La prostitution, en voilà un beau thème ! Casque d’or, Pretty Woman, L’Autre Sexe se prépare pour les Oscars. La difficulté de traiter ce thème est la confusion régulière entre cas particulier et règle générale. Très souvent on met côte à côte une prostituée heureuse, une « travailleuse du sexe » épanouie, qui défend son droit au libre-choix et un expert assurant que son expérience et son point de vue sont certes respectables mais si minoritaires qu’il équivaudrait à décréter que les tigres sont habituellement blancs parce que les rares albinos existants apparaissent à Las Vegas dans les étonnants spectacles de Siegfried and Roy. Malheureusement, nous sommes, tout comme nos médias, attirés par l’émotion, le témoignage et le spectaculaire plutôt que l’analyse, ce qui fait que l’expert, sans vouloir le vexer, hein, il peut reprendre ses statistiques, je vais continuer d’écouter la sympathique dame, qui en plus flatte la noble âme en moi. Parce que, oui, je me flatte d’être pour la liberté et une sexualité épanouie, contre la violence inique et le mal, je sais, c’est courageux, vous pouvez m’envoyer vos dons.
En réalité, il ne serait pas totalement absurde d’écouter mon gentil quoique parfois terne expert, qui se demande souvent pourquoi diable, il (ou elle) s’évertue à publier ses recherches depuis son doctorat dans une indifférence quasi totale. Parce que contrairement aux idées reçues, il n’y a que peu de travailleurs et travailleuses du sexe, mais une majorité imposante de personnes exploitées. La moyenne d’âge d’entrée dans la prostitution étant de 14 ans, on peut imaginer que le choix n’était pas totalement libre pour la plupart des 40 millions de personnes environ qui se prostitueraient à travers le monde, ce qui en fait le troisième trafic mondial après la drogue et les armes. Dans l’Union européenne seulement, la prostitution rapporte en moyenne 30 milliards d’euros par an aux proxénètes. Quatre personnes prostituées sur cinq sont entre les mains de ces exploiteurs selon le rapport 2009 de l’UNODC (United Nations Office on Drugs and Crimes), qui ajoute que presque aucune ne soupçonne la violence qui les attend et le niveau d’esclavage auquel elles vont être presque toujours réduites.
De manière finalement presque cocasse, la position réglementariste, la légalisation de la prostitution, ne réduit ni le nombre de viols, ni les violences subies par les personnes prostituées et ne diminuent pas la prostitution. En France, par exemple, le nombre de viols déclarés est passé de 2500 à 10000 par an entre 1985 et 2000. Les maisons closes sont des lieux de maltraitance (viols, agressions, exigence de rapports sexuels non protégés) et n’aident que marginalement à une amélioration des conditions sanitaires des personnes qui s’y prostituent. Les exemples allemands ou néerlandais sont de ce point de vue éloquents. Aux Pays Bas, pays dans lequel la prostitution est légale, 76% des personnes prostituées restent victimes des réseaux mafieux et souffrent de violences diverses, physiques et psychologiques. Somme toute, la loi Marthe Richard (1946) statuant que « la France se doit d’assurer une existence honnête et digne à toutes et tous » et en conséquence fermant officiellement les maisons closes, se basait sur une bonne idée et des faits.
Mais dans le fond peut-être que l’Autre Sexe, à l’instar de la majorité, se trompe de question, il ne s’agit pas tant de parler prostitution que clientèle car si aujourd’hui aucun corps n’échappe plus à la vénalité du sexe (1,2 million d’enfants victimes de traite par an selon l’UNICEF, prostitution masculine en pleine expansion selon l’Organisation Internationale pour les Migrations – l’OIM) ce sont les clients qui influent le plus sur le marché et amènent les changements les plus efficaces pour tous. Dans les pays où les clients sont responsabilisés et pénalisés, les résultats sont impressionnants. En Suède par exemple, cette action a permis de réduire de 50% la prostitution de rue depuis 1999, le nombre de clients a lui été réduit de 80% et la violence est en baisse continue. Et on voit des résultats équivalents dans les pays qui ont choisi ce genre de législation que ce soit dans le reste de la Scandinavie, en Corée du Sud et, je sais, cela va surprendre, aux Philippines.
Alors pourquoi tout le monde ne suit-il pas cette méthode ? Sans doute par méconnaissance du sujet, liée aux clichés sur cette activité. L’opinion publique voit plutôt la prostitution comme « le plus vieux métier du monde » et un « mal nécessaire », fait par des personnes qui l’ont choisi. Or la prostitution n’est pas franchement un métier, un artisanat fièrement enseigné, connaitriez-vous un parent revendiquant ce « métier » pour ses enfants, le souhaiteriez-vous pour les vôtres ? La périphrase « le travail du sexe » est d’abord une banalisation qui profite aux consommateurs.
La demande masculine est au cœur du dispositif prostitutionnel et on passe cette évidence sous silence. En 2004, une étude présentée par le Mouvement du Nid révélait que la clientèle occasionnelle était composée à 71% d’hommes vivant en couple. L’étude montrait également que les clients réguliers ou occasionnels ne sont pas des « paumés » et sont de tous âges, de toutes origines éducatives, sociales, catégories professionnelles, familiales, culturelles ou religieuses. Et prétendre que les hommes ont des besoins irrépressibles est faire preuve d’une dommageable ignorance. Toutes les études psychologiques et sociologiques montrent depuis les années 1950 « qu’il n’y a pas de besoin sexuel ni de désirs irrépressibles ». Revendiquer qu’il est normal qu’un homme puisse soulager ses pulsions dans le corps d’une femme, ou d’un autre homme ou d’un enfant est faire preuve d’un singulier manque de discernement, ou peut-être d’une certaine hypocrisie.
Encourageons donc, comme dans cette estimable production mensuelle qu’est l’Autre Sexe, la curiosité et le respect entre les genres et les sexes et une meilleure connaissance de cet univers si refoulé qu’est notre vie sexuelle.
Et si vous souhaitez vous battre pour un monde libéré de toutes formes d’exploitation sexuelle commerciale, vous pouvez choisir par exemple la Fondation Scelles (www.fondationscelles.org) ou la Coalition contre la traite des femmes (www.catwinternational.org).