Cet article Festival Off Avignon 2022 : Nos coups de cœur provient de Manifesto XXI.
Le Festival OFF Avignon revenait cet été sans restriction pour couvrir les rues de pierres de la cité des Papes de ses milliers d’affiches. Voici ce qu’on y a vu de mieux.
Le catalogue du OFF, cet annuaire en libre service lourd comme un sac de pierre, recensait cette année plus de 1500 pièces qui se jouaient chaque jour. Alors si vous n’étiez pas en train de danser tout l’été sous la chape de plomb du ciel Avignonnais, nous avons préparé une sélection, à retrouver sur les routes de France.
Les Possédés d’Illfurth – Écrit par Yann Verburgh avec Lionel Lingelser, interprété et mis en scène par Lionel Lingelser, en collaboration artistique avec Louis Arène. Cie Munstrum Théâtre.
C’est sans aucun doute la claque du festival. Lionel Lingelser fait tomber l’habituel masque du Munstrum Théâtre pour un seul en scène transcendant. Il entre, auréolé de sa couronne en carton, tambourinant, fier et ambitieux comme un enfant courant à la bataille les poches pleines de boutons. Il entre et on se tait. Quelques secondes plus tard, semble-t-il, il se tait et on tape des mains. Entre-temps, Lionel incarne tous les personnages de la vie d’un garçon grandissant à Illfurth, campagne alsacienne où deux jeunes enfants auraient été possédés il y a de ça des années. Et alors que le garçon grandit et devient acteur, Illfurth lui revient, fantôme aimé et redouté, quand il doit s’y rendre pour une représentation. Comment se débarrasser de la malédiction qui hante son enfance ? Comment se réconcilier avec ses démons – ceux des croyances et ceux, bien réels, qui ont abîmé son enfance – pour en apprivoiser d’autres ? C’est le long parcours de cet homme qui se confronte à ses blessures et ses traumatismes pour entamer le long voyage de la cicatrisation. Il aborde les violences sexuelles, remet en question les croyances sous toutes leurs formes et s’interroge sur l’essence du théâtre. Métamorphosant son corps au gré du récit – d’une interprétation remarquable et largement empreinte du travail de masque inhérent au Munstrum – Lionel fait apparaître une galerie de personnages. Et au moment du salut, quand il apparaît démuni des valises de la fiction pour n’être que le comédien face au public, nous pourrions ne pas le reconnaître. Une des forces de sa prestation est de savoir, à travers la précision de la corporalité, nous faire apparaître des monstres à cornes, un dragon ou une table de massage, sans autres artifices qu’un corps dans un t-shirt et un jean. D’une rare intelligence, la création lumière de Victor Arancio fait vivre sur ce plateau nu les campagnes, les routes, les salons, les enfers et les théâtres qui abritent les événements de cette histoire.
Lionel nous chante une ode aux acteur·ices mêlée au récit de la vie de ce garçon homosexuel qui grandit sous le joug de la religion, des mœurs et des légendes, pour devenir l’interprète qui cherche la grâce. On rit, on pleure, on tremble, le souffle coupé par cette interprétation totale. Lionel est comme possédé, et le public conquis.
Dans le jeu, le corps, le texte et la lumière, Les Possédés d’Illfurth est une prestation théâtrale entière, complète et enivrante.
Vous trouverez le calendrier de la tournée 2022/2023 des Possédés d’Illfurth ici, ne tardez pas pour prendre vos places, elles risquent de partir vite !
Soraya Thomas dans
Et mon cœur dans tout cela ? – © PODJ
Et mon cœur dans tout cela ? – Chorégraphie et interprétation de Soraya Thomas. Cie Morphose.
