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Ces derniers temps, il y a eu l’affaire Serge Aurier, ce joueur de PSG qui traitait son coach de «fiotte». Il y a eu cet entraîneur de foot italien qui taxait son homologue de «tapette». Il y a eu aussi ce boxeur philippin, Manny Pacquiao, déclarant que les couples homosexuels étaient «pires que des animaux». Voilà pour les cas connus, reste tous les incidents d’homophobie ordinaire dans le sport amateur, en club ou à l’école, et dont on ne parle jamais. Marc-Antoine Claivaz, membre du comité de H2O Geneva, a longtemps déserté les clubs sportifs pour cette raison: «J’en avais marre de me préoccuper de savoir si j’avais l’air gay ou pas, si on allait me repérer ou pas». À présent qu’il fréquente le club de Vernier, ce n’est plus un problème.
Socialisation différente
H2O a été fondé il y a dix-neuf ans, dans le but de «favoriser une forme de socialisation différente de celle des bars et des discos». Le club compte une quarantaine de nageurs (dont trois femmes) qui se réunissent deux fois par semaine, le mercredi et le vendredi soir, à la piscine du Lignon.
Si les clubs traditionnels font parfois fi de la tolérance et de l’inclusion, H2O, lui, les revendique: «Pas de ghetto! Le club est ouvert à tous!», raconte Juan Fernando Caicedo, directeur technique. Une ouverture aux hétéros (il y en a trois dans le club), mais aussi un respect des capacités de chacun. «Pour rejoindre le club, il suffit de savoir nager», s’amuse Marc-Antoine. Leur coach, un professionnel, cultive une approche individuelle qui respecte les objectifs de chacun.
«On fait comme si tous les écrivains, les artistes, les sportifs étaient hétéros.» Marc-Antoine
Pour certains, comme pour Juan Fernando, l’objectif, c’était de gagner une médaille aux Eurogames qui ont réuni 1500 athlètes européens, pour une quinzaine de disciplines, à Helsinki. «Les Eurogames, ça ressemble au JO, avec les délégations par pays, les compétitions, les cérémonies d’ouverture et de clôture», raconte le nageur. C’est un brin différent cependant: tout le monde peut participer, qu’importe l’âge, l’orientation sexuelle ou le niveau de performance. Outre les Eurogames, la galaxie sportive gay compte d’autres rendez-vous, comme les Outgames et les Gay Games, qui se dérouleront l’an prochain à Miami et à Paris.
«Certains des participants sont très compétiteurs, d’autres moins, le but c’est vraiment de donner le meilleur de soi-même», détaille Marc-Antoine. Enfin, l’esprit Coubertin! Les Eurogames, comme le club sportif H2O, ont une vision du sport un peu différente de celle des clubs traditionnels. Pour eux, le sport ce n’est pas qu’une compétition, c’est aussi un vecteur de rassemblement, de convivialité, de rencontre, et même de culture.
Dans le placard
Pionniers du genre, les Gay Games ont été créés dans les années 1980, au moment de l’épidémie de sida. Les organisateurs souhaitaient alors donner une autre image à l’homosexualité et faire passer un message: il y a des gays parmi les sportifs et les notions de compétition et d’effort ne sont pas étrangères à la communauté. «Quand on grandit, on a besoin de modèles, note Marc-Antoine. Et ces modèles, on nous les nie: on fait comme si tous les écrivains, les artistes, les sportifs étaient hétéros.» Et de fait, les coming-out sont rares dans les milieux sportifs de haut niveau. Il y a quelque temps, l’Espagnol Victor Gutiérrez, un joueur olympique de water-polo, sortait du placard. Il a déclaré «vouloir briser le tabou dans le sport», conscient que «les choses seraient plus faciles si les grandes figures du sport faisaient ce pas en avant». Les deux nageurs saluent son geste et espèrent que d’autres athlètes suivront l’exemple.
Les choses bougent: de nombreuses villes (Genève, par exemple), pays et fédérations sportives font des efforts considérables pour lutter contre l’homophobie, à l’aide notamment de campagnes d’information. Dernièrement, même les grands sponsors s’y sont mis. Ainsi, Nike a annoncé la fin de sa collaboration avec le boxeur philippin aux propos outranciers et Adidas a pour sa part ajouté une clause à ses contrats stipulant que la firme ne modifierait en aucun cas lesdits contrats en cas de coming-out de l’un de ses athlètes.
» Les entraînements de h2o-geneva.ch reprennent en septembre.
Amandine, Victoria et Gordana sont des alliées. Le «A» de LGBTIQA. Ces trois étudiantes en master business et communication collaborent bénévolement à l’organisation de la Pride de Fribourg qui se déroulera en juin prochain. «Au départ, on ne savait même pas que le terme allié existait», explique Amandine, convaincue que de nombreux alliés s’ignorent. Ces trois étudiantes, elles, ont décidé de revendiquer l’étiquette et de s’engager. Le slogan de la Pride de cette année: «La différence n’est pas un choix, l’égalité si». Et ce combat pour l’égalité n’implique pas seulement ceux qui subissent son absence. «Je soutiens la communauté ouvertement et je trouve génial que l’on en fasse aussi partie, de cette communauté», témoigne Victoria. «On montre qu’on est là, la communauté n’est pas isolée», ajoute Gordana.
Alexandre Robatel, le président du comité d’organisation de la Pride, se félicite de cette ouverture: «En 2013, lors de la première Pride, le comité était 100% LGBT; cette année, un quart entre dans la catégorie A.» Tout s’est passé naturellement, pas de quota ! «Le but d’un tel événement c’est de s’ouvrir aux autres et je trouve fondamental que cette ouverture soit déjà présente au sein même de l’organisation.»
Plus qu’un week-end
L’ouverture et la pluralité se retrouvent également dans la programmation artistique de la manifestation. Sur la scène du Village et à Fri-Son se relaieront humoristes, musiciens, performeurs et DJs, de tous les styles: Karine C., Showgirls, Fiji, Solange la Frange, Chantal la Nuit, Jefferey Jordan, l’Homme seul, etc., et même Desireless & Operation of the Sun! Cette année, la Pride se déroulera sur trois jours, une nouveauté 2016. Ainsi, le village où seront présentes les associations sera ouvert dès le vendredi soir à 17 h et le restera jusqu’au dimanche. Les concerts et les spectacles auront lieu le vendredi et le samedi soir.
«J’aime travailler dans l’événementiel», raconte Victoria, «mais ce que je trouve génial avec la Pride, c’est qu’elle est associée à une cause.» Oui, n’oublions pas la cause. Laquelle au juste? À nouveau, ouverture, comme l’explique le président: «Nous souhaitions être un vecteur, à chaque association d’amener son combat particulier.» Mehdi Kuenzle, membre du comité Pro Aequalitate qui sera présent en juin à Fribourg rappelle l’importance de la Pride: «La Suisse est classée 23e sur la nouvelle Rainbow Map, derrière la Hongrie et le Kosovo.» En vrac: La Suisse ne possède toujours pas de loi anti-discrimination, ne protège pas les enfants arc-en-ciel, impose la stérilisation pour les changements d’état civil des personnes trans*, ne reconnaît pas les requérants d’asile LGBT – liste (exaspérante) non exhaustive.
«Rendre les parades plus gaies!»
Des combats, un défilé. Son thème: la parade! «On voulait apporter un visuel particulier», explique David Ruffieux, le directeur artistique, «pas juste proposer des gens qui dansent sur des chars.» Un mot d’ordre: «Rendre les parades plus gaies!» Ainsi, les curieux, les militants et les fêtards pourront observer, en juin prochain, une parade Disney, une Poya, un cortège mortuaire, le Carnaval de Rio ou encore un défilé singeant l’ouverture des Jeux olympiques. «On pourrait voir ce thème comme gratuit, mais il ne l’est pas du tout. Il traite d’intégration: comment verrait-on mon pin arc-en-ciel aux JO? Mon petit short lors d’une poya?», interroge le président. L’intégration, le combat pour l’égalité n’est pas le problème des seules personnes «différentes», mais celui de tous. «Les alliées, nous avons un rôle d’intermédiaire à jouer, entre la société et la communauté», explique Gordana. «La solution viennent d’eux et de nous, enfin de nous tout court», complète Amandine.
» Plus d’informations et le programme complet sur fribourgpride.ch
La Pride et le BelluardDu 23 juin au 2 juillet à Fribourg se déroulera le Festival Belluard Bollwerk international, une manifestation artistique pluridisciplinaire alliant pièces de danse, théâtre, performances, installation et concerts. « Idéal pour celles et ceux qui souhaitent passer un jour ou deux de plus à Fribourg », commentent les organisateurs de la Pride. La veille de l’ouverture du village notamment, le public pourra se laisser hypnotiser par Alexandre Paulikevitch, «une diva lumineuse», qui présentera une danse de cabaret typique du monde arabe, Cabaret festif à facettes multiples. Et pour clôturer un week-end de Pride bien décalé, un spectacle qui le sera peut-être plus encore : Danse Folklorique Tripante, de Simon Mayer, dans lequel quatre performers «révèlent la force et l’exubérance qui se trouvent derrière les formes traditionnelles» – dans ce cas, la culture populaire autrichienne.
» Plus d’infos sur belluard.ch
Adrian a la foi. Depuis l’âge de 15 ans – il en a aujourd’hui 39 –, il est en quête de Dieu et de sa propre identité. S’il propose actuellement des rencontres LGBT au sein de @LeLAB, ce projet pionnier de l’église protestante de Genève qui se donne pour objectif de créer une église correspondant davantage au besoin des jeunes d’aujourd’hui, c’est parce qu’il sait à quel point spiritualité et homosexualité ne riment souvent que par leur vocable.
Adrian a essayé les églises, en Suisse et aux États-Unis, entre 15 et 23 ans – il a beaucoup voyagé pour ses études. Il y a vu au mieux une tolérance d’apparence, au pire une condamnation diffuse de ce qu’il était. «L’homosexualité est vue comme une déviance.» On l’a même présenté à une lesbienne repentie qui prêchait la guérison des homos. «Moi, j’ai cru ce qu’on m’a dit, qu’il fallait que je guérisse.» Des fidèles ont prié pour lui, lui-même a imploré Dieu pour qu’il le change. «Je pensais être un hétéro raté.» Après les États-Unis, après des études en cinéma et communication qui venaient s’ajouter à une formation en chant et théâtre à Londres, Adrian rentre en Suisse, où il avait passé sa jeune enfance, puis son adolescence après une escale de quelques années au Portugal. À 24 ans, il fait son coming-out, vécu alors comme une provocation envers Dieu et envers l’église: «Si vous dites que c’est mal, eh bien, je choisis le mal.»
Devenir gay
S’ensuivent des années passées dans le milieu gay. De la même façon qu’il s’était fondu dans le moule chrétien, le voilà qui se conforme au prototype gay, entre soirées et salle de fitness. Il met de côté sa foi, même si, dans le fond, elle ne l’a jamais quitté. Petit à petit, une prise de conscience: «Putain! ce qu’on m’a dit c’est pas Dieu, c’est l’église. Dieu m’a créé comme je suis, je peux en être fier!» Déconstruire, un mot qui revient souvent dans sa bouche. Déconstruire les idées que l’on prend pour des vérités, dans la foi comme dans le monde, toutes ces idées qui ne sont vraies que parce qu’on ne les a jamais questionnées. Se trouver et s’accepter: «Impossible d’être heureux si l’on n’est pas fier de ce que l’on est.»
S’il a fallu avouer son homosexualité à sa famille et à son entourage, il lui a fallu également admettre sa foi face au milieu LGBT, bien souvent athée et très critique envers la religion. Adrian comprend cette hostilité, une «méfiance justifiée» eu égard aux discriminations dont l’église s’est rendue coupable. N’en demeure pas moins que «tout individu est en quête de sens» et qu’Adrian s’attriste à l’idée que certains s’excluent à priori de cette recherche au motif de leur orientation sexuelle.
Cette aversion est due selon lui à une confusion: la spiritualité ce n’est pas l’église et être croyant «ce n’est pas s’agenouiller le dimanche matin en récitant le Notre Père». Il ajoute, cependant: «Je ne condamne personne, si ça correspond à certains, très bien, je ne juge pas.» Toujours son discours est inclusif, visant à ne blesser, à n’exclure personne. Reste que sa vision est plus large, qu’il rêve d’une église qui accueille tout un chacun au-delà des genres, des orientations sexuelles ou même des confessions: LGBTTQQI2SA*, un sigle qui inclut tout le monde, même les hétéros!
juste un être humain
Adrian rejette les étiquettes. «Je ne suis pas homo, je ne suis pas chrétien, je suis juste un être humain.» À force de recherche, de travail sur lui-même, il se sent libre, «enfin». Et cette liberté, il souhaite inviter d’autres à la vivre et à la revendiquer, d’où l’antenne au sein de @LeLAB. Et cette liberté, il en a fait le mot d’ordre de sa vie. À présent, il est consultant en communication au sein de sa propre structure, agent musical et il écrit un roman… Et la suite? La suite, il verra, il a confiance. «Je n’ai plus besoin de savoir où je vais… je sais qu’il y a un fil rouge.»
» Plus d’infos sur @LeLAB et calendrier des prochaines rencontres sur: lelab.church
* lesbian, gay, bisexual, transgender, transsexual, questioning, queer, intersex, two-spirited, allies
Adrian écrit un roman, une fiction pour laquelle il s’inspire de son parcours. Il n’écrit jamais chez lui, mais dans un café. Un de ses endroits favoris? La Ferblanterie, rue de l’Ecole-de-Médecine à Genève, parce que, comme lui, «l’endroit est indéfinissable», dans son style comme sa clientèle.
