Alors que le Sénat américain s'apprête à rendre public un rapport sur le programme secret utilisé par la CIA pour interroger des « militants présumés » d'Al-Qaida après le 11 septembre, livrant des détails sur la simulation de noyade ou la privation de sommeil, on ne peut s'empêcher de penser à la polémique engendrée l'année dernière par la sortie du film Zero Dark Thirty (Kathryn Bigelow, 2012), dont certains laissaient entendre que le scénario aurait pu être soufflé par la CIA. Une commission d'enquête parlementaire avait même cherché à découvrir les liens éventuels entre la réalisatrice et l'agence de renseignement avant d'abandonner ses investigations : « Les sénateurs Dianne Feinstein, John MCain et Carl Levin voulaient savoir si la CIA est responsable du message présumé du long-métrage sur la torture. Ils reprochent aux auteurs de Zero Dark Thirty de laisser penser que ce sont les méthodes d'interrogation musclées de l'agence - sous l'ère Bush - qui ont permis de trouver le chef d'Al-Qaïda. Leur propre enquête de parlementaires ont montré qu'elles n'ont joué aucun rôle, mais le film indique le contraire et la CIA est ambiguë sur la question », expliquait alors Mathilde Cesbron dans l'édition du Figaro du 26 février 2013. A l'époque, Kathryn Bigelow se justifiait : « C'est de la fiction, pas un documentaire. Nous essayons seulement de dire que la technique du waterboarding [méthode de torture impliquant une simulation de noyade] et autres font partie du programme de la CIA. »
Après avoir d'abord nié l'existence d'un programme secret, le Congrès semble désormais l'admettre officiellement en rendant public un rapport embarrassant. Une situation que la CIA aurait donc anticipé en encourageant Hollywood à évoquer l'emploi de la torture pour lutter contre le terrorisme et ce, afin de préparer l'opinion américaine en banalisant [justifiant] de tels actes au cinéma. Dans son ouvrage Mythes et idéologie du cinéma américain (Vendémiaire, 2012), Laurent Atkin parlait déjà d'une manipulation similaire par l'administration Bush : « Au printemps de l'année 2004 sont révélées les photographies de la prison d'Abou Ghraib, qui mettent en évidence les sévices infligés aux prisonniers irakiens par certains soldats américains. […] Au même moment, sans rapport direct de cause à effet, un petit film tordu fait son apparition […] il s'agit de Saw, réalisé par James Wan […]. Deux hommes se réveillent enchaînés dans une salle de bain sordide […]. Par un magnétophone, ils reçoivent des instructions : l'un doit tuer l'autre s'il veut sortir vivant. […] Saw vient à point. Le film libère soudain le refoulé et, en même temps, sert de catharsis à un traumatisme collectif. »