Comme toute activité, le libertinage a ses laudateurs sans discernement. Ceux pour qui «
tout y est merveilleux, l’expression d’une liberté absolue entre adultes consentants, le plaisir de chacun & (donc) de tous y étant recherché dans le plus profond respect, et où, selon la formule consacrée, "les femmes sont reines", Maîtresses de tous les désirs, libres d’imposer leurs lois, leurs rythmes et surtout leurs refus », etc.
Je ne suis nullement de ces adorateurs sans nuances. Une certaine distance critique participe (selon moi) d’un libre-arbitre libertin qui a tendance à se perdre, quand l’échangisme et ses variantes semblent parfois se réduire à un modèle parmi d’autres dans le catalogue des engouements communs. Un truc «
à la mode », «
qu’il faut bien essayer » et puis «
on verra bien si ça nous plait ».
En pratique, il faut selon moi jouir d’une vraie liberté d’esprit (et donc de parole) pour apprécier les plaisirs de cet univers (et être capable d’y trouver ce que l’on y désire, et
seulement ce que l’on y désire). Sans cette liberté
d’esprit et de caractère, toute idée de sexualité mature et explorée me semble vaine. Je reprends un exemple que je donnais dans un billet précédent : la jeune femme qui se retrouve en soirée libertine parce que son compagnon est persuadé qu’elle est bisexuelle, fantasme masculin par excellence – or elle n’ose pas dire à son chéri qu’il n’en est rien - et qui aborde d’autres femmes en disant «
je n’aime pas les femmes mais peux-tu t'isoler avec moi dix minutes, puis dire à mon mari qu’on a pris beaucoup de plaisir toutes les deux, il sera content donc je serais contente donc tout ira bien… » : exemple type du couple libéré en façade (ils vont dans des soirées échangistes !!) mais pétri de faux-semblants l’un vis-à-vis de l’autre quant à leurs propres désirs.
Liberté de façade, comportement anti-libertin par excellence… Etre libertin ne peut s'envisager sans une totale capacité à affirmer clairement ses désirs, loin de tout conformisme. Rien ne devrait être fait "pour faire plaisir" aux autres, y compris à son propre compagnon / sa propre compagne.
En outre, le libertinage n’est pas plus exempt de rapports de force, de systèmes de pouvoir, de manipulations plus ou moins subtiles, de personnages grossiers, voire de lendemains qui déchantent… que ne le sont les liens homme/femme (et tous les rapports sociaux au sens large, non ?).
Dès lors, les femmes sont-elles
totalement et
en toutes circonstances libres dans le « libertinage » tel qu’il se pratique dans la majorité des clubs ? La réponse
sans hypocrisie est évidemment :
non. Ou plus exactement, il faut une très grande force de caractère et une vigilance de tous les instants pour dicter réellement ses désirs et s’assurer en permanence que son consentement est sollicité et respecté.
Toute la question est de savoir où commence (et s’arrête) le consentement tacite d’une femme qui fréquente un lieu libertin. Formulée ainsi, la question a des petits airs juridiques… hum, « consentement tacite », vous dites ? Mais encore ?
Prenons des exemples :
Si une femme est en train de se faire prendre (par son compagnon / un homme qu’elle a désigné) dans un club, est-ce qu’un homme peut venir observer la scène de très près et se masturber (sans demander), au motif qu’
elle est dans un lieu libertin, donc « là pour ça » ? Est-ce qu’il peut la caresser (sans demander) au motif qu’
elle est « là pour ça » ? Est-ce qu’il peut présenter son sexe à l’orée de sa bouche, et l’inciter à le sucer ? Est-ce qu’il peut aussi la prendre après son compagnon (sans lui demander parce qu'
elle est « là pour ça » ) ? Est-ce qu’il peut après jouir sur son visage (sans demander parce qu'
elle est « là pour ça ») ? Est-ce qu’il peut commenter la scène en disant que c’est «
une bonne chienne » ou «
une sacrée salope » ? Etc etc…
Jusqu’où peut-on supposer que la femme présente dans le lieu est « là pour ça », « qu’elle est d’accord » que « c’est ce qu’elle attend » ?Dans la pratique, dans les clubs, dès lors qu’une femme a commencé à « rentrer dans le jeu », la plupart des hommes considèrent qu’ils peuvent y prendre part, et que «
tant qu’elle n’a pas dit non, ça veut dire oui ». Bref, pour une femme, tout tourne autour du fait de dire « non » ; dans le récit que j'ai indiqué, elle peut dire non dès la première esquisse de caresse, et le voyeur prendra de la distance. Je n'ai jamais, jamais vu un refus qui ne soit pas respecté.