Adrian accorde de l’importance à sa vie sociale. Il ne rate d’ailleurs jamais une soirée 360°. Il aime se retrouver dans le milieu LGBT et surtout il apprécie ces endroits où l’on est libre d’être soi-même, d’autant plus que chacun y est le bienvenu.
Ce grand sensible est sportif aussi, il prépare le marathon de New York. L’un de ses parcours habituels, longer l’Arve jusqu’au Bout-du-Monde, puis remonter à Vessy, Veyrier et redescendre par Carouge. «Courir c’est un moment de méditation, une communication simple avec soi-même et avec Dieu, c’est à dire se mettre en connexion avec sa nature émotive et spirituelle.»
«Pour que l’art ait une raison d’être, il faut que la personne qui l’expérimente soit un peu différente après.» Ces mots de Sonia Rickli délimitent parfaitement les contours de son art. Il y a certes un souci permanent pour la forme et la couleur, mais l’important est en deçà, il s’agit avant tout de la façon dont nous nous confrontons. L’œuvre de l’artiste genevoise n’est pas figée, mais vivante, c’est son corps qu’elle offre aux regards et bien plus…
Dans «Ken ou Barbie? Play with Me!», la performance qu’elle a réalisé au Centre d’Art Contemporain de Genève le 19 avril, le public jouait avec elle… «La transformation du public peut parfois passer par le contact, explique-t-elle. Je me sers du corps pour partager certaines questions.» Ses performances résonnent toujours avec des thèmes d’actualité qui lui sont chers. À l’occasion de cette soirée organisée conjointement par le festival gay et lesbien Everybody’s Perfect et le CAC, Sonia souhaite interroger le rapport de l’adulte à l’identité sexuée. Elle a choisi pour cela de travailler à partir de Ken et Barbie, jouets qui influencent notre perception du genre. «Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant le sexisme, que le regard porté sur le changement de sexe. Qu’est-ce que ça implique qu’un homme devienne une femme ou le contraire?»
Nécessaires
Sonia Rickli croit véritablement – quitte à passer pour une idéaliste – à la possibilité d’un monde meilleur. «La société a besoin d’artistes plus que de n’importe qui d’autre et sûrement plus que jamais.» Et la raison est simple et paradoxale: «L’artiste n’est pas toujours entendu à temps mais l’art répond au vide et à la peur…»
Elle sait mettre son grain de sel où cela dérange, comme à l’occasion de la fête du 1er août de l’an dernier sur la plage d’Yverdon où, crucifiée au centre d’un panneau blanc, un Guillaume Tell tirait sur elle des œufs remplis de peinture rouge, dessinant ainsi peu à peu le drapeau suisse… Le tout se déroulait sur fond d’une lecture de la Déclaration des droits de l’Homme. «Il s’agissait de nous interroger sur la construction de l’identité nationale, et notre capacité d’accueil.» Cette performance (L’autre 1er août) a été commandée au Live Art Club, société que Sonia a crée dans le but de «proposer des services artistiques sur-mesure aux particuliers, associations et entreprises». De nouveau, on retrouve le souci de la Genevoise d’adoption, de faire exploser les schémas traditionnels en établissant le contact entre des mondes qui d’ordinaire ne communiquent pas.
«Je déteste les ghettos. J’aime les mélanges et les différences»
Sonia vit de projets, d’idées, de lubies, de petits boulots aussi. La Valaisanne d’origine donne des cours de ski durant l’hiver, pose comme modèle, offre des lectures, fait des remplacements à l’école ou de l’éclairage de spectacle. Une vie spontanée, un brin chaotique… Précaire? «Je fais ce qui m’enthousiasme!», répond-elle. C’est un chaos ordonné. Alors, elle s’arrange, pratique le troc: du matériel de télémark contre un aspirateur, des cours de salsa contre des cours d’allemand, des coupes de cheveux contre ses prestations de DJ… Elle a confiance en la vie.
Cette spontanéité est la raison qui l’a poussée à se consacrer pleinement à l’art de la performance. Pas besoin de rechercher des financements, de préparer un projet pendant des mois, si elle a une idée elle la réalise: se déguiser en boule à facettes et se suspendre dans une discothèque, se couvrir d’argile et grimper dans les arbres de la ville pour les étreindre… Elle se décrit, non sans humour, «comme un colibri qui butine ça et là et profite de la quintessence de chaque fleur.»
«Quand vous dites ‘tantouze’ ou ‘tafiole’, vous me blessez, parce que mon fils est gay.» Le coming out n’est pas réservé aux jeunes gens qui décident d’annoncer à leurs proches qu’ils aiment les personnes de même sexe qu’eux. Roudy Grob, comme tous parents d’homosexuel, a dû lui aussi assumer, avouer à son entourage propre l’orientation sexuelle de son fils, Walter. Il y a dix ans, Roudy et sa femme Lucienne ainsi qu’un autre couple fondaient l’association Parents d’homos, pour aider les personnes qui, comme eux, apprenaient l’orientation sexuelle «différente» de leur progéniture. «Avec mon mari, raconte Lucienne, on a tout de suite décidé qu’on ne culpabiliserait pas, mais on s’est très vite rendu compte que pour d’autres parents, c’était plus compliqué.»
«Nous, nous ne sommes pas en danger physique, mais il y a le jugement des proches, des collègues, des amis. Il y a toujours ce préjugé qui pousse à chercher une cause. C’est pour cela qu’on se bat.»
Lorsque Carole Garcia apprend l’homosexualité de sa fille, c’est tout d’abord «le désarroi, l’incompréhension», l’envie de «sauver» sa fille. Le choc, puis l’acceptation. Quand, quelques années plus tard elle apprend que l’un de ses fils est homosexuel lui aussi, elle décide de s’engager pour changer la façon dont la société perçoit l’homosexualité. «Nous, nous ne sommes pas en danger physique, mais il y a le jugement des proches, des collègues, des amis. Il y a toujours ce préjugé qui pousse à chercher une cause. C’est pour cela qu’on se bat.» Lorsque des parents décide d’appeler Parents d’homos, ils témoignent tout d’abord de leur incompréhension. Ils vivent l’homosexualité de leur enfant comme une forme d’injustice: pourquoi ça leur arrive à eux? «Nous, on essaie de leur demander ce qu’ils craignent et ce qu’ils attendent de nous. Eux demandent souvent ce qu’ils peuvent faire, s’ils peuvent ‘guérir’ leur enfant», raconte Roudy. Difficile d’appeler, difficile de demander de l’aide, difficile aussi d’accepter une rencontre avec les membres de l’association. Des fois, les réactions sont plus violentes encore: «C’est pas mon fils. Moi, je ne l’ai pas élevé comme ça…»
À BAS LES TABOUS!
Outre les appels, l’association déploie un grand nombre d’activités de sensibilisation, principalement dans les écoles: ils s’entretiennent avec les élèves, les parents et les professeurs. Les interrogations de leurs interlocuteurs, les messages qu’ils transmettent diffèrent selon l’audience. Face aux élèves, ils évoquent leur vécu de parents, la façon la plus judicieuse d’avouer son homosexualité à ses proches. Face aux parents, ils commencent tout d’abord par leur dire que, selon toute probabilité, un ou plusieurs parents présents dans l’assemblée apprendront un jour l’homosexualité de son enfant. Ils tentent aussi de les convaincre de la nécessité de soutenir les initiatives des professeurs qui tentent de sensibiliser leurs élèves à ces questions pour éviter une querelle comme celle qu’a connue la France à propos de la théorie du genre. Aux enseignants, ils conseillent des lectures personnelles et des livres à mettre à disposition dans leur classe à l’intention des élèves. Ils ont par ailleurs réalisé une brochure très complète, «Parlons-en!», disponible sur le site internet de l’association.
Carole, Lucienne et Roudy le disent en chœur: ils ont besoin d’aide, des parents qui comme eux, seraient prêts à se battre pour briser le tabou de l’homosexualité – la règle dans beaucoup de milieux. Pourquoi s’engager? «Pour ses enfants! Pour moi c’est une question d’amour et de partage», lance Carole. Au-delà de la satisfaction de se savoir utile à leur progéniture, ils soulignent tous trois le caractère passionnant de cet engagement. Il y a le côté humain, dont parle Lucienne: «J’aime voir évoluer les situations, des couples qui nous appellent, qui peinent à accepter l’homosexualité de leur enfant et qui, quelque temps plus tard, nous annoncent qu’ils ont passé un Noël merveilleux avec leur fils et son petit ami.» Pour ces trois parents, c’est aussi un moyen de «ne pas s’enfermer dans un ghetto», d’apprendre de nouvelles choses, de se renseigner sur les sujets qui occupent les débats actuels: question de genre, mariage pour tous, bisexualité, etc. Parents d’Homos et l’une des seules associations à œuvrer en ce sens (outre un groupe lié à Vogay, dans le canton de Vaud). Parlez-en autour de vous! À vos parents surtout!
» Plus d’infos sur parentsdhomos.ch
«Il y a une quinzaine d’années», lorsque Régis Froidevaux rejoignait Juragai, «l’homo c’était, dans l’esprit populaire, la folle qui dansait nue sur un char de la gay pride.» Depuis, un sacré progrès: «A présent, les Jurassiens voient les homosexuels comme n’importe qui, comme leur voisin, comme leur coiffeur – enfin, non, mauvais exemple! – comme leur dentiste, comme monsieur et madame Tout-le-monde.» Le Delémontain de cœur, aujourd’hui âgé de 36 ans, se félicite d’avoir œuvré à la normalisation. En 2003 par exemple, Régis participait à l’organisation de la Pride de Delémont, essuyant injures et menaces, telle que celle de recouvrir de purin l’avenue sur laquelle devait se dérouler la marche.
«Choqué en bien»
Et malgré tout, à la clé, un succès. «Quand on a démarré le cortège, j’ai vu des centaines de personnes agglutinées sur les bords de la route. Un vieux monsieur m’avait même dit qu’il avait été ‹choqué en bien›, c’était complètement dingue.» L’acceptation populaire l’avait touché. Quel chemin en quinze ans: «A l’époque jamais on aurait osé s’afficher, se faire prendre en photo pour un journal.»
Petit à petit, Juragai est parvenu à faire partie du paysage associatif de la région, à devenir un interlocuteur respecté. Pourtant, lorsque Régis réjoignait Juragai, ce n’était pas pour l’activisme politique, mais pour la rencontre – un mot qui revient souvent sur ses lèvres. «Jusqu’à 19 ans, je n’avais aucun contact avec le milieu, je n’avais aucun modèle», raconte-t-il. «Je n’ai jamais eu de problème avec mon homosexualité. Je ne suis pas quelqu’un d’anxieux et je ne me pose pas dix milles questions sur le pourquoi du comment.»
Lorsqu’il raconte son coming out, il le fait ainsi, en trois temps: «Le premier jour, je mets un nom sur mon cas, ‹ je suis homo ›. Le lendemain, je rencontre Mathieu (son compagnon). Le surlendemain, j’annonce à ma mère que je viens souper le soir même, non pas avec une copine, mais avec mon copain.» Les angoisses pré-coming out, très peu pour lui. Une démarche moins aisée pour certains; Régis en est conscient. Offrir des modèles aux jeunes, un contact avec la communauté, c’est aussi l’une des raisons qui le pousse à poursuivre sont engagement associatif. Outre le combat politique, l’association participe au Pôle Prévention du canton du Jura et se rend dans les événements festifs (Les fours à Chaux, Le chant du Gros), dans les écoles aussi, pour sensibiliser les jeunes aux questions liées à l’orientation sexuelle.
Où sont les jeunes?
Juragai est très actif, tout d’abord par ces rencontres «conviviales» se déroulant plusieurs fois par mois. Elle compte 140 membres, dont une cinquantaine d’actifs. Régis écrit tous les deux mois le bulletin d’information de l’association, version papier. Il est convaincu que «son bébé» aide à fidéliser les membres. La moyenne d’âge? 47 ans… «Lorsque je me rends aux activités, je suis souvent le plus jeune», déplore le grand bonhomme qui s’inquiète de l’avenir de l’association, dans dix ou quinze ans. «Les jeunes ont les tchats internet, les soirées dans les grandes villes, etc.»
L’association cherche à recruter des jeunes membres, notamment pour participer à des actions de sensibilisation, mais c’est difficile. L’argument de Régis: «Venez soutenir l’association qui vous soutient!» A présent, Régis vit dans le village d’origine de son partenaire, Mathieu, à Tramelan, dans le Jura bernois, mais il reste très attaché à sa ville natale, le chef-lieu jurassien. Il travaille à Delémont, comme infirmier urgentiste, et y est par ailleurs guide touristique. Ses marottes: L’histoire, la nature, les randonnées, les gens… Un amoureux du partage et de la fameuse «convivialité jurassienne».
VISITE GUIDÉE ET CONVIVIALITÉRégis organise des visites guidées de la ville de Delémont, l’une d’elles notamment dédiée au passé industriel de la ville, en lien avec les mines de fer. «Parler de ça, dans ce magazine… je sais pas.» Si si, pour les passionnés d’histoire, comme lui. Pour le contacter, le site atpm.ch
Les premiers et les troisièmes vendredi du mois se déroulent des soirées conviviales dans les locaux de Juragai : film, discussion, jeux, etc. «L’occasion de rencontrer des indigènes, de boire un verre et de faire des connaissances.» juragai.ch
«Pour se ressourcer», une belle balade sur les crêtes du Chasseral, ou, si vous avez plus de temps, dans les préalpes appenzelloises ou aux Grisons. Petit côté écolo: «Pas besoin de traverser les océans pour se ressourcer: tu peux le faire en Engadine… même si, c’est vrai, la concentration de mecs au mètre carré sur Grindr y est plus faible.»
