La jupe, c’est mieux. Chloé se regarde. Oui, la jupe, c’est mieux. Avec les escarpins noirs. Coup d’œil. Chloé se trouve jolie et attirante. Elle maquille ses yeux et sa bouche. Dernière vérification. Elle claque la porte, le cœur léger. Elle aperçoit son reflet dans la vitrine d’un magasin. Elle se plaît. C’est vaniteux, elle s’en fout. Chloé oublie ses emmerdes, la fatigue et le stress : c’est jeudi soir, elle sort. Se vider la tête et s’amuser.
Dans les couloirs du métro, Chloé croise un homme. Elle ne le regarde pas. Elle a son casque sur les oreilles mais il lui semble bien qu’il baragouine un petit quelque chose à son attention et qu’il se retourne sur son passage. Elle ne réagit pas. Pas la peine de s’énerver pour si peu.
Cinq minutes d’attente. Elle pleure, sa lentille la gêne. Chloé plonge la main dans son sac et en ressort son téléphone. Dans l’écran noir elle examine son œil, essuie d’un doigt le maquillage qui a un peu coulé. Ça va mieux. Elle renifle, range son petit bazar. Un jeune loup la reluque en souriant.
“T’inquiète pas, t’es nickel.
– Non, mais en fait j’avais un truc dans…
– T’inquiète t’inquiète, t’es juste nickel, y a tout qui va bien comme y faut. T’es très jolie.
– Merci.
– Tu vas où là ? Tu sors ?
– Oui, je vais boire un verre avec des copines. Et toi ?
– Pareil, je rejoins des potes. Tu descends où ?
– Poulala, loin ! On va dans le 11e arrondissement.
– Dommage, moi je descends là. Bonne soirée miss !
– Bonne soirée !”
Agréable rencontre. Chloé aime bien les gens. Puis ça flatte son égo, de sentir qu’elle plaît. Elle sort du métro avec un sourire accroché sur le visage. Deux-trois regards s’attardent sur ses jambes, descendent de son visage à ses jambes puis fuient, penauds. Le sourire de Chloé lui remonte jusqu’aux oreilles, elle marche la tête haute. Elle irradie.
Du vin blanc. Chloé observe les gens à travers le cul de son verre, alors que le liquide un peu âcre coule dans sa bouche. Ils apparaissent tout déformés, ça la fait marrer, d’autant qu’elle n’est plus très nette. Une petite blonde complètement saoule qui chancelle sur ses ballerines. Un groupe de mecs qui l’observe en rigolant. Des filles qui la considèrent d’un air navré. Chloé tourne la tête et scrute le fond de la salle. Quelques copains discutent, des pintes de bière à la main. Chloé se dit que celui du milieu est plutôt son genre. Et… Merde, il la regarde le regarder à travers le cul de son verre qu’elle a encore vissé au bec. Elle le pose. Il finit sa bière, se lève et la rejoint.
“Je peux t’offrir un verre ?
– Euh, oui, enfin je sais pas si c’est très raisonnable mais pourquoi pas.
– On s’en fiche un peu d’être raisonnables, non ? Tu veux quoi ?
– Un verre de vin blanc.
– Lequel ?
– Ils n’en ont qu’un.
– Ah, bah comme ça au moins…”
Ils discutent. Enchantée Baptiste, moi c’est Chloé. Tu fais des études de médecine ? C’est super, pendant un temps j’y ai pensé, ma mère est médecin tu vois, mais j’ai peur des piqûres, je peux même pas regarder, alors devenir toubib… Tu veux te spécialiser dans quoi ? La pédiatrie ? Ouais, moi les mômes tu sais… J’aime bien ceux des autres mais ça me paraît tellement lointain ! La maison les enfants le chien… Je me dis que c’est pas de mon âge, j’aime trop ma liberté. Ceci dit j’adore les chiens. Vingt-cinq ans ! Mais t’es plus vieux que moi en fait ! J’ai vingt-et-un ans, je termine ma licence de Lettres. Non, j’ai pas de copain. Et toi ? Ah, d’accord, Monsieur profite de la vie. Si ça me choque ? Non, tu as raison. Boh t’sais, moi aussi, je papillonne un peu, des petites histoires par-ci par-là mais rien de bien sérieux, je veux pas me prendre la tête.
“Bon, je vais rentrer je pense, je bosse demain.
– Tu veux que je te raccompagne jusqu’au métro ?
