Régulièrement, quand des connaissances m'interrogent, souvent avec les yeux brillants de gamins qui demanderaient à une bonne fée bien informée l'adresse du Père Noël : "Mais c'est comment, en vrai, les clubs libertins ? Ca baise vraiment ? Vraiment ??!! Raconte !", j'en arrive très souvent à cette même réponse : "Tu as lu le livre de Moix ? Lis le livre de Moix, tout est à l'intérieur, on ne peut pas mieux répondre à ta question, ses descriptions sont cinglantes... de vérité."
Le livre c'est Partouz, paru il y a pile 10 ans chez Grasset. Il traite de nombreux sujets, du terrorisme à la poésie, mais contient aussi une incroyable description de soirée en boîte échangiste, fil rouge de tout le bouquin.
"Partouz" écrit sans le E, c'est pour bien montrer à quel point le truc est devenu bobo, branchouille : on ne se fait pas "une bonne vieille partouze à l'ancienne", mais une "ptite partouz", ça change tout. Enfin ça ne change strictement rien, des inconnus qui baisent en formant un gros tas, mais c'est tellement plus chic, plus bobo, plus con et plus absurde, "se faire une partouz".
Toutes les citations ci-après sont donc de Yann Moix, extraites de Partouz, j'y ajoute les titres pour faciliter la lecture :
Avec qui aller en boîte à partouze ?
« Il ne faut jamais aller en boîte échangiste avec son amoureuse : l’échange coûte trop. Il vaut mieux échanger une bonne vieille copine : elle peut se faire dépouiller sa race par trois gros Blacks, aucune jalousie, aucune gêne ne s’ensuit, on assiste à la scène d’un regard furtif, évasif, amusé, autorisé, approbateur. »
Qui doit payer (l’entrée / les verres) ?«J’avais payé pour nous deux…C’était mon côté grand seigneur : il faut dire que Dorothée [la bonne vieille copine] me prêtait son corps humain pour la soirée, que ce corps humain j’allais pouvoir l’échanger, le troquer contre d’autres qui me plaisaient davantage. »«L’homme humain offrait un autre whisky à une splendeur périssable, laquelle, avec la violence et la générosité de la nature, lui lécherait les couilles en guise de remerciement.
C’est comment à l’intérieur de la boîte à partouze ?
« C’était une marée humaine faite de flots de corps en suçance, en pompance, en enculance, en caressance, en pénétrance, en frottance, en flottance, en jouissance. C’était une masse humaine compacte et finie, en mouvance, très triste et très contente. Cette mare de gens. Cette grosse flaque de gens. J’avais devant moi un spectacle fait de configurations de corps, de positions de corps, de corps positionnés. Ce n’était pas de l’art. Il n’y avait rien à interpréter. Ca baisait dans tous les coins, et dans tous les recoins, ça faisait comme un amas hétérogène et pourtant parfait, une sorte de tapis de corps d’hommes, sans un accroc, sans un amusement, sans un seul pittoresque. »
Le problème de la partouze
« ça paraissait quand même pas hypermégaévident de parvenir à bander comme un yack dans cette ambiance de porno géant avec, partout autour, des as du braquemart. »
Le concept de la partouze«J'avais de plus en plus envie de baiser tout ce qui bougeait… […] Et c’est là que je me suis rendu compte que quand tu veux baiser tout ce qui bouge, ce n’est pas si facile… A cause de la concurrence. Je n’avais pas compris immédiatement la situation : j’avais pratiqué un très long cunnilingus sur une certaine Stéphanie, et c’était un moustachu avec une salle gueule qui allait, contre toute attente, avoir accès à la pénétration (à la pénétration qui m’était due). En boîte échangiste, on te remplaçait aussitôt ; on te remplaçait sans cesse ; à l’infini. Tu n’étais là que pour ça : être remplacé. Par un autre, un remplaçant plus utile, pas forcément plus dévoué, mais plus approprié au désir, peut-être aux besoins, de celle qui entendait se faire mettre par ton successeur immédiat, l’être humain qui s’apprêtait (te laissant seul au monde, camarade) à prendre le relais. […] Je n’entendais pas céder ma place au rouquin : « Ca fait vingt minutes que je la lèche, je te signale ! » lui avais-je balancé. Le moustachu avait souri ; il m’expliqua que la fille n’avait aucunement besoin d’un cunnilingus de vingt minutes pour avoir envie de se faire baiser. Le concept de partouz commençait à s’insinuer en moi…»
