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Il s’était attiré les foudres des chrétiens fondamentalistes, recevant même des menaces de mort, lorsqu’il avait présenté, en 2011, un amendement à la Constitution brésilienne visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe. Encarté dans l’opposition de gauche à l’actuelle présidente Dilma Rousseff, le député fédéral, ouvertement gay, est issu de la classe populaire.
Né en 1974 dans l’État de Bahia, Jean Wyllys a, de son aveu, vécu la plus grande partie de sa vie en-dessous du seuil de pauvreté. Aujourd’hui élu et enseignant universitaire, il a aussi remporté en 2005 la cinquième saison de l’émission de téléréalité «Big Brother» Brésil. Simple curiosité académique, selon ses dires, puisque son domaine d’expertise porte sur la théorie de la communication. «Je voulais, dit-il, réaliser une étude sociologique sur les mass médias.»
D’ailleurs, Jean Wyllys dénonce aujourd’hui un coup d’État, orchestré par la triade élite politique conservatrice, pouvoir judiciaire partisan et médias de masse. Le dimanche 17 avril, le député d’extrême droite Jair Bolsonaro dédiait son vote en faveur de la destitution de la présidente à la mémoire du colonel Ustra, celui-là même qui avait torturé Dilma Rousseff durant la dictature militaire. Dans la foulée, Bolsonaro proférait des injures homophobes à l’égard de Jean Wyllys…
360° – En tant que membre du parti socialisme et liberté (PSOL) vous êtes dans l’opposition au gouvernement de Dilma Rousseff, néanmoins vous vous êtes farouchement prononcé contre la procédure de destitution qui vient d’être votée?
Jean Wyllys – J’aurais énormément de critiques à faire sur la politique économique de Dilma, parce qu’elle a adopté une politique néolibérale pour satisfaire l’opinion de droite. Tout ça parce qu’elle a une forte opposition, menée par Eduardo Cunha (ndlr: président de la Chambre des députés, ultra-conservateur et évangélique), lequel, en théorie fait partie de la coalition gouvernementale, mais dans la pratique son parti (le parti du mouvement démocratique, PMDB) a saboté le travail du gouvernement. Et, selon moi, la destitution c’est le masque qu’on a donné à un coup d’état organisé par cette droite conservatrice. Dans ce contexte, Dilma a tenté de nommer Lula comme chef de cabinet, et ce faisant, elle a voulu le protéger des allégations arbitraires du juge Moro. Mais elle n’a pas voulu, comme certains le disent, donner l’immunité à Lula, parce que si on arrivait à prouver qu’il est impliqué en quoi que ce soit dans ce schéma de corruption, il serait de toute façon jugé par la Cour suprême. Mais jugé dans le temps des garanties politiques et dans le respect de l’État de droit. Alors que le juge Moro, lui, a violé cet État de droit lorsqu’il a diffusé illégalement dans la presse des écoutes visant à démontrer que la corruption était l’apanage du parti des travailleurs.
– Êtes-vous de ceux qui disent que la procédure de destitution n’est pas légale?
– La question n’est plus aujourd’hui de dire si la destitution s’est faite de manière légale ou non. Le processus d’impeachment est inscrit dans la Constitution, mais la destitution de Dilma a été menée légalement par des personnes corrompues. Parmi les 65 représentants de la Commission organisée pour voter la destitution, 40 sont mis en examen par la justice, dont Eduardo Cunha. Alors que, malgré tous ces mois d’opération Lava Jato (Lavage Express), on n’a encore trouvé aucune preuve contre Lula et Dilma.
«Il faut relativiser l’idée du mariage pour tous comme un droit acté au Brésil.»
– La société brésilienne souffre-t-elle d’une sorte de nostalgie de la dictature militaire?
– Ceux qui sont nostalgiques de ce temps, ce sont les membres d’une élite économique et politique qui a toujours été raciste, sexiste et homophobe, et qui a profité de cette période pour instaurer la corruption dans les arcanes du pouvoir. Donc c’est une certaine frange de la population qui est nostalgique de ce temps-là. Mais ce temps ne reviendra jamais, parce que, malgré la destitution de Dilma, ses idées sont irréversibles et on continuera de lutter pour la liberté, pour la justice et pour un monde où les richesses sont moins concentrées qu’aujourd’hui.
– Quels sont les combats que vous menez aujourd’hui?
