Un jour historique… ou une occasion manquée? Difficile de déterminer si le mardi 12 juillet restera gravé dans les mémoires comme le jour où la France a fait un pas en avant contre la transphobie institutionnelle et la stigmatisation des personnes trans en adoptant un amendement sur le changement d’état civil (lire notre article Changement d’État Civil pour les personnes trans: tout sur la séance «historique» à l’Assemblée nationale hier). Car aujourd’hui, les associations ne parlent pas d’une seule voix pour commenter le vote d’hier. Certaines sont très enthousiastes, d’autres plus mesurées.
UNE «JOURNÉE HISTORIQUE»
Plusieurs associations trans, Acthe, En Trans, Le Jardin des T, Trans 3.0, Prendre Corps, ainsi que l’Inter-LGBT, ont signé un communiqué commun pour saluer cette «journée historique»: «Nous nous félicitons que le travail de sensibilisation, d’information et d’analyse que nous menons depuis des années et intensivement depuis plusieurs mois porte enfin ses fruits. Nous nous réjouissons que les député.e.s aient défendu et adopté tous les amendements que nous soutenions dans le cadre du compromis issu de la rencontre avec le cabinet du ministère de la Justice.»
Les associations expriment toutefois quelques réserves, notamment sur le fait que la démarche devra toujours se faire sous contrôle judiciaire: «Nous regrettons cependant que la déjudiciarisation du changement d’état civil n’ait pas été envisagée malgré l’amendement des deux députées socialistes Mme Khirouni et Mme Le Houérou. Enfin, nous sommes déçu.e.s que l’amendement ouvrant la procédure de changement d’état civil à tout.e.s les mineur.e.s du député Sergio Coronado n’ait pas été adopté.»
«PAS UNE VICTOIRE»
Soutien affiché aux associations trans qui défendent un changement d’état civil libre et gratuit devant un officier d’état civil, la Fédération LGBT veut poursuivre la mobilisation au regard d’un texte qui ne remplit pas les attentes des personnes trans: «L’affaire semble pliée, mais tout n’est pas bouclé, assure à Yagg la présidente Stéphanie Nicot. On va continuer à faire pression jusqu’au vote en septembre et jusqu’au décret d’application. Je ne dis pas qu’il n’y a rien de positif dans le texte voté hier, il y a bien des améliorations de détail, mais la dynamique globale est mauvaise. L’imprécision, le fait que la procédure ne soit pas automatique provoque une insécurité juridique et une disparité de traitement encore plus importante. Le seul point positif, c’est le changement de prénom.»
Au-delà de son insatisfaction quant au texte, la militante ne peut contenir une certaine exaspération: «Le fait que l’Inter-LGBT se réjouisse de ce texte, c’est indécent et scandaleux! Ce n’est pas une victoire: la France est le premier pays depuis 10 ans qui ne fait pas une loi déclarative sur le changement d’état civil. On ne peut pas parler d’un jour historique, le jour où l’on vote un texte qui va obliger les personnes trans à passer en justice pour leur changement d’état civil!»
Elle cite pour exemple les lois votées en Irlande, à Malte, au Danemark ou encore en Norvège, «des pays où même les conservateurs ont porté ces mesures» et fustige un Parti Socialiste qui a fait l’économie de ce combat pour l’égalité.
Stéphanie Nicot salue néanmoins le travail de la députée Chaynesse Khirouni qui a porté un amendement pour un changement d’état civil fondé sur l’autodétermination: «Elle est très engagée sur les discriminations. Son amendement, l’amendement 174, c’était ça le texte de référence. Il a d’ailleurs eu un effet déstabilisant en séance.» Elle remercie en outre les trois autres députés qui ont «compris l’enjeu» et voté en faveur de l’amendement, l’écologiste Sergio Coronado, et les député.e.s PS Jean-Patrick Gille et Patrick Mennucci, ce dernier ayant d’ailleurs pris la parole pour soutenir Chaynesse Khirouni.