Le théorème de la partouze « […] un des théorèmes de la partouze, c’est qu’il ne faut jamais s’excuser d’être un porc. Ne jamais s’excuser de ses gestes : ne jamais placer dans un geste le poids que l’on a de l’éventuelle obscénité de ce geste. Si tu approches une fille avec des principes dans la tête, elle croit que ces principes se transmettent à ta queue et que, par conséquent, par induction, tu la baiseras avec trop de componction, trop d’éducation, trop d’humanité chrétienne, d’amour-propre, avec trop d’amour. »
Les râteaux en partouze« Une rousse porno à seins ballants non refaits se faisait prendre en levrette par un black à percings tandis qu’elle suçait parallèlement un diplômé des grandes écoles qui avait gardé sa cravate. Je m’étais approché, un peu terrorisé, hiératique, timide et suant, ne sachant pas trop comment entrer dans la danse... Comment me faire accepter. Comment m’immiscer, me dépuceler, comment me faire enfin bizuter, comment faire partie de la famille, et de l’action. Pas sûr de moi, je m’étais approché de la rousse black-levrettée et sup-de-co-suceuse, et j’avais mécaniquement, scolairement, pris son sein gauche dans ma main. […] La rousse avait dû sentir quelque chose de pas assez pornographique en moi, de pas suffisamment partouzeur, de pas abouti, une timidité lourde, un malaise rabat-joie, et avait sorti la bite qu’elle avait dans la bouche pour me dire ceci : - Ca va pas être possible. Puis elle avait aussitôt réenglouti entre ses lèvres la bite diplômée susdécrite. Ainsi, je venais, à peine était-je entré dans le « salon », de me prendre un râteau. Dans ma vie, des râteaux, j’en avais déjà pris. Plein. Je savais ce que c’était. Mais c’était soit dans la rue soit dans des boîtes normales. Pas dans une boîte où toutes les filles présentes étaient censées dire oui à tout le monde, à tous les mecs, même les plus laids, à toutes les bites, même les plus intimidées. »
Le romantisme de la partouze
« Quel contraste entre ici et la douceur douce d’un lit à deux, entre ici et le grand silence de l’amour, entre ici et les longs regards de l’amour. Quel contraste : des femmes avaient la bouche pleine de bites, on criait dans tous les coins, on couinait. On accourait vers des anus. On se battait pour un trou, dès qu’un trou se libérait. On se ruait sur les orifices vacants. »
Le désespoir de la partouze
« Il y avait là-dedans de vagues relents de fin de fin du monde, des mélanges de mort et de grossièretés. La survivance de la race s’affirmait dans le déraisonnable. « Déchire moi » ou « défonce-moi » étaient des expressions qui revenaient fréquemment dans les bouches enfin libérées des bites chrétiennes qui les avaient étouffées, et des « encule-moi », des « prends-moi » et autres « bouffe-moi la chatte » étaient prononcés régulièrement, sérieusement, sévèrement, en baissant les yeux et en fermant à demi la bouche, plissant un peu les lèvres, par des chaudasses à cul aux seins diversifiés. […]Quelques corps commençaient à fatiguer de ces innombrables coïts. On trompait sa femme avec des morceaux d’êtres humains. On s’amusait. On se dégoûtait du sexe, de l’existence. Et ça criait encore (et toujours). Ca n’arrêtait jamais (de crier, de soupirer, de râler). Personne ne se taisait vraiment. Les solitudes étaient contentes et mélangées. Des bites étaient programmées pour durer toute la nuit, jusqu’au matin. »
Morale des "ptites partouz parisiennes"