Oui, mais en pratique, tout le monde sait bien que de nombreuses femmes n’osent pas toujours dire « non ». Méconnaissance des usages, peur d’être exclues de la fête, de décevoir leurs compagnons (mais oui !), envie de se conformer à ce qu’elles (nous) imaginons être les « attendus libertins », etc…
Dans la mesure où tous les adeptes pousseront à cette lecture de grands cris d’effrois «
mais comment cela, elle prétend que des femmes ne savent pas dire non !... c’est méprisant !... de quel droit imagine-t-elle que les femmes n’osent pas refuser, alors que si ça se trouve elles adorent tout simplement être un peu brusquées, pas trop ménagées ! », il faut bien rentrer dans quelques détails pas très sexy ni reluisants du libertinage.
Pour cela, je pioche dans un récit témoignage des exemples parfaitement concrets.
Le récit a été rédigé par Clara Basteh
(ci contre, print de son site perso) il y a 3 ou 4 ans, auteur que quiconque ne pourra soupçonner de manquer de caractère ni de discernement : c’est une femme intelligente, cérébrale et littéraire
(il n'est qu'à lire sa bio sur son site), assez connue dans le milieu de la mode (modèle photo, mannequin).
Clara Basteh a donc publié un journal de bord (Itinéraire d’une scandaleuse, Editions Blanche) décrivant par le détail sa pratique du libertinage avec son mari.Son témoignage est d’une rare sincérité. Voici trois exemples d’actes semblants à froid assez odieux…
mais qu’il faudrait être bien hypocrite pour prétendre être « des exceptions » dans la pratique générale du libertinage, notamment en clubs.
Exemple 1 : les débutants, qui cherchent à se conformer aux « attendus », et donc « se la ferment » le temps de découvrir les codes du milieu
Contexte : en vacances à Deauville, Clara Basteh et son mari se rendent dans un club libertin près de Caen. C’est une de leurs toutes premières sorties, ils sont encore en phase de « découverte » des codes du milieu. Dans le club, Clara aperçoit son mari entreprendre une jeune femme… Extrait du récit de Clara Basteh : « Quant à moi, j’ai bien essayé le mari, mais je me suis rapidement retrouvée à regarder l’heure, ce dont j’avais déjà une grande expérience dans ma vie sexuelle ! (…)
Je n’ai pas su gérer une situation qui ne correspondait pas à mes goûts et, quelque part, j’ai eu l’impression désagréable d’être forcée. (…) Il me dit des obscénités tout en me baisant brutalement, moi qui ai horreur de ce genre de langage ! Il m’ordonne de répéter : « Je suis ta petite chienne ». Je ne le fais pas, mais apparemment cela ne le gêne pas.
Il me tire les cheveux en me disant : « Hein que tu aimes ça, salope ». Je déteste, mais il continue. J’essaie de penser à ceux qui me font l’amour avec tant de sensualité et d’élégance, mais ce goujat est bien là ! Il me demande si je veux lécher sa femme, je dis que non, mais il me met de force la tête à la bonne hauteur. Je réussis à me dégager.
Je ne sais plus comment m’en sortir. Pas mal de gens se trouvent maintenant autour de nous à regarder. Quant à [mon mari], il ne peut deviner que cela me déplaît autant, car je pousse quelques soupirs pour ne pas décevoir le public ! Ce n’est que la jouissance de ce fâcheux qui me libérera enfin de mes obligations… »
Mes commentaires : Rien ne me surprend dans ce récit. Je le trouve abominable, mais je le crois sincèrement banal. Les débutants ont toujours un temps d’adaptation durant lequel ils/elles ne savent pas "ce qui se fait, ou pas" et surtout "ce qui doit se faire". J’observe pour ma part, assez souvent, des touristes qui viennent s’encanailler dans les clubs, attirés par l’imagerie du « Paris Belle-Epoque, Moulin Rouge et parties fines entre notables »… Je remarque que ces couples étrangers (par nature débutants, qui plus est déboussolés par la nouveauté, la barrière de la langue…) ne disent jamais « non » à rien. Ils sont presque manipulables à loisir, comme des pantins (plus exactement : Madame est manipulable, Monsieur ne dit rien...). Notamment, j’ai déjà vu plusieurs fois des après-midi en club ouvertes aux hommes seuls, où une seule femme étrangère se faisait prendre par tous les « hommes seuls » présents, tandis que le mari semblait vaguement gêné, hésitant, semblant ne pas trop savoir quels étaient les usages, s’il pouvait « accepter tel ou tel homme ou refuser tel autre… » (je décris là ce que j’ai interprété des attitudes, nous sommes bien d’accord, mes interprétations ne sont que les miennes...). Comme dans le récit de Clara Basteh, j’ai un souvenir où les hommes y allaient de bon cœur sur les « hein t’aimes ça, salope ? », sans que la femme (américaine) ne réponde le moindre mot… Alors ai-je mal interprété, en supposant que peut-être ces débutants ne savaient pas dire « non », faute de recul sur les usages ? Personne ne le saura… Mais il est en tout cas certain qu’une certaine assurance s’acquière avec la connaissance des codes implicites du milieu. Les débutants osent rarement être clairs sur leurs désirs dans cette phase (les savent-ils eux-mêmes ? Par nature ils explorent leurs envies...). J’espère que mes propos aideront certains à comprendre qu’il ne faut certainement pas tout accepter !