Stéphanie Nicot, présidente de la Fédération LGBT: «On ne peut pas parler d’un jour historique, le jour où l’on vote un texte qui va obliger les personnes trans à passer en justice pour leur changement d’état civil!»
LA QUESTION EST LOIN D’ÊTRE RÉSOLUE
Dans un communiqué commun, OUTrans, Acceptess-T et l’Association nationale transgenre (ANT) affirment qu’elles entendent bien garder l’œil ouvert sur l’application de la loi: «Nous resterons mobiliséEs et vigilantEs pour que cet objectif soit systématiquement respecté dans les demandes de changement d’état civil des personnes trans. Surtout nous dénonçons le blocage systématique du gouvernement pour empêcher une procédure de changement d’état civil libre et gratuite en mairie qui seule serait à même de répondre avec certitude à cet objectif, en respectant réellement l’auto-détermination des personnes, comme préconisé par le Défenseur des Droits.»
Au delà de regretter que l’amendement n’aille pas aussi loin que ce qu’elles demandaient, les associations trans contestent les propos tenus hier dans l’hémicycle par le député PS Erwann Binet: «NON, Monsieur Binet, le tissu associatif trans français n’a JAMAIS demandé à faire l’impasse sur la déjudiciarisation de nos changements d’état civil. Vous affirmez avec aplomb que “dès le début de nos discussions, nous avons, en accord avec les associations, écarté l’idée de la déclaration devant l’officier d’état civil”. Or, dès notre courrier interassociatif envoyé aux parlementaires fin 2015 et cosigné par la quasi totalité des associations trans, nous recommandions exactement l’inverse de ce que vous prétendez défendre en notre nom. Et nous n’avons eu de cesse de le répéter depuis.»
Pour Giovanna Rincon d’Acceptess T, il n’est pas juste de parler de «jour historique»: «Je crois qu’il faut reformuler, ce n’est pas une victoire ou une réussite, on ne peut pas appeler “victoire” un résultat qui va à l’opposé de ce qu’on demande depuis 20 ans, affirme-t-elle à Yagg. En disant cela, sans s’en rendre compte, on envoie un message qui va être mal interprété, celui que la question est résolue. Ça va affaiblir la continuité de notre combat.»
Pour la militante, les personnes trans vont continuer d’être «en danger» avec l’application incertaine du texte. «Mais ce qui est historique, reconnaît-elle, c’est que pour la première fois, il y a eu un débat sur les personnes trans à l’Assemblée nationale. Pour la première fois, une députée a choisi de défendre nos revendications de façon honnête et à l’écoute de nos besoins.»
Giovanna Rincon d’Acceptess T: «Ce qui est historique, c’est que pour la première fois, il y a eu un débat sur les personnes trans à l’Assemblée nationale.»
«Si nous saluons le fait qu’on s’achemine vers une démédicalisation du processus, plusieurs inquiétudes demeurent, notamment sur les délais des tribunaux pour vérifier la légitimité des demandes», explique Max de l’associations OUTrans à Yagg. Nous nous interrogeons aussi sur l’accessibilité de la démarche, qui peut contribuer à marginaliser davantage des personnes déjà précarisées qui n’ont pas les moyens de se tourner vers un tribunal. Enfin, nous sommes particulièrement déçu.e.s concernant les mineur.e.s et la situation absurde qui fera que seul.le.s les mineur.e.s émancipé.e.s pourront effectuer une demande. Cela envoie un très mauvais signal aux parents, mais aussi aux adultes qui accompagnent ces mineur.e.s.»
Pour le militant, il est regrettable que le gouvernement ne soit pas à l’écoute et oppose systématiquement l’argument d’indisponibilité de l’état des personnes: «Notre revendication n’était pas déraisonnable, ni une excentricité du milieu associatif, puisque qu’elle faisait consensus chez les associations et était soutenu par la CNCDH, puis par le Défenseur des droits», déplore-t-il.
L’adoption définitive du texte doit avoir lieu à l’automne prochain à l’Assemblée nationale.