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Outrageusement encagoulé et pustulé de sequins brodés de la tête aux pieds, Leigh Bowery fait une entrée chaloupante et remarquée dans le champ de la caméra de la BBC. La porte à tambour d’un grand restaurant londonien fait surgir comme par magie la sidérante apparition qui s’assied nonchalamment à une table et entame une conversation alambiquée avec son interlocutrice médusée. Extrait du programme culte «The Clothes Show», cette scène mythique semblant issue d’un futur improbable où toutes les drag-queens vénusiennes auraient leur place dans la vie quotidienne date pourtant de trois décennies. L’hallucinante créature est le fruit du travail d’un artiste polymorphe ayant poussé jusqu’aux extrêmes les plus impensables le jeu de l’apparence théâtralisée du travesti night-clubber.
Cette agile manœuvre de réalité augmentée a donné naissance à un personnage des plus fascinants, proche du delirium tremens. D’origine australienne, Leigh Bowery choisit rapidement Londres, plus adapté à son rythme de vie effréné, puis par extension New-York alors que la vague Nu-Rave bat son plein et qu’il en devient rapidement l’un des symboles les plus prodigieux. Unanimement cité en tant que la référence ultime par une majorité d’artistes et créateurs anglo-saxons tels que David Lachapelle, Alexander Mac Queen, Boy George, John Galliano, Lady Gaga, Vivienne Westwood ou The Scissor Sisters, il n’y aura pas eu d’équivalence aussi fantasque dans ce domaine suite à son décès en 1994. Jonglant avec dextérité entre art, performance, mode et clubbing, chacune de ses apparitions est plus tonitruante que la précédente.
par Fergus Greer (1991)
Investiguant les codes sociaux en vigueur de façon bien plus approfondie qu’il n’y paraît au premier abord, Leigh Bowery transcende tout ce qu’il touche. A commencer par son physique imposant, qu’il met joyeusement en valeur, moulé dans des combinaisons intégrales ou dégoulinant de cascades de peinture multicolore, engoncé dans un cocon entrelacé de chaînes dignes de Houdini et allant jusqu’à punaiser ses fameux masques en latex sur son visage et devenir ainsi un authentique monument vivant. Modèle iconique du peintre Lucien Freud, danseur et costumier de la compagnie de danse dadaïste Michael Clark, il fait aussi quelques apparitions remarquées dans des vidéos underground et ouvre le bien-nommé Taboo, le club hédoniste le plus délirant de Londres en pleine explosion ecstasy.
Art performatif
Leigh Bowery est également l’un des membres les plus éminents du mouvement artistique Tranimal qui apporte à la pratique drag une approche post-moderne volontairement cauchemardesque. Dans cette même lignée se situent également le créateur drag du mouvement, Jen Ben Jones, le jeune Matthew Sanderson ou la photographe américaine transformiste Cindy Sherman ainsi que toute une scène située principalement sur la West Coast, très bourgeonnante à l’heure actuelle. Quant à la performance artistique la plus aboutie de Leigh Bowery, interrogeant aussi bien la peinture classique que le voyeurisme primaire, elle date de 1988, période à laquelle il fut remarqué par la galerie Anthony d’Offay ayant pignon sur rue à New Bond Street. Il s’y enferma durant une semaine, séparé du public par un miroir sans tain encadré à la façon d’un tableau, prenant la pose figé sur une causeuse à la façon d’une Odalisque semblant tout droit sortie d’un trip lysergique à la Jodorowsky.
par Nick Knight (1992)
Statique, tel une poupée de cire, il change de pose comme un automate en affectant des minauderies au ralenti, parfois des mimiques plus explicites, dans le plus pur style performatif. Ses looks ahurissants passent de l’intégral polka dot rouge et blanc (visage inclus) à mi-chemin entre une varicelle d’opérette matinée de Yayoi Kusama, le tout orné d’un brushing au bigoudi, en passant par une divinité hindoue hirsute au visage bleu, piercée de chaînes nasales, emmitouflée dans un manteau ressemblant à une toile d’araignée. Et chaque dégaine plus invraisemblable l’une que l’autre se suit sans se ressembler. L’action encadrée par la pénombre est très justement éclairée par une poursuite ajoutant une touche théâtrale supplémentaire à la performance.
Le côté voyeuriste dans lequel le public est projeté malgré lui est magistral. Projet puissant et inégalable, il explore simultanément les frontières entre bienséance et impudeur, mascarade et mise à nu, culture classique et nouvelles esthétiques. Chacun s’y retrouve, le tout enrubanné en mode burlesque, cela aidant à faire passer la pilule. Ainsi, voyeurs, anthropologues, visiteurs d’un zoo ou d’un peep-show, chacun se retrouve à sa façon intensément happé par la fantaisiste machinerie exhibitionniste mise en place par le génial Leigh Bowery.
» A voir: «The Legend of Leigh Bowery», documentaire de Charles Atlas
L’artiste français Brice Dellsperger développe depuis 1995 une série d’œuvres vidéo numérotées produites selon un principe de remakes de scènes mythiques de l’histoire du cinéma, passées à la moulinette du transgenre. Sous le titre générique de «Body Double» – emprunté à Brian de Palma – les doublons mis en scène par Brice Dellsperger fonctionnent comme des superpositions étranges ou plus précisément de nouvelles versions décalquées et travesties, s’entremêlant à l’original jusqu’à l’obtention d’un véritable ovni hallucinatoire.
L’artiste revisite de manière fragmentaire les styles de ses cinéastes favoris, en y ajoutant une touche à la fois décalée et kaléidoscopique, construisant ainsi une nouvelle œuvre iconoclaste, doublée d’une pratique parallèle du cinéma. Son travail est une sorte d’«objet filmique non-identifié» au croisement du cinéma, des arts plastiques et de la performance, fonctionnant tel une mise à nu explosive du film original. La dimension toute particulière qu’il apporte en questionnant l’inconscient collectif à travers ce remodelage déconcertant réside principalement dans son habileté à brouiller les frontières.
