Censure ou « simple » problème de financement pour un film engagé ?
L'Apôtre, de Cheyenne-Marie Carron, raconte l'histoire d'Akim, un jeune musulman qui se destine, avec son frère Youssef, à devenir imam. Alors que la sœur d'un prêtre catholique de son quartier est assassinée par un voisin, ce prêtre décide de continuer à vivre auprès de la famille de l'assassin, car il sent que cela les aide à vivre. Interpellé par cet acte de charité, Akim s'engage dans un chemin de conversion au christianisme, qui va l'opposer à son frère et à l'ensemble de sa communauté.
Réalisé en 2014 avec un budget d'environ 300 000 euros, le projet est refusé par le centre national de la cinématographie (CNC) qui ne souhaite pas participer à son financement. Pas de distributeurs non plus ni d'exploitants de salles si l'on excepte Le Lincoln et le 7 Parnassiens à Paris. Interrogée par Le Figaro le 6 octobre dernier, la réalisatrice explique : « Je ne me suis pas souciée de savoir si le sujet était sensible ou pas. J'ai voulu rendre hommage à un prêtre que j'ai connu dans mon enfance. Lorsque j'avais 19 ans, sa sœur a été tuée par le fils de ses voisins, il s'agissait d'une famille musulmane. J'ai été témoin que ce prêtre a voulu rester vivre auprès des parents dont le fils avait tué sa sœur, “pour les aider à vivre” disait-il. Cet acte de Charité ma touché, et j'ai voulu en faire un film. Ensuite, je me suis inspiré du parcourt d'un converti de l'Islam qui fréquente la même église que moi. » L'Apôtre est son cinquième long métrage, après Ecorchés (2005), Extase (2009), Ne nous soumets pas à la tentation (2010) et La Pille publique (2013). Des films abordant tous, de près ou de loin, la religion catholique.
Des difficultés qui ne sont pas sans rappeler celles de Nathalie Sarraco, en 2011, pour son film La Mante religieuse qui raconte l’histoire de Jézébel, une jeune femme perverse, droguée et bisexuelle, qui décide de repousser les limites du vice en séduisant un curé avant, finalement, de se tourner vers la religion. Un long métrage sur la Foi qui s'inspire fortement de l'expérience de la réalisatrice après un grave accident de voiture, comme elle le confiait au Nouvel Observateur en juin dernier : « Je me suis retrouvée face au Sacré-Cœur de Jésus. Et je souffrais pour lui, avec sa couronne d’épines et ses larmes. Je lui ai demandé aussitôt “Seigneur, pourquoi pleures-tu ?” Et Il m’a répondu : “Je pleure parce que vous êtes mes enfants chéris, j’ai donné ma vie pour vous tous, je ne sais plus quoi faire parce que vous me répondez par la froideur, le mépris, et l’indifférence.” Il se sentait rejeté par ceux qu’il aimait, Il mendiait notre amour. J’ai aussitôt répondu que ce serait dommage pour moi de rendre l’âme, parce que j’aimerais revenir sur Terre pour lui rendre son amour. Et je suis revenue dans mon corps, et j’ai pu me rétablir. » La réalisation du film lui a ensuite paru être une évidence pour faire passer son message. Là encore, une oeuvre au sujet très engagé, difficile à financer et à distribuer.
Même si les deux réalisatrices se défendent de faire du prosélytisme, préférant crier à la censure, L'Apôtre et La Mante religieuse posent un vrai problème. Celui de la fabrication et de l'exploitation de ce type de films : « Je n’ai pas trouvé de distributeur pour ce film car le sujet faisait peur. Alors, avec mon film sous le bras, je suis allée frapper à la porte d’un cinéma parisien qui soutient mon travail depuis toujours, Le Lincoln, qui l’a accepté. », déclare Cheyenne-Marie Carron et d'ajouter dans un entretien donné le 14 octobre : « Nathalie Saracco a su lever beaucoup plus de fonds que moi ! D’ailleurs, je n’ai pas encore vu son film. Effectivement, il est difficile d’obtenir le soutien des institutions nationales pour un cinéma chrétien. Mais ce qui compte, c’est que ce cinéma existe, envers et contre tous. » L'Apôtre sera financé par un investisseur privé : « Un jour, en marchant dans la rue, j'ai vu la couverture du magazine Challenge, avec le classement des personnes les plus riches de France, raconte-t-elle. J'ai acheté le magazine, j'ai pris les dix premiers sur la liste. Et j'ai écrit la même lettre à tous en leur expliquant avoir besoin d'un peu d'argent pour faire un film. Huit mois après, j'avais l'argent. »
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