La petite pilule bleue n’est pas réservée à grand-papa. Loin de là. Un nombre croissant de jeunes gens ingèrent des comprimés de Viagra (Cialis ou Levitra, les produits génériques) dans le but de gonfler leur performance ou simplement de s’éviter le risque de devoir assurer à leur partenaire que «c’est la première fois, je te jure, je ne sais pas ce qui m’arrive». Ces nouveaux emplois de produits érectiles en disent long sur le rapport qu’entretient notre société avec le sexe, le désir et la performance… et la propagande des entreprises pharmaceutiques. Sabrina Ianniello, étudiante en sciences sociales à l’Université de Fribourg, en a fait le thème de recherche de son mémoire et elle a besoin de vous.
CHIFFRES GONFLÉS
Guéguerre de chiffres: selon certaines études, un jeune sur trois serait victime de troubles érectiles. Selon d’autres, un homme sur trois risquerait de souffrir de trouble de l’érection au cours de sa vie (principalement après 60 ans). Pourquoi de telles différences? «On assiste à une forme de pathologisation des troubles de l’érection qui s’explique par une majoration des chiffres», déplore l’étudiante. Pour parler crument: une petite panne et tac, on est étiqueté, et tac, on médicalise! On assisterait à une collusion entre chercheurs, médecins et entreprises pharmaceutiques.
Il existe également des statistiques sur l’utilisation des stimulants érectiles, toujours aussi divergentes. Selon une étude, menée par le «Journal of Sexual Medicine» en 2012, 8 % des jeunes hommes d’une moyenne d’âge de 22 ans consommeraient du Viagra…! Un chiffre élevé, certes, mais bien inférieur à celui d’un urologue genevois qui prétendait, lors d’une interview dans un quotidien romand, que 20 à 30 % des jeunes gens de moins de 30 ans consommeraient des stimulants érectiles. Notons également que la grande majorité de ces cachetons bleutés et autres produits dérivés consommés par les jeunes le sont sans avis médical. Ils se les procurent sur Internet, soit illégalement! Bien que l’on sache que la prise sauvage des stimulants érectiles peut avoir comme conséquences des maux de tête violents, des vertiges, voire entraîner la mort (si mélangé à d’autres substances, comme le poppers), il y a de quoi s’inquiéter.
CULTE DE LA VIRILITÉ
Selon toute vraisemblance, la majorité des jeunes gens qui goberaient cette pilule, ne le ferait pas pour lutter contre de réels troubles de l’érection. Pourquoi le font-ils, alors? Pornographie, culte de la performance, féminisme et individualisme contemporain, seraient une ébauche de réponse. «Les jeunes gens sont influencés par les représentations pornographiques quand ils envisagent leur propre sexualité. Dans ces films, l’homme est hyperperformant, ce qui peut mener les jeunes à douter de leur capacité, ou du moins à vouloir s’y conformer», explique, Sabrina Ianniello. De fait, certains jeunes prendraient des cachets en milieu de soirée, «au cas où» ils devraient prendre part, plus tard, à des réjouissances horizontales. La société actuelle est traversée par une manie de la performance. Pour être viril, il faut bander… longtemps, être un dieu des galipettes. Il faut vouloir faire l’amour, tout le temps, jusqu’au bout, sinon on risque d’être considéré comme déviant.
Ces exigences sont sources d’angoisse pour les hommes et, pour y faire face, rien de tel que ces conduites dopantes. Enfin, une autre hypothèse pour expliquer l’abus de ces substances est… les droits des femmes liés à la montée progressive du féminisme. Pour faire court, auparavant, le plaisir de la partenaire c’était – comment dire? – accessoire. À présent, les femmes revendiquent leur droit au plaisir, avec pour menace de quitter leur partenaire si elles ne peuvent obtenir satisfaction. Un bien, ça va sans dire, mais une pression supplémentaire pour les jeunes hommes, condamnés une fois encore à la performance. Les milieux gays, quant à eux, sont également très touchés par la prise de stimulants sexuels. Selon l’étude Gay Survey (2014), les substances les plus prisées lors des rapports sexuels entre hommes seraient l’alcool (50 %), le poppers (33 %), le Viagra (21 %) et le cannabis (15 %). Comment expliquer ces chiffres? Pourquoi les stimulants érectiles sont-ils pris si fréquemment? Pour passer des hypothèses à des explications, Sabrina attend votre témoignage.
APPEL À TÉMOIN (ANONYME)Quatre critères pour participer à l’étude: • Être consommateur de produits stimulant l’érection • Être un homme âgé de moins de 30 ans • N’avoir reçu aucun diagnostic confirmant une dysfonction érectile • Se procurer ces stimulants illégalement (Internet, deal, etc.) Si vous correspondez à ces critères, contactez Sabrina Ianniello, par mail sabrina.ianniello@unifr.ch ou par téléphone 078 696 04 20.
«Étude genre», «féminisme», «sexualitéS», des questions souvent réservées aux amphithéâtres universitaires. «La Fête du slip se donne justement comme mission d’aborder ces thématiques parfois complexes d’une façon drôle et décomplexée», raconte Stéphane Morey, qui partage la direction de l’événement avec sa sœur, Vivianne. Du 4 au 6 mars prochains, la ville de Lausanne sera le théâtre d’une efflorescence artistique (cinéma, arts vivants, arts vivants, musique) dédiée au cul… à une culture méconnue et éclatée.
La particularité du festival, c’est sa pluridisciplinarité. «Les différents travaux des artistes sont d’ordinaire exposés séparément, les regrouper c’est permettre aux œuvres de se faire écho». À la carte, de nombreux films, tels ceux de Jan Soldat, un réalisateur de documentaire allemand d’une trentaine d’années, dont le film d’école raconte l’histoire de deux hommes vivant en colocation avec deux chiennes, compagnes à quatre pattes avec lesquelles ils prétendent entretenir une relation amoureuse. Un autre de ses documentaires parle d’une «prison volontaire», un camp de vacances particulier où des hommes se rendent pour y être incarcérés, interrogés, torturés… «Le réalisateur s’intéresse au corps, à toutes les manières d’être bien dans son corps.»
Les pratiques sexuelles différentes, une thématique chère aux organisateurs. Sur le manifeste du festival disponible sur internet, on peut lire: «Il n’y a pas de façon plus ou moins juste ou valable de pratiquer le sexe. Chacun/e choisit celle qui lui convient.» Cette année, le festival n’a pas de thème particulier, mais fait la part belle aux arts vivants, avec notamment une performance de danse, à Sévelin 36, dans laquelle une compagnie danoise explore la question de la masculinité. De la musique aussi, avec notamment Sevdaliza au Bourg, une Hollandaise et ses sonorités RnB-électro-trap. Les arts visuels également, avec de nombreuses expositions de photos et d’objets, auxquels viennent s’ajouter les performances d’artistes locaux.
Palme au porno
Ce qui a fait connaître le festival et ce qui a défrayé la chronique, c’est la compétition de films pornographiques. Un comité spécial a visionné près de 110 œuvres de 17 pays et en a sélectionné 25… Rien à voir avec Youporn: «Dans le porno classique, il y a une surenchère du visible», note le Lausannois de 28 ans. La séquentialité, l’ordre dans lequel se déroule l’acte sexuel suit également toujours le même schéma type. La sélection de la Fête du slip privilégie d’autres pratiques, d’autres esthétiques: «Les films ne se limitent pas à la nudité ou à la génitalité et dénotent une approche artistique particulière.»
Le but de cette compétition: «visibiliser des œuvres que les gens ne voient pas d’eux-mêmes», mais aussi redonner sa place au porno. «La pornographie est consommée par beaucoup de gens et plutôt que de la reléguer dans le domaine de l’impudique, on devrait se rendre compte qu’elle véhicule des valeurs culturelles, esthétiques, sociétales», complète Stéphane Morey.
L’an dernier, le festival à attiré près de 3000 personnes, un public très diversifié. On y trouve des homos, des hétéros, de jeunes hipsters, des quadras théâtraux, de vieux littéraires, etc. Cette année apparaîtra sur le programme des pastilles de couleurs qui permettent de hiérarchiser la teneur des différents moments, du plus cool au plus hot.
» La Fête du slip, du 4 au 6 mars à Lausanne. Plus d’infos sur: lafeteduslip.ch
«À l’internat, je me faisais insulter. Tout le monde me regardait comme un pédé… Au bout d’un moment, je me suis dit stop!» Michael organise alors sa première soirée. Le thème: drag-queen. «On a monté un spectacle ; deux footballeurs du lycée étaient déguisés en gogo-dancer, moi et un autre, on était travelotés. J’ai fini par faire un lap dance sur les genoux du proviseur. Nous sommes passés instantanément du statut de paria à celui de star!»
Michael a 37 ans et cela fait plus de 15 ans qu’il organise des soirées à Lyon ; enfin, au départ, c’était lui, à présent c’est Chantal La Nuit. «Je m’ennuyais beaucoup dans le milieu mainstream. En fait, il n’y avait rien de culturel. Les gens venaient là juste pour consommer de la soirée… La fête dans le milieu gay se résumait à la recherche de bites et de culs». Le tournant, c’est d’avoir participé aux UEEH (Universités d’été euroméditerranéennes des homosexualités), un événement interassociatif, où il découvre des gens «comme lui», qui cherche à réfléchir aux questions de genre, à ce que le monde gay et lesbien peut apporter à la culture. Il y découvre «un milieu créatif très puissant, toujours en mouvement».
Contre l’invisibilité
«J’en avais marre des clichés qu’on trouvait dans le milieu gay masculin: Les mecs s’y regardaient en chien de faïence, il y avait peu de mixité et je m’y ennuyais. Il n’y avait ni ambiance, ni ambition culturelle. En fait, les soirées où les convives viennent costumés, c’est un contrepied à l’invisibilité des gays. Quand t’es ado, que t’es pd, tu fais tout pour qu’on te remarque pas. Tu te dis: Oui, je suis pédé, mais au moins je ne suis pas une folle.»
Lors d’un séjour à Barcelone, Michael découvre les queers. De retour à Lyon, il décide de se rendre en talon aiguille à une soirée, juste des talons. Dans la boîte, un fringothèque. Il enfile une robe, une perruque blonde qui contrastait étrangement avec sa barbe… («Conchita Wurst, la salope, m’a tout volé!») Il fait un malheur. «On m’a demandé comment je m’appelais, j’ai répondu spontanément Chantal.»
Comment est Chantal? «Elle a du bagout, elle est grivoise et elle aime bien montrer son cul.» Au cours du temps, le personnage a évolué: elle est passée de la cagole marseillaise en mini-jupe à la bourgeoise en robe élégante et minimaliste, «mais elle est toujours blonde et montre toujours son cul». Au départ, les soirée se déroulaient dans un petit bar, puis dans une péniche (Sonic), finalement au Sucre, un lieu de culture alternative. De minuit à une heure, une performance artistique ou un concert. Ensuite, de la musique indie-dance, house et techno… la fête dans tous ses états.
L’univers de Chantal
Chantal vous reçoit dans sa mythologie, avec des créatures queer, des gens costumés, des apollons en Spandex, des filles torse nu. Garçons sauvages se veut un espace de liberté, où chacun vient avec sa propre singularité. Le maître mot est de parvenir à rire de soi-même. «J’ai vu pas mal de mecs qui venaient à reculons à nos fêtes, la première fois du moins – c’est quoi ce truc? – et la fois d’après, c’est eux qui débarquent en talon!» Près de 80 % des 800 convives sont costumés. Le public devient acteur. «Si tu portes un costumes, tu es là pour déconner, l’ambiance est posée.» Tout de même, n’est-ce pas un risque que de souligner le cliché pédé – soirée – débauche, surtout dans le contexte politique actuel? «C’est pas grave. On aime faire la fête. Et chez les hétéros, c’est pareil.»
La France vire à droite. Laurent Wauquiez, un républicain aux reflets bleu Marine, a été élu président de la région de Lyon. Mauvais signe? «Lyon ne l’a pas élu, ce sont les régions périphériques. C’est plutôt une ville de centre droit, mais la population reste assez cool.» Chantal se veut confiante: «La rogne de la manif pour tous est en perte de vitesse. Avec le mariage pour tous, la loi dit à présent que deux hommes, deux femmes qui s’aiment ça existent… et vis-à-vis des jeunes, ça change tout.»
Bar, boîte et muséeChantal La Nuit aime Le Lavoir Public, pour les before, de 20h à minuit. «Les consos sont pas chères, l’esprit est bon enfant.» On y voit des hétéros, des gays, des personnes transgenres.
Le Sucre est un lieu culturel alternatif, qui propose souvent des artistes et des DJ, live. Le lieu accueillera les prochaines soirées Garçons sauvages, qui auront lieu le 13 février et le 16 avril prochain.
Lyon vient d’ouvrir un nouveau musée d’histoire naturelle, le Musée des Confluences. «Le lieu est neuf, l’architecture magnifique.» Il propose des expositions thématiques et un cabinet des curiosités.
L’intitulé d’une initiative, il faut savoir le lire comme la super offre d’abonnement pour seulement «99.- *» ; sans oublier l’astérisque. À la vue de ce symbole typographique, on se dit «il y a un hic»… et on a raison de le penser. L’initiative PDC sur laquelle les bons Helvètes se prononceront prochainement en est l’exemple parfait. À des fins de compréhension, nous vous proposons donc de la rebaptiser «Non à la pénalisation du mariage*» – astérisques à volonté.
