A travers les civilisations, l’homme ne s’est jamais contenté de sa seule nudité et change son apparence que ce soit pour se protéger du froid, des regards, ou pour s’embellir, se distinguer, se modifier : nous portons des vêtements, nous nous rasons, nous coupons les cheveux, nous maquillons, portons des chapeaux, des bijoux, changeons la couleur de notre teint. Nous ornons notre corps, le modifions, le modelons, allons même jusqu’à le retoucher virtuellement sur nos photos. Fitness, musculation, tatouages, piercings, chirurgie, relooking allant d’une nouvelle coupe de cheveux jusqu’à la création d’une toute nouvelle silhouette ou d’un nouveau visage.
Aux Etats-Unis, les actrices porno ayant eu recours à la chirurgie esthétique sont légion. Implants mammaires de tailles souvent importantes et positionnés très haut pour obtenir un effet “bimbo”, implants fessiers pour accentuer la cambrure, injections pour une bouche pulpeuse, liposculpture, etc. En France, les actrices françaises ne sont pas moins adeptes de ces modifications mais elles tâcheront en général de se faire plus discrètes, recherchant un résultat souvent plus naturel. Si le public américain est friand d’icônes à la beauté “pneumatique”* (de Pamela Anderson à Kim Kardashian pour la sphère charme/ grand public, et de Jenna Jameson à Jesse Jane, pour la sphère porno), les Français restent attachés à une beauté plus naturelle car plus rassurante et accessible.
Les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Il semble néanmoins que la chirurgie esthétique en France pose un problème moral. La chirurgie est en effet une transformation de la chair, une « retouche » de la nature, un refus de ce qui a été donné à la naissance. Le rejet de la chirurgie n’est pas systématique : on ne va pas juger une femme restructurant sa poitrine après un cancer du sein ni quelqu’un qui fait appel à la chirurgie reconstructrice ou plastique après un accident ou à cause d’une malformation. Ce n’est donc pas l’acte de modifier qui pose problème, mais la démarche de la chirurgie esthétique précisément, à savoir, celle à laquelle on a recours pour l’unique raison que l’on veut se sentir beau, jeune, désirable. Hors, qui d’autre plus qu’une actrice porno (dont la fonction essentielle consiste à faire fantasmer) peut ressentir le besoin d’être désirable ? Petite réflexion sur le regard des Français sur la chirurgie esthétique et les actrices porno.
1. Constat : Pourquoi la chirurgie en France est-elle toujours un tabou ?
Premier point : elle répond à un besoin gratuit. Elle n’est pas indispensable, mais le désir d’un « meilleur-être » à travers une “meilleure apparence” est plus fort que la peur de la mort (conséquence possible d’une intervention sous anesthésie générale). Choisir la chirurgie est donc perçu comme une atteinte indirecte au respect de la vie et une atteinte à la morale. Être adepte de chirurgie c’est avant tout paraître superficiel.
Deuxième point : elle engendre des dépenses considérables. Dépenser des sommes importantes pour un besoin“gratuit” visant simplement à un meilleur confort personnel est considéré comme indécent. De par son coût, elle est également élitiste. Le droit à la beauté, du moins l’accès à la transformation esthétique ne serait donc réservé qu’aux plus aisés. Mais si elle était plus accessible à tous, tout comme peut l’être un rendez-vous chez le coiffeur, serait-elle mieux admise ? Peut-être. Aujourd’hui, en France, elle reste apparentée à un caprice, un luxe, un mépris des valeurs.