– Il reste évidemment beaucoup de choses à faire. D’abord, il faut relativiser l’idée du mariage pour tous comme un droit acté au Brésil. Si on a le droit au mariage, c’est grâce à une résolution du Conseil national de justice qui interdit de refuser la conversion d’une union stable en mariage. Cependant, le code civil n’a toujours pas été modifié, donc malgré les décisions en faveur du mariage pour tous, nous restons dans une situation d’insécurité. Par ailleurs, les représentations sociales autour de l’homosexualité sont encore très négatives, l’homophobie, la lesbophobie et la transphobie sont une réalité. Enfin, avec 200 cas par ans, on peut dire que le Brésil reste parmi les pays où il y a le plus de meurtres motivés par l’homophobie.
Peut-on concilier islam et homosexualité? Telle est la question qui taraude le cinéaste, journaliste et universitaire, Parvez Sharma. Dans son premier film, «A Jihad For Love» («Un combat au nom de l’amour») en 2007, il avait notamment recueilli les témoignages de Mushin Hendricks, un imam sud-africain contraint de démissionner de ses fonctions suite à son coming-out, mais aussi de jeunes égyptiens réfugiés en France, ou encore un couple de femmes en Turquie…
Avec «A Sinner in Mecca» («Un pécheur à La Mecque»), Parvez Sharma livre un documentaire subjectif sur le hadj, le cinquième pilier de l’islam que tout bon musulman, s’il en a les moyens, doit effectuer au moins une fois dans sa vie. Tourné en septembre 2011, dix ans après les attentats de New-York et sept mois après le début des printemps arabes, le film critique avec force le wahhabisme, la religion d’État depuis 1926 en Arabie saoudite, où s’applique la peine de mort pour les homosexuels. Défiant aussi l’interdiction de filmer dans les lieux saints, le pèlerin réalise, avec son iPhone et deux petites caméras cachées, des images rares, sans complaisance. Pour l’auteur, «A Sinner in Mecca» se veut un électrochoc pour inciter à une « réforme » de l’islam.
360° – Vous êtes allé au devant du danger pour réaliser «A Sinner in Mecca». Pourquoi avoir pris autant de risques?
Parvez Sharma – C’est d’abord un pèlerinage que je voulais faire en tant que musulman, pratiquant et fidèle à la tradition. En tant que cinéaste et activiste de la réforme de l’islam, il était important pour moi de défier les autorités saoudiennes. Parce que depuis trop longtemps, la dynastie saoudienne tente d’exporter son modèle basé sur les préceptes de l’islam wahhabite qui datent du XVIIIe siècle. Aujourd’hui, les racines de l’idéologie de l’Etat islamique, mais aussi d’Al-Qaïda, sont issues de l’islam wahhabite. Et cet islam conservateur et rétrograde s’exporte dans le reste du monde musulman, notamment en Inde où j’ai grandi. Réaliser ce film à la Mecque, ce que j’appelle le Ground Zero de l’islam, lui donne toute sa puissance, parce que je montre aussi comment l’Arabie saoudite s’est construite sur les ruines de l’islam. Aujourd’hui, c’est le règne des hôtels de luxe et des centres commerciaux, une sorte de Mecca Vegas bâtie par un régime qui a définitivement massacré plus de quatorze siècles d’histoire de l’islam.
– En quoi cette posture de critique à l’intérieur du système est-elle importante?
– À l’aune du XXIe siècle, j’ai toujours pensé que le plus difficile pour les croyants serait de se battre sur le terrain de la religion. Et le plus important, c’est que les croyants, eux-mêmes, trouvent la force de réformer leur propre religion. Le changement dans l’islam viendra de l’intérieur et j’espère que d’autres musulmans, parce que je ne suis pas le seul, continueront à débattre sur la place que l’islam doit avoir dans leur vie, dans leurs nations et dans le monde. En ce qui me concerne, du fait d’avoir accompli ce pèlerinage, je suis aujourd’hui un hadji, donc j’ai acquis la légitimité nécessaire pour faire partie du changement.
– Le film pose essentiellement la question : «peut-on à la fois être gay et musulman?» Apparemment la réponse est oui?
– Je pense que la question centrale du film c’est la guerre de l’islam contemporain avec lui-même. Personnellement, lors de ce pèlerinage à la Mecque j’étais déjà depuis longtemps affirmé dans ma sexualité, donc la question de mon homosexualité n’était pas un enjeu. Ce sont les doutes et la question de mon appartenance à l’islam qui m’ont poussé à ce voyage.
