Deux décisions viennent d’être rendues aujourd’hui par la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Foulon c. France et Bouvet c. France. Deux hommes avaient chacun déposé une requête pour contester le refus de la justice de transcrire les actes de naissance de leurs enfants nés de gestation pour autrui à l’étranger sur le registre de l’état civil. L’État français vient donc d’être condamné à verser la somme de 5000 euros à chacun des trois enfants pour dommage moral, et la somme de 15000 euros à chacun des requérants, Didier Foulon et Philippe Bouvet. Une décision satisfaisante pour Caroline Mécary, l’avocate des deux familles.
MÊMES CIRCONSTANCES QUE DANS LES AFFAIRES PRÉCÉDENTES
Le premier dossier concerne Didier Foulon, qui avait eu recours aux services d’une mère porteuse en Inde. Sa fille est née en juillet 2009. Même cas de figure pour le dossier de Philippe Bouvet qui a lui aussi fait appel à une mère porteuse et dont les jumeaux sont nés à Bombay en avril 2010. Dans son arrêt, la Cour a statué que concernant les deux requérants, l’Etat français n’avait pas enfreint l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale.
En revanche, la CEDH reconnait bien que les droits des trois enfants nés de GPA ont été atteints. La France a déjà été condamnée en juin 2014 dans les mêmes circonstances, et c’est pour cette raison que la CEDH a estimé n’avoir «aucune raison de conclure autrement que dans les affaires Mennesson et Labassée». Les requérants ont mis en avant «le fait que les enfants soupçonnés d’être nés à l’étranger d’une gestation pour autrui sont confrontés à des obstacles concrets majeurs en raison de l’absence de reconnaissance en droit français de leur lien de filiation et se trouvent dans une situation juridique incertaine». La CEDH a en outre retenu la décision de la cour de cassation de juillet 2015, qui a validé la retranscription à l’état civil de l’identité de deux enfants nés par GPA.
LA FRANCE VA-T-ELLE ENFIN RÉAGIR?
La décision a été saluée par l’Association des familles homoparentales (ADFH), qui «exhorte le gouvernement à prendre toutes les dispositions relatives à la protection de ces enfants français au même titre qu’il le fait déjà pour tous les autres enfants français nés à l’étranger»: «Reprocher à un bébé ses conditions de naissance pour lui accorder plus ou moins de droit est une indignité nationale. Bafouer le droit à ce point, nier les conventions internationales de protections de l’enfance sont autant d’infractions qui ne trouvent des explications que dans des postures électoralistes bancales. Postures qui sont de surcroit à rebours de l’opinion des Français et qui vont à l’encontre de notre Etat de droit.»
Selon un sondage Ifop de juin 2015, 59% des Français.e.s se déclarent favorables à ce que les enfants nés de GPA à l’étranger aient les mêmes droits que les autres enfants.
Pour Caroline Mécary, cet arrêt est un «coup de semonce»: «C’est un sévère rappel à l’ordre pour la France, affirme-t-elle à Yagg. Je suis évidemment contente pour mes clients que la CEDH nous ait donné raison. J’espère que cela va aboutir à ce que la France applique enfin la jurisprudence Mennesson et Labassée. Depuis deux ans, l’État français n’a pas respecté les arrêts de la CEDH et j’ai rapporté la preuve dans les deux dossiers que la Cour ne gobe pas ce double discours où d’un côté, la France dit qu’elle en tient compte et de l’autre Manuel Valls prend position contre l’avis de la CEDH.»
Caroline Mécary: «Depuis deux ans, l’État français n’a pas respecté les arrêts de la CEDH.»
Caroline Mécary estime que la France a désormais deux options pour la suite des événements: «Le gouvernement peut se raisonner et faire le nécessaire pour qu’il n’y ait plus de difficultés dans la transcription des actes de naissances des enfants nés de GPA à l’étranger. Ou bien il peut, dans un délai de trois mois, saisir la grande chambre et dans ce cas, donner des gages à la “Manif pour tous” et aux conservateurs en se figeant dans une posture politicienne.»
L’avocate rappelle en outre qu’un troisième dossier, qu’elle défend, le dossier Laborie, est prêt à être jugé: «Je pense que la Cour le garde “en réserve” pour voir comment la France va se comporter».