Cultures marginales
Au-delà de la dérision et des jeux entre bon et mauvais goût, plagiat et réappropriation, sa démarche endosse une véritable dimension intime et politique unique en son genre dans le paysage artistique contemporain, et plus spécialement tout ce qui touche à des cultures marginales relatives aux diversités sexuelles. Ses partis pris esthétiques et son goût pour l’imaginaire hollywoodien autant que pour les clichés majeurs du glamour ont généré une mythologie personnelle teintée de make-up et de paillettes.
Brice Dellsperger fait de la vidéo en version «drag- queen du cinéma» à travers laquelle il adopte la posture du travesti pour mieux bousculer les stéréotypes en vigueur. Avec un sens assumé du bricolage, il reconstruit les décors, remixe les bandes-son originales, réinvente des détails ou bouleverse le montage, mais conserve toujours fidèlement la trame dramaturgique et émotionnelle du film de référence au centre de la narration. Il explique volontiers le principe: «Mon rapport au film d’origine est très simple. Je décortique l’image afin de pouvoir la reproduire dans son aspect visuel le plus exact possible. Cependant, cette pratique induit ses propres limites puisque j’obéis au cadrage décidé par le réalisateur, loi qui dicte finalement toute vision cinématographique. Les effets de perte et de décalage générés par ma copie sont le but de l’opération. Ainsi, on pourrait se demander pourquoi j’ai décidé de conserver tel ou tel détail de l’image alors que d’autres sont atténués ou disparaissent. C’est justement cette notion du balayage visuel des spectateurs qui butinent dans l’image en se souvenant uniquement de certains détails que je cherche à mettre en exergue, puisque le postulat de départ des films «Body Double» est avant tout un concept: celui du remplacement des éléments d’un film par un corps étranger au film.» Et la recette, troublante au possible, fonctionne.
charismatique et déglinguée
Systématiquement, les Body Double reprennent la structure narrative des originaux, les cadrages, le montage, l’éclairage, la durée des plans et le jeu des acteurs au plus proche. La valeur ajoutée réside dans l’incorporation de distorsions qui font de ces vidéos des commentaires critiques sur le cinéma à partir du dévoilement et du pervertissement de ses mécanismes. Brice Dellsperger singe plus qu’il ne cite et une grâce indicible émane de son étrange univers hybride. C’est une histoire parallèle du cinéma qu’il déroule, investigant tous les ressorts et les recettes du grand écran, de l’acteur au trucage, du film d’auteur au blockbuster, du film original au remake. Par la reprise des rôles – à la limite du karaoké – tout en conservant la structure originale intacte, il fabrique un «cinéma de l’anomalie visuelle» dans lequel son interprète fétiche et artiste iconique, l’inénarrable Jean-Luc Verna, occupe une place de choix et crève l’écran en drag queen charismatique et déglinguée. Parmi les heureux élus ayant déjà été ré-interprétés on trouve de très nombreux films de Brian de Palma dont logiquement «Body Double»; mais aussi «Psycho» de Hitchcock; «My Own Private Idaho» de Gus Van Sant; «L’important c’est d’aimer» de Zulawski (dans lequel J.L. Verna incarne la totalité des rôles) ou «Orange mécanique» et «Eyes Wide Shut» de Kubrick; «Hollywood – Babylon» de Kenneth Anger sans oublier «Basic Instinct», «Saturday Night Fever» et «Twin Peaks», entre autres artefacts produits à ce jour. En tout plus d’une trentaine de puissants flashes d’adrénaline à savourer sans modération, dont plusieurs cycles ont déjà été proposés du MOMA de New-York au Centre Pompidou de Paris en passant par Art Unlimited à Art Basel.
Brice Dellsperger fait donc indéniablement partie du panthéon des quelques artistes contemporains ayant bousculé sans demander pardon les codes du cinéma: son esthétique, sa grammaire, son rôle d’outil de représentation du monde actuel. Provenant d’un univers souvent représenté sur un mode caricatural, son regard transformiste aborde frontalement des questions de genre, de goût, d’esthétique et de hiérarchie de valeurs avec une honnêteté désarçonnante qui provient de l’underground dans sa forme la plus authentique. Et lorsque les maîtres commencent à s’inspirer à leur tour de leurs élèves les plus affranchis, tout se dédouble à nouveau dans la grande arène cinématographique, et la boucle se déboucle, comme tel est peut-être à l’origine le but du jeu «Body Double».
Ils se sont rencontrés en 1967 et ont décidé de poursuivre ensemble leurs études entamées séparément à la très renommée St Martin’s School of Art de Londres. C’est là que Gilbert Prousch et George Passmore vont se découvrir, s’associer et surtout s’aimer pour la vie. Forts de ce coup de foudre intégral, ils font des coudes pour se faire accepter – non sans difficultés – en tant que couple d’artistes et mettent alors en place ce qui deviendra un projet au long cours, unanimement salué aujourd’hui encore. Leur concept est simplissime mais il détonne pourtant sans aucun égal dans le paysage artistique de la fin du vingtième siècle. Debout sur une table, vêtus à l’identique du même complet veston étriqué à trois boutons, d’une chemise blanche et d’une cravate, ils vont réaliser des performances qui resteront gravées dans les annales. Ils opèrent aussi bien dans les musées que dans les bouches de métro et chantent avec le plus grand sérieux des airs populaires anglais empruntant leur répertoire au music-hall poussiéreux. L’un tient à la main une paire de gants, l’autre un parapluie. Lorsque le refrain s’achève, ils échangent leurs accessoires puis reprennent en chœur leur petite ritournelle, tels des automates. Et ainsi de suite, pendant des heures.