– Combien de temps a duré ce voyage? Et comment avez-vous terminé le film?
– Le hadj lui-même ne dure que cinq jours, mais je suis resté en Arabie saoudite durant un mois. A mon retour, je suis allé à New Delhi pour monter le film. Le montage et toute la post-production ont duré pratiquement un an. C’était mon pèlerinage en Inde. Là aussi, j’ai dû vivre caché parce qu’il faut rappeler que l’Inde de Narandra Modi n’est pas la plus hospitalière pour un cinéaste comme moi. En Inde, ni les gays, ni les musulmans ne sont particulièrement bienvenus. Cependant, j’avais besoin de me sentir chez moi pour terminer ce film.
«A Sinner in Mecca» – Haram Films, 2015. Plus d’infos : Asinnerinmecca.com
On s’attendait à ce qu’elle nous en impose mais, devant son thé à la menthe, Virginie Despentes abandonne rapidement son aura d’agitprop revêche. Tout juste intronisée au sein du jury du prix Femina, celle qui avait suscité la polémique en 2000 avec l’adaptation au cinéma de «Baise-moi» s’exprime d’une voix douce, presque intérieure. A 46 ans, la figure de proue du féminisme trash ne veut plus parler du même sujet à longueur d’interviews. Pourtant, en 2006, elle publiait «King Kong Théorie», un manifeste coup-de-poing, et réalisait, en 2009, un documentaire sur le féminisme post-porn, intitulé «Mutantes». Prix Renaudot avec «Apocalypse bébé» en 2010, elle nous baladait au cœur de Barcelone, la ville où elle a observé l’ascension démocratique du mouvement des Indignés, à travers le parti de la gauche radicale, Podemos.
Récemment, elle signait une tribune dans les «Inrockuptibles» pour saluer leur avancée lors des municipales de mai. «Parce que ça nous montre qu’on peut faire de la politique autrement», dit-elle. «C’était un moment émouvant, et je n’ai pas vraiment l’habitude d’être émue par des élections.» A Paris, Virginie Despentes nous entraîne dans le sillage de Vernon Subutex, possesseur des bandes vidéo de l’ultime interview d’Alex Bleach. Juste avant sa mort, la star du rock a enregistré un message posthume. Et dès le premier tome tout le monde en prend pour son grade, prolos, fachos, bobos, cathos… Tandis que le second tome culmine dans une sorte de hurlement de meute animiste et cyberpunk.
– Déjà dans «King Kong théorie», tu évoquais ton travail en tant que disquaire à Lyon, chez Attaque Sonore…
– Oui, et le personnage de Vernon Subutex vient de cette expérience. Ça a été quatre ans de ma vie, entre 18 et 22 ans, donc ce sont des années qui comptent triple ou quadruple. Alors disquaire, c’était fondateur, un peu comme des années étudiantes.
«Je ne crois pas trop au côté thérapeutique de l’écriture…»
– «King Kong théorie» était un livre sur le féminisme, plutôt véhément. Est-ce que tu es toujours animée par cette colère?
– Je ne crois pas trop au côté thérapeutique de l’écriture, mais après ce livre, je constate qu’il y a des choses auxquelles je pense moins. Par exemple la figure du viol qui habitait spontanément tout ce que j’écrivais. Mais, oui, j’ai toujours la même véhémence, voire même peut-être plus parce que je n’ai pas la sensation que ça aille uniquement en s’arrangeant. C’est comme s’il y avait plusieurs niveaux. Sur certains plans on est mieux qu’il y a vingt ans, on est plus ouverts, on est plus libres, et sur d’autres plans on recule encore plus…
– En tout cas, «King Kong Théorie» donne des clefs pour mieux appréhender tes autres écrits?
– Oui, je pense que ce livre a permis à beaucoup de gens de comprendre ce que j’avais fait avec «Baise-moi», avec «Les Chiennes savantes», ou ce que j’ai essayé de faire en général. C’est un moyen de comprendre où je voulais en venir et d’où je partais. Ce qui m’est arrivé, mais aussi ce à quoi je m’étais intéressée pour avoir ces réflexions là, parce que je n’étais pas toute seule dans mon coin à penser qu’il y avait un autre féminisme possible. Un féminisme qui prend en compte la parole des filles qui se prostituent et qui veulent pouvoir se prostituer dans de bonnes conditions.