C’est quoi le problème au juste? L’initiative du PDC vise avant tout une réforme fiscale: certains couples mariés paient davantage d’impôts que leurs homologues concubins et bénéficient d’une rente AVS moindre. «Non à la pénalisation du mariage*» souhaite corriger ce problème, en stipulant, dans la Constitution, l’impossibilité d’une telle inégalité de traitement. Jusque-là, on se dit «bon, pourquoi pas». Et on a tort. Pourquoi?
Mariage = homme + femme
Dans sa réécriture de l’article 14 de la Constitution, l’initiative va bien plus loin: elle définit une taxation basée sur l’unité «couple» et – ce qui nous intéresse davantage ici – elle grave dans le texte fondateur de notre démocratie la définition du mariage: «Le mariage est l’union durable et réglementée par la loi d’un homme et d’une femme.» Jusqu’ici, dans la Constitution, nulle mention restrictive de mariage n’est inscrite. «Nous ne faisons que répéter le droit en vigueur, une définition qui est celle de la convention européenne des droits de l’homme», se défendent les initiants.
Et oui, dans le fond, pour l’heure, le mariage c’est bien l’union entre un homme et une femme… Où est le problème? Pourquoi les associations LGBT sont-elles aussi virulentes? Pour le symbole? «Oui, mais pas seulement», répond Didier Bonny, membre du comité de Pro Aequalitate, une association nationale nouvellement créée qui a pour but la lutte pour l’égalité des droits des personnes LGBTI dans le cadre d’initiatives, de référendums et de votations populaires. «Inscrire une telle définition du mariage dans la Constitution créerait un obstacle à l’adoption du Mariage pour Tous.» Et oui, notre système politique est ainsi fait. Pour une réforme du Code civil, la majorité du peuple est suffisante.
Pour une réforme constitutionnelle cependant, non seulement le peuple, mais aussi les cantons doivent approuver le nouvel article. Or, si l’initiative du PDC est acceptée, l’adoption du mariage pour tous n’impliquerait plus seulement une réforme du Code civil, mais également une réforme de la Constitution. Sous couvert d’une révision de la fiscalité, l’initiative PDC ajoute ainsi un obstacle à l’adoption du Mariage pour Tous.
Unité de matière
«On peut même se demander comment une telle initiative a pu être soumise au peuple», s’étonne Didier Bonny. Pour qu’une initiative soit sanctionnée dans les urnes, faut-il déjà qu’elle respecte plusieurs critères, dont celui de «l’unité de la matière». Pour faire court: il doit exister un rapport clair entre toutes les parties de l’initiative pour que celle-ci soit valide. Exemple: «Légalisons le cannabis et interdisons les queues de cheval», ne passerait pas la rampe. Or, «Non à la pénalisation du mariage*» semble ne pas respecter ce critère, puisqu’elle allie une question fiscale à une question d’ordre sociétale.
«Lorsque l’initiative a été déposée, le débat en France sur le mariage pour tous n’avait pas encore eu lieu, mais, dès le début, Pink Cross avait relevé la définition problématique du mariage qu’elle contenait», ajoute Didier Bonny. Imaginons que l’initiative soit acceptée, quel message sera envoyé? «Les opposants au Mariage pour Tous s’enfileront dans la brèche, arguant que le peuple a, par le oui donné, signifié que le partenariat était suffisant.» Nous serions, par la même occasion, le premier pays d’Europe de l’ouest à inscrire cette définition du mariage dans la Constitution…
«Avançons ensemble» (à liker sur Facebook!) est le nom de la campagne de Pro Aequalitate. Afin de lutter contre l’initiative PDC, elle multiplie les actions sur le web et partout en Suisse, notamment par des stands d’informations et son road tour. L’association n’est pas la seule à s’opposer à l’initiative: PS, PLR, Verts, Verts libéraux se joignent à l’effort. L’argumentation ne porte pas seulement sur la définition restrictive du mariage, mais aussi sur le volet fiscal.
L’initiative propose d’envisager le couple comme une communauté économique, ce qui ferme la porte à une taxation individuelle, jugée plus égalitaire par beaucoup. De plus, l’inégalité fiscale attaquée par les initiants ne concerne que 80’000 couples plutôt aisés et entraînerait des pertes fiscales très importantes et, last but not least, elle établirait une discrimination entre couples mariés et concubins… Alors, tout compte fait, on pourrait rebaptiser l’initiative PDC «Oui à un cadeau fiscal pour les riches mariés, fichons-nous des concubins et enterrons le mariage pour tous», cette fois-ci, sans astérisque.
«Un portrait de moi… ça me fait chier, un portrait. C’est pas intéressant.» Bon, on parle de quoi alors? «Pourquoi pas d’Eddy Bellegueule [Édouard Louis, ndlr.]? Vous connaissez? Il publie son deuxième roman le 6 janvier. C’est un jeune homme de 22 ans, très brillant… c’est un peu mon fils adoptif.» Une autre fois, volontiers. Aujourd’hui, on va parler de vous, M.Tornare, de vos idées et de vos convictions au moins. On ne fera pas une bio, promis.
Qu’est-ce que vous jugez digne d’intérêt alors? «Ce qui se passe autour de l’article 261 bis du code pénal, par exemple». L’article en question condamne les propos ou actes qui incitent à la haine ou à la discrimination envers une personne en raison d’une appartenance raciale, ethnique et religieuse, tout comme l’antisémitisme. Depuis peu, «grâce au travail courageux de Mathias Reynard», conseiller national PS, il s’applique également aux discriminations homophobes. Avec la nouvelle majorité du parlement, son existence est en danger, ce qui inquiète Manuel Tornare: «En gros, tout ce qu’il y a de plus homophobe au parlement, va essayer de le balayer».
Que répond le président de la LICRA-Genève à ceux qui l’accusent de vouloir bâillonner la liberté d’expression? «Je vous rappelle que les jeunes homosexuels se suicident cinq fois plus que la moyenne. La liberté d’expression a ses limites.» À ses yeux, c’est une question de vivre ensemble: «La discrimination engendre la violence et la haine. Exacerbée, on sait très bien où ça conduit». À l’arsenal pénal, il faut encore ajouter l’information. Raison pour laquelle, il a lancé une action de sensibilisation dans les clubs sportifs, lorsqu’il était maire de la Ville de Genève. La liberté, c’est l’une des valeurs essentielles à ses yeux, mais pas celle de «dire n’importe quoi, de mentir et de manipuler».
S’il faut se battre pour les libertés, autant se battre pour celles des minorités, comme celles des couples homosexuels à avoir les mêmes droits que les couples hétéros. Oui, il est pour un mariage pour tous en Suisse, même si, à 64 ans, il est «trop vieux pour ça» et que, personnellement, il n’aurait pas choisi cette voie. «Certains accusent les homosexuels de vouloir singer la famille traditionnelle et bien quoi? C’est leur droit». Il ajoute: «Le PACS, comme le mariage, donne des droits légitimes: vous partagez la vie de quelqu’un·e pendant X ou Y années, il disparaît et vous vous retrouvez sans droit?»
Les conservateurs ont perdu
Peu importe les opposants à ces réformes, ils ont, selon lui, perdu d’avance. «Malheureusement pour les conservateurs, le peuple ne les suit pas: la vision papa, maman, enfant, ça ne correspond plus à la réalité.» Manuel Tornare s’amuse de les voir s’agiter pour conserver un modèle de société qui n’a plus cours.
«Il y a un temps politique.» Parfois, il est temps d’agir, parfois il est temps d’attendre, au risque d’essuyer un échec devant les chambres ou le peuple. C’est la raison pour laquelle, le conseiller national n’avait pas souhaité défendre l’ajout de la transphobie à l’article 261 bis: «La politique c’est l’art du possible. Il faut parvenir à construire des majorités. Si on ajoutait cette clause-là, on savait que l’ensemble du projet capoterait…». Partie remise. Manuel Tornare a toujours refusé d’utiliser son homosexualité comme étendard, même s’il ne s’en est jamais caché: «Je ne veux pas être considéré comme un politicien uniquement étiqueté gay. Je ne suis pas monomaniaque». Son engagement politique dépasse sa simple identité, il découle de ses valeurs: liberté, engagement et autonomie, des valeurs chères à Camus, penseur qu’il admire depuis l’adolescence.
La lutte pour les droits LGBT fait partie d’un tout, avec le combat contre le racisme, le sexisme et toutes les autres formes de discrimination. Ces luttes-là s’inscrivent elles-mêmes dans une vision plus large de justice et de cohésion sociale, de respect; un respect envers les humains, les animaux et la nature aussi. «Il n’y a pas de hiérarchisation des thèmes en politique, tout est important.»
Une dernière question M. Tornare, à vous qui évoluez dans les hautes sphères du pouvoir: Que penser du fameux «lobby gay» et de son influence grandissante dénoncée avec véhémence par les nouveaux réacs du net? «Depuis 2011 que je suis à Berne, j’ai surtout vu la puissance du lobby des assureurs, de l’UBS et des marchands d’armes. S’il y en avait un, je serais plus riche même si je n’ai jamais accepté de ma vie d’être ‹ acheté ›.»
Bistrots et bons bouquins«Mon QG c’est le restaurant du Jet-D’Eau à la rue des Eaux-Vives», son quartier. «J’y emmène mes amis, Delanoë quand il est de passage». Un endroit que Manuel Tornare apprécie parce qu’il est simple et populaire, sa cuisine familiale et «pas prétentieuse».
Il aime également se rendre au «Nathan Café», un bar gay genevois. Il connaît bien le patron, Yves-Olivier, qui a été son élève, lorsqu’il était professeur de français et de philosophie au collège.
Féru de littérature, le politicien apprécie tout particulièrement les petites échoppes, «celles dont les libraires lisent des livres et en son amoureux». Sa favorite, «La librairie Le Parnasse», rue de la Terrassière.
Dans l’imaginaire collectif, les homosexuels, hommes et femmes, étaient envoyés systématiquement dans les camps de concentration par les nazis, affublés d’un triangle rose ou noir et exterminés. «La répression est plus variée et il faut se méfier des raccourcis, c’est du pain bénit pour les négationnistes», alerte l’historien Jean-Luc Schwab. De passage à Saint-Imier (BE) dans le cadre du Week-end sur l’homophobie organisé conjointement par Juragai, Togayther et Espace Noir, il y a donné une conférence sur la persécution des homosexuels sous le régime nazi, en présentant le destin de quelques natifs de Suisse présents en Alsace entre 1940 et 1945.
«L’envoi des homosexuels dans les camps de concentration n’était pas la norme» Jean-Luc Schwab
Jakob Z., Frédéric B., Franz H., Ernst K., Johann R (1) , autant d’homosexuels présumés ou avérés, d’origine suisse, ayant subi la répression nazie. Interrogatoires, expulsion vers la Suisse, détention préventive, voire réclusion concentrationnaire, voilà le sort qui leur a été réservé.
«L’envoi dans les camps de concentration n’était cependant pas la norme, explique Jean-Luc Schwab, mais il peut s’appliquer à certains condamnés récidivistes. Depuis le années 1970, certains militants LGBT rapprochent la déportation des homosexuels et celle des Juifs, la réalité est très différente.» De fait, les nazis imaginaient l’homosexualité comme un danger pour la jeunesse et pour la natalité (2).
Les individus signalés comme homosexuels dans les camps (6000 à 15’000 selon les estimations) y ont subi, comme beaucoup d’autres, la promiscuité, le travail forcé, la malnutrition et les mauvais traitements des gardes. Pas de «solution finale» pour eux, mais un bilan terrible malgré tout: environ 60 % meurent, contre 40 % chez les opposants et plus de 95 % parmi les Juifs.
Ce fort taux de mortalité parmi les déportés «non-raciaux» s’explique en partie par l’organisation concentrationnaire. «On pratique au camp une forme d’autogestion, avec des chefs choisis parmi les détenus, raconte l’historien alsacien. Issus d’une catégorie minoritaire, souvent sans attache à des groupes politiques ou nationaux, ces hommes sont exclus des réseaux d’entraide, fondamentaux à la survie dans les camps.»
Les femmes aussi
L’uniforme des déportés portait un symbole renvoyant au motif de détention: étoile jaune pour les juifs; triangle rose pour l’homosexualité, rouge pour les opposants politiques, vert pour les criminels, violet pour les Témoins de Jéhovah, brun pour les Tsiganes et noir pour les asociaux. Cette dernière couleur aurait été attribuée aux lesbiennes selon la doxa militante. «Elles pouvaient être juives, communistes, etc., et se trouvaient être homosexuelles. Mais leur orientation sexuelle n’était pas le motif de leur déportation», explique Jean-Luc Schwab.
De fait, le paragraphe 175 du Code pénal allemand ne fait mention que de l’homosexualité masculine: «Les actes sexuels contre nature qui sont perpétrés, que ce soit entre personnes de sexe masculin ou entre humains et animaux, sont passibles de prison; il peut aussi être prononcé la perte des droits civiques». Cette version initiale est renforcée par les nazis en 1935. Pourtant, dans l’Allemagne des années 1920 régnait une relative tolérance envers les homosexuels. qui disposaient de nombreux lieux de sociabilité. «La loi condamnait certes les rapports homosexuels, mais pas l’intentionnalité, comme le permettra la version nazie en plus de nouveaux cas aggravants, raconte Jean-Luc Schwab. À l’origine, la charge de la preuve incombait à l’accusation, une tâche difficile quand l’acte est consenti et pratiqué entre adultes dans la sphère privée.»