Très vite, les duettistes vont attirer l’attention du public car ils viennent de mettre au point un concept génial: l’œuvre d’art, c’est eux! Abolissant toute distance entre l’artiste et l’œuvre à proprement parler, ils s’autoproclament «sculptures vivantes» et à partir de 1969, ils apparaissent régulièrement dans leurs costumes, marchant comme des robots ou chantant une vieille rengaine de music-hall impassibles et quasiment immobiles, le visage enduit de peinture rouge ou métallique.
ART FOR ALL
Ces shows minimalistes hypnotisent littéralement le spectateur lambda auquel le duo se réfère directement, non sans y avoir ajouté au passage une étrangeté envoûtante. D’autant que pour aller au-devant du public, le duo ne se produit pas uniquement dans des musées ou des galeries, mais aussi dans des night-clubs et des salles purement rock, entre les concerts.
Pas élitistes pour un sou, Gilbert & George ne ménagent pas leurs efforts et commencent simultanément à militer pour un art vivant qui s’adresse à tout un chacun, dans un langage simplifié, abordant des préoccupations universelles. Ils résument d’ailleurs leur croisade artistique en un slogan: «Art for all», pour le plus grand plaisir d’un public de plus en plus vaste. Très soucieux de rester accessibles au plus grand nombre, ils délaissent définitivement les beaux-arts classiques jugés trop archaïques et s’orientent rapidement vers de grands montages photographiques, immédiatement reconnaissables et très ironiquement inspirés des vitraux de l’église anglicane, leur ennemie jurée.
De plus en plus subversifs
Une multitude de très grands montages photographiques aux codes rigoureux vont alors être produits durant plusieurs décennies de manière systématique, contenant des messages de plus en plus subversifs. Ils sont composés de panneaux assemblés et cernés de noir à la manière de vitraux du Moyen-Age – légèrement aromatisés de constructivisme russe – où l’on retrouve immanquablement la même charte de couleurs: noir, blanc et rouge. Ce n’est qu’en 1980 que surgissent d’autres couleurs vives, criardes et contrastées jusqu’au paroxysme, tandis que les compositions deviennent monumentales: certaines pouvant atteindre jusqu’à 6 mètres de haut sur 11 mètres de large.
La Tate Modern ne s’est d’ailleurs pas encore tout à fait remise du crucifix en étrons.
Multipliant les autoportraits mimétiques en tenue d’Adam souvent équivoques où ils posent auréolés à côté de l’agrandissement d’études au microscope de sang, d’urine ou de sperme, leurs compositions néo-gothiques scabreuses et anticléricales font parler d’elles. La Tate Modern de Londres n’est d’ailleurs pas encore tout à fait remise du crucifix en étrons ornant le centre de l’une de leurs fresques monumentales sobrement intitulée Shitty World. En perpétuelle représentation à la scène comme à la ville, Gilbert & George n’en ont pas moins réalisé en un demi-siècle une oeuvre abondante et multiple, toujours aussi vivace et dont ils demeurent le pivot central, abordant et mélangeant tour-à-tour de manière imagée des sujets tels que la jeunesse à la dérive, le sexe hardcore, l’alcoolisme, l’homophobie, le racisme , la religion ou la mort, avec un flegme désarçonnant de britishness.
» Pour en voir plus gilbertandgeorge.co.uk
Gourou incontesté de l’art contemporain à tendance 100 % gay dont les traces ADN se retrouvent un peu partout dans l’art actuel, AA Bronson est l’un des membres du légendaire groupe d’artistes canadiens General Idea fondé avec Felix Partz et Jorge Zontal en 1969. Pionniers de l’art conceptuel utilisant les médias de manière novatrice et endémique, leur modus operandi emprunte souvent des formes subversives pour l’époque en s’infiltrant tel le virus honni, avançant masqué, dans la grande foire d’empoigne artistico-médiatique. Utilisant tout medium de communication à portée de main, General Idea s’invite souvent là où on ne l’attend pas: au milieu des petites annonces, à un concours de beauté, à un talk-show et surtout dans les mass-media en première ligne.
Subtilement emballée de sorte à faire passer la pilule, son iconographie délibérément infusée de pop-art bon enfant fonctionne à double sens. Les mots tabous se propagent joyeusement sur fond multicolore, le message passe et General Idea grandit au point de devenir un groupe d’artistes majeurs dont l’influence est encore indéniablement ressentie aujourd’hui chez les jeunes générations d’artistes sociologiques en devenir.
La plupart des installations ont à peine pris une ride et sont toujours aussi indéboulonnables, sinon intrinsèquement liées à la cause gay sous toutes ses formes. Entre 1987 et 1994, le sida fait des ravages et le trio se focalise principalement sur cette thématique avec autant d’humour et de distance que possible, pris au piège au cœur même de la tourmente. Ils produisent des œuvres marquantes dont certaines pourraient être décrites en tant que fondamentales, telle la street sculpture Aids – parmi les créations plus immédiatement reconnaissables du groupe – revisitant le logo Love créé dans les sixties par l’artiste pop américain Robert Indiana et devenue une sorte d’emblème inoxydable des années-sida, affichant froidement et un peu de travers les quatre lettres qui font mal, dans un style à mi-chemin entre un cubisme post-dadaïste et un totalitarisme de pacotille, digne d’un roman d’anticipation glauque à souhait.
Ils produiront encore durant cette période quelques 75 projets temporaires d’art public dont certains de très grand volume et étonnamment appréciés du grand public, telle l’installation One Year of AZT/One day of AZT composée de pilules géantes gonflables et de tapisserie couverte du nombre exact de médication avalé en une année par un patient atteint du VIH.
