Le libertinage tel qu’il se pratique en clubs échangistes ne correspond en aucune manière à mon désir. Le sexe n’y est aucunement subversif : aussi balisé qu’un voyage organisé façon tour operator. Les bien-pensants du libertinage y imposent leur loi (la bisexualité féminine devenue norme absolue, notamment). Sans parler des touristes du sexe, des curieux, des couples de circonstances, des intriguant(e)s, des bourrins anti-libertins… Ce sont pour moi des lieux sans sensualité et sans séduction.
Anti-désir. Anti-liberté. Anti-libertinage.
Le malentendu vient du principe-même. Qu’on le veuille ou non, le désir ne s’est jamais attisé aux raccourcis. Pousser une porte et paf ! atterrir en pleine partouze, aller directement se fondre dans la masse, ça ne m’excite pas. Ca ne m’a jamais excitée, en fait. C’est infantilisant, degré zéro du libertinage. Me faire caresser par un parfait inconnu dont je ne vois pas même le visage, idem. (peut-être quand j’avais 15 ans, dans l’obscurité d’une boîte de nuit, pour le frisson de la transgression. Et encore...). Surtout que les parfaits inconnus, dans la majorité des clubs, comment dire ? correspondent rarement à mon désir (vu que je désir toujours des personnalités avant tout, je suis de toute façon mal barrée).
En fait, le libertinage ne consiste certainement pas, pour moi, à multiplier à l’infini les partenaires en se donnant sans désir.C'est-à-dire à multiplier les actes de pure mécanique, à consommer des corps dans un silence religieux. Le sexe sans la parole, pas trop mon truc. Oui, ça peut sûrement être troublant cinq minutes, à peine, et encore, le temps d’un petit frisson de pacotille. Une micro-évasion de samedi soir, une petite récréation (comme l’écrit Yann Moix, les clubs échangistes sont « des parcs d’attraction pour adultes ») pour couples vivant soumis à tous les conformismes sociaux le reste de la semaine (pour moi, la liberté est un tout : liberté d’esprit, de parole, de mœurs – donc absence totale de censure dans la recherche du plaisir – sens critique aiguisé, regard éclairé sur le monde, etc. Sans sens critique, la liberté sexuelle n’est qu’un tour conventionnel de plus, un pur conformisme pour faire « branché »).
Or qu’on le veuille ou non, les clubs sont des raccourcis vers le sexe. On saute toutes les étapes, tous les détours qui valent séduction. Étalages d’organes et déballages de leurres. On croit qu’on est libertins, mais est-ce vraiment là un exercice de liberté, sincèrement ? En tout cas, on ne s’y rencontre pas, on n’y trouve aucune Aventure (à une ou deux exceptions près cependant : à Paris le Mask et les Chandelles, deux lieux que j’aime beaucoup et fréquente assez souvent, le premier pour discuter en toute subversion – j’y ai toujours fait des rencontres surprenantes -, le second pour dîner, notamment. Deux lieux qui stimulent mon imaginaire érotique).
Tout l’inverse des clubs anti-désir, mon libertinage tient tout entier dans cette faiblesse : être incapable de baisser les yeux face au désir. Si un homme me plait, me fascine, me subjugue, capte mon admiration, me séduit (oui, tout ça !), j’ai envie de coucher avec lui. Qu’importent les circonstances : autre censure morale ne vient m’effleurer (exemple de ce que pourrait être une censure morale : je suis en couple et lui aussi, ou : j’ai déjà un amant, voire deux amants, voire..; ou : on a des liens professionnels…). Ma liberté sexuelle part toujours d’une personnalité, d'une liberté, d'une émotion, d’une envie, d’un désir. Fût-il particulièrement instant (ça m'est déjà arrivé de rencontrer un hommes, le laisser parler et dix minutes après - à peine - rêver déjà qu'il soit en train de me baiser...). Mais mon désir ne part jamais d’un corps anonyme livré sur un plateau, prêt à être consommé en silence. Après, bien sur, il y a les fantasmes (mais même : faire l'amour avec deux hommes est un fantasme tenace, mais deux parfaits inconnus, franchement pas...).
Je n’ai rien contre les bordels – je pense d’ailleurs qu’il faudrait vraiment les rouvrir en France – mais je voudrais que les clubs qui se prétendent libertins soient autre chose que des bordels « pour couples et hommes seuls ».
Les soirées que j’organise parfois (cela m’arrive mais rarement -par manque de temps- et ma seule motivation est le pur plaisir d’un événement libertin) ne rassemblent que des personnes, hommes et femmes, qui me séduisent, pour une raison ou une autre (en tout cas qui sont capables d’écrire 3-4 jolies lignes sur leur conception du désir)… Dès lors, on peut imaginer la suite… On ne me soupçonnera pas, donc, d’emprunter les habits libertins pour répandre des propos fondamentalement puritains : sexuellement cela fait un moment je vais au bout de toutes mes envies, après avoir fait mes classes à presque toutes les écoles de la transgression... Des rencontres à trois, à quatre et des parties fines, j’en ai suffisamment organisées (ou été invitées) pour qu’on ne me soupçonne pas d’une opposition de principe.
Bref, si je critique les clubs échangistes, c'est justement parce que je me revendique libertine.
Donc pour en revenir aux clubs : s'éloigner de ces sentiers bien trop balisés - et globalement insipides - s'impose. Je crois vraiment que le libertinage s'épanouit mieux d'une liberté discrète que d'une surexposition douteuse... Je crois sincèrement que le libertinage le plus follement excitant est dans les cercles privés, discrets, sans esbroufe, sans business. Entre gens sélectionnés pour en partager sincèrement l’esprit.
Et tant mieux ! Cela nous oblige à de l’imagination, de la discrétion, une forme de clandestinité qui sied bien à notre façon de vivre le plaisir : liberté absolue, absence totale de censure, mais sans public de curieux ni passagers clandestins anti-libertins. Le libertinage n’a jamais été l’art du cirque. A d’autres le sexe-spectacle et son sensationnalisme. A d’autres le soin de jouer les amuseurs publics pour faire bander tous les frustrés de France et d’ailleurs, à d’autres le soin d’alimenter les comptes d’exploitation de quelques patrons de clubs si peu libertins.
Si mes propos trouvent sincèrement écho, discutons-en volontiers. En privé. camille.libertinageparis (a) gmail.com