Faut-il bannir le mot «homosexuel»? La question se poserait aux Etats-Unis, comme l’a récemment relevé une chronique du journal romand «Le Temps». La journaliste Rinny Gremaud écrivait qu’une association américaine de défense des gays et lesbiennes américaine venait de déclarer le terme «offensant, et demand[ait] aux médias de bien vouloir cesser de l’utiliser.» A sa place, les mots «gay» et «lesbienne» seraient recommandés. Avec une pointe d’autodérision, la journaliste poursuivait en se posant la question du «jusqu’où s’arrêtera-t-on? tellement typique de la mauvaise foi qui règne dans les milieux hétérosexuels dominants.»
L’article comprenait toutefois une erreur: la disgrâce dont fait l’objet le «H Word» ne date pas d’hier aux Etats-Unis, et l’abandon du mot n’est pas le résultat de l’affreux rouleau compresseur du politiquement correct. En fait, c’est en 2006 que la GLAAD, la Ligue gay et lesbienne antidiffamation, a convaincu l’agence Associated Press de restreindre l’utilisation du mot «homosexual» dans ses conventions de langage, qui font autorité dans la presse anglophone.
En fait, si le sujet a ressurgi, c’est à la faveur d’un intéressant article paru quelques jours plus tôt dans le «New York Times Magazine».
Écho péjoratif
Jeremy Peters y note que «le mot de cinq syllabes n’a jamais été plus chargé, plus délibérément utilisé et, aux oreilles de nombreux gais et lesbiennes, il n’a jamais eu un écho aussi péjoratif qu’aujourd’hui». En effet, les milieux religieux et ultraconservateurs américains ont constamment eu recours à des concepts comme «activisme homosexuel», «mariage homosexuel», voire de «lobby homosexuel» ou de «recrutement homosexuel». Et le professeur de linguistique George P. Lakoff de rappeler l’évidence: «’Gay’ n’utilise pas le mot sexe, ‘lesbienne’ non plus. Et dans ‘homosexuel’ on a aussi ‘homo’, qui est un vieux terme péjoratif. Le terme rend bien l’idée que cette sexualité n’est pas normale, qu’elle va à l’encontre de Dieu».
A présent, l’utilisation du mot «homosexuel» est devenue un indicateur de l’hostilité manifestée dans certains médias envers les droits LGBT. La chaîne Fox, voix de l’Amérique profonde et du Tea Party, a dernièrement été épinglée à ce propos par l’observatoire Equality Matters.
Désuétude
Concrètement, le mot homosexuel tombe progressivement en désuétude. Ses occurrences dans les publications en anglais sont en net déclin depuis un pic d’utilisation en 1995, selon les statistiques de Google Books. Indépendamment du politiquement correct, son abandon semble inéluctable. «Ces changements reflètent toujours un changement de sensibilité, conclut Geoffrey Nunberg, un linguiste de Berkeley. C’est ce qui s’est passé lorsque de «nègre», on est passé à «noir» et à «afro-américain». Les mots deviennent démodés et même s’ils restent neutres, ils trahissent une sensibilité vieux-jeu.»