General Idea, 1991
Suite au décès de ses deux partenaires et co-équipiers Partz et Zontal des suites du sida en 1994, AA Bronson retourne à New York après avoir épaulé ses deux compagnons dans la maison de Toronto spécialement aménagée pour faciliter leur départ.
En solitaire
AA Bronson ayant suivi très sérieusement durant cette période des cours de sage-femme pour mourants en Californie afin de prodiguer un maximum de soins de qualité à ses deux amis en fin de vie, il découvre par la même occasion tout un monde ésotérique pour lequel il semble avoir énormément d’affinités. Il devient ainsi, sans même s’en apercevoir, un guérisseur au sens propre du terme. Il débute donc parallèlement à sa production artistique personnelle tout un travail sur le thème du Healing, duquel, comme à son habitude, il se rit doucement.
Mélangeant les cartes tel un maestro, il s’amuse autant avec l’iconographie queer dont il est un fervent porte-drapeau, que celle du new-age dont il fait intégralement partie à présent. Maîtrisant parfaitement les codes habituels en vigueur dans le langage artistique contemporain, il n’hésite pas à jongler habilement avec ceux-ci jusqu’à brouiller complètement les pistes. Le résultat hybride contenant à parts égales chacun de ces éléments est donc formellement inclassable et unique en son genre. Outre les cours qu’il donne à UCLA, Yale et l’université de Toronto ainsi que les nombreuses récompenses honorifiques dont il a été gratifié, il trouve encore le temps de produire des expositions ponctuelles d’une qualité toujours aussi remarquable ainsi que notamment de s’offrir en passant un panneau publicitaire gigantesque sur la centrale électrique de Toronto, arborant un: «AA Bronson, Healer» accompagné de son numéro. Il peut aussi lui arriver à l’occasion de performer à moitié nu entouré de jeunes éphèbes couverts de cendres dans sa série Invocation of the Queer Spirits; de se grimer en divinité courroucée en tenue d’Adam écarlate; de régner sur The Institute for Art, Religion and Social Justice ou de créer une école intitulée School for Young Shamans à travers laquelle il collabore activement, d’égal à égal, avec de nombreux jeunes artistes.
Il a en outre proposé un Monument for Homosexual and Transgender Victims of the Nazi Regime lors d’un concours d’art public à Vienne en collaboration avec son partenaire actuel Mark Jan Krayenhoff Van de Leur – un projet qui a fait couler beaucoup d’encre, en gagnant le troisième prix de ce concours – et dirige aussi avec savoir-faire depuis de nombreuses décennies la maison d’édition new-yorkaise Printed Matter Inc., spécialisée en micro-édition underground. Il donne également fréquemment de nombreuses conférences à travers le monde, sans oublier les traitements chamaniques considérés comme son véritable métier à ce jour, d’où le titre officiel de Healer. Idolâtré par beaucoup à juste titre, il est même parfois possible d’approcher de plus près cette légende vivante et avec un peu de chance, de bénéficier d’un rendez-vous pour un massage chamanique avec Le Maître.
Il n’est pas rare qu’il propose des séances dans sa Tent of Healing simultanément à des invitations dans de grands musées tel le Stedeljik Museum d’Amsterdam en 2013. Une visite de ses nombreuses traces sur Internet est chaudement recommandée à ceux qui aimeraient en savoir plus sur celui que l’on surnomme parfois The Cosmic Queer: un surnom sur mesure pour un personnage mythique doublé d’une clé de voûte de l’art contestataire comme on n’en fait plus. Long Live AA Bronson!
«Butt» est sans nul doute la star des fagzines et de loin le plus populaire à ce jour. Fondé en 2001 aux Pays-Bas, sa diffusion actuelle est estimée à environ 24’000 exemplaires trimestriels, un tour de force absolument remarquable dans un domaine somme toute plutôt marginal. Il est aussi très probablement le seul fagzine a avoir très fréquemment été feuilleté par un vaste public non averti dans l’un des nombreux points de vente où l’on peut le trouver à travers le monde entier, trônant immanquablement parmi les parutions les plus pointues du moment. Son format de poche et sa teinte rose dragée le sortent du lot, quel que soit le rayonnage sur lequel il se pavane aux côtés d’autres publications beaucoup moins effrontées.
Ses concepteurs Gert Jonkers et Jop van Bennekom ont bel et bien touché en plein dans le mille dès le premier numéro avec une identité visuelle des plus simples et efficaces, remaniant avec finesse les codes de certains fagzines historiques (à commencer par le fond rose emprunté au cultissime «Straight to Hell») et en ne s’encombrant pas d’effets de mode passagers dans leur façon de procéder. Ici tout est brut de décoffrage, simple, clair et honnête tout comme les beaux gosses qui défilent au rythme des pages couleur bonbon, croisant parfois une grosse pointure du cinéma, de la photographie ou de la mode sans jamais aucune lourdeur trop aguicheuse. Le tout premier numéro a d’ailleurs instantanément mis le feu aux poudres avec des portraits dénudés de Bernard Wilhelm photographié par Wolfgang Tillmans dans des situations quotidiennes flirtant avec le loufoque qui ont défrayé la chronique de la planète arty tout en restant immuablement frais et audacieux, sinon tout simplement inoxydables.
Parmi les contributeurs récidivistes habitués à «Butt» on trouve Casey Spooner, Michael Stipe, John Waters, Heinz Peter Knes, Edmund White, Terence Koh, Walter Pfeiffer ou Slava Mogutin. Que du très beau linge, pour un résultat sans un pli. Les lecteurs eux-mêmes sont également mis à contribution, dans la plus pure tradition de tout bon fagzine qui se respecte.