Troisième point, sans doute le plus notable : le résultat. Une chirurgie qu’on dénonce (en France) et qui dérange est celle qui se voit . « Ils sont beaux oui, mais ils sont faux. » « Elle est belle oui, mais elle est refaite, ça ne compte pas. » D’une part, dire ou montrer que l’on s’est fait « retoucher » est une atteinte aux normes. On sort volontairement des rangs, on marque une différence. D’autre part, la chirurgie est perçue comme une preuve de mauvais goût et de lâcheté. Seul le naturel a de la valeur, car il est un don. Il est admis qu’une femme puisse porter des soutien-gorges « push-up », porter des rajouts, des faux-cils, des faux ongles, des talons, mais on garde moins de tolérance pour une « femme refaite ». C’est une tricheuse. Elle nous trompe sur ce qu’elle paraît et donc probablement sur ce qu’elle est. On va jusqu’à la soupçonner de ne pas savoir qui elle est ou de vouloir nous tromper sur son identité. Elle est faible car elle a cédé au désir de s’améliorer au lieu de “faire avec”. Renoncer à la chirurgie serait une preuve de force de caractère, une sorte de marque d’intégrité. A l’inverse, on rit d’une chirurgie ratée, la montrant du doigt, oubliant que la personne mal opérée peut souffrir de cet échec, et on la rejette d’autant plus si elle la revendique comme réussie. Certains vont jusqu’à se réjouir du scandale PIP (vu sur les réseaux sociaux) : “Vous avez voulu des faux seins et bah voilà !” Sous-entendu, si vous vous retrouvez avec un cancer, vous l’aurez mérité. Vous avez osé défier l’oeuvre de Dieu qui vous a modelé, recevez son châtiment !
2. Le porno et la chirurgie esthétique
Les questions que vous vous posez : Qu’est-ce qui pousse les actrices à ainsi user et/ou abuser de la chirurgie. Exerce-t-on sur elle une dictature ? Est-il précisé dans leurs contrats qu’elles doivent nécessairement obtenir un bonnet D ? Atteindre un certain poids ? Les sociétés de production payent-elles pour ces transformations ? Exercent-elles une forme de chantage en embauchant plus les actrices refaites ? Obtiennent-elles par la suite plus de travail et de reconnaissance vis à vis de leur profession ? De leur public ? Au final, les actrices le font-elles pour elles ou pour leur travail ? Le recours à la chirurgie n’est-il pas indirectement, au-delà de la démarche esthétique, le signe d’une névrose ? D’un appel au secours pour attirer les regards, de l’amour ? Un mal plutôt qu’un bien ? Un vice plutôt qu’une solution ?
Réponses : Dictature, non. Aucune actrice n’est forcée de recourir à la chirurgie. A vrai dire, il arrive plus souvent qu’on tente de la dissuader. Pour ce qui est de mon cas personnel, lorsque j’étais en France, il n’était pas rare que le public ricane de mon 85B. Asiatique, brune, petits seins. Mauvaise pioche. Ce n’est pas ce qu’on préfère mettre en couverture. Il m’est arrivé d’entendre “Pourquoi elle se montre si elle est normale ?”. Je suis arrivée aux Etats-Unis et l’on s’émerveillait de la petitesse de mes seins, de leur galbe naturel. Je n’ai alors jamais autant reçu de compliments sur mon physique. Trop typée en France, j’étais exotique aux US. C’est pourtant en travaillant là-bas que j’ai précisé mon souhait de retoucher ma poitrine. Simple désir personnel, fantasme à la fois esthétique et sexuel, désir de “meilleur-être”. Mon agent a usé de tous les arguments pour m’en dissuader, jusqu’à me proposer de me donner l’équivalent du montant de l’opération si j’y renonçais. Contrairement au milieu du mannequinat, les femmes travaillant dans l’industrie du X sont totalement libres de choisir leur poids, coupe et couleur de cheveux, taille de bonnet, degré de bronzage. On m’a d’ailleurs toujours félicitée des kilos que je pouvais prendre. Étant libres de ces transformations, les actrices en sont donc responsables et prennent en charge les frais de chirurgie.
Du chantage ? Non plus. Mais il existe en revanche un marché avec des tendances fortes, des cycles, des spécificités, et un consommateur plus ou moins demandeur. On peut accuser le porno d’imposer ses propres critères, les chiffres démontrent que le public (qui consomme) a aussi les siens : c’est un fait, une blonde à forte poitrine vend presque toujours plus. Quelles sont les scènes les plus téléchargées chez Brazzers, le leader actuel des sites porno ? Les actrices à très fortes poitrines (refaites ou non). Une grosse poitrine n’est ni plus ni moins qu’un stimulus efficace. Et que les choses soient claires : il n’est pas question ici de beauté, de ce qui est plaisant à regarder, mais de ce qui est excitant. Fait paradoxal, alors que beaucoup critiquaient mon recours à la chirurgie, au même moment je multipliais les couvertures de magazines. Décalage entre le discours d’un public bien-pensant et de celui qui consomme.