– Non, t’inquiète c’est pas loin.
– Je reformule : je te raccompagne jusqu’au métro.
– OK.”
Dans la rue, Baptiste prend le bras de Chloé. Ce bras destiné à la soutenir lui ramollit les jambes. Toute flagada.
“Bon, eh bien… Merci de m’avoir raccompagnée, c’était une bonne soirée.
– Oui…”
Chloé se doute qu’il va lui demander son numéro de téléphone. Elle n’y voit pas d’objection. Au contraire. Elle farfouille dans son sac à la recherche de son pass Navigo. Et pour tuer les secondes qui s’éternisent. Enfin, il lui demande s’il peut la revoir. Elle baragouine un “oui” timide et lève les yeux vers Baptiste, qu’elle a senti se rapprocher. Elle l’embrasse doucement et chuchote : “À bientôt alors.” Il fronce les sourcils, se penche et prend sa bouche. Elle se laisse faire, puis se détache doucement.
“C’est tout ?
– C’est tout quoi ?
– Tu me chauffes toute la soirée, tu m’embrasses chastement, un petit bisou hop et tu te casses ?”
Chloé rit. C’est une blague. Non. Elle ne sait pas. Le regard de Baptiste sur elle a changé. Il est dur. Il fixe sa bouche, ses seins. Il la fouille avec ses yeux.
“Ça te fait marrer ?
– Pas vraiment en fait. J’essaye de trouver ça drôle mais j’ai du mal.
– Allez, viens…
– Non, j’ai pas envie.
– T’es sérieuse ? T’as pas envie ? Tes parents t’ont jamais appris à finir ce que tu avais commencé ?”
Baptiste avance, Chloé recule, la barrière qui encadre l’escalier l’arrête. Il se presse contre elle. La barre métallique dans son dos lui fait mal. Il immobilise ses bras, elle sent à quel point il est plus fort qu’elle. Petite, toute petite Chloé si vulnérable soudain…
“Mais j’ai commencé quoi ? Je te dois rien. Tu te prends pour qui ? Arrête, je t’ai rien promis.
– Comédienne. T’es une promesse. Tu vas pas me faire croire que tu sors comme ça, sapée et tout, pour rentrer bien sagement toute seule à minuit et quelques. Allez, arrête de minauder c’est bon, je viens chez toi ?
– …
– … C’est quoi le problème, je te plais pas ?
– Mais… Si, mais c’est pas la question.
– C’est quoi, la question ? Allez putain. Tu vois pas comme j’ai envie de toi ?”
Si, elle voit. Il la serre contre lui, insinue ses mains sous le manteau, palpe les fesses à travers la jupe. Contre son ventre elle sent qu’il bande. Il reprend sa bouche, elle serre les dents quand sa langue tente une incursion.
“Pfff, t’as que de la gueule. Ça m’énerve ces petites Parisiennes qui la jouent pas farouches et se débinent dès que les choses se corsent.
– Mais… Je… Enfin, c’était bien, tu me plais et tout, j’ai adoré parler avec toi… Mais tu vois là comme ça, j’ai pas envie, enfin c’est pas que j’ai pas envie mais…
– Quoi ? T’as peur ? On fait rien de mal hun. C’est bon zen, y a pas de mal à sa faire du bien. C’est tout ce que je veux moi, te faire du bien hun.
– Non mais… Laisse-moi s’il te plaît.
– Quoi, tu pleures ? Pourquoi tu pleures ? Allez, laisse tomber, casse-toi tiens.”
Il s’écarte. Chloé s’enfuie. Alors qu’elle dévale les marches, elle entend Baptiste lui crier : “Ça t’apprendra. T’as pas de l’or entre les cuisses tu sais !”
Assise sur un strapontin, Chloé tire sur sa jupe. Des larmes de rage brouillent sa vision. Elle se sent idiote et coupable.
Chloé est presque arrivée chez elle. Une voiture ralentit pour rouler à sa hauteur. Le conducteur ouvre la vitre.
“Bonsoir ma belle. Tu vas où comme ça ?
– Je rentre.
– Si tôt ? Pourquoi tu fais la gueule ? T’as eu un problème avec ton amoureux ?
– …
– Rôh, souris. Tu dois être tellement plus jolie quand tu souris.
– …
– Dis voir, tu me rendrais pas un petit service par hasard… Tu me ferais pas une petite fellation non ?
– Non merci. J’ai déjà mangé.”