Proust version fag
Il n’y a donc pas de ligne éditoriale précise propre à «Butt» sinon une liberté totale d’expression majoritairement de type pornographique soft, incluant parfois également des portraits d’hommes de nature non-sexuelle. Le tout est ensuite compilé avec soin afin de garantir une identité et une qualité maximale n’ayant jamais fléchi à ce jour. Une autre particularité de «Butt» est la cyber-communauté qui s’est agglomérée dans le sillage du magazine au fil des années.
Ses abonnés et ses contributeurs s’auto-dénominent Buttheads et leur nombre est en constante augmentation, à la façon d’un essaim affolant qui se serait échappé de chez GayRomeo pour le meilleur et certainement pas le pire: chacun des 18’000 abonnés possède son profil avec photo et une seule et unique question-piège posée par «Butt» à la façon d’un néo-questionnaire de Proust version fag, en guise de présentation follement concise.
Tout ce beau monde s’étale naturellement sur le fond rose propre à «Butt» et là aussi, une certaine classe est de mise en comparaison à d’autres réseaux du même type. A tous points de vue, «Butt» prouve sans se fatiguer qu’il est possible de faire un sans-faute là où d’autres auraient déjà viré au mainstream de mauvais augure. Le but du jeu avoué étant ici de rester tout simplement constamment jouissif et cool sans tomber dans les travers de l’auto-stigmatisation sectaire ni de céder aux sirènes de la mode. Ce pari magistral a été gagné haut la main, dans l’une des niches les plus virulentes qu’est celle de l’édition homosexuelle, et on reprendra volontiers encore quelques savoureuses parts, car même après quinze années de bons et loyaux services, on ne s’en lasse toujours pas.
Son nom annonce la couleur: impossible à traduire en français tant le jeu de mots fonctionne merveilleusement en V.O.; faisant la part belle à l’Armée du Salut (The Salvation Army) ainsi qu’à la précieuse salive, si utile dans beaucoup de circonstances qu’aucun queer digne de ce nom ne saurait nier sa toute-puissance en ce bas monde. This is the Salivation Army est un mythe épique contemporain par excellence. Réalisé selon les règles de l’art de tout fanzine qui se respecte, cet obscur petit bijou tout droit sorti d’une photocopieuse en noir et blanc est né au Canada en 1996, sous l’impulsion de Scott Treaven.
En seulement huit numéros étirés jusqu’en 1999, un joyeux freakshow a trouvé une tribune d’expression libre jonglant avec l’esthétique du queer, du punk, du goth, de la musique industrielle et d’une certaine littérature avant-gardiste à ne pas mettre entre toutes les mains. Parmi les illustres collaborateurs réguliers ou épisodiques de ce morceau d’anthologie underground, on trouve l’inénarrable Genesis P-Orridge de Psychic TV, dont la plume acerbe signe quelques éditoriaux bien envoyés. On y croise aussi AA Bronson, Kenneth Anger, Derek Jarman, William Burroughs et une quantité affolante d’autres stars ou d’intellectuels en devenir. Dénominateur commun de tout ce beau monde: ne pas marcher dans les rangs, et si possible le faire bruyamment.
Manifeste
Un extrait d’une lettre ouverte de Scott Trelaeven destinée aux New Queer Radicals en dit long sur son positionnement extrêmement lucide et sans détour quant aux travers retors de la classification sectaire à l’emporte-pièce du milieu queer alternatif: «Une fois pour toutes: il n’y a pas de scène, pas de membres en activité», déclare-t-il sans détour. Puis d’expliquer posément:«On s’est fait les tattoos, les coupes de cheveux, les cicatrices et les carapaces jusqu’à ce que tout le monde se ressemble, certifié underground tout ce que tu veux… Ce cirque est aussi vaste et varié que n’importe quel cabaret. Nous infiltrons tous les domaines. Nous allons et venons comme il nous plaît d’un cercle à l’autre, ne prenant que ce dont nous avons besoin. Charognards issus d’une école bien plus large que n’importe quel culte mesquin. Nous sommes des touche-à-tout, des dilettantes, des maîtres et des exemples, sans âge. Nous sommes le nouveau cirque. Le putain de monde entier nous envie», conclut-il stoïquement.
Synthèse simple et efficace à la façon d’un manifeste, uppercut servi de l’intérieur de la forteresse, cette lettre ouverte aux dogmatiques de l’underground en dit long sur la liberté de pensée dénuée de toute appartenance à la moindre caste sectaire qui caractérise ce fagzine. Bien plus qu’une simple publication polycopiée, il s’est d’ailleurs joliment vu couronner d’un court métrage éponyme parfaitement hallucinant, le faisant passer au rang de véritable légende urbaine. Présenté trois ans après la sortie du dernier numéro, il a rapidement enflammé tous les festivals de cinema «off» à travers le monde et peut être considéré comme le 9e opus de cette collection, suivi par le livre This is Salivation Army Black Book contenant la totalité des parutions, publié en 2006, pour le dixième anniversaire et qui compte pour sa part en tant que «Issue X». Le travail artistique de Scott Treleaven est encore régulièrement visible aujourd’hui, et la plupart de ses collaborateurs font eux aussi toujours autant parler d’eux sinon frémir le commun des mortels sans interruption depuis plus de deux décennies.
Insolent comme une claque sur une fesse moulée de cuir et suintant comme une bière tiède versée sur une crête hirsute, JD (prononcer Jay-Dee) est né à Toronto il y a quelques décennies. Dès ses premières frasques, il a été unanimement considéré comme le germe catalyseur ayant donné naissance à la scène queercore. Au fil des pages photocopiées couvertes de graffitis graveleux, punks et gays en prennent pour leur grade dans une joyeuse mêlée digne d’un pogo en talons hauts.
