Pour une fois, tentons de garder notre sérieux pour aborder une paraphilie à la fois curieuse et contradictoire, aussi répandue qu’exceptionnelle : la nécrophilie. Au sens propre, elle désigne une excitation sexuelle pour un corps mort, elle est condamnée dans la plupart des pays – et très rare, de fait. Quelles que soient les méthodes statistiques, on ne dépasse jamais plus de quelques dizaines de cas recensés à l’échelle européenne, la plupart concernant des hommes entre 20 et 50 ans qui exercent un métier en rapport avec la mort.
Au sens métaphorique, cependant, la nécrophilie est plus courante. On parle parfois de pseudo nécrophilie, ou de nécrophilie secondaire. Il s’agit de tout acte sexuel impliquant une personne « comme morte », c’est à dire inconsciente, endormie, ou jouant la comédie. On pensera par exemple à l’une des premières scènes du Kill Bill (2003-2004) de Quentin Tarantino quand un infirmier viole Uma Thurman plongée dans le coma. Rien à voir selon moi avec un jeu de rôle anodin où Gisèle fait sa poupée chiffon en roulant des yeux – mais bon.
En ce qui concerne la nécrophilie au sens propre, il faut néanmoins considérer qu’elle semble avoir été à l’occasion pratiquée ici et là dans les sociétés antiques. La systématisation de la condamnation judiciaire tenant principalement à l’effroi religieux, on peut imaginer l’inverse, le contre-pied, il est vrai. Rien ne s’y oppose. Mais en général, le respect des morts vaut immunité sexuelle, et la règle veut que l’incinération, l’inhumation ou l’embaumement soit plus populaires que la sodomie sauvage de Mémé Catherine par l’abbé Mons, post-mortem en ce qui la concerne – s’entend.
Le corps mort est sacré, il doit être préservé, y compris du pourrissement, a fortiori du commerce charnel. C’est pourquoi l’un des rares Etats américains qui n’avait pas de législation claire sur le sujet, la Californie, statua sur ce sujet dès l’élection d’Arnold Schwarzenegger, sous la pression des lobbies chrétiens.
D’un point de vue métaphorique, artistique ou fantasmatique, la nécrophilie ou pseudo nécrophilie ne souffre pas vraiment de condamnation morale. Elle est même cultivée et encouragée par les romantismes européens. Bien sûr, il ne s’agit en l’occurrence que de mises en scènes poétiques chez Shakespeare ou Baudelaire – ou encore de fantaisies comme le Frankenstein de Mary Shelley. Ce qui compte, c’est la perfection de la mort à l’instant M, sa beauté immobile et figée, ainsi que la sublimation de l’amant qui préfère la morte (qui préfère la mort). En d’autres termes, c’est une esthétique certes morbide, mais surtout il s’agit d’un absolutisme amoureux et suicidaire.
Le plus curieux, ceci étant, c’est que ce fantasme se retrouve chez les vrais nécrophiles, pour un quart desquels la réunion avec un être aimé et décédé est la motivation principale. En littérature, précisons cependant que les textes les plus récentes comme le merveilleux Nécrophile de Gabrielle Wittkop (1972, réédité en 2001 aux éditions Verticales), tendent plutôt à l’exploration esthétique qu’à l’adoration romantique du corps mort.
Et quand on dit exploration, Pépé Alphonse l’a senti passer, même cané.
Sur le même fil métaphorique, l’une des grandes motivations fantasmatiques de la nécrophilie participe de la victoire érotique d’un être rejeté sur un objet qui le rejette. Pour 60% des nécrophiles avérés, et pour un nombre mal quantifiés de nécrophiles secondaires, il s’agit d’une vengeance, d’une prise de pouvoir, d’une violence. D’un viol. Mort, le corps m’est soumis, si l’on peut dire, et la souillure religieuse, la profanation, est une manière de coloniser et de contaminer l’autre, ou alors de le condamner et de le bannir – ce qui revient en même.
En effet, qu’il soit mien ou qu’il ne puisse être à personne, Brandon est vaincu – petit bêcheur prétentieux, va ! Contemple ce bon coup de bite dans ton cul mort, car cette bite-là (la mienne, enfin, un pénis en général, quoi) est définitive. On rigole moins, hein ?
Dernier détail pourtant, avant de clore ce moment de solennité scientifique (et de recueillement mystique) : le nécrophile est quasi exclusivement un homme, et hétérosexuel : Brandon peut dormir tranquille.
Ce qui m’invite à penser que la rigor mortis doit y être pour quelque chose. Car avant d’être un pantin désarticulé, un corps mort est surtout un corps en train de raidir. Dans le cas des pendus, l’avant-garde de la raideur était même cette érection subite provoqué par l’afflux massif de sang.
Avec le sperme qui jaillissait de certains pendus, les sorcières ont longtemps fertilisé leurs jardinières de mandragore. On ne me dira pas que c’était en vain, non ?