Quasiment dès son arrivée au pouvoir, le parti nazi vise les homosexuels berlinois et leurs lieux de rencontre; les lesbiennes subissent, elles aussi, cette répression. «Leurs associations, revues, locaux sont interdits. Mais la société d’alors et a fortiori les nazis et leur approche viriliste ne voient pas en l’homosexualité féminine le même danger.» Selon Himmler, ardent pourfendeur de l’homosexualité, les hommes concernés représentent eux une menace réelle pour l’utopie national-socialiste et la perpétuation de la race aryenne… gravissime même pour cette forme de dégénérescence supposément contagieuse.
(1) Il est nécessaire de conserver leur anonymat. La règle française ne permet de citer les noms complets que 75 ans après leur décès.
(2) La «tare corrigible» ne valait quasiment que pour les femmes…
» A lire, de J.-L. Schwab: «Rudolf Brazda, Itinéraire d’un Triangle rose». Ed. Florent Massot, 2010.
Mi-octobre a eu lieu le colloque «Histoire comparée des homosexualités au XXe siècle», à l’Université de Lausanne, réunissant des spécialistes suisses, français, italiens, allemands et belges. L’occasion de retracer les contours des histoires des homosexualités en Europe: répression, «invisibilisation» et ouverture. Triptyque.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, les sociétés européennes sont tolérantes envers les homosexuels. «Berlin à cette époque est pauvre, mais sexy», résume Thierry Delessert, chercheur postdoctoral et organisateur du colloque. Dès les années 30, c’en est fini de cette liberté, place à la répression policière et pénale, partout en Europe. Les chercheurs ont eu accès aux dossiers de police de l’époque et ils ont été stupéfaits par ce qu’ils contenaient: «Alors que les dispositifs pénaux condamnaient le fait même d’être homosexuel, les interrogatoires portaient sur les pratiques, au-delà de toute raison. Qui a joui le premier? Qui était passif? Actif?», raconte Thierry Delessert. Apparaît ainsi la volonté de punir le plaisir plus que l’acte. «L’interrogatoire visait à déterminer quand l’inverti devient féminin.»
De fait, la peine était moins lourde pour les actifs que pour les passifs. A la fin de la 2e Guerre Mondiale, parfois même plus tôt, le climat se détend. En Suisse, dès 1942, l’attitude de l’État envers les homosexuels se résume à «restez entre vous et fichez-nous la paix», une politique similaire à celle des autres pays occidentaux. Ce qui s’apparente à une certaine tolérance était en fait une injonction à l’invisibilité. Relents d’eugénisme: «Les homosexuels font l’amour entre eux, ils vont finir par s’éteindre en ne transmettant plus leur tare», voilà le genre de propos qu’on pouvait entendre, raconte Thierry Delessert.
Mais tandis que les nations européennes se déclarent «pénalement tolérantes», on assiste, dans les faits, à des mesures de répressions policières: rafles dans les parcs et les bars jugés «homos». Une politique de harcèlement, comme l’explique le chercheur: «Il n’y avait pas de peine à la clé, c’est pourquoi les statistiques ne reflètent pas les ennuis que vivaient les individus au quotidien. » C’est le moment de la Guerre froide et de la traque aux «ennemis intérieurs». Les pratiques de l’homosexuel étant honteuses, on imagine qu’il est facilement manipulable par les puissances extérieures, qu’il peut être contraint, sous la menace d’une dénonciation publique de ses travers, de nuire à la Patrie.
Sortir du placard
Le dernier tableau évoqué par le colloque retrace la fin de l’invisibilité : Les années 70 où les homosexuels revendiquent leur droit. «Stonewall aurait pu se passer à San Francisco, Londres, Berlin ou Zürich», souligne le chercheur. Partout, on cherche à retourner le stigmate: «gay», «schwul», «PD», ces quolibets deviennent des étendards. C’est le moment où les homosexuels sortent du placard, affichent leurs différences. Ils aspirent pour beaucoup à des idéologies d’extrême gauche, à la révolution. Longtemps on a cru que la Suisse était en retard quant à son attitude envers les homosexuels. Le colloque de l’UNIL a permis de rendre inepte cette idée et de mettre au jour la nécessité pour les différents chercheurs européens de travailler en réseau. «Contrairement à ce qu’on pense, on a une histoire, on a une identité, on existe», souligne Thierry Delessert.
Le colloque avait à cœur de ne pas omettre la question de l’homosexualité féminine, une gageure: «Il m’a fallu trois mois pour trouver des intervenants parlant des femmes, une semaine pour les hommes», s’agace Thierry Delessert. Pourquoi cela? Les rapports de police, les condamnations concernent pratiquement exclusivement les hommes. Bien que l’homosexualité féminine ait toujours été soumise au même dispositif pénal que l’homosexualité masculine, les femmes n’ont jamais subi les mêmes répressions que les hommes.
Difficile pour un historien de trouver les sources nécessaires à une étude historique, car l’homosexualité féminine relève du domaine de l’intime. Pour faire ressortir sa spécificité, il est nécessaire d’étudier les correspondances, les journaux intimes. Vérité cruelle pour les femmes en général: leur sexualité est niée. Et pour les lesbiennes, «surniée»: «Les répressions sont rares. Les policiers trouvent l’homosexualité féminine cocasse, gentillette, et c’est déjà le début du fantasme hétérosexuel pour les rapports entre femmes», raconte l’universitaire.
Jusqu’aux années 70, les lesbiennes vont accepter le mariage pour se cacher. Elles sont invisibles. Lorsque débutent les mouvements de revendications des droits pour les homosexuels, les lesbiennes se joignent aux féministes, avant de s’en séparer et de créer leur groupe non mixte, pour affirmer un lesbianisme identitaire. Car ce sont les critiques féministes qui furent les plus violentes envers les lesbiennes, vues comme des «traitresses à la cause».
«Si l’on s’en tient au recensement, entre 200 et 400 personnes trans* sont assassinées par année», déplore Marianne de Uthemann, 36 ans, responsable du Groupe Trans de l’association 360, «mais dans la réalité, c’est sans doute beaucoup plus que ça: ces chiffres ne représentent que les cas recensés par un nombre restreint d’associations, dans un nombre restreint de pays.» Pour la troisième année consécutive, un hommage sera rendu aux victimes à l’occasion du Transgender Day of Rememberance (TDOR), le 20 novembre, rue du Mont-Blanc à Genève. Cette journée a pour but de sensibiliser la société aux violences multiples endurées par la communauté trans*.
Ces actes de violence peuvent par exemple être la résultante d’un coup de cœur mal assumé, comme le raconte la militante: «Un homme découvre que la nana avec laquelle il a flirté est une personne trans* et entre dans une colère noire, qui peut aller jusqu’au meurtre.» Si aucun assassinat de personne trans* n’a été recensé en Suisse ces dernières années, ces crimes odieux se sont déroulés en France, en Angleterre, en Italie, en Espagne… «Il n’est pas certain qu’il n’y en ait eu aucun en Suisse, car ce n’est pas forcément recensé comme tel par les autorités, mais ce qui est certain, ce que ça se passe près de chez nous», note Marianne de Uthemann.
Il y a l’assassinat, certes, mais il y a aussi les viols, les coups, les insultes. Des atteintes pour lesquelles les victimes renoncent souvent à porter plainte: «Si la femme trans* n’a pas terminé son processus de transition – jusqu’au changement d’état civil – les policiers vont se référer à elle en tant qu’homme, première humiliation, et réduire à une bagarre entre hommes ce qui était une agression sexiste ou sexuelle», raconte la militante. Plus grave encore, ces femmes trouveront difficilement du soutien chez les groupes de défense: «Il n’existe pas de structure réellement adaptée. À 360, nous faisons ce que nous pouvons, mais nos moyens sont faibles. Il faut que cela change.»
Phobie à deux vitesses
Qu’en est-il de la loi, protège-t-elle les personnes trans*? Bientôt l’homophobie pourrait être pénalisée au niveau fédéral. Pour la transphobie, rien. Un «oubli» qui a de quoi choquer: «Les politiciens préfèrent avancer par petits pas, car la transidentité effraie! C’est injuste: les personnes trans* sont davantage victimes d’agressions que les homosexuels!» C’est une des questions centrales: «Le T est presque toujours mis à la traîne des revendications LGBT.»
«Les personnes trans* sont trop souvent mises au ban de la société», raconte Marianne de Uthemann: elles sont précarisées, stigmatisées, discriminées à l’embauche, maltraitées… et parfois même assassinées, comme le rappelle le TDOR. Le 20 novembre, rue du Mont Blanc, seront énoncés les noms de celles et ceux qui ont péri cette année en raison de leur transidentité et on allumera des bougies pour saluer leur mémoire. S’ensuivra un concert de rue avec une performance des «King’s Queer» et une soirée à Dialogai «Tords le cou à ton genre», car «faire la fête, dans ce contexte, c’est aussi faire un pied de nez à la violence».
Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai l’impression de pouvoir repérer les homos juste comme ça, tac, d’un coup d’œil. Dans le jargon, on dirait que je suis équipé d’un «gaydar» (contraction de gay et radar) efficace… Mais voilà: Une récente étude scientifique tendrait à prouver qu’une telle faculté n’existe pas et, pire encore, que croire en son existence inviterait à étiqueter à tout-va le cœur léger… Jusque-là, j’avais bonne conscience.
De nombreux travaux scientifiques ont été écrits sur le sujet, certains défendant la réalité de cette faculté, d’autres dénonçant un mythe. Celui qui nous intéresse ici, réalisé par le département de psychologie de l’Université de Wisconsin-Madison, vient contrecarrer une étude selon laquelle il serait possible de déterminer l’orientation sexuelle d’une personne simplement en voyant sa photo…
Les travaux de l’équipe de William Cox ont prouvé le contraire et ils ont même mis à jour le biais de l’étude de 2008: la qualité des images! Il semble que les homos aient des exigences plus hautes que les hétéros quant au choix de leur photo de profil sur les sites de rencontre. Ébauche d’explication donnée par la nouvelle étude: Le marché étant plus restreint, l’offre doit être plus alléchante. Dans un second temps, le panel s’était vu présenter des photos de profil associées à une courte description, du genre «aime le shopping» ou «aime le foot». Or plus que les faciès, c’est bien ces phrases stéréotypées qui ont déterminé le choix des cobayes. Les Sherlock à la petite semaine ont fait des liens du type «t’es coiffeur, t’es homo», «t’aimes les voitures, t’es hétéro». Enfin, dans un troisième temps, les chercheurs ont remarqué que les participants à l’étude avaient été plus enclins à laisser s’emballer leur étiqueteuse si on leur disait, dans le préambule, que le gaydar existait bel et bien.
Déraisonnable
Raisonner par catégories, c’est pas bien, on le sait. Or, faire passer le gaydar pour un sixième sens ou une intuition, c’est justement rendre acceptable un jugement de cette nature. Encore, si les stéréotypes étaient utiles, mais leur pouvoir prédictif est nul, surtout pour ce qui est des affinités de plumard… Pourquoi? À cause du nombre. Pour que d’un trait distinctif l’on puisse inférer une orientation sexuelle, il faudrait que ce trait soit vingt fois plus fréquent chez les homos que chez les hétéros, parole de statisticien.
William Cox le résume à merveille: Si 100% des homosexuels et 10% des hétéros portaient des t-shirts roses en permanence, y aurait toujours deux fois plus d’hétéros vêtus de rose que d’homosexuels dans la même tenue. Ce qu’il est également intéressant de noter est que seuls les éléments couramment associés à l’image de l’homosexuel sont utilisés par le soi-disant gaydar: «aimant la mode» ou «est bien coiffé», et non pas, par exemple, «est alcoolique» – alors que selon une autre étude étas-unienne, un homosexuel aurait trois fois plus de chance d’être alcoolique qu’un hétéro.
Vilain stéréotypeur
Enfin, un autre danger du raisonnement par stéréotype est qu’il implique souvent une erreur logique connu sous le nom d’affirmation du conséquent. Un exemple: De «Si t’es homo, t’aimes le shopping», nombreux vont déduire à tort «si t’aimes le shopping, t’es homo».
Malgré les attaques contre mon sixième sens, je m’en sens toujours pourvu. Suis-je un vilain «stéréotypeur»? A mes yeux, cette étude s’attaque à des moulins à vent. Mon radar ne fonctionne ni à «aime le shopping» ni à «est coiffeur» et il est absolument inefficace sur les photos de profil, comme sur la taille des orteils d’ailleurs. Il se déclenche à la façon de se tenir ou de marcher, au regard et à plein de petits riens que je ne saurais énumérer… Mais il ne fonctionne que sur les hommes, je suis incapable de débusquer une lesbienne, pas même dans un magasin de bricolage! Il doit y avoir un biais dans mon analyse, mais lequel? Vivement qu’une nouvelle étude scientifique vienne me déniaiser.
«Inferences About Sexual Orientation : The Roles of Stereotypes, Faces, and The Gaydar Myth», William T. L. Cox*, Patricia G. Devine, Alyssa A. Bischmann & Janet S. Hyde, 2015
«Que des gens acceptent de subir sans réagir, j’arrive pas à comprendre!» Un coup de gueule qui pourrait résumer à lui seul l’engament politique et associatif, le caractère même de Barbara Lanthemann, secrétaire générale de l’organisation suisse des lesbiennes (LOS) et députée suppléante au Grand Conseil valaisan. Une vie passée à militer, à convaincre, à lutter pour ses idéaux. Un combat personnel tout d’abord, pour qu’on l’accepte telle qu’elle est: «J’ai toujours eu le béguin pour les filles. Je tombais amoureuse de mes voisines, pas de mes voisins», lâche-t-elle en souriant. Barbara a grandi dans un milieu très conservateur où le rôle de la femme était bien défini: «Je n’arrivais pas à accepter que j’allais devoir me marier à vingt ans, être soumise et faire six gosses.»