Nu dans un liquide laiteux, un corps contraint peine à tenir debout. Le mouvement est douloureux, lent. Le corps est à la fois vulnérable et puissant, débarrassé de toute connotation sexuelle, délesté du poids des critères de beauté coloniaux apposés aux corps de femmes noires. Le corps, ici, se défend pour retrouver son identité. Durant 35 minutes qui filent comme des secondes, la danseuse et chorégraphe Soraya Thomas soustrait la parole au mouvement pour faire entendre la pensée politique et, plutôt que les discours, elle utilise le mouvement du corps pour faire valoir la réappropriation de celui-ci. Une fois extraite de son bain lactescent, Soraya Thomas divague sur le plateau, recherche un sens, retrace l’histoire, tente d’échapper à l’absurdité du cercle de la vie, de la violence et de la bêtise. Elle nous ouvre la porte de son intime, laissant parfois résonner dans le silence son souffle, saccadé par l’effort, comme la preuve qu’elle vit encore et vivra quoi qu’il en coûte. Elle souffle sa révolte, car c’est de cela qu’il s’agit, d’une révolte. Celle du corps contre les attaques, du cœur contre les discriminations, de la danse contre la violence du monde.
Les procédés scéniques sont simples et pourtant les images affluent, travaillent l’imaginaire et donnent à la danse sa chronologie. Soraya évolue sur un plateau sombre ou n’apparaît qu’un carré gorgé de cette eau épaisse et blanche, à gauche. La prison, les normes, les cases. Une simple bâche noire sortie de Terre nous donne à voir une renaissance, la puissance de cette femme qui soulève le monde. L’espace est sublimé par des jeux de lumière intelligents, sans prétention et pourtant terriblement efficaces. La simplicité de la création lumière la rend d’autant plus brillante qu’elle est chaque fois comme une flèche au cœur de la cible, précise, percutante. L’esthétisme est au service du sens, l’un complète l’autre et la beauté se fait l’écrin fragile de cette danse politique.
Soraya nous offre sa révolte. Elle nous invite à la cultiver et l’on en sort ému·es, un secret au creux des mains, un secret qui n’appartient qu’à nous, gonflé de l’histoire que l’on se conte chacun·e face à cette chorégraphie. Et mon cœur dans tout cela ? est un cadeau qu’elle nous fait, alors quand les lumières s’éteignent nous n’avons plus qu’à lui dire : merci.
Alexandre Virapin dans
Bob et Moi – © Loewen Photographie
Bob et Moi – Mis en scène par Jules Meary, interprété par Alexandre Virapin. Une production BAJOUR.
Qu’est-ce qui pousse un enfant au bord de la fenêtre à faire un pas en arrière ? Parfois simplement la quantité d’espoir qu’une chanson peut trimballer dans ses grandes notes. Bob et Moi nous conte la rencontre entre un enfant et Bob Marley, entre la petite et la grande histoire. C’est dans une de ces nuits où la lune, taquine, nous prend le cœur sans nous rendre le sommeil que le jeune garçon rencontre la musique de l’icône du reggae. Il ne peut pas dormir et se couche alors dans l’œuvre de Bob. C’est l’espoir, la liberté, la paix et la vie toute entière qu’il trouve nichée dans ces mélodies reggae qui le transportent comme elles ont transporté tout un peuple des années auparavant.
Bob et moi retrace l’histoire de Bob Marley à travers la fascination qu’a Alexandre pour lui depuis petit. Au-delà de sa carrière musicale mondialement reconnue, l’artiste a marqué son époque par son engagement politique, prônant la paix comme seul parti, portant sa voix pour le peuple, grand oublié dans la guerre corrompue des puissants. De ses premiers balbutiements rastafaris à son combat contre la maladie qui le couchera sous la terre à trente-six ans, le récit de sa vie prend dans cette mise en scène la forme d’une épopée politique et artistique. Le long de ce monologue brillamment porté par la douce émotion d’Alexandre, on les rencontre, Bob et lui. Leurs histoires évoluent en parallèle et nous racontent l’influence des artistes sur la vie politique aussi bien qu’intime, les ressorts de l’admiration, l’amour de l’art et de la liberté, la recherche du bonheur.