Exemple 2 : à partir du moment où une femme « rentre dans le jeu avec gourmandise » avec un ou plusieurs partenaires qu’elle a désignés, d’autres hommes jouent les passagers clandestins… Contexte :
Clarah Basteh et son mari se trouvent en banlieue parisienne, dans une grosse soirée privée (lieu loué pour l’occasion par un organisateur peu recommandable - je laisse aux curieux le soin de lire le livre pour comprendre...). Elle a convenu d’y retrouver son partenaire de jeu Dominique, rencontré précédemment, pour lequel elle ressent une forte attirance. Elle décrit ici son moment intime avec ce fameux Dominique, tandis que son mari est quant à lui parti s’isoler avec une autre femme. Que pensez-vous du comportement du black dans cette scène ? Extrait du récit de Clara Basteh : « Dominique me couche lentement sur le sol. Je vois ses bras et sa poitrine musclés fondre sur moi. Que la patience a de mérites et que ce jeune homme est bon à recevoir ! (…) Un autre homme, velu et ventru, tente de se joindre à nous. Conciliante, je le suce un peu, mais Dominique lui demande sans ménagement de nous laisser seuls. Il caresse mon anus et (…) s’introduit doucement. Je suis agréablement surprise, la sensation est très nouvelle, j’éprouve du plaisir…
Un grand noir se tient debout et nous regarde en se masturbant sans la moindre gêne. Je me redresse et enfourche Dominique prestement. (…) Il n’en peut plus, il va jouir, je le sens. Je me cabre lorsque son sperme vient réchauffer mon intimité.
Le noir éjacule alors sur mes fesses. »
Mes commentaires : De toute évidence, les deux complices (Clara et Dominique) voulaient être seuls. Ils disent « non » à un premier homme, qui venait profiter de leurs jeux pour « se faire sucer l’air de rien », dirons-nous, comme cela est très courant dans les pratiques libertines. Ils ne disent pas « explicitement » non au black qui vient se masturber en observant la scène, mais l’expression « sans la moindre gêne » souligne quand même que Clara Basteh n'est pas très-à-l'aise de sa présence. Peut-être parce qu’ils n’ont pas dit « non » au voyeur, ce dernier se sent alors « implicitement invité » au jeu ; et la dernière phrase de l’extrait sélectionné ci-dessus est d’une très très grande classe… (en même temps, j’observe de temps en temps dans des clubs des hommes dire « oh je peux jouir sur toi / sur tes seins / sur ton visage ?... » et les femmes ne rien répondre, et l’acte se produire. Toujours pareil : tant que la femme n’a pas dit « non », ça veut dire « oui »…).
Dans la situation de Clarah, c'est-à-dire l’envie de retrouver un complice précis, j’aurais préféré vivre cette scène dans l’intimité et le confort d’une chambre d’hôtel (ou d’un appartement), c’est certain. Plutôt que dans la soirée privée, matelas posés à même le sol, voyeurs qui viennent se masturber et éjaculer comme si de rien n’était (même si l'intérêt est que le mari pendant ce temps, etc. etc.).
Mais on me répondra peut-être que je n’ai rien compris aux principes du libertinage ?On retrouve un autre exemple décrit par Clara Basteh à l’
Overside : elle s’abandonne auprès d’un jeune homme puis d’un second, de nombreux voyeurs se massent à droite et à gauche (dans ce second extrait, en revanche elle aime être observée), puis : « Soudain, mon nouveau partenaire se vide en moi dans un râle, les yeux au ciel. À leur tour, ma droite et ma gauche émettent leur semence vers le haut, arrosant copieusement mon visage qui sourit. ».