Le premier opus de JD agit tel un cocktail Molotov sur ces deux groupes marginaux pourtant habitués à se faire haranguer sans ménagement, mais pas forcément simultanément. Piqués à vif au coeur même de leur bastion et comble de l’ironie, par des membres de leur propre communauté, l’effet fédérateur n’a plus qu’à agir: le queercore, nouveau genre mutant, est né. Le but avoué de la sauvage G.B. Jones, fondatrice de JD et de son co-équipier Bruce la Bruce (encore obscurément underground à cette époque) est atteint dès la première parution. En attaquant ouvertement les deux parties, l’union se crée comme par enchantement et la fête peut commencer. Des titres tels que Don’t be Gay ou Polymorphous Perversity sont monnaie courante à la une de JD, et les collaborations issues des deux bords ne se font pas attendre: le genre se perfectionne à la vitesse grand V et on n’y va pas de main morte.
Outre G.B. Jones elle-même, dont les illustrations tendance gay cuir de ses «Tom Girls» ne font pas dans la dentelle, se dessine aussi déjà en filigrane ce qui deviendra par la suite l’univers tout spécifique de l’indétrônable Bruce la Bruce, à travers des fictions tout aussi trash et frontales que son style cinématographique actuel peut l’être. Les contributions à JD sont aussi en grande partie musicales, le sommet du genre demeurant l’introuvable mixtape culte: «JDs Top Ten Homo Core Hit Parade Tape» contenant des perles rares aux titres aussi explosifs que les noms des groupes (dont certains poids lourds) tels que Coil: «The Anal Staircase» ; The Leather Nun: «Gimme Gimme Gimme (A Man After Midnight)» ; The Dicks: «Off-Duty Sailor» ; The Raincoats: «Only Loved At Night» ; Victim’s Family: «Homophobia» et d’autres raretés du type Black Fag ou Vaginal Davis pour n’en citer que certains. Il n’est pas trop difficile de laisser son imagination divaguer en reconstituant mentalement le paroxysme proche de l’orgie que certaines soirées labellisées JD devaient atteindre à certains moments, et en particulier les premières parties du genre.
Lorsque JD a cessé d’exister en 1991, G.B. Jones a poursuivi dans la même direction en fondant immédiatement un autre fanzine, «Double Bill» classé X dans la catégorie plutôt extrême de hate-zine (en opposition farouche à fan-zine) puis a collaboré épisodiquement à plusieurs fanzines de type «Riot Grrrrl» – mouvement hardcore punk féministe- tout en continuant ses tournées en tant que musicienne punkrock. A cette époque, Bruce la Bruce prenait déjà l’ascenseur pour la gloire, bien que sa filmographie soit restée fidèle à l’underground pur et dur et cela malgré son indéniable succès. Son ascenseur paraissant être de type éternellement souterrain, il s’adresse encore à ce jour à un public très spécifique et, toutes proportions gardées relativement restreint, et cela nous ravit encore et toujours, puisque nous en sommes.
Concept impensable sur une majeure partie de la planète, difficilement vérifiable actuellement pour cause d’obscurantisme aigu, «Pisszine» fait pourtant indiscutablement partie des rares légendes urbaines ayant réellement vu le jour et s’adressant à un microcosme poilu n’ayant pas peur de la glorieuse urée, plus communément reconnue sous le nom de « pisse».
Principalement dévouée aux joies de la golden shower sur mentons barbus, cette publication plus que dérangeante appartient fièrement au panthéon du fagzine dans toute sa splendeur. Parmi les rares éditions suffisamment originales et spécialisées appartenant au monde auto-géré de la presse gay hardcore, «Pisszine» fait figure d’exemple lorsqu’il s’agit d’expliquer ce que ce choix éditorial signifie véritablement.
Un camion citerne par personne
Vénérer l’ondinisme homosexuel publiquement n’est pas forcément chose commune et encore moins sur papier jaune pipi photocopié. Il semblerait qu’en en une vie bien remplie, un homme élimine environ 40 000 litres d’urine, soit l’équivalent d’un gros camion citerne ou d’une piss-cine. Arborant fièrement son titre réjouissant, l’urophilie iconophage propre à «Pisszine» flirte plus facilement avec l’exercice stylistique extrêmement léché qu’avec un fétichisme sordide de fond de pissotière. Privilégiant la qualité à la quantité, on y saisit de préférence au vol la précieuse goutte effleurant un visage béat plutôt qu’un jet éthylisé contre un mur au coin d’une ruelle. De ce fait, cette publication peut facilement être considérée comme référence absolue dans le domaine urophilique gay contemporain. Une certaine élégance est de mise, les modèles à la pilosité abondante et aux piercings arrogants s’affichent fièrement au fil des pages couleur de « pluie dorée».
Les graffitis propres aux urinoirs font aussi partie du décor, épinglés lors de pérégrinations fétichistes dans ces véritables lieux de culte fantasmatique que sont les pissoirs
La plupart des numéros font la part belle aux barbichettes bien fournies desquelles ruissellent délicatement quelques fines goutelettes du précieux liquide, sublimé par l’impression en noir et blanc sur fond jaune bien criard. Les graffitis propres aux urinoirs font aussi partie du décor, épinglés lors de pérégrinations fétichistes dans ces véritables lieux de culte fantasmatique que sont les pissoirs pour tout ondiniste qui se respecte. Ayant donné lieu à d’innombrables soirées éponymes dans le monde entier, «Pisszine» peut se targuer d’être devenu une image de marque à part entière. Décédé abruptement en 2002, son créateur, le milanais Max Magrini – également connu sous le nom de Max_M dans le monde de la techno minimale berlinoise avec son label M_REC Ltd – a laissé derrière lui un empire bâti sur des latrines.