Devenir soi-même
A seize ans, lorsqu’elle parle de Ruth, un amour de vacances, à ses parents, elle se heurte à un mur d’incompréhension. «Pour eux, c’était un péché! Ils m’ont envoyée dans des familles intégristes pour me redresser!» Deux ans plus tard, elle claque la porte. Déjà elle était têtue. Elle rejoint Alpagai, peu de temps après sa création, «une nouvelle naissance». Au départ, il ne s’agissait pas de militer, mais de faire des rencontres, d’assumer leur identité: «On allait souper au restaurant en groupe, rien que ça c’était quelque chose.»
Elle se souvient, émue, d’un Noël «bouée de sauvetage», dans l’appartement de l’association: «C’est la première fois que j’ai décoré un sapin en me disant que ça avait du sens.» Plus tard, elle deviendra présidente de l’association. Son premier combat politique: la loi sur le partenariat enregistré. «Même lors de la campagne, c’était difficile de s’afficher. J’étais toute seule devant, et il y en avait quinze derrière qui faisaient tout pour pas qu’on les voit!»
Transpireurs
Barbara n’a jamais eu froid aux yeux, un trait qui plaît au valaisan: «J’ai compris que dans ce canton on aimait les transpireurs. Il faut montrer qu’on n’a pas peur et alors on vous laisse être vous-même.» Après la victoire du Pacs en 2005, Barbara rejoint LOS pour reprendre le poste de secrétaire romande, toujours avec le mot d’ordre: «Rien ne sert de se plaindre, il faut agir.» En 2013, elle en devient la secrétaire générale. Son objectif, donner une plus grande visibilité à l’association en Suisse romande et l’installer davantage dans le débat public. Mission accomplie, mais la lutte continue, en bataille rangée!
La militante, employée de commerce de formation, est une gestionnaire hors pair: «Je suis très organisée!» A cinquante ans, elle se lance dans une nouvelle campagne: L’élection au conseil national de cet automne, sur la liste PS. «J’ai toujours été indépendante, mais j’ai aussi toujours été de gauche, pour les valeurs humanistes, la justice sociale, le respect des migrants et, bien sûr, les questions LGBT.» L’une des têtes de liste, Mathias Reynard, «un type exceptionnel», «un hétéro qui se bat pour la cause». Elle partage son projet d’ajouter l’homophobie à la liste des discriminations punies par la loi.
Si Barbara Lanthemann a fait de sa vie un combat, c’est avant tout parce qu’elle l’aime, la vie… les rencontres, la bonne chair, les arts. L’une des ses plus grandes fierté, son livre, sorti cet été. Un ensemble de poèmes, de petits textes et de nouvelles, sur ce qu’elle admire: les battants et, surtout, les femmes… «Ce qui me touche, c’est ce mélange de vulnérabilité et de combativité. Rien n’est plus troublant qu’une femme qui milite et qui craque.»
Rencontre, nature et whiskyUne bonne adresse pour rencontrer des gens sympas ? Les locaux d’Alpagai, rue du Rhône à Sion, tous les vendredis soir. «Il y a un tout nouveau comité et il font vraiment des choses extra.» Celle qui se décrit comme «la personne la moins sportive du monde» aime à se promener avec Douma, son chien «à tête de loup». L’un de ses coins favoris, Derborence, «pour se souvenir de la force de la nature et se rendre compte qu’on n’est pas grand chose». Quand elle a un petit coup de blues le soir, elle se rend chez Paulette and Co, au sommet de la rue de Grand-Pont, à Sion. Un bar tenu par Yasmina, une «nana extraordinaire». enfin, l’un des endroits qu’elle préfère, c’est son carnotzet, au sous-sol de sa maison de Saxon, où «on refait le monde», un bon verre de bon whisky à la main. Vous y êtes invités, chers lecteurs. Il suffit de s’annoncer.
«Que des gens acceptent de subir sans réagir, j’arrive pas à comprendre!» Un coup de gueule qui pourrait résumer à lui seul l’engament politique et associatif, le caractère même de Barbara Lanthemann, secrétaire générale de l’organisation suisse des lesbiennes (LOS) et députée suppléante au Grand Conseil valaisan. Une vie passée à militer, à convaincre, à lutter pour ses idéaux. Un combat personnel tout d’abord, pour qu’on l’accepte telle qu’elle est: «J’ai toujours eu le béguin pour les filles. Je tombais amoureuse de mes voisines, pas de mes voisins», lâche-t-elle en souriant. Barbara a grandi dans un milieu très conservateur où le rôle de la femme était bien défini: «Je n’arrivais pas à accepter que j’allais devoir me marier à vingt ans, être soumise et faire six gosses.»
Devenir soi-même
A seize ans, lorsqu’elle parle de Ruth, un amour de vacances, à ses parents, elle se heurte à un mur d’incompréhension. «Pour eux, c’était un péché! Ils m’ont envoyée dans des familles intégristes pour me redresser!» Deux ans plus tard, elle claque la porte. Déjà elle était têtue. Elle rejoint Alpagai, peu de temps après sa création, «une nouvelle naissance». Au départ, il ne s’agissait pas de militer, mais de faire des rencontres, d’assumer leur identité: «On allait souper au restaurant en groupe, rien que ça c’était quelque chose.»
Elle se souvient, émue, d’un Noël «bouée de sauvetage», dans l’appartement de l’association: «C’est la première fois que j’ai décoré un sapin en me disant que ça avait du sens.» Plus tard, elle deviendra présidente de l’association. Son premier combat politique: la loi sur le partenariat enregistré. «Même lors de la campagne, c’était difficile de s’afficher. J’étais toute seule devant, et il y en avait quinze derrière qui faisaient tout pour pas qu’on les voit!»
Transpireurs
Barbara n’a jamais eu froid aux yeux, un trait qui plaît au valaisan: «J’ai compris que dans ce canton on aimait les transpireurs. Il faut montrer qu’on n’a pas peur et alors on vous laisse être vous-même.» Après la victoire du Pacs en 2005, Barbara rejoint LOS pour reprendre le poste de secrétaire romande, toujours avec le mot d’ordre: «Rien ne sert de se plaindre, il faut agir.» En 2013, elle en devient la secrétaire générale. Son objectif, donner une plus grande visibilité à l’association en Suisse romande et l’installer davantage dans le débat public. Mission accomplie, mais la lutte continue, en bataille rangée!
La militante, employée de commerce de formation, est une gestionnaire hors pair: «Je suis très organisée!» A cinquante ans, elle se lance dans une nouvelle campagne: L’élection au conseil national de cet automne, sur la liste PS. «J’ai toujours été indépendante, mais j’ai aussi toujours été de gauche, pour les valeurs humanistes, la justice sociale, le respect des migrants et, bien sûr, les questions LGBT.» L’une des têtes de liste, Mathias Reynard, «un type exceptionnel», «un hétéro qui se bat pour la cause». Elle partage son projet d’ajouter l’homophobie à la liste des discriminations punies par la loi.
Si Barbara Lanthemann a fait de sa vie un combat, c’est avant tout parce qu’elle l’aime, la vie… les rencontres, la bonne chair, les arts. L’une des ses plus grandes fierté, son livre, sorti cet été. Un ensemble de poèmes, de petits textes et de nouvelles, sur ce qu’elle admire: les battants et, surtout, les femmes… «Ce qui me touche, c’est ce mélange de vulnérabilité et de combativité. Rien n’est plus troublant qu’une femme qui milite et qui craque.»
Rencontre, nature et whiskyUne bonne adresse pour rencontrer des gens sympas ? Les locaux d’Alpagai, rue du Rhône à Sion, tous les vendredis soir. «Il y a un tout nouveau comité et il font vraiment des choses extra.» Celle qui se décrit comme «la personne la moins sportive du monde» aime à se promener avec Douma, son chien «à tête de loup». L’un de ses coins favoris, Derborence, «pour se souvenir de la force de la nature et se rendre compte qu’on n’est pas grand chose». Quand elle a un petit coup de blues le soir, elle se rend chez Paulette and Co, au sommet de la rue de Grand-Pont, à Sion. Un bar tenu par Yasmina, une «nana extraordinaire». enfin, l’un des endroits qu’elle préfère, c’est son carnotzet, au sous-sol de sa maison de Saxon, où «on refait le monde», un bon verre de bon whisky à la main. Vous y êtes invités, chers lecteurs. Il suffit de s’annoncer.
«Journal», c’est une bande dessinée autobiographique dans laquelle le Français Fabrice Neaud raconte son quotidien: celui d’un artiste au chômage, d’un homosexuel qui sort la nuit dans les parcs pour faire des rencontres, d’un jeune homme qui tombe amoureux. Cette BD, le Valaisan Stefan Hort de la compagnie.sh a fait le pari de l’adapter à la scène: «J’ai été fasciné par la précision des dessins, chaque case est une œuvre d’art, et Fabrice Neaud a un regard très lucide sur lui-même et ce qui l’entoure, c’est quasiment un sociologue.»
Drague en plein air
Le terrain d’étude de prédilection du bédéiste, les lieux de rencontres nocturnes fréquentés par les homosexuels, les parcs et les aires d’autoroute, qu’il écume à la recherche d’amants. «Certains pensent que ce mode de rencontre est dépassé, mais ce n’est pas vrai. Les hommes consultent juste Grindr avant de rentrer dans le parc», lance Stefan Hort. Il a d’ailleurs mandaté une photographe, Céline Ribordy, dont la tâche a été de visiter les aires d’autoroute valaisannes afin d’illustrer ces scènes de dragues qu’on croirait d’un autre temps. Les clichés sont présentés dans le foyer des deux salles où le spectacle est joué: le Petithéâtre de Sion et le théâtre du Crochetan à Monthey.
L’exposition photographique n’est que l’une des nombreuses activités prévues en marge de la pièce: soirée de lecture et de discussion sur le thème de la drague gay, organisée en collaboration avec Alpagai et en présence de Fabrice Neaud; exposition de dessins originaux; représentation gratuite en plein air; enfin, master class pour les élèves de l’école professionnelle des arts contemporains de Saxon (EPAC) et même atelier tout public. «Il était important pour moi de sortir l’art des théâtres, de faire des ponts entre les différentes formes artistiques et de toucher des publics variés», explique le jeune metteur en scène de 29 ans.
pas homo, amoureux
«Journal», un spectacle sur l’homosexualité? Fabrice Neaud lui-même s’en défend en répliquant: «Est-ce que Roméo et Juliette est une pièce sur l’hétérosexualité?» Certes il est question de drague, mais il est surtout question d’amour: «Tout le monde tombe amoureux. Plus on entre dans l’intime, le singulier, plus on touche à l’universel», ajoute Stefan Hort fasciné par la précision avec laquelle l’auteur parvient à décrire ses émois, sa profonde lucidité sur sa propre naïveté. Sur scène, un seul comédien: Jean-François Michelet. L’initiateur du projet s’en explique: «Le travail de Neaud est un travail personnel, autobiographique – il insiste sur la véracité de tout ce qu’il raconte. En ajoutant des personnages, on aurait perdu cette sensation d’intimité.»
Au Petithéâtre de Sion jusqu’à dimanche 27 septembre 2015
Au Raccot – Quartier culturel de Malévoz, à Monthey du jeudi 1er octobre au dimanche 4 octobre 2015 compagnie.sh
Du 25 septembre au 16 octobre 2015: exposition «Men and places (2)» de Fabrice Neaud
dans la galerie du Théâtre du Crochetan à Monthey
Jusqu’au 4 octobre 2015: exposition de photographies de Céline Ribordy
Le 3 octobre 2015, de 10h30 à 16h30 : Atelier de pratique artistique sur la bande dessinée au quartier culturel de malévoz, Monthey, sur réservation (crochetan.ch)
Jean Luc Romero est président de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité. Il est très actif en France où le débat sur les soins palliatifs, l’assistance au suicide et l’euthanasie, déchaîne toujours les passions. Dans un livre d’entretien, «Ma mort m’appartient», l’homme politique (adjoint à la maire du XIIe arrondissement de Paris et conseiller général d’Ile-de-France) évoque les arguments qui plaident en faveur du droit de chacun à décider de sa mort et met en lumière les raisons personnelles qui ont déterminé son combat. En tant qu’homosexuel, en tant que séropositif, en tant qu’humaniste enfin… la liberté et la tolérance, les combats de sa vie.
«360°» – Le 17 mars dernier a été voté au parlement français une nouvelle loi sur la fin de vie, qui si elle n’autorise ni euthanasie, ni suicide assisté, instaure un droit à une sédation «profonde et continue» jusqu’au décès pour les malades en phase terminale. Etes-vous satisfait?
Jean-Luc Romero – Pas du tout. (Et quoi qu’il en soit le texte n’est pas adopté, il doit encore être voté par le Sénat). Ce n’est d’ailleurs qu’une troisième mouture d’une même loi qui – c’est ce qui me sidère – n’a jamais donné lieu à un bilan. Cette loi est un échec: dans les faits, peu de patients ont droit aux soins palliatifs, l’acharnement thérapeutique a toujours cours et les directives anticipées ne sont pas respectées. Ajoutez à cela qu’il n’est toujours pas question des droits au suicide assisté et à l’euthanasie.