Exemple 3 : à partir du moment où une femme « rentre dans le jeu avec gourmandise » avec un ou plusieurs partenaires qu’elle a désignés, d’autres hommes jouent les passagers clandestins… (bis, mais là ça va plus loin que le fait d’observer, se masturber et éjaculer)
Contexte :
Clarah Basteh et son mari se rendent à un « cocktail libertin organisé dans un palace ». Elle précise : « Dans ces soirées-là, on ne tarde jamais à passer à l’acte, d’ailleurs notre ami invite toujours un ou deux acteurs de X, histoire de pallier les faiblesses éventuelles de l’homme de la rue ! ». Durant ce cocktail, elle fait l’amour avec deux hommes (italiens) qui lui plaisent. Extrait du récit de Clara Basteh : « Un des acteurs pornos est à présent de la partie et je devine qu’il attend que les deux autres aient fini pour les remplacer. Cet homme de l’art, plutôt petit et mince, est nanti d’un sexe tel que je n’en ai jamais vu. Je me demande l’effet qu’un tel engin peut procurer.
À peine les Italiens épuisés, ce furieux me saisit par la taille et me place à quatre pattes, sans ménagement, pour me faire essayer son outil de travail en levrette. Il est infatigable, on voit qu’il a l’habitude, je finis par demander grâce pendant la sodomie. Cela ne m’arrive jamais, mais il me fait mal à me pistonner comme il le ferait sur un tournage ! »
Mes commentaires : Là encore, il faudrait être bien hypocrite pour prétendre que c’est exceptionnel (pas forcément la sodomie par un hardeur, mais le fait qu'un homme "attende son tour" et prenne la femme dès que le précédent a terminé). Dans la pratique courante des clubs, quand il y a du monde (la plupart des clubs célèbres sont pleins chaque samedi soir), et que « plus ou moins tout le monde se mêle à des actes coquins dans les salons », les partenaires ont tendance à s’échanger « automatiquement », sans politesse ni même prévenir - c’est un peu la pratique courante. La levrette étant la position star des clubs libertins, les femmes ne voient souvent même pas les hommes qui se succèdent en elles (mais cela peut-être un fantasme pour certaines femmes, quand l'excitation est forte, certainement, se faire prendre sans discontinuer, quels que soient les hommes qui se succèdent ? Il faut croire...)...
Conclusion à mes propos un peu noirs : mon but n'est certainement pas de prétendre que le libertinage est un monde globalement irrespectueux où l'expression de son désir est à taire à tout prix, faute de quoi on serait "exclue de la fête"... (en occurrence, je n'ai rien de masochiste, donc je ne pratiquerais pas "un certain libertinage" - bien que je le pratique ultra majoritairement via des soirées privées merveilleusement organisées, on l'aura compris - si je ne le vivais pas dans un profond épanouissement de mon propre désir, et sans avoir à "subir" quoi que ce soit qui n'y participerait pas). Donc les actes ci-dessus, souvent observés, ne sont pas non plus "systématiques".
Mon propos est plutôt d'attirer l'attention sur l'importance de connaître ses propres désirs, et surtout de savoir les exprimer.
La base du libertinage est la pleine et entière liberté de parole sur ses propres désirs, envies, fantasmes, plaisirs, etc. Le corollaire de cette liberté est la capacité à dire un "non" parfaitement affirmatif et décomplexé, qui profitera à tous (à la femme, à son compagnon, à l'ensemble du club en évitant que des comportements limite ne s'intallent petit à petit!). Or savoir dire son désir, c'est sincèrement bien moins simple qu'il n'y parait au premier abord.
Je reçois depuis quelques jours beaucoup de messages me demandant "
quels conseils je donnerais à un couple parfaitement débutant qui voudrait s'initier au libertinage" (je suis ravie de recevoir de tels messages!). Je n'ai pas d'autre conseil que celui-là : assurez-vous que la liberté de parole au sein de votre couple est absolument totale, sans une once de censure, et que vous avez partagé sans censure ce que chacun des deux souhaite/espère/fantasme, etc., ou pas (quel couple peut vraiment dire cela :
je sais parfaitement quelles sont les envies et les limites, les fantasmes et les plaisirs secrets de mon/ma chéri(e) ?), avant de vous lancer dans quoi que ce soit. Surtout, ne négligez pas cette étape. Dès la toute première fois où vous prendrez part à un événement libertin, vous devrez être en mesure d'être parfaitement affirmatif sur ce que vous souhaitez et surtout sur ce que vous ne souhaitez pas. Ce n'est jamais si simple.