– Dans «Vernon Subutex», il y a un certain cynisme et une tendresse pour les personnages. Tout ça traité avec un humour caustique…
– Je suis contente quand les gens remarquent que c’est drôle, parce que j’essaie que ça le soit. Mais vu que je ne suis pas très optimiste, pour les gens qui ne sont pas sensibles à cet humour, ça doit être assez sinistre. En effet, le constat n’est pas particulièrement réjouissant. Ce serait compliqué de dresser un autre constat. Si tu es programmateur informatique ou scientifique, tu peux te dire qu’on vit une époque formidable, mais si tu es juste un artiste ou quelqu’un d’un peu basique économiquement, je ne vois pas comment tu peux dire que tout va bien.
– Est-ce que tu dirais que «Vernon Subutex» s’inscrit dans une hyper-modernité?
– Dans la forme, non, parce que l’écriture reste classique. Mais c’est un roman très traversé par les technologies, les réseaux sociaux, et par des craintes contemporaines… Donc oui, cette peur de finir à la rue, c’est quelque chose d’assez nouveau pour les gens intégrés socialement.
– Est-ce que tu penses en termes d’adaptation cinématographique au moment de l’écriture?
– Non, même si j’aimerais bien que quelqu’un adapte «Vernon». Mais ce qu’on peut faire dans un roman, c’est tout ce qu’on ne peut pas faire dans un film, notamment tous les flashbacks et les retours au présent, donc je sais que je n’ai pas simplifié les choses pour une adaptation au cinéma.
– En tant que réalisatrice, tu as des projets?
– Oui, j’ai très envie de tourner un documentaire et une fiction. Le documentaire je le ferai sans doute quand j’aurai terminé le dernier tome de «Vernon». Mais la fiction ça fait peur parce que c’est tellement difficile à financer. «Bye Bye Blondie» a mis sept ou huit ans à se faire, du coup je me demande si j’ai envie de repartir dans une aventure aussi longue. Mais j’ai un projet, et je sais que je vais avoir un mal de chien à le financer, même s’il n’est pas cher, parce que c’est un truc à la con, comme j’aime bien: un film d’aventure avec des filles tatouées et des motos…
– «Vernon» est aussi un roman qui convoque beaucoup d’écrits…
– Oui, de Bukowski à Fante, ou Selby, et même Chandler parce qu’il y a aussi un côté polar dans «Vernon». Je suis une lectrice, donc je restitue inconsciemment ce que j’ai lu.
– Et Houellebecq?
– Houellebecq aussi, mais j’ai l’impression qu’on est sur le même axe à deux endroits différents.
«Daniel Darc, comme Guillaume Dustan, ce sont des gens qui avaient une vraie intensité quand tu les rencontrais, et maintenant j’ai une impression de vide»
– Le personnage d’Alex Bleach a l’air d’une espèce de démiurge, à la fois disparu et très présent?
– C’est vrai qu’on peut voir Alex Bleach comme un dieu… Mais les chanteurs sont des morts-vivants absolus, encore plus que les stars de cinéma à mon avis. Et l’idée de ce qu’on fait avec les morts, les absents et le passé traverse aussi tout le livre. La mort de Daniel Darc est survenue pendant l’écriture de Vernon et ça m’a beaucoup marquée. Je ne le connaissais pas très bien, mais je l’ai souvent croisé à Paris, c’était comme un repère. Pareil pour Guillaume Dustan, ce sont des gens qui avaient une vraie intensité quand tu les rencontrais, et maintenant j’ai une impression de vide. J’aimerais bien savoir ce que Dustan ferait aujourd’hui. Qu’est-ce qu’il aurait pensé des attentats du 7 janvier? Est-ce qu’il serait au Front National? Est-ce qu’il se serait converti à l’islam? Tout était possible avec lui.
– Tu montres beaucoup d’empathie pour le personnage de Loïc, militant d’extrême droite.
– Loïc est l’un des personnages les plus proches de beaucoup de gens que j’ai connus et que j’ai vu changer. Ce sont des gens que j’aime bien, et je ne peux pas dire que je ne les aime plus, parce que ce qu’ils disent aujourd’hui ne me plaît pas. Ça viendra, mais pour l’instant, je regrette de les voir changer comme ça.
