avais vécu pendant des années. Mais sortir c’était tout ce qu’il fallait faire. Je suis sortie rejoindre des amies. On s’est serrées dans les bras. On a brunché, comme les parisiennes que nous sommes. On a bu des cafés, on a fumé des clopes. On a même fait des blagues.
On est allées poser une bougie devant le Bataclan. On s’est recueilli. On a souri aux gens. On a parlé à voix basse, dans ce silence de mort. Comme le 7 janvier sur la place de la République. Les larmes des uns et des autres. Les gens qui se prennent dans les bras. C’était fort. C’était bien d’être là. Il fallait être là. Se monter unis. Il y a le symbole, oui. Mais, profondément, j’avais besoin d’être là.
On est allé poser une bougie devant le Carillon et le Petit Cambodge. Les mêmes scènes, les mêmes gens, les mêmes pensées « Ça aurait pu être nous », « On aurait pu être là ». Et continuer malgré tout à faire des blagues. Parce qu’on est comme ça. Pour dédramatiser. Pour faire tomber la pression. Pour alléger l’ambiance.
Et puis la nuit est tombée. On a eu envie de boire une bière. On s’est installées à une terrasse proche de la place de la République. On n’a pas trop réfléchi. C’était simple d’aller là. Comme ça ce serait facile pour tout le monde après de rentrer chez soi. On a commandé des bières, on a vu l’addition, on s’est dit que c’était quand même vachement cher cet endroit. Mais on a trinqué. On a trinqué à la vie.
Et tout s’est arrêté. Ou tout s’est accéléré. Un regard à droite, vers la place de la République. Des gens qui courent. Qui crient. Se lever, le verre à la main. Courir. Lâcher le verre, alors je m’étais mise à courir avec ma bière à la main. Eviter les gens. Sauter par dessus les chaises renversées. Apercevoir le dos d’une amie, courir vers elle, surtout ne pas la perdre de vue. Ne pas être seule dans ce qui ressemble à un chaos. Entrer dans le hall d’un hôtel. Réaliser qu’on n’est que deux alors qu’on était cinq à la terrasse.
Les pleurs, les tremblements. On est vingt, peut-être trente, dans le hall de cet hôtel. Les journalistes étrangers qui sont là ne comprennent rien. On ne comprend rien non plus. Que s’est-il passé ? Des tirs ? C’est sûr ? On n’en sait rien. Où sont nos amis ? Sains et saufs, à l’abri. Heureusement.
L’attente et l’angoisse durent de longues minutes. Et puis finalement, ce n’était rien. Une fausse alerte. Un mouvement de foule. Peut-être des pétards. Personne ne sait vraiment.
Se retrouver, se serrer dans les bras. Rassurer tant qu’on peut les proches qui appellent. Rentrer chez soi. Se servir un verre. Allumer une clope. Et puis les images qui reviennent, en boucle, au ralenti, comme un mauvais film. Pendant plusieurs heures.
Ce matin, je n’avais pas peur. Ce soir, j’ai peur. Il faut continuer à vivre. Le texte de Luc Le Vaillant dans Libération est sublime, il est très vrai. J’ai passé deux jours à tenter de rationnaliser, d’analyser, de me blinder derrière mon métier de journaliste. Ce soir, je n’y arrive plus. J’ai couru pour rien. Mais j’ai couru.
J’ai couru pour fuir. J’ai couru pour me mettre à l’abri. J’ai couru en pensant que je devais courir pour sauver ma vie. J’ai couru dans les rues de Paris. Je ne peux pas oublier cette sensation. J’ai beau savoir que c’est dérisoire par rapport à ce qu’ont vécu toutes les victimes vendredi soir, ce soir, je ne suis plus la même.
Ce soir, je ne suis plus celle que j’étais ce matin. J’ai la sensation d’avoir perdu une part d’innocence, d’inconscience, de légèreté. J’espère que tout cela n’est que perdu et que je vais les retrouver…
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