– Il est tout de même fait mention de la sédation «profonde et continue»…
Elle existe déjà, ce n’est pas une avancée! Ce sont toujours les médecins qui décident de la lancer, décident de sa longueur. En France le débat est confisqué par les grands médecins, alors que c’est une affaire citoyenne: 100% d’entre nous allons mourir! Toute personne est experte de sa propre vie! Et le débat intéresse de fait toute la population.
– Pourquoi le «laisser mourir» ne suffit pas?
– Tout d’abord, c’est parfaitement hypocrite. «Laisser mourir» implique des gestes actifs, comme celui d’enlever les sondes par exemple. La seule chose qu’on ne sait pas c’est l’heure à laquelle le patient va mourir. C’est une euthanasie indirecte à petit feu… Lorsque le patient est débranché, il peut se passer des semaines avant que la mort n’arrive, et il n’existe aucune étude scientifique qui affirme que ces personnes qu’on «laisse mourir» ne souffrent pas. Pour des patients jeunes c’est très lent et très violent, également pour l’entourage.
– Le suicide assisté, comme il existe en Suisse, serait-il suffisant?
– Disons que je me contenterais bien de ce que vous avez! Cela crée cependant une nouvelle inégalité, puisque tout patient n’est pas capable d’avaler seul le poison ou de presser le bouton qui déclenche l’injection, s’il est gravement atteint par exemple.
– Certains prétendent qu’une légalisation de l’euthanasie mettrait un coup de frein aux recherches sur les soins palliatifs et, pour des raisons budgétaires, encouragerait même la première solution.
– Avec la loi actuelle, seul 20% des personnes qui auraient droit aux soins palliatifs en bénéficient. Les exemples étrangers montrent que ces arguments des «anti-euthanasie» n’ont aucune réalité. Au Pays-Bas, ils sont accessibles à tous, comme en Belgique et au Luxembourg, ça ne freine rien et le taux d’euthanasie reste stable.
– Dans votre le livre d’entretien «Ma mort m’appartient», vous faites la part belle aux témoignages, le vôtre, ainsi qu’aux histoires poignantes et terribles de certaines personnes en fin de vie souhaitant la mort. Une nécessité d’incarner la parole?
– J’ai déjà écrit sur le sujet, «Les Voleurs de liberté» et une lettre ouverte au Président de la République. Mon éditeur m’a dit qu’il était temps d’incarner cette parole, que l’on comprenne les raisons de mon engagement, Je voulais rappeler ce que j’ai vécu: j’ai vu des gens mourir dans des conditions incroyables. Je me suis battu contre le sida, pour la vie, et maintenant pour l’euthanasie, pour la fin de vie: il y a une continuité. Ce n’est pas un simple combat philosophique. Moi j’ai affronté la mort, je sais de quoi je parle.
– Certains de vos détracteurs s’agacent de ce recours aux exemples, dans les livres et à la télévision, disant qu’il est impossible d’avoir un débat d’idée dans ces conditions. «On ne peut pas dire à une mère éplorée que le cas de son fils n’est pas représentatif.» Que leur répondez-vous?
– Ce n’est pas juste un exemple! Quand on se meut, c’est qu’on a été touché par quelque chose… et puis on ne peut pas passer sa vie à se plaindre, il faut agir. Cela n’exclut en rien le débat d’idées. Pour moi l’humanisme est très important, l’être humain est au centre de tout. Je serai venu à ce combat de toute façon, même s’il est vrai qu’avoir vu mourir des jeunes de 20 ou 25 ans du sida, qu’avoir pensé moi-même que je ne connaîtrais pas mes 30 ans a joué un rôle déterminant. Je suis venu à ce combat à travers mon vécu.
– Les arguments contre la peine de mort évoquent souvent le principe de l’inviolabilité de la vie. Quid de ce principe avec l’euthanasie? N’ouvre-t-on pas la boite de Pandore?
– Il ne s’agit pas de tuer! Une personne veut partir selon ses conditions pour éviter des souffrances qu’elle juge inutiles, c’est son droit! On est dans une société laïque! Chacun a le droit de décider ce qui est le mieux pour son corps. Je ne me bats pas pour l’euthanasie mais pour le choix.
– Comment avoir la certitude absolue que celui qui demande l’euthanasie souhaite vraiment mourir?
– On ne parle pas ici de suicide en général, mais des suicides en fin de vie. C’est très différent. Ce ne sont pas des gens désespérés, pas des gens qui ont «des problèmes»: ils sont en fin de vie. En plus, quand une législation vous laisse le droit de partir quand vous le souhaitez, on évite les suicides «préventifs»: Plein de gens se suicident parce qu’au moment où se sera terrible, personne ne les aidera. Et lorsque l’euthanasie est pratiquée elle n’est pas faite «comme ça». Les médecins ont un rôle à jouer, il y a un délai d’attente… une véritable réflexion, jusqu’au bout.
– Certains associent euthanasie et eugénisme, en évoquant les «vies sans valeurs», «les existences superflues». Ne finira-t-on pas par culpabiliser le malade en lui disant que la seule solution digne, courageuse et noble, c’est de mourir?
– Je vis avec le VIH depuis 27 ans, j’ai eu des maladies gaves et j’ai un diabète pas possible… Je ne culpabilise pas du tout. Je continue à être très actif. Aujourd’hui, c’est la société qui culpabilise les patients en fin de vie qui souhaitent mourir, pas le contraire. Je me bats pour qu’au moment où on se dit qu’on n’en peut plus, on puisse dire stop. Et ça ne concernera qu’une minorité de personnes (1 % en Suisse, 3,4 % au Pays-Bas). La mort ça s’apprivoise, on ne s’en réjouit jamais. On prend conscience que tout ça doit finir et on espère que cela se passe de la meilleure manière: «Les yeux ouverts», disait Marguerite Yourcenar.
– Ne risque-t-on pas de voir s’étendre le droit à l’euthanasie à toute personne qui souhaite mourir?
– Franchement, tout le monde dit tout et n’importe quoi: avec l’IVG on disait que toutes les femmes allaient avorter; avec le pacs, qu’on allait bientôt voir des mariages polygames et des mariages avec des animaux. On peut dire tout et n’importe quoi, mais la réalité ce n’est pas ça. Il faut mettre des conditions, et ne pas laisser faire n’importe quoi.
– Vous évoquez souvent l’importance des derniers moments avant la mort, des adieux. Est-ce à vos yeux l’un des arguments clé?
– Les morts en catimini laissent beaucoup de remords à ceux qui restent. Laisser mourir quelqu’un seul est un échec. Dans ces derniers moments, on parle, on s’explique, on se dit tout, tout ce qu’on a sur la conscience. C’est un moment de grande sérénité.
«Ma mort m’appartient» Jean-Luc Romero et Claire Bauchart, Michalon, 2015, 130 p.
«Lorsque j’assiste à une séance du NIFFF, j’attends toujours le moment où ça dégénère… du genre, des zombies sortent de terre et massacrent tout le monde, avec du sang et des cris, et des rires dans la salle», raconte Annie, Neuchâteloise de 24 ans, qui ne compte ni le dégoût ni l’effroi dans ses émotions favorites. Or, au NIFFF, il n’y a pas que ça: les «Movie of the third kind», en sont l’exemple patent. A la fin de la projection de «I am here», du Danois Anders Morgenthaler, Annie était aux anges, mais un peu bouleversée: «C’était… magnifique.»
Qu’est-ce qui donne un sens à une vie? Celle de Maria (Kim Basinger) est une réussite: Maria est riche et belle, directrice générale d’une grande compagnie de transport routier, mariée à un homme qui l’aime et qu’elle aime… Ce qui aux yeux de bon nombre d’entre nous serait un aboutissement n’est pour elle qu’un début: l’empire qu’elle a bâti n’est à ses yeux qu’un berceau, un cadre pour élever un bambin… qui ne vient pas.
«Fuck that»
Dix ans qu’elle et son époux tentent d’avoir un enfant. Lors de sa dernière fausse-couche, Maria meurt même, un instant, avant d’être réanimée… Malgré tout, Maria ne peut se résoudre à abandonner. Malgré le «fuck that» de son mari, épuisé par tant d’années passées entre attente et désespoir, lui qui rêve de donner une nouvelle direction à leur vie à deux. Pour Maria, être mère, c’est tout: la seule chose qui puisse donner sens à sa vie. Elle décide donc de partir pour la République tchèque où, paraît-il, des prostituées vendent des bébés…
L’esthétique du film est sublime, atmosphérique. De chaque image on pourrait faire un tableau. On ressort de la salle dans un état second, à la fois choqué et rêveur. Il y a la dureté de la tragédie individuelle et la violence du drame social – les bas-fonds, la drogue et la prostitution: il y a le destin individuel et le monde. La force de «I am here» est qu’ils ne sont pas sont jetés là, devant nous, dans une froideur documentaire: ils sont teintés de magie et de mystère, passés par le prisme de l’intériorité… La réalité n’y est pas décrite, mais vécue comme on vit sa vie, dans la poésie et l’irrationnel.
La quinzième édition du Neuchâtel International Fantastic Film Festival se déroulera du 3 au 11 juillet prochain avec «une programmation exceptionnelle», des mots de son président Jean Studer. Pour sûr, les adeptes du genre seront servis!
Bien installé dans votre fauteuil, vous rencontrerez Ava, qui après son exorcisme se voit contrainte par le tribunal de rejoindre les Ex-possédés Anonymes; Ryuko qui part à la recherche de son fils dans un jeu vidéo; Gagano, un éthiopien handicapé qui collecte les miettes de notre civilisation révolue et brave la sorcière, le père Noël et les nazis; le président Bird (alias Philippe Katerine) cherchant désespérément à remonter sa côte de popularité dans l’opinion française; ou encore la dépouille de la jeune et célèbre actrice Anna Fritz, sur laquelle deux amis un peu gris s’essaieront à la nécrophilie… Et ne sont listés ici que 5 des 14 titres en lice pour la Compétition internationale que devront départager un jury 100% féminin.
Le NIFFF ce n’est pas qu’une seule compétition, mais un hymne au cinéma de genre, avec des projections à gogo! Une deuxième compétition, New Cinema from Asia, qui se veut une vitrine des dernières œuvres incontournables des grands talents d’Asie; Film of the Third Kind, qui propose une sélection des meilleurs thrillers de l’année; Ultra Movies, des séances de minuit qui mettent à l’honneur les cinémas d’horreur et de l’extrême, parmi lesquels le film de Josh Forbes, Contracted II et sa MST zombifiante.
Le NIFFF c’est aussi une compétition de courts-métrages, les documentaires d’Histoire du genre et la rétrospective Guilty Pleasures, une quarantaine de titres rares et mythiques, dont certains seront en projection gratuite en open air.
Enfin, pour terminer cette inventaire à la Prévert, en parallèle du festival auront lieu Imagining the Future, un symposium sur les images digitales, New worlds of Fantasy, un forum littéraire, et TV Series Storyworlds, une conférence sur le succès télévisuel de ces dernières années: la série.
Vous n’avez pas tout retenu, c’est pas grave. Nous y serons!
» Plus d’infos: www.nifff.ch
Daniela Truffer, 49 ans, est intersexe et a été opérée, bébé, sans en être jamais informée. Après maintes tentatives, la Valaisanne parvient enfin à mettre le main sur son dossier médical: elle est née intersexe, avec un micro-pénis et une hypospadias (sortie de l’urètre le long de la verge). Elle a été castrée avant l’âge de deux ans, et ses parties génitales ont été coupées.
Comme nombre de personnes dans son cas, Daniela a, sa vie durant, souffert de traumatismes en lien avec ces opérations et l’omerta régnant sur le sujet. Après dix ans de psychanalyse et de nombreuses visites sur des forums internet, Daniela se décide à rompre le silence et donne une première interview anonyme. Des dizaines d’interviews plus tard et un passage à «Rundschau», l’émission de débat alémanique, cette assistante de bureau devient l’interlocutrice privilégiée pour parler d’hermaphrodisme. Du témoignage, elle passe à l’activisme, avec l’aide de son compagnon Markus Bauer: manifestations, puis interpellations des instances nationales et internationales, le conseil fédéral, puis l’ONU. Interview.
360°: Quel est le point central de votre combat?
– Daniela Truffer: Les mutilations génitales. Ces opérations précoces sur les nouveau-nés intersexes doivent cesser une bonne fois pour toute, c’est une violation de leurs droits humains. Seule une raison médicale, et non pas une indication psychosociale, devrait motiver des opérations sur les organes génitaux d’un enfant incapable de discernement. Etre opérée ou non est une décision qui revient à la personne intersexe.
– Markus Bauer: Nos revendications relèvent du droit de l’enfant: pas des questions de genre ou d’orientation sexuelle. Nombre de nos soutiens ont tendance à nous instrumentaliser: pour les adeptes de la théorie du genre, les intersexes sont des exemples en chair et en os de l’inanité du binarisme ; les féministes glorifient des mutilateurs comme par exemple John Money; pour les homosexuels, les intersexes sont les porte-drapeaux du droit à la différence…
«Les LGBT se battent rarement pour le I» Daniela Truffer
Pourtant la lettre «i» a été spécialement ajoutée à l’acronyme LGBT…
– Daniela: Nous sommes contents de tous les soutiens, même si les LGBT se battent rarement pour le «I», et cela ajoute à la confusion. Parmi les intersexes, il y a des hétéros, des bi, des gays et des lesbiennes, comme dans le reste de la population. Et contrairement à ce que pensent certains, les intersexes n’ont rien à voir avec les trans, ou les shemales…
– Markus: Ajouté à cela que lorsque les LGBT revendiquent, la moitié de la population se braque tout de suite. Or, pour faire passer une loi, il faut que plus de la moitié de la population soit avec nous, et cela inclut les catholiques ou d’autres groupes conservateurs pouvant s’opposer systématiquement aux revendications LGBT et qui pourraient tout à fait rejoindre notre combat.