«Pourquoi est-ce que tu ne serais pas raciste, de droite, ultralibéral et que tu n’aimerais pas le pouvoir sous prétexte que tu es gay?»
– Que penses-tu des gays qui rejoignent le Front national?
– Ça, on ne s’y attendait pas, et en effet, il y en a plein ! Mais au fond, pourquoi est-ce que tu ne serais pas raciste, de droite, ultralibéral et que tu n’aimerais pas le pouvoir sous prétexte que tu es gay? Il y a aussi beaucoup de gens qui ont rejoint le FN par ambition, parce qu’ils ont besoin de cadres et c’est le seul parti où on peut gravir les échelons rapidement. Et puis le outing de Philippot, il me semble que ça leur permet de dire en filigrane que le FN est le premier parti gay de France. Mais ça me fait la même chose quand je vois certains juifs et arabes commencer à travailler avec le Front National. Pour moi, il y a une naïveté. J’ai du mal à croire que le FN va muter au point de faire cette alliance entre les gays, les rebeus, les feujs et les intégristes cathos qui sont quand même le cœur du Front national.
– Dans «Vernon», il y a un passage où tu écris: «Dans moins de dix ans les mères la pudeur ne procréant plus que par insémination artificielle, il n’y a que comme ça qu’elles se sentiront protégées de la saleté que représente la sexualité»…
– Oui, c’est Antoine qui dit ça. A mon avis, il y a aujourd’hui dans la tête de certains jeunes un dégoût de la sexualité féminine qui vient de la possibilité de faire un bébé sans avoir de relations sexuelles. C’est une façon de devenir mère sans passer par la saleté, un peu comme la vierge Marie… des mères immaculées.
– Et que penses-tu de la GPA?
– C’est compliqué, je pense qu’il faut demander aux mères porteuses. Si toutes unanimement disent que c’est une horreur, je pense qu’il faut arrêter. Mais si elles disent que c’est un bon job, bien payé, c’est comme la prostitution, tu loues ton corps et c’est une question de tarif. En tout cas ce qui est sûr pour la GPA comme pour le reste, c’est que les familles traditionnelles n’ont pas de conseils à nous donner. Parce que dans l’ensemble, elles sont totalement dysfonctionnelles, donc elles ne peuvent pas se tourner vers les autres en disant: «vous devez faire comme nous, parce que chez nous c’est trop génial…» Non, chez vous c’est pas génial!
– Alors est-ce que tu t’es assagie?
– Oui, j’ai senti à un moment qu’il fallait que je change de politique sinon je n’allais pas aimer ce qui allait se passer. Il y a des gens qui ont plus de résistance, d’autres qui ont plus d’équilibre dans le déséquilibre. Moi, j’avais plutôt intérêt à me calmer.
– Aujourd’hui quelle est la question à ne pas te poser?
– Est-ce que je suis toujours avec Paul Preciado*? ça c’est une question que je n’aime pas.
– Quelle est la question que tu aurais aimé que je te pose?
– Tu viens fumer un pétard avec moi?
«Vernon Subutex» – Tome III, à paraître chez Grasset.
*Philosophe transgenre, Paul B. Preciado est notamment l’auteur du «Manifeste contra-sexuel» (Diable Vauvert, 2011)
«Ici la voix», dit Scarlett Johansson dans le film «Her», en s’adressant à Joaquin Phoenix transi d’amour, mais seul au milieu de son loft. Troublant objet de désir que le corps transparent d’Ava, le robot d’«Ex Machina». Alors que parmi les technopères, certains prônent déjà le mariage mixte entre humains et robots d’ici 2050, les scientifiques, Julian Savulescu et Anders Sandberg, eux, étudient l’usage de psychotropes pour réguler nos fonctions cognitives. Le but? Maîtriser les émotions qui nous fragilisent afin, notamment, d’éviter la dépendance à l’autre, qu’il soit robot ou humain. Dans son essai, Sex and the Posthuman Condition (Palgrave Pivot, 2014), Michaël Hauskeller, universitaire au Royaume Uni, parle des «anti-love technologies» comme un moyen de changer son orientation ou ses préférences sexuelles, selon qu’on les considère comme toxiques ou bénéfiques.