Symbole héraldique
A ce jour nul n’a osé se réapproprier le fond jaune distinctif de «Pisszine» tant il peut être facilement comparé à une sorte de symbole héraldique propre à celui qui a su donner ses lettres de noblesse à une certaine urine des grands soirs. «Pisszine» fait indiscutablement partie des fagzines les plus originaux et spécifiques ayant jamais existé, bien qu’il soit quasiment impossible de trouver une trace de son contenu sur Internet. Diffusé épisodiquement et confidentiellement en milieu fermé, il n’en aura pas fallu beaucoup plus pour créer une légende à peine croyable pour certains, faisant les gorges chaudes des non-initiés avec son nom ravageur et son concept doublement tabou. Rarement l’urine aura été aussi sexy et l’urologie franchement envisageable sans aucune arrière-pensée, qu’après avoir feuilleté un numéro du regretté «Pisszine».
A l’intersection de toutes les subcultures, quelques miracles peuvent parfois se produire lorsqu’un ange passe. C’est le cas du fanzine «Shotgun Seamstress», auto-proclamé «le zine fait et lu par des punks blacks, des queers, des marginaux, des féministes, des artistes et musiciens, des genz zarbi et tous ceux qui les soutiennent». Sa créatrice, Osa Atoe, afro-américaine d’origine nigériane a eu l’aplomb d’unir dans un même élan plusieurs clans en ébullition, difficilement conciliables, générant ainsi un étonnant petit monstre hybride aux super-pouvoirs démultipliés par un effet domino des plus émulateurs. Difficile en effet d’imaginer une publication moins politiquement correcte que celle-ci, au sein des microcultures alternatives américaines, avançant ensemble à contre-courant sans nécessairement se tenir les coudes pour autant.
Pavé dans la mare
En tentant de décloisonner ces différents vases clos desquels elle fait elle-même intégralement partie, Osa Atoe pose sans le vouloir quelques questions gênantes, même à travers de simples «statements» francs et limpides. Et si le milieu alternatif soi-disant affranchi de la vulgaire bêtise mainstream n’était après tout qu’une vague réplique encore plus malodorante et sectaire de ce vaste carnaval capitaliste à petite bite? Et pourquoi est-il si compliqué d’être à la fois punk, noire, féministe et gay alors que chacun de ces milieux se veut révolutionnaire et prêt à sauver le monde? Et sans vraiment le voir arriver, le pavé est dans la mare.
«Hors caste»
Ne s’embarrassant donc pas d’essuyer ses pieds sur le paillasson, «Shotgun Seamstress» est né en 2006 et se présente comme la suite logique du mythique fanzine «Punk Planet» en version black. Ne traitant pas spécialement de féminisme dans les sujets abordés, il est féministe dans son essence même et prône simplement un certain savoir-vivre dans des milieux parfois hostiles pas forcément prédestinés dans leur accueil à ses lecteurs «hors-caste». La facture 100 % punk de l’objet ainsi que le choix des intervenants renforcent le caractère activiste de la publication sans pour autant verser dans le prosélytisme. Une certaine nonchalance pleine d’humour est de mise, et on y croise aussi bien l’ex girlfriend d’Osa Atoe, la musicienne Adee Robertson, que la géniale Poly Styrene de x-Ray Spex ou que Brontez Purnell. On peut aussi y lire des extraits des livres de Ru Paul ou de Don Letts (le DJ qui fit découvrir le reggae aux punks londoniens) et recevoir en pleine face quelques portfolios photographiques édifiants dont le fameux «Banned in DC» de Cynthia Connolly.
La force et l’honnêteté de la démarche D’Osa Atoe se ressentent à travers chaque page photocopiée à la Xerox, cela n’étant finalement pas si surprenant venant de la part d’une farouche autodidacte ayant appris ses premiers riffs de guitare toute seule comme une grande dans sa chambre à l’âge où ses pairs se déhanchaient sur Boyz II Men. La bonne nouvelle étant que «Shotgun Seamstress» continue à paraître à l’heure actuelle après avoir déménagé à la Nouvelle-Orléans et qu’il est possible de lire ou posséder ce sympathique brûlot qui œuvre à gommer certaines discriminations d’un goût douteux là où l’on s’attendrait le moins à en trouver. A découvrir dans sa version papier photocopié, comme il se doit.
Pour obtenir un numéro de «Shotgun Seamstress»: mendmydresspress.bigcartel.com
Blogspot: shotgunseamstress.blogspot.com
Facebook: facebook.com/shotgunseamstresszine
«Straight to Hell», fondé en 1971 à New-York par Boyd Mac Donald est sans aucun doute l’un des piliers ayant constitué les fondements de la mise en forme d’une certaine presse gay underground à tendance salace et classée triple X. La première spécificité de STH tient principalement à la publication d’histoires vraies, recueillies au fond d’un backroom au petit matin et fleurant bon le soufre et la sueur.
Les héros de STH sont le plus souvent les lecteurs eux-mêmes, mis en abîme pour leurs quinze minutes de gloire inavouable sur papier photocopié. Les exploits sexuels les plus extraordinaires de tout ce beau monde se retrouvent épinglés au fil des pages dactylographiées à la machine à écrire et illustrées d’une ribambelle d’éphèbes poseurs en noir et blanc. Une pointe de second degré peut aussi parfois faire partie de la recette-miracle rendant ce fagzine particulièrement truculent.
A chaque parution un sous-titre explosif annonce la couleur, dont le plus célèbre: Straight to Hell Magazine: The Manhattan Review of Unnatural Acts. On trouve aussi notamment d’autres perles du type: U.S. Chronicle of Crimes Against Nature; The American Journal of Dick Licking; Feeled and Creemed; Splorch Illustrated; The Official Organ of The Great East Ball Lickers Union; W.H.O.R.E. International; The Society for the Preservation of Quality Blow Job; American Journal of Debauchery… et la liste est encore longue.