Sous la pression de vos actions, le Conseil fédéral a mandaté la commission nationale d’éthique qui a, pour la première fois, assimilé ces interventions chirurgicales précoces à des mutilations en 2012. La situation n’a-t-elle donc pas évolué?
– Markus: Le fait qu’une commission nationale a recommandé d’examiner les conséquences juridiques des interventions illicites pratiquées durant l’enfance et le délai de prescription était une première mondiale. Mais le comité n’a édicté que des recommandations… et toujours pas de loi. Selon le Dr. Blaise Meyrat, chirurgien à Lausanne, seule une loi empêchera les médecins d’encourager les parents à demander l’opération. Les victimes doivent pouvoir porter plainte et obtenir des dommages et intérêts. C’est un autre aspect qui serait hautement dissuasif pour les chirurgiens.
«50% des patients opérés souffrent de complications: des douleurs insupportables et très souvent, l’absence de plaisir sexuel»
Pourquoi continue-t-on ainsi à opérer, sans l’avis de la personne intersexe?
– Daniela: Les médecins font pression sur les parents: «Votre enfant sera incapable de se construire, ses amis se moqueront de lui, il risque de se suicider, enfin, ne sera jamais épanoui.» C’est ahurissant quand on pense que 50% des patients opérés souffrent de complications: des douleurs insupportables et très souvent, l’absence de plaisir sexuel. Lorsqu’on évoque ces questions, le corps médical se contente d’évoquer un soi-disant progrès des techniques d’opération…
– Markus: On fait comme si ces opérations n’étaient pas des violations du droit de l’enfant! Il faut savoir que si l’on fabrique un vagin à un petit enfant, sa mère devra le pénétrer chaque jour avec une sorte de godemichet, pour éviter qu’il ne se referme. C’est intolérable!
– Daniela: Le problème est qu’il n’existe pour l’heure aucune statistique qualitative et quantitative sur le sujet. Personne ne sait comment les intersexes ont vécu ces opérations, de quelles séquelles physiques ou psychologiques ils souffrent au cours de leur vie. Enfant, en plus d’être hermaphrodite, j’ai été opérée du cœur. Depuis lors, tous les cinq ans, l’hôpital m’appelle pour que je vienne faire des contrôles cardiaques. Pour le reste, on ne m’a jamais appelée.
En février dernier, la Suisse a été épinglée au comité des droits de l’enfant à l’ONU au sujet de ces mutilations: une victoire?
– Markus: Oui, notamment le fait que le comité a condamné les opérations sur les enfants intersexes comme «pratique nocive». Mais, encore une fois, le problème c’est la mise en pratique des recommandations. Lors de sa réponse à l’ONU, une représentante suisse a annoncé l’acquisition prochaines des données. Elle prétendait que le travail était déjà en cours. Peu de temps après, nous l’avons contactée et elle ne savait même pas qui était en charge du dossier. Elle a promis de nous donner des nouvelles, c’était il y a deux mois.
La suite du combat?
– Daniela: Trop nombreux sont les militants qui se contentent de se rendre dans des colloques et des conférences ; quand j’y suis invitée, je leur rappelle qu’à quelques kilomètres de là, dans l’hôpital de la ville, les mutilations se poursuivent. Il faut arrêter le blabla et interpeller les médias, les médecins, les politiciens, les instances nationales et internationales. Les intersexes ne sont pas des cas d’études universitaires, mais les victimes d’une mutilation abominable… au même titre que l’excision.
Pour plus d’information: zwischengeschlecht.org (allemand et français), stopigm.org (anglais)
Quatorze ans après une première escale mouvementée en terres valaisannes, la marche des fiertés de Suisse romande a fait son retour à Sion, cet après-midi. Quatre à cinq mille participants (selon les organisateurs) venus de toute la Suisse se sont donnés rendez-vous place de la Planta, où le «village» a installé ses quartiers. La parade de 1km environ dans le centre de la capitale valaisanne s’est déroulée sans le moindre accroc, sous un soleil de plomb.
Revivez le live de l’événement
/*16:13Il fait soif! Ruée sur les bars! C’est le moment de clore ce live et de vous donner rendez-vous dans un an, à Fribourg.
Merci de votre fidélité et longue vie à la Pride!
Pas le moindre incident à signaler, que ce soit du côté de la sécurité des organisateurs ou de la police. Les intégristes de la Fraternité Saint Pie X, qui avaient prévu une prière sur le parvis de l’église Saint-Théodule ont fait faux bond aux quelques journalistes qui les attendaient. Ils se sont contentés de leur pèlerinage expiatoire à Bramois. L’église était gardé par quelques policiers.
Niel, 30 ans vit entre Lausanne et le Valais. “Je suis venu soutenir mes potes homos. Certains sont morts trop tot à cause de l’intolérance. Et aussi montrer un Valais ouvert.”
La boucle est bouclée. Le défilé arrive tout doucement à la place de la Planta sous un soleil de plomb. Les Ecônards ne se sont pas manifestés sur le trajet, contrairement aux deux éditions précédentes de la Pride…
Marcel, 81 ans. «Ça me fait rigoler. Ça me choque pas, mais j’aime pas non plus, enfin, ça va… faut vivre avec son temps!»
Véronique, 58 ans, ne manque pas une miette du défilé. Elle est venue par curiosité et parce qu’elle a beaucoup d’amis gay. Elle trouve la marche “très belle et très émouvante”: “Les droits des homos et des hétéros devraient être indissociable”.
Mireille célèbre son enterrement de vie de jeune fille (hétéro!) en pleine pride… Elle se dit ravie de “se joindre à la fête de l’égalité”
Seigneur, mais c’est Jean-Gabriel Cuénod, le diacre de la cure de Chastavel!
Pas l’ombre d’une soutane ou d’une contre-manif à l’horizon pour l’instant. Ça chante “I Kissed a Girl and I Liked It” et ça danse dans les rues de Sion. Et la population ne boude pas son plaisir. Brigitte, une Sédunoise de 50 ans, suit le défilé avec un grand sourire. «On donne enfin du Valais une image moins rétrograde!»
Comme toujours, la grande foule de badauds sur les trottoirs, attendant le “spectacle”…
David (derrière les lunettes) est venu en famille. Ce gay et jeune marié (en Espagne) est venu avec toute sa famille. Pour lui, bien avant la fête, la Pride c’est un moment militant «hyperimportant».
En masse et en couleurs, la foule se déplace vers la ligne de départ de la parade
Quelque peu égratigné au fil des discours, le Parti démocrate-chrétien est quand même là avec une petite délégation!
Mehdi Künzle, pour Pink Cross, très ému devant la foule qui commence à arriver en nombre sur la place: «Aujourd’hui ont continue d’essayer de guérir les homosexuels alors qu’il faudrait guérir les homophobes».
Le conseiller national Stéphane Rossini (PS/VS) a ouvert la partie officielle: «L’égalité est à l’horizon, nous ne pouvons plus reculer», lance-t-il sous les applaudissements.
Autour de la place, les stands de nourriture et boissons ont déjà du boulot. JugendPride, Transgender Network, LGBT Youth (sous le joli slogan “Hétéros et fiers d’être ouverts”) et 360°, entre autres, ont également ouvert boutique. Beaucoup de monde autour du stand de la Pride Fribourg 2016. Les partis politiques sont aussi là: Jeunes Verts, PS et le PBD…
Les Soeurs de la Perpétuelle indulgence déjà sous le feu des questions de journalistes…
Ça chauffe déjà sur la place de la Planta. A une heure trente du coup d’envoi de la parade, l’esplanade est encore clairsemée. Sous une température caniculaire, on s’active autour des chars: version champêtre pour les Lausannoises de Lilith, un lapin disco pour 360 Homoparents, un cupidon chez Vogay… Juragai, Amnesty International et les Hauts-Valaisans de SchwulOB se préparent également. Dans la foule, peu d’excentricités pour l’instant. Comme en 2001, les prideurs ont opté pour la sobriété, on dirait…
Dans l’esprit de nombre de citoyens, LGBT ou hétéros, le nom «gay pride» évoque l’image de gens tous nus sur des chars, affublées de pancartes et de drapeau arc-en-ciel. On imagine une partie de débauche, des poils et des plumes, et c’est d’ailleurs l’angle d’attaque des opposants à la manifestation… Si c’est votre opinion, il est temps d’en changer.
Sébastien Nendaz, porte-parole de Pride Valais 2015, s’agace de cet amalgame : «Rendez-vous à une Street Parade, à un carnaval et à la gay pride, et comparez!» Avant d’ajouter un défi, en forme de boutade: «Venez faire un tour, habillé…. Il y aura au moins vous, moi et le reste du comité qui porteront des vêtements!»
Une fête politique
Oui, la pride est une manifestation festive. Qu’elle se déroule en Valais cette année n’enlèvera rien à sa convivialité, au contraire: Que se soit lors de la marche, dans «le village», place de la Planta ou pendant la soirée, le maître mot sera le partage et la discussion. Mais cette fête n’en perd pas pour autant son caractère politique: «Il faut montrer à tout le monde qu’une personne LGBT est comme toutes les autres. Nous sommes toujours en période de «normalisation», aussi dégueulasse que ce terme puisse être…» note le porte-parole.
Irez-vous montrer votre fierté en Valais?
Participez à notre sondage!Oui, la pride est une manifestation politique, mais les revendications qu’elle porte ne s’attachent pas aux questions de mariage ou d’adoption – des associations s’en chargeront, dans «le village», en particulier. Non, ce qu’elle demande est beaucoup plus basique et essentiel: l’égalité des droits et le droit à la différence. Et ces revendication peuvent être, ou devraient être portée par tous, LGBT ou hétéro: «Tout le monde est plus que le bienvenu à la manifestation, évidemment.»
La situation a évolué depuis 14 ans, date de la dernière Pride du Valais, mais le travail n’est pas achevé. Comme le stipule le site de la manifestation, la Pride aura sa raison d’être «tant que l’injure «sale pédé», «sale gouine» ou «sale travelo» s’entendra dans les cours de récréation et les stades de foot», «tant que les jeunes gays, lesbiennes, transgenres se suicideront 5 fois plus que la moyenne.» «Tant qu’il existera encore des sous-catégories de citoyens», conclu Sébastien Nendaz.
Infos pratiquesLe 13 juin, en début d’après-midi, partie officielle (discours de responsable associatifs et de politiciens) sur la Place de Planta, puis départ de la marche. Durant l’après-midi, «le village» accueillera les participants à la Pride et la population, avec ses stands d’informations, mais aussi de nourriture et de boissons, ainsi que des animations. Et dès la nuit tombée, une grande soirée électro gratuite en plein air battra son plein.
» Le site de la Pride Valais 2015 et sa page Facebook
Il y a des familles avec un papa et une maman, et puis il y a les autres: des parents homosexuels, bi ou trans, vivant en couple ou séparés. L’image traditionnelle, bien monolithique, et la réalité. La brochure d’information «Familles arc-en-ciel», en partenariat avec la Ville de Genève, se donne précisément comme objectif de parler de cette diversité.
A qui s’adresse-t-elle? «Principalement aux professionnels qui travaillent avec les enfants et les familles, tel les éducateurs, les enseignants, les travailleurs sociaux ou ceux de la santé, mais aussi aux familles arc-en-ciel elles-mêmes et à leurs proches», détaille Chatty Ecoffey, coprésidente de l’association 360 et de l’association faîtière Familles arc-en-ciel, les deux associations à l’initiative de cette publication.
Certains se questionnent sur des points juridiques (les deux partenaires peuvent-ils prendre des décisions d’ordre médicale pour leur enfant?), d’autres s’interrogent simplement sur la façon dont ils peuvent évoquer le sujet de ces familles, que ce soit à leurs élèves s’ils sont enseignants, ou à leur proches, leurs amis, leurs enfants.
Modèles
Selon des estimations de spécialistes, ces enfants seraient près de 30’000 en Suisse. La réalité des familles arc-en-ciel demeure méconnues pourtant, faute à un déficit de représentation: «Dans les contes, à la télévision, dans les manuels de cours, les élèves se voient imposé un modèle hétéronormé de la société et de la famille», regrette la militante. Charge à chacun, aux enseignants en particuliers, de ne plus réduire la réalité au modèle papa-maman-enfant, et d’éviter ainsi que les enfants se questionnent sur la légitimité de leurs familles. «Une famille ça peut aussi être un enfant et deux papas qui s’aiment… ou qui ne s’aiment plus, d’ailleurs…», plaisante Chatty Ecoffey. Au delà d’une simple source d’informations, aussi complète soit-elle, cette brochure est une invitation faite aux familles arc-en-ciel de donner plus de visibilité à leur configuration familiale.
Publiée à 3500 exemplaires, la brochure est distribuée notamment dans les crèches, le service des écoles et des institutions pour l’enfant, le service de la jeunesse de la Ville de Genève. Elle peut être consultée et commandée sur internet (www.association360.ch/homoparents). Le soirée de lancement aura lieu le mardi 28 avril à 19h30, à la Madeleine des enfants (Genève), et est ouverte à tous. Inscription obligatoire jusqu’au 23 avril, par e-mail à: homoparents@360.ch.
Plus d’infos sur:
» Groupe homoparents de l’Association 360, Genève
» Faîtière Familles Arc-en-ciel