Pour le philosophe abolitionniste David Pearce, il faut éliminer la souffrance par tous les moyens existants et à venir. Exit l’amour, pourvu que ce soit l’orgasme ultime. Ainsi le bioéthicien, James Hughes, nous promet des changements de sexe versatiles et ludiques. Pourquoi, selon lui, se contenter d’une simple amélioration cosmétique, alors que nous pourrons modifier nos zones érogènes pour en décupler les sensations, et même concevoir des organes sexuels totalement nouveaux?
self-service
Les spéculations transhumanistes véhiculent l’idée que la machine agira à l’intérieur du corps humain et pourra même le phagocyter. Le mind-uploading étant l’avènement qui consacrera l’immortalité, prévue pour 2045. Parlant d’existence sérielle, Michaël Hauskeller analyse le fantasme de la duplication de soi comme la solution à l’un des dilemmes de l’Humanité: la peur des autres et la peur de la solitude. N’étant pas tout à fait un autre, notre alter-ego n’est plus envisagé comme une menace. N’étant pas tout à fait soi, nous l’accepterions plus volontiers, à partir du moment où notre avatar se dissimule sous le masque de l’autre. Par conséquent, l’hédonisme et la jouissance absolue du projet transhumaniste ne seraient rien moins que de l’onanisme.
«Dans tous les cas, précise Hauskeller, avoir des relations sexuelles avec un robot, une sexdoll, ou un dispositif permettant l’illusion d’une relation avec une entité différente de soi, revient à pratiquer la masturbation.» Ces sextoys grandeur nature seront par ailleurs programmables pour être aussi docilement récalcitrants que serviles. Pour Vincent Menuz, docteur en biologie, chercheur associé au groupe Omics-Ethics et cofondateur de NeoHumanitas à Genève, «l’un des problèmes de l’affection que certains projettent déjà sur des robot sexuels, c’est la non-réciprocité.» Selon lui, sans réciprocité, il s’agit d’un rapport de subordination, assimilable à de la prostitution…
LOST IN TRANSITION
Militante pour la liberté morphologique et présidente de Humanity+, Natasha Vita-More déclarait dans un entretien à «Vice»: «L’humain du futur doit pouvoir être un mâle ou une femelle, ou un mâle et une femelle, il peut être androgyne, aucun des deux genres, ou encore une combinaison des genres.» Pionnière, la femme d’affaires américaine, Martine Rothblatt effectue son changement d’identité en 1994. L’auteure de L’Apartheid des sexes – Un manifeste pour la liberté de genre a par la suite lancé le mouvement transhumaniste Terasem et créé sa propre entreprise pharmaceutique, United Therapeutics Corp. Pourtant, Michaël Hauskeller l’affirme: «Nous sommes loin des possibilités infinies de modifications de genre décrites par James Hughes.» En revanche, le corps et la manière dont nous l’appréhendons a priori comme une erreur de la nature sera l’un des enjeux majeurs de la société posthumaine. Hauskeller confirme: «Le storytelling propagé par les fervents laudateurs de l’Humanité augmentée va dans ce sens, et je pense que nous allons vers une contrôle accru du corps et, par conséquent, de nos vies.»
Face aux géants du numérique (Alphabet ex-Google et Apple en tête), lancés dans la course au Big Data et la révolution des NBIC (la convergence entre les nanotechnologies, les biotechnologies, l’intelligence artificielle et les sciences cognitives), le changement de paradigme s’accompagne déjà de mouvements contestataires et dissidents, bioconservateurs, body hackers, gender hackers, etc. Bientôt, il faudra choisir son camp.
Qu’est-ce que le transhumanisme?Le transhumanisme est un mouvement de pensée en provenance des pays anglo-saxons, qui prône l’usage des technologies pour améliorer l’Humain, avec pour objectif l’immortalité. Selon Vincent Menuz, cofondateur du think tank NeoHumanitas à Genève, la transhumanité c’est le passage où l’être humain en tant qu’espèce se transforme pour tendre vers le posthumain.
