La 39ème cérémonie des César 2014 qui aura lieu au théâtre du Châtelet vendredi 28 février prochain, distinguera notamment le meilleur acteur de l'année. Parmi les nommés, Mathieu Amalric dans La Vénus à la fourrure. L'occasion de revenir sur le césar qu'il a déjà reçu en 2008 pour son interprétation remarquée dans Le Scaphandre et le papillon. Absent pour assister à la cérémonie à Paris, il avait fait parvenir un discours à Antoine de Caunes, l'animateur de la soirée, à lire s'il remportait la récompense. Lauréat, le texte ne fut lu qu'à moitié, la réalisation expliquant officiellement que la longueur du discours n'était pas compatible avec le timing de la soirée diffusée en direct à la télévision. Pour sa part, Antoine de Caunes jura qu'il s'est appliqué à lire la totalité du texte que la production lui a fait passer. Surpris par la situation, Mathieu Amalric a alors adressé l'intégralité du texte aux Cahiers du Cinéma.
Les spectateurs et téléspectateurs de la cérémonie auront été privés d'un plaidoyer pour la défense des petites salles de cinéma contre les multiplexes qui n'ont que "les chiffres comme seule ligne d'horizon". Citant dans son discours l'exemple du film La question humaine - dont il est le principal interprète -, Mathieu Amalric affirme qu'il "n'aurait jamais fait autant d'entrées sans le travail de curiosité des exploitants de province et de l'ACRIF (Association des Cinémas Recherche d'Ile-de-France)". Louant "le travail souterrain, patient, divers, dédié au public, aux écoles, aux rencontres [...] de tellement d'exploitants de salles", l'acteur ajoute que "ce tissu de salles, que le monde entier nous envie, est notre cœur, nos poumons".
Message électronique de Mathieu Amalric, adressé aux Cahiers du cinéma :
De Panama je t’envoie le texte que j’avais envoyé au dernier moment aux Césars au cas où. Et comme le cas où est arrivé, il a été lu, paraît-il très bien, par de Caunes mais…. pas jusqu’au bout. Je n’en reviens pas. Je ne savais pas que c’était si simple que ça, la censure.
LE TEXTE INTEGRAL
Antoine, tu le lis avec hésitation et bafouillements
Oui bon ben… euh… alors là on frôle le n’importe quoi :
Lindon ; trois fois nommé, zéro compression
Darroussin ; deux fois… nada
Michel ; quatre fois comme acteur… résultat blanc
Et le pompon, Jean Pierre Marielle. Sept fois nommé !!! Et jamais la fève, même pas pour les Galettes.
Chapeau ! … De Panama, d’où je vous fait un vrai faux-Bon…D.
L’autre vilain de Lonsdale aussi il paraît.
Enfin, mouais, mais… non ce qui fait plaisir, c’est que le Scaphandre, c’est bien la preuve qu’un acteur n’existe qu’à travers, qu’en regard de ses partenaires. Parce que qui voit-on à l’image, qui fait prendre vie au Jean-Do de fiction ?
C’est Chesnais, c’est Ecoffey, Arestrup, Watkins. Ce sont Marie-José, Olatz, Consigny penchées vers lui, vers moi, vers vous, tendres, drôles et attentives. C’est Marina en Vierge Marie, c’est Emmanuelle Seigner qui joue pas la Sainte et qui du coup donne corps, chair et souffrance à Bauby. Ta fille aussi, Emma qui carrément provoque le miracle. Et c’était Jean-Pierre Cassel, doublement.
Le Papillon c’est la preuve que, quand il y a un réalisateur, les techniciens sont des roseaux pensants. Que tout se mélange, que sur un plateau tout est dans tout, qu’on peut être, (ce joli mot), une équipe PAS technique… parce que franchement qui c’est l’Acteur quand c’est Berto, le caméraman qui fait, qui EST le regard. C’est LUI qui, par les mouvements de sa caméra crée les mouvements de la pensée de Jean-Do.
Oui, quand il y a un réalisateur… Julian.
Je pense fort à une autre équipe. Celle, médicale, de l’Hôpital Maritime de Berck-sur-Mer où on a tourné et où Bauby a passé un an et demi. Le vrai et le faux, la réalité et la fiction… on ne savait plus. D’ailleurs c’est drôle, je me souviens. Le décor de la chambre, pour avoir plus d’espace, était reconstituée dans une grande salle au rez de chaussée de l’Hôpital, la salle des fêtes. Avec au dessus de la porte, une enseigne en grosses lettres rouges : CINEMA.
Ça ne s’invente pas.
ET LÀ DE CAUNES S’ARRÊTE
Mais la salle de cinéma. Oui, la SALLE de cinéma, elle, doit pouvoir continuer à s’inventer.
"A lire à la lumière. Et à diriger sur notre nuit" Notre musique.
Insupportable "trompe l’œil" des multiplexes. Les chiffres comme seule ligne d’horizon. Aveuglement, brouillage, gavage, lavage. Et quelle solitude. Vous avez déjà parlé à quelqu’un dans un multiplexe ? Pas moi. D’ailleurs c’est impossible, ce qui compte c’est le flux. "Circulez s’il vous plaît, y’a rien à voir" . Au suivant ! bande de Brel.
Alors que le travail souterrain, patient, divers, dédié au public, aux écoles, aux rencontres que font et on envie de faire tellement d’exploitants de salle se voit de plus en plus nié aujourd’hui.
La Question humaine n’aurait par exemple jamais fait autant d’entrées sans le travail de curiosité des exploitants de province et de l’ACRIF.
Ce tissu de salles, que le monde entier nous envie, est notre cœur, nos poumons.
Sinon…
Sinon on va tous finir devant nos "home cinéma" à se tripoter la nouille…
Bons baisers de Panama…
Mathieu