« Dehors », c’était la guerre, le terrorisme et le 11 septembre, mais ça continuait comme si de rien n’était : la débauche sexuelle, les petites partouz mesquines des petits Occidentaux étriqués et gâtés dans mon genre, des nantis obsédés qui, après le restaurant et le cinéma, allaient se faire sucer la bite pendant des heures dans des renvois de whisky-coca. C’était ça, la « culpabilité judéo-chrétienne » : s’en vouloir d’avoir éjaculé comme un gros porc sur des corps en pleine santé pendant qu’on crevait de faim dans les bidonvilles du tiers monde. »
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Et l’extrait qui me fait le plus rire, l’histoire du « petit salon expérimental » (dans quasi toutes les boîtes à partouze il y a en effet un « petit salon expérimental ») ; lire aussi le livre entier pour les histoires tout aussi bien décrites "du lapin", du "mais c'est TOI ma grosse pute", ou encore du "bleubite qui vient avec ses propres capotes") :
J’avais repéré un sacré lot de putes dans un des petits salons. C’était un salon qui m’avait semblé plus vicieux, plus expérimental, plus « pointu »… Dans le grand salon, « le grand bain », c’était du brut. On n’œuvrait pas dans la recherche fondamentale, on ne cherchait pas des lois nouvelles de la sexualité : on ne faisait qu’appliquer, avec un certain entrain, les lois fondamentales du coït, on se consacrait aux positions simples, nues, aux grandes lignes. Paradoxalement, j’avais le sentiment qu’il était plus facile de me mouler dans le décor du pointu plutôt que dans celui du bestial. Car dans le bestial du grand bain, il fallait sortir la bite direct et défoncer le premier trou qui se présentait, là, comme ça, sans vergogne, sans chichis ni manières, à la bonne franquette. On ne pouvait pas tricher, on ne pouvait pas gagner du temps. Tu étais là pour jouer de ton instrument et, si tu ne savais pas en jouer, tu faisais bien, dès lors, de ne pas le sortir de sa housse et d’annuler le concert. Tandis que dans le petit salon vicelard, très « éditions Jean-Jacques Pauvert », tout m’indiquait qu’on avait affaire à des esthètes. A des maniaques. A des scientifiques. On avait l’air de s’attarder énormément, de faire durer les choses. C’était la capitale du préliminaire. Ca me rassurait. Ici, on faisait dans le détail, dans le cauteleux. On examinait à la loupe. Un quadragénaire concentré comme un funambule sur son fil introduisait dans le cul d’une fille de 20 ans un index qui durait des heures, et il invitait quelques curieux bien triés, agenouillés devant le rectum de la petite, à venir voir, ou plutôt à constater un phénomène, à assister à un événement qui semblait pointu, qui semblait particulier, qui semblait étonnant, qui semblait d’une importance capitale, mais je ne saurais jamais quoi. Après un très, très long aller-retour anal des doigts du quadra, les curieux s’étaient regardés, bouche bée, puis ils avaient acquiescé, comme impressionnés, hochant la tête, et le metteur de doigt dans le cul leur faisait signe que ce n’était pas terminé, qu’ils n’avaient rien vu, et son index repartait pour un aller rectal, le tout dans un silence de mort, un silence scientifique d’expérience de physique fondamentale. On était à Saclay, soudain. Et des Nobels du fion avaient fait le déplacement pour assister à la naissance d’une particule nouvelle, plus petite encore que le quark. J’avais essayé de m’approcher, extrêmement intrigué, extrêmement intéressé, mais le fouteur de doigt dans le derche m’avait jeté un regard noir qui voulait signifier que ma présence risquait de faire échouer l’expérience et, ce faisant, des années et des années de travaux. J’avais senti également, dans son regard terrible, que si l’incident venait à se reproduire, il mettrait un terme définitif à l’expérience : les curieux l’avaient senti également et m’avaient envoyé à leur tour des regards d’assassins. On ne plaisant pas, dans ce salon. Quant à la petite nana de 20 ans, rien ne semblait la perturber ; elle était très patiente. Pour elle, le spectacle était rodé depuis longtemps sans doute. Cet étrange duo m’avait fait penser à un lanceur de couteaux : d’un côté le mec obsessionnel et malsain, de l’autre sa compagne belle, soumise et un peu con.