La semaine dernière, le très huppé établissement scolaire Montaigne a défrayé la chronique [1]. Et pour cause, des élèves de 6ème ont agressé sexuellement des camarades de classe. Attouchements dans les toilettes et propos obscènes, il y a de quoi se poser des questions quant aux comportements de ces garçons de 10-11 ans.
Tous les journaux (ou presque) en ont parlé. Sur 10 articles en ligne [2] traitant de l’affaire, la racine « porn » revient 24 fois (titre et corps de texte compris). Il ne fait aucun doute pour la presse que la consommation de porno à la récré est une explication, suivie de très près par la possession d’un téléphone portable permettant l’accès à Internet [3]. Aucun de ces articles ne fait de lien direct entre la consommation de porn et ces agressions, ne citant aucune étude et/ou article scientifique [4]. Mais le traitement médiatique laisse toute liberté au lecteur de faire lui-même le lien, sans aucune autre preuve que ce sordide fait divers.
J’ai quelques reproches à faire à ce traitement médiatique. Le premier est « d’oublier » que ce genre de comportement existait avant l’arrivée de la pornographie à l’école. D’ailleurs, le site MadMoizelle a fait un beau travail de recueil de témoignages pour montrer que les violences sexistes et sexuelles dans les écoles ne datent pas de l’apparition des smartphones. Trigger Warning : agressions sexuelles sur enfants et sexismes La culture du viol se porte bien dans nos écoles — Témoignages.
Le deuxième reproche est donc, en se limitant au coupable idéal – le porn et le téléphone portable – aucun média ne va chercher plus loin une explication. Alors que si ces agressions existaient déjà avant l’arrivée d’Internet, c’est qu’il y a un autre facteur. Comme la culture du viol et la société patriarcale et sexiste. Un vague programme de sensibilisation aux rapports de genre a été évoqué comme solution, mais après la demande d’interdiction des téléphones portables dans les écoles. Cachons ce porno que je ne saurais voir. N’allons pas plus loin que cela, ou il faudrait remettre en cause beaucoup trop de choses. Faudrait quand même pas non plus faire de cette affaire une preuve de la culture du viol.
Le traitement médiatique de cette affaire nous renseigne sur la façon dont la pornographie est vu et pensé par notre société. En faisant du porno le seul responsable (avec Internet comme moyen de diffusion et le téléphone portable le support), les médias partent du principe que le porno est une production complétement imperméable à la culture extérieure, comme s’il ne subissait aucune influence externe. Une sorte de bulle, d’espace duquel ne sortirait que des effets néfastes. Mais rien n’y entrerait, cet espace se nourrirait de l’intérieur. Contrairement à n’importe quelle autre production culturelle puisant son inspiration dans d’autres domaines et dans la réalité, le porno serait indépendant des influences externes. La porno ne ressemblerait qu’à elle-même.
De mon point de vue, la pornographie est – comme n’importe quelle production culturelle – imbriquée dans la culture où elle est produite. Ses codes sont le fruit de notre société, le reflet (parfois grossi) des rapports femmes/hommes. Mais voir la pornographie comme le grand méchant loup permet de ne surtout pas se remettre en question. Notre société et notre culture sont pures. Le porno est une perversion de quelques esprits malsains et moralement répréhensibles. Merci de ne pas en douter, ce serait trop douloureux.
[1]
Le Parisien, Paris : des 6e du collège Montaigne sanctionnés pour attouchements, 13 mai 2015.
[2]
Ces 10 articles venant des journaux suivants : Le Figaro, Le Monde, La Croix, Ouest France, Le Parisien, Le Dauphiné Libre, Le Progrès de Lyon sur la période du 13 mai (date à laquelle l’affaire éclate dans la presse) et le 16 mai.
Ces titres de presses sont les 5 journaux régionaux et nationaux traitant d’Information générale et politique les plus diffusés en 2009 (source : OJD ; IREC. Paru dans Francis Balle, « Les Médias », Paris : PUF, 2004), moins les journaux Aujourd’hui en France, Libération, La Voix Du Nord n’ayant pas traité directement de l’affaire sur la période du 13 au 16 mai. Et moins le journal Le Dauphiné Libre, son article étant payant dans son intégralité.
Tableau
[3]
J’aurais également pu me pencher sur les articles annexes, sondages et tournures de phrases mettant en avant la causalité entre ces agressions et l’accès à Internet.
[4]
Et pour cause, le peu de littérature « scientifique » établissant un lien entre porno et comportement agressif et/ou de prédation sexuelle se base sur des préceptes moraux et/ou un échantillon de population biaisé, voire se mélangent les pinceaux entre corrélation et effet de causalité. Ruwen Ogien (Penser la pornographie, 2003), Marie-Anne Paveau (Le Discours Pornographique, 2014) ou encore Florian Voros (L’invention de l’addiction à la pornographie, 2009) l’expliquent mieux que moi.
Bibliographie
Dubois F-R, « Introduction aux porn studies », Paris, Les Impressions Nouvelles, 2014.
Ogien R, « Penser la pornographie », Paris, Presses Universitaires de France, « Questions d’éthique », 2003.
Crédit : pictogramme « tête de mort », un avertissement usuel contre le risque d’empoisonnement Wikiversity