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Noir sanctuaire fait suite à Mortel sabbat des mêmes auteurs. Depuis la disparition de son protecteur, l’agent du FBI Aloysius Pendergast, Constance Greene s’est retirée dans les souterrains de leur manoir new-yorkais. Alors que tout le monde le croyait mort, le frère de Pendergast réapparaît et enlève Constance. Proctor, le majordome de Pendergast, se lance à leur poursuite jusqu’en Afrique. Mais Constance est-elle réellement là-bas ?
Avec Noir sanctuaire, Preston & Child n’en sont pas à leur coup d’essai. Ce roman est le seizième mettant en scène l’inspecteur Aloysius Pendergast. Mais c’est le premier à laisser autant de place au majordome. Ainsi, avec ce thriller, les deux auteurs nous embarquent à nouveau dans une aventure digne de Jules Vernes.
L’imagination prolifique de Preston & Child pourrait paraître loufoque si elle n’était étayée par de réelles connaissances scientifiques. Si le lecteur devine rapidement qui est le coupable, l’intrigue laisse la part belle à de multiples rebondissements. Etre tenu en haleine, n’est-ce pas ce que demande tout passionné de thriller ?
A noter : par certains côtés – intelligence hors norme, humour désenchanté et éducation désuète, les personnages de Preston & Child renvoient un peu à ceux de la série Sherlock.
Extrait (p.15 à p. 18)
Proctor sortit lentement de l’abîme dans lequel il s’était enfoncé et reprit progressivement connaissance. Cette remontée interminable lui fit l’effet d’une éternité. Cette remontée interminable lui fit l’effet d’une éternité. Enfin, il ouvrit les yeux. Ses paupières étaient en plomb et il dut lutter pour ne pas les laisser retomber. Que s’était-il passé ? Il resta un temps allongé sur le sol en balayant du regard le décor de la pièce. Il reconnut son salon privé.
Bien des tâches m’attendent…
Soudain, tout lui revint en un éclair. Il tenta douloureusement de se relever, en vain, rassembla ses forces et réussit cette fois à se mettre en position assise. Il se sentait aussi pesant qu’un sac de farine.
Il consulta sa montre. 11h15. Son évanouissement n’avait duré qu’une demi-heure.
Une demi-heure. Dieu seul savait ce qu’il avait pu advenir dans l’intervalle.
Bien des tâches m’attendent…
Au prix d’un effort héroïque, Proctor se releva en titubant. La pièce se mit à tourner autour de lui et il s’appuya contre une table en secouant violemment la tête, dans l’espoir de s’éclaircir les idées. Il demeura immobile quelques instants, le temps de reprendre des forces, puis il ouvrit le tiroir de la table et en tira un Glock 22 qu’il glissa dans sa ceinture.
La porte de l’appartement était ouverte, laissant entrevoir le couloir qui donnait sur les chambres du personnel. Il s’arrêta sur le seuil, s’appuya contre le chambranle, et s’avança de la démarche mal assurée d’un homme ivre. Parvenu en haut de l’étroit escalier de service, il s’agrippa à la rampe et descendit péniblement jusqu’au rez-de-chaussée. Cet effort tout comme le sentiment de danger qui l’étreignait contribuèrent à aiguiser ses sens. Il remonta un corridor et poussa la porte conduisant aux parties communes de la vieille demeure.
Là, il marqua une pause. Il s’apprêtait à appeler Mme Trask lorsqu’il se reprit. Signaler sa présence de la sorte n’était pas souhaitable. En outre, Mme Trask était probablement déjà partie pour Albany, au chevet de sa sœur malade. Quoi qu’il en soit, ce n’était pas elle qui courait le plus grand danger, mais Constance.
Proctor traversa le vestibule dallé de marbre en direction de la bibliothèque, avec l’intention d’emprunter l’ascenseur permettant d’accéder au sous-sol afin d’assurer la protection de Constance. Il se figea à l’entrée de la pièce en constatant qu’une table avait été retournée, les ouvrages et les documents qui s’y trouvaient éparpillés sur la moquette.
Il évalua la situation d’un rapide coup d’œil. A sa droite, le salon de réception, ses vitrines remplies d’objets insolites, était sens dessus dessous. Le socle sur lequel était posée une ancienne urne funéraire étrusque avait été renversé, l’urne en miettes par terre. L’énorme vase qui trônait en temps ordinaire au centre du vestibule, rempli de fleurs coupées que Mme Trask renouvelait quotidiennement, gisait en mille morceaux sur les dalles de marbre, ses deux douzaines de roses et de lis dispersées au milieu d’une flaque d’eau. A l’autre extrémité du hall, l’une des portes du placard, grande ouverte, était à moitié arrachée de ses gonds, comme si quelqu’un s’y était raccroché alors qu’on l’emmenait de force.
Tout indiquait qu’une lutte terrible s’était déroulée là. Une lutte conduisant de la bibliothèque à la porte d’entrée. Et au monde extérieur.
Proctor traversa précipitamment le vestibule et s’aventura dans la pièce voisine. Sur l’immense table de réfectoire, qui servait jusqu’à récemment aux recherches que consacrait Constance à l’histoire familiale des Pendergast, régnait un désordre indescriptible. Livres et papiers avaient volé dans tous les sens, l’ordinateur était renversé, les chaises pattes en l’air.