Maria Beatty commande un verre de vin avant d’égrener ses confidences. Blonde au regard d’ange bleu, elle a tourné son premier film en 1989. A cette époque, le féminisme pro-sexe commence à grignoter la grosse pomme, et Maria suit de près le mouvement qui se déclare avec Judith Butler, Carol Queen ou Candida Royalle. «Il y a aussi une posture politique dans mon travail», lance-t-elle. «En montrant comment les femmes peuvent disposer librement de leur corps, je témoigne de cette prise de pouvoir.» Avec l’actrice Annie Sprinkle, elle a réalisé un film pédagogique, «Sluts and Goddesses» (1992) qui prône l’empowerment et la liberté sexuelle. «Il y avait un besoin d’exprimer quelque chose par le corps, une énergie qu’il était impossible d’ignorer à New York. Je fréquentais The Hellfire et Pandora’s Box, des clubs où s’organisaient des soirées BDSM pour les filles.» Au même moment, elle pose ses valises au Chelsea Hotel. Elle y tournera «The Black Glove» (1996), un film culte dans lequel elle se soumet aux désirs de Maîtresse Morgana. «J’adore être malmenée dans tous les sens par de magnifiques créatures», dit-elle avec malice. «Mais on le sait tous, la soumission ce n’est ni plus ni moins que la domination suprême!» Il y a d’ailleurs un besoin obsessionnel de contrôle chez elle. De l’image au son, Maria maîtrise tout d’une main de fer… dans un gant de latex.
360° – Comment est né le projet du film, The Black Widow?
Maria Beatty – «The Black Widow» est un film assez cathartique. J’ai perdu plusieurs personnes de mon entourage ces deux dernières années, et notamment mes parents. Alors, j’ai eu envie de réaliser un travail sur les liens entre la mort, le deuil et l’érotisme. Ça m’a permis de traverser ce tunnel, c’était une sorte de convalescence. D’ailleurs maintenant je suis en pleine forme. Et puis à Paris, j’ai quelques French lovers qui sont fantastiques, donc je n’ai plus de chagrin!
– Pourquoi avoir utilisé des symboles religieux, comme lors de la fessée avec un crucifix?
– C’est une métaphore irrévérencieuse et provocatrice. C’est la première fois que j’utilise ces motifs qui sont assez évidents dans le SM, mais là, ça fonctionne bien. Ces icônes ont un pouvoir totémique et je trouve que ça va bien avec l’idée de l’outrage, de la torture…
– Beaucoup de vos films sont muets…
– Oui, je trouve que l’absence de dialogues crée un mystère, une atmosphère étrange qui laisse une plus grande part d’interprétation au spectateur. Ça laisse la porte ouverte à l’imaginaire. Mais il y a toujours un gros travail de sound design. Les reliefs, les textures, la musique renforcent l’émotion, les sensations. Là, j’ai voulu une musique très mystique, qui donne le sentiment de s’élever.
– Qu’est-ce que signifie «Erotic Noir»?
– Je trouve que c’est le terme qui décrit le mieux mon travail, même si parfois j’explore aussi des pratiques plus hardcore entre filles, comme dans le film Post Apocalyptic Cowgirls. Celui-là c’était un peu mon côté punk, grunge… The Black Widow est plus onirique, plus sensuel, c’est le versant gothique. Tout dépend de l’humeur.
– Quel est votre type de femmes?
– Je les aime félines et froides, calculatrices et subversives! Il faut qu’elles te donnent le sentiment d’être une toute petite chose.
– Et comment dirigez-vous vos actrices?
– I have a casting couch! (Rire). Les filles travaillent au feeling, je ne fais jamais de répétitions. Il y a une grande part d’improvisation, de spontanéité. Donc forcément pour que ce soit bien, il faut qu’il y ait de la complicité et une certaine alchimie entre elles.
– Quels sont vos projets?
– En ce moment, je tourne un film avec des performers transgenres, gays et lesbiennes. J’ai été inspirée par «Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant» de Peter Greenaway. Il y aura une scène de banquet, avec orgie de nourriture et d’alcool. C’est une bacchanale qui montre comment le désir peut s’exprimer à travers la gourmandise, le goût des autres, voire l’anthropophagie. Autrement, je retourne à New York dans un mois pour une scène de bootcamp. Et ça c’est très politique pour moi! Parce que c’est nouveau de montrer des femmes en chaleur dans un camp militaire.
– Quelle est l’atmosphère à New York en ce moment?
– C’est la terreur! La peur du terrorisme. L’Amérique a besoin de changement. Hillary Clinton sera probablement la première femme présidente. En tout cas, elle a une bonne équipe de campagne… Son mari? (Rire). Un film avec Hillary Clinton et Marine Le Pen, ce serait hot, non? Mais laquelle des deux dominera l’autre, telle est la question…
The Black Widow, 2015 avec Aj Dirtystein, Ardiente de la Huerta, Yumie Volupte et Rosebutt musique de Charly Voodoo Plus d’infos: bleuproductions.com