C’est que le texte a cette finesse d’écriture qui laisse le récit filer pour mieux nous rattraper lorsque la narration refait surface, nous renvoie sans préambule dans la chambre de ce garçon qui ne peut pas dormir et qui danse. Et c’est précisément là, entre les murs de cette chambre, dans les grands mouvements de ce petit joué par un grand qui remue au rythme de ces hymnes d’amour; que l’histoire apparaît dans tout son sens et sa beauté. Parce que les héros n’existent que dans les cœurs de celleux qui portent leurs histoires et qu’un appel à la paix n’a de sens que lorsqu’il parvient à calmer les angoisses d’un garçon insomniaque. Nul besoin d’être un·e admirateur·ice de Bob Marley pour être touché par ce spectacle, puisque son plus grand mérite repose dans cette lecture qu’en a le garçon. Dans ce monologue qui tangue entre l’humour et l’émotion, c’est un chant d’espoir qu’Alexandre Virapin et Jules Meary – metteur en scène présent sur scène comme un pilier, pour partager le plaisir – nous ont transmis à leur tour. Et ainsi la petite histoire devient la grande à nouveau.
Bob et Moi se jouera à Laval en septembre et au Théâtre Public de Montreuil à Paris en 2023.
On a aussi aimé
De la mort qui tue – Écrit et interprété par Adèle Zouane, mis en scène par Marien Tillet et Eric Didry, au théâtre de l’Arthéphile. Une production BAJOUR.
Ce seul en scène aux allures de one-woman-show théâtralisé nous plonge la tête dans la question existentielle la plus terrifiante qui soit : qu’est-ce que la mort ? Une heure durant, Adèle nous fait part de ses questionnements, ses doutes, peurs ou carrément terreurs, tout en laissant la place à l’amour, le regret ou la solitude. Et nous guide dans ses pérégrinations d’une interprétation très juste et subtile. Émouvant et drôle, ce spectacle survient comme pour nous libérer de ce fardeau, pour que nous puissions ressortir plus léger·es, sans se soucier jamais de la grande faucheuse.
Our Daily Performance – Des auteur.es Giuseppe Chico et Barbara Matijevic, interprété par Camila Hernandez, Nicolas Maloufi, Thibault Mullot, Marie Nédélec et Shihya Peng, au théâtre du Train Bleu. Cie 1er Stratagème.
Our Daily Performance est un ensemble de pastilles performatives créées à partir des tutoriels, formats qui pullulent sur internet et notamment sur YouTube depuis une décennie. Comment bien tomber, séance de Yoga pour couple, ou imitation de la démarche du lézard pour survivre… Chaque tuto est mis en espace et en corps, et fait lire le portrait d’une humanité et de ses terreurs : la solitude, la mort, l’échec, le couple. On assiste à de très belles aspérités, parfois extrêmement touchantes, parfois carrément hilarantes.
Maryvonne – Écrit et mis en scène par Camille Berthelot, avec Alma Livert et Maryvonne Berthelot (en vidéo), au théâtre du Train Bleu. Cie Les Habitantes.
Une jeune femme filme ses discussions avec sa grand-mère. Alors que sur l’écran de projection, cette dernière apparaît, au plateau, la jeune femme lui répond. On assiste donc au dialogue de deux générations qui se connaissent mal et tente de réfléchir au poids de l’amour, de la mort, du deuil. Si on garde un petit regret sur la distance que le personnage de la jeune femme garde avec le public quand nous voudrions un peu plus de son intimité à elle, Maryvonne aura tout de même eu nos larmes, arrachées par de grands moments d’émotions.
La fabrique des idoles – Création collective, mise en scène par Théodore Olivier, interprétée par Chloé Sarrat, Simon Le Flo’ch et Quentin Quignon, au Théâtre 11. Cie MegaSuperThéâtre.
La fabrique des idoles interroge la posture de nos héros et héroïnes, des contes qui entourent les événements historiques qui ont marqué notre époque. Si le cœur du sujet se perd un peu dans un océan d’information, cette création est remarquable pour son ingéniosité musicale, scénique et scénographique, ainsi que par la qualité du jeu des interprètes. Un spectacle d’une rare inventivité qui saura être extrêmement inspirant pour quiconque exerce la mise en scène. Et qui laisse en mémoire des moments de justesse absolue.
Image mise en avant : Lionel Lingelser dans Les Possédés d’Illfurth – © Jean-Louis Fernandez
Cet article Festival Off Avignon 2022 : Nos coups de cœur provient de Manifesto XXI.