On imagine donc assez facilement que STH n’avait pas que des supporters tout de cuir vêtus sortis tout droit d’un shooting de Robert Mapplethorpe. Ce climat un brin tendu n’empêcha guère Boyd Mac Donald d’ajouter le préfixe de « Révérend » à son nom, histoire de faire monter encore un peu la pression du côté des puritains acharnés et son journal d’être tiré à 10’000 exemplaires au faîte de sa gloire.
Boyd présentait volontiers STH en tant qu’objet parodique assorti d’une tribune de libre pensée qui servirait certainement en temps et heure d’outil de travail pour historiens et anthropologues et il n’avait certainement pas tort. Il a capturé à la perfection les heures les plus chaudes de la scène underground ainsi que l’ennemi numéro un: les égarements du commun des mortels dans les méandres de la tentation homosexuelle.
Les tournures stylistiques peu alambiquées et les fautes d’orthographe étaient elles aussi conservées intactes afin de maintenir le réalisme de toute la démarche. D’une certaine manière, STH est le modèle absolu de fagzine trash en accord total avec son lectorat: une forme d’auto-voyeurisme qui en a fait le meilleur ami des onanistes friands de papier. Peu avant sa mort en 1983, Boyd Mac Donald publia encore un dernier livre: «Scum», dans lequel la moindre douche de camping est prétexte à des orgies infinies et les camps de scouts sont tenus par de pervers archétypes de l’abus d’autorité en uniforme. De quoi faire trembler l’Amérique puritaine plus que de raison, sachant aussi que «The truth is the biggest turn-on» (la pure vérité est ce qu’il y de plus excitant au monde) demeure la citation la plus explicite du Révérend Boyd Mac Donald.
Ayant marqué son temps en poussant un peu loin les limites du supportable pour une grande partie de ses concitoyens homophobes déclarés, en créant un objet culte, il fait encore des émules de nos jours. Une rétrospective STH a notamment été réalisée à Berlin en 2008 par le curateur Billy Miller à la galerie Exile durant laquelle l’artiste Jan Wandrag a proposé un hommage intitulé: «Straight To Hell: In Cock We Trust»: un titre à la hauteur de ceux de feu Boyd Mac Donald.
Scum: True homosexual experiences. An S.T.H. Chapbook, Vol. 13, Fidelity Publishing, 1993, ISBN 0962555827
Exposition STH à la galerie EXILE, Berlin http://thisisexile.com/exhibitions/sth/
Parmi les domaines les plus sulfureux de la presse spécialisée, le secteur gay demeure depuis toujours l’un des plus hauts en couleur. Il détient des perles monumentales parmi les pionniers du genre, parus entre 1970 et 1990: les fanzines underground. L’iconographie délicieusement spécifique de ce créneau, alliée à la vaste diversité des publications «off», en font un monde à part à disséquer avec jubilation en se délectant de ce florilège quasiment historique ayant ouvert la voie en grande pompe à toutes les futures publications LGBTQ contemporaines.
Notre premier plongeon dans cet univers parallèle qu’est celui du «fagzine» se situe à Paris autour de 1980. Didier Lestrade, pas encore cofondateur d’Act Up ni de «Têtu», mais déjà très au clair quant à son orientation et à ses coups de gueule, fonde «Magazine», une publication réunissant tous les attributs de cette presse hors-circuit.
brut de décoffrage
Empruntant autant à «Interview» d’Andy Warhol quant à la prédominance de portfolios photographiques d’illustres inconnus (qui bien souvent ne le resteront pas longtemps) qu’aux interviews intégrales en version brut de décoffrage, mais aussi beaucoup à l’esprit punkrock dans l’utilisation de papier coloré pour l’impression et de typographie façon journal: la recette est simple et fait mouche.
«Magazine» est très vite reconnu comme l’un des «fagzines» majeurs de son époque. Stars en devenir et trublions iconiques de la scène gay underground internationale se côtoient sur les pages colorées, le plus souvent épinglés au coin de la rue en mode snapshot par Didier Lestrade lui-même à l’aide d’un Instamatic Kodak.
esthétique hypersexuelle
Au fil de l’aventure, qui durera sept ans, la crème du futur gotha artistique mondial œuvrant à offrir à la cause gay ses lettres de noblesse participe activement à la consolidation de cette image de marque. Aujourd’hui unanimement admise comme incontournable, cette esthétique hypersexuelle reste encore dans l’obscurité au début des années 80. Ce sont très précisément les «fagzines» qui semblent avoir opéré le déclic en ayant fortement influencé la propagation et l’acceptation de la plupart des codes les plus sulfureux de l’univers gay en les élevant au rang d’art .
La liste des collaborateurs en dit long quant à la qualité générale de l’objet réunissant un nombre affolant de futures stars incontestées, ainsi qu’à l’instinct visionnaire de Didier Lestrade. Parmi les nombreux satellites ayant œuvré avec ou pour «Magazine», on trouve entre autres: Tom of Finland, Pierre et Gilles, Divine, Keith Haring, Paul Morrissey, Gilbert and George, Erwin Olaf, Erté, David Hockney et la liste est encore longue et pétillante. Actuellement en voie de canonisation chez certains galeristes et libraires, «Magazine» a récemment été l’objet d’une exposition éponyme à Paris, permettant de découvrir la totalité des numéros parus ainsi qu’une partie des photographies cultes qui en ont fait sa réputation.
L’exposition a été prise d’assaut par les jeunes générations qui n’ont pas eu la chance de les avoir négligemment empilés sous leur lit depuis plusieurs décennies, sinon vendus à prix d’or sur eBay. Pour en avoir le cœur net, il est possible de feuilleter virtuellement quelques numéros de «Magazine» sur le site de Didier Lestrade afin de pouvoir palper d’un peu près l’une des clés de voûte de la presse LGBTQ alors en devenir, grâce à l’engagement et au talent du très prolifique Monsieur Lestrade à la carrure digne d’un héros aux couleurs arc-en-ciel.