Au final, les actrices le font-elles pour elles-mêmes ? La réponse est oui, mais il arrive que l’argument professionnel intervienne dans leur choix. Lorsqu’on travaille avec son corps, on veille à ce qu’il soit performant ; lorsqu’on travaille avec son image, on veille à la rendre attrayante, à la préserver, à la renouveler. Certaines actrices pensent en tant que femmes, d’autres en tant qu’actrices. Chacune choisit ses priorités et ses objectifs. Je suis tentée de préférer celle qui le fait avant tout pour elle, puisque c’est mon cas, mais je me demande de quel droit je peux condamner celle qui voit en ce choix un véritable investissement pour sa carrière.
Ce désir cache-t-il une névrose ? A partir de quand doit-on considérer que c’est trop ? A la deuxième opération ? Après le seuil du bonnet C ? Il est évident que certains cas trahissent un désir de reconnaissance extrême : Carla Nova , à la poitrine très généreuse, avouait dans Rhabillage (Envoyé Spécial, carte blanche à Ovidie) que sa motivation était d’attirer les regards ; il y a quelques années, une jeune actrice avait accepté de se faire photographier pendant son opération par le magazine pour adultes Hot Video, en échange de quoi il la mettait à la une. D’autres rêvent de ressembler à l’idole de leur adolescence et partent dans une quête de ressemblance parfaite et impossible. Cette volonté d’apaiser ses complexes et sa soif d’idéal peut effrayer. Mais doit-on pour autant assimiler tout recours à la chirurgie comme un acte désespéré ? Je ne crois pas. Parallèlement, est-il aussi possible d’admettre que l’on puisse absolument se sentir bien dans sa peau et recourir néanmoins à la chirurgie esthétique ? Oui, je le pense.
Pour finir, il serait aussi temps d’admettre que la transformation du corps chez les actrices porno mais aussi chez certaines femmes n’est pas forcément motivée par la notion stricte de beauté, mais qu’elle peut être choisie pour des motivations purement sexuelles. Je le disais auparavant, n’est pas forcément excitant ce qui est beau, et inversement. Une femme peut opter pour un bonnet E pour la simple raison qu’elle considère cela comme un stimulant sexuel, pour elle et pour son partenaire.
3. Transformer son corps, est-ce nécessairement nier son identité ?
Est-ce que qu’une personne qui change souvent de look est nécessairement superficielle ou instable ? Est-ce que modifier son apparence, c’est remettre en cause son identité ? Faut-il dire : mon corps c’est moi, et le rendre ainsi indissociable de ce que nous sommes ? Ou dire : mon corps n’est pas moi mais à moi, je le respecte, il est vivant, mais il est ma propriété et j’en dispose comme je le souhaite ? Et si nous partions du principe que le désir de transformation, plutôt que d’être névrose, pouvait au contraire venir de la part d’une personnalité parfaitement structurée ?
« Je me permets de déformer mon corps et mon visage au gré de mes envies car au fond je sais qui je suis ; mon corps m’appartient et je joue à le transformer au risque de déplaire car au final, ce n’est pas ce que je suis qui est en danger, mais seulement mon rapport aux autres, et cette possibilité d’être rejetée ne m’effraie pas. »
Je ne nie pas que certaines femmes dans l’industrie du porno souffrent de dépression, de complexes, de manque d’amour ou de reconnaissance et que ces fissures puissent influencer certains de leurs choix. Il y en a, comme il en existe dans d’autres métiers. Peut-être cette profession est-elle plus propice à ce type de problème puisqu’elle exige une capacité hors-norme à pouvoir séduire et faire fantasmer et creuse ainsi les fragilités. Mais je refuse de tomber dans le discours facile qui consiste à victimiser les actrices porno. Même si le porno est plus aujourd’hui une industrie qu’une véritable revendication de liberté sexuelle, il reste un univers en marge qui fascine par son côté anormal et contre-nature. On ne fait pas le choix de faire du porno si on aspire à une vie normale. On ne devient pas actrice X si on rêve d’être comme les autres. Être actrice porno reste l’affirmation d’un refus de rester dans la norme, de suivre la morale bien-pensante, d’être « une fille bien » sans histoires.
