Petite plongée dans le monde des arts où se mêlent pornographie et pinceau, masturbation et coup de crayon ou encore fisting et photographie. Commençons avec Robert Mapplethorpe, l’un des photographes les plus influents de la seconde moitié du XXème siècle. Rock star à la gueule d’ange, Mapplethorpe est un véritable pionnier dans la culture gay new-yorkaise des années 1970. Avec son univers aussi sado que maso, l’artiste provoque et bouscule les conventions avec ses photographies empreintes des esthétiques du fantasme et du martyr.
Enfant de la chambre 1017Né en 1946 dans le Queens, à New York, le petit Robert grandit dans une banlieue policée, au sein d’une famille middle-class, conservatrice et particulièrement religieuse : « Chaque dimanche, j’allais à l’église. Et la façon dont je compose les choses vient de là. C’est toujours de petits autels, chaque fois que j’assemble des choses, je remarque que c’est symétrique. Une église c’est un lieu magique et mystérieux pour un enfant » confie l’artiste dans Mapplethorpe, a biography. Le besoin de s’échapper de ce cocon trop étouffant se fait vite ressentir ; il quitte le foyer familial en 1963, à l’âge de 16 ans, pour les cours d’art, de peinture et de sculpture du célèbre Institut Pratt.
Autoportrait – 1975
Envoyé pour y suivre une carrière de publiciste, il adopte rapidement une attitude rebelle contre le système rigide imposé par l’école. Il est très tôt attiré par le monde des arts : fasciné par la Factory de Warhol, à son apogée à la fin des années 60, il s’inspire également des travaux de Joseph Cornell. Dès cette époque, il se penche sur des revues pornos gay pour en faire les sujets principaux de ses collages et dessins : « Je suis devenu obsédé par ces kiosques à journaux. Je voulais voir ce qui était à l’intérieur de ces magazines. Ils étaient tous scellés, ce qui les rendait encore plus sexy en quelque sorte, parce que vous ne pouviez pas les ouvrir. J’ai eu ce sentiment jusque dans mon estomac, ce n’était pas uniquement sexuel, c’était plus puissant que ça. J’ai pensé que si je pouvais apporter cet élément dans l’art, si je pouvais en quelque sorte conserver ce sentiment, je ferais alors quelque chose d’unique. » se confie l’artiste auprès de Patricia Morrisroe, auteure désignée pour sa biographie.
Untitled, autoportrait, 1971
Mais cette fin des années 1960 marque avant tout sa rencontre avec sa muse et confidente de toujours Patti Smith. Ensemble, ils mènent une vie de bohème, passants de la chambre 1017 du Chelsea Hotel aux hôtels miteux de la capitale. C’est dans ce cadre que Mapplethorpe expérimente sa nouvelle passion pour la photographie. Accompagné de son Polaroid, il fait ses premiers portraits en noir et blanc avec Patti Smith.
Patti Smith and Judy Linn, 1974
Apollon en lanière de cuirIl poursuit ses expérimentation photographiques auprès des membres de groupes BDSM à New York. Mais l’ouverture aux sphères plus fermées de l’underground new-yorkais se fait lors de sa rencontre avec Sam Wagstaff. De 25 ans son aîné, le conservateur et collectionneur va permettre à Mapplethorpe de s’émanciper et de rencontrer de célèbres artistes et écrivains. A la fois amant et mentor, Sam Wagstaff l’accompagnera tout au long de sa vie, récoltant ainsi plus de 2 500 oeuvres.
Mapplethorpe et Wagstaff
Sa première exposition solo se tient à New York en 1976 où sa série de photos au caractère sado-maso sera mise en avant. Mélange de cuir, bottes, cagoules et chaines, son univers reprend les codes de la virilité et l’autorité. Les corps sont attachés, tordus et soumis au maître. Les sexes sont brandis, manipulés et étranglés comme s’il s’agissait d’une sculpture en devenir. À la fois esthétiques et politiques, ses photos exacerbent la libido et la jouissance. Ses oeuvres sont des armes à orgie dionysiaque : « Le sexe est magique. Si vous le canalisez bien, il y a plus d’énergie dans le sexe que dans l’art » commente Mapplethorpe toujours auprès de P.Morrisroe. Certaines d’entres elles seront d’ailleurs publiées dans la magazine « pour Macho Male » Drummer, alors dirigé par son amant Jack Fischter. Au côté de grands noms de l’art gay comme Tom of Finland, Mapplethorpe fait la Une du mensuel en septembre 1978.
Drummer, n°24, 1978
L’équilibre, la perfection et la mesure illustrent l’esthétique plus classique sur laquelle Mapplethorpe se penche durant les années 1980. Fasciné par les statuaires grecques, il fait poser ses modèles selon les codes de la Renaissance. Il entame notamment une collaboration avec Ken Moody, athlète et ami au corps musclé et affuté. Etendard de la beauté masculine, l’artiste le porte au rang de symbole dans une Amérique encore en proie au séparatisme. Ils feront ensemble plus de 60 clichés. A travers son regard, Mapplethorpe fait naitre le désir chez le spectateur, il érotise les corps et les objets, comme l’atteste sa série sur les fleurs au caractère brut et sexuel.
Ken, Lydia and Tyler, 1985
Calla Lily, 1987
I don’t like that particular word ‘shocking’Sa renommée va s’établir et s’installer en 1988 à travers quatre grandes expositions qui vont lui être consacrées en Europe (National Portrait Gallery à Londres, Stedelijk Museum à Amsterdam) et aux Etats-Unis (Whitney Museum de New York, Institute of Contemporary Art de l’université de Pennsylvanie). Ses photographies à l’esthétique sadomasochiste vont faire l’objet d’un déferlement de critiques, ce qui réanime les débats autours des subventions et de l’implication de l’Etat dans la propagation d’un art aussi controversé. Des groupes religieux aux autorités fédérales, tous auront été impliqués dans ce débat qui cache en vérité des relents de censure.
Le désir du spectateur pour des corps fantasmés et martyrisés est le centre de cette internationalisation de la controverse. Le désir fait peur, inspire et tue. Au coeur de la tourmente, le Sida se propage en cette fin des années 80 et touche l’artiste qui meurt à l’aune de ses 42 ans.
Self Portrait, 1988
Robert a pris les fantasmes les plus obscurs pour en faire de l’art. Il travaillait sans s’excuser, en investissant l’univers gay avec grandeur, masculinité et noblesse. Sans coquetterie, il a créé une présence entièrement masculine sans sacrifier la grâce de la féminité. Il ne cherchait pas à faire des déclarations politiques ou d’appel à caractère sexuel. Il offrait juste quelque chose de nouveau, quelque chose qui n’avait pas encore été vu ou exploré à sa manière. Robert cherchait à élever les expériences masculines vers une homosexualité imprégnée de mysticisme. Comme Cocteau le disait d’un poème de Genet : « Son obscénité n’est jamais obscène. » » déclare Patti Smith dans les pages de Just Kids, relatant ainsi les intentions de l’artiste.
Oscillant sans cesse entre provocation et équilibre, esthétique et brutalité, ses oeuvres se tendent sur la corde sensible de la pornographie et de l’érotisme. Roland Barthes, dans La Chambre Claire, résumait en ces mots les chef-d’oeuvres de Mapplethorpe : « Quelques millimètres de plus ou de moins, et le corps deviné n’eût plus été offert avec bienveillance (le corps pornographique, compact, se montre, il ne se donne pas, en lui aucune générosité) : le Photographe a trouvé le bon moment, le kaïros du désir. » A revoir et à méditer.
Ajitto, 1981
Vincent, 1981
Cock and Gun, 1982