Dans cette revendication à être différent, choisir de défier la nature et son héritage en utilisant la chirurgie esthétique est une démarche plutôt logique. L’actrice porno est la représentante du rapport sexuel « gratuit », celui que l’on ne pratique que pour le plaisir, et non pour se reproduire. On pratique le sexe parce que c’est bon, pas parce qu’il faut le faire. On s ’adonne à des pratiques parfois extrêmes parce que c’est mal (aux yeux de la société) , et c’est aussi pour cela que c’est bon. Vicieux, pervers, mal… appelez ça comme vous le voulez. Mais la force de l’actrice porno réside pour moi ici. Elle choque dans son affirmation même à vouloir être un objet de désir.
« Je suis actrice et j’ai décidé que je ferai de mon corps un objet sexuel, que je l’exploiterai pour mon plaisir et celui des autres. Mieux encore, je serai payée pour ça. »
Cette affirmation est scandaleuse pour les bien-pensants. Comment peut-on se respecter en disant être un objet et en faisant de son corps et son image un produit ? Plutôt que d’accepter une telle déclaration, beaucoup (dont certains courants féministes) préfèreront victimiser les actrices porno (discours valable aussi pour les prostituées) en leur soustrayant la capacité à réfléchir par elles-mêmes, prétextant qu’elles sont sans doute influencées par des traumatismes passés ou un système corrompu qui les auraient aliénées. En gros, on préfère dire d’une actrice porno qu’elle n’est pas capable de penser correctement plutôt que de lui laisser dire qu’elle aime disposer de son corps comme elle le souhaite.
Conclusion
Il est temps de désacraliser le corps, vous ne pensez pas ? Aborder la question de la chirurgie esthétique et plus largement celle de la transformation du corps, c’est accepter de concevoir celui-ci comme objet (dans la distinction sujet / objet) et nous ouvrir sur une question plus large, celle de la liberté totale à disposer de son corps, et ainsi de pouvoir l’utiliser comme :
- outil de travail et de communication : droit d’être considéré dans un travail manuel, artistique, sportif
- objet de plaisir : droit à la sexualité, à la masturbation, à la nudité, à la coquetterie
- objet de transaction et de consommation directe (par rapport physique : prostitution) ou indirecte (par l’image : mannequinat).
- objet « vecteur de vie » : droit à transmettre ou non la vie (don du sang, dons d’organe), droit à la grossesse ou à l’ avortement, droit à se donner la mort
- objet esthétique : relooking, tatouages, piercings, chirurgie
Quant au terme « esthétique », rappelons que les critères définissant le beau varient en fonction d’une société, de ses normes, de ses tabous et de son époque. Il est donc variable et relatif. Est esthétique ce qui l’est… pour soi. Certains viendront me poser la question : et l’amour dans tout ça ? L’amour de soi, l’amour des autres, l’acceptation de ce que nous sommes sans se soucier des apparences ? Bien sûr que ces notions sont primordiales, mais s’aimer soi ne nous interdit pas pour autant de tendre vers un idéal. Sinon, toute forme de coquetterie serait à proscrire et la mode serait la reine des vices. Aimer et accepter les autres, c’est aussi accepter que leurs choix nous déplaisent, que leur physique nous dérange, c’est accepter de penser que ce qui n’est pas dans la norme n’est pas mal pour autant. Le monstre n’est pas toujours celui que l’on croit.
Katsuni
* « pneumatique » : terme utilisé dans le livre Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley
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