Horrifié par ce qu’il découvrait, Proctor perçut alors, venant du dehors, des cris féminins étouffés.
Oubliant son vertige, il se rua, le Glock au poing. Il franchit à toute allure le passage voûté menant au vestibule, écarta la porte d’entrée d’un coup de pied et s’immobilisa sous le porche.
Un Lincoln Navigator aux vitres teintées, moteur au ralenti, stationnait sur l’allée traversant la propriété, le capot tourné vers Riverside Drive. Près de la portière arrière ouverte, il découvrit la silhouette de Constance Green, les poignets entravés dans le dos. Elle se débattait avec l’énergie du désespoir. Elle lui tournait le dos, mais il reconnut sans peine sa coupe au carré et son imperméable Burberry vert olive. Un homme, également de dos, la poussa sans ménagement sur la banquette arrière avant de claquer la portière.
Proctor leva le canon de son arme et fit feu, mais l’homme bondit au-dessus du capot de la voiture et s’engouffra à la place du conducteur sans être touché. La balle suivant ricocha contre les vitres blindées, l’auto démarra sur les chapeaux de roue et s’engagea à toute allure sur Riverside Drive avant de disparaître dans le grondement de son moteur. Proctor eut tout juste le temps de voir la silhouette de Constance se démener à travers la vitre arrière.
Avant de sauter derrière le volant, l’agresseur de Constance s’était retourné le temps d’un éclair. Ces traits fins et marquées, ces yeux de deux couleurs, cette barbe courte, ces cheveux d’un brun tirant sur le roux, ce regard d’une cruauté froide… Le doute n’était pas permis, il s’agissait bien de Diogène, le frère de Pendergast dont il était l’ennemi le plus implacable. Diogène que tout le monde croyait mort, tuée par Constance trois ans auparavant.
Et voilà qu’il refaisait surface, en enlevant Constance.
Diogène affichait une expression si féroce, un air triomphal si terrible que Proctor, en dépit de tout son stoïcisme, en resta un instant désarçonné. Son trouble dura l’espace d’une seconde. Repoussant sa peur, il se lança à la poursuite du 4×4 au pas de course avant de franchir d’un bond la haie de la propriété.
Noir sanctuaire, Preston & Child, éditions l’Archipel 440 pages 24 €
Traduit de l’américain par Sébastien Danchin
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Avec Enterrées vivantes, Arno Strobel joue avec nos nerfs. Son personnage principal, Eva Rossbach se réveille dans le noir complet, avec la sensation d’être enfermée dans une caisse en bois. Si elle bouge un peu, elle se cogne. Peu après, elle se réveille. C’était un cauchemar. Pourtant, son corps porte les traces de blessures.
Strobel nous entraîne derrière l’inspecteur Bern Menkhoff et sa collègue, Jutta Reithöfer. Tous les deux enquêtent sur un crime : le cadavre d’une femme vient d’être retrouvé dans un cercueil, les yeux et la bouche recouverts d’adhésif, les poignets liés aux chevilles par une corde qui empêchait la victime de toucher le couvercle et les cloisons latérales. La femme a été enterrée vivante. Or, c’était la demi-sœur d’Eva Rossbach.
Si l’intrigue s’arrêtait à ces faits, le roman serait possiblement plat et fade. Arno Strobel sait instiller le doute chez le lecteur. A qui appartiennent les pensées qu’il découvre au fil des pages ? A une femme ? Un homme ? A Eva ? Pour quelles raisons Eva a ressenti les sensations qu’a pu éprouver la victime avant de mourir ? Pourquoi a-t-elle ces blessures ?
Mon seul regret est d’avoir lu Enterrées vivantes après avoir vu Split de M. Night Shyamala. L’effet de suspense était moindre. Néanmoins, je déconseillerais de lire ce thriller aux personnes qui souffrent de claustrophobie, ou à celles qui ont peur du noir et celles qui ont des pertes de mémoires.
Né en 1962 à Sarrelouis, Arno Strobel a longtemps travaillé pour une grande banque au Luxembourg. Il compte parmi les auteurs de thrillers allemands les plus lus. On dit de lui qu’il est le nouveau maître du psychothriller.
Extrait (p.7 à p.8)
Eva se réveilla dans le noir complet.
Son esprit embrumé essaya de se repérer. Elle ne comprenait pas pourquoi elle était allongée dans une telle obscurité. Pendant quelques secondes, elle crut même qu’elle avait les paupières encore fermées et cligna des yeux, mais l’obscurité demeura impénétrable.
D’habitude, quand Eva se réveillait en pleine nuit dans sa chambre, elle avait plusieurs points de repère : les chiffres verts du radio-réveil, l’encadrement de la fenêtre, le faible rai de lumière qui en provenait et dans lequel dansaient des particules de poussière, les contours de la commode. Ils étaient importants ces points de repère, ils la rassuraient. Et en cet instant, ils lui manquaient. Ou alors ils étaient bien là et Eva ne les voyait pas parce qu’elle avait un problème aux yeux. Sa respiration déjà saccadée s’accéléra encore. L’air était suffocant, moite, vicié.
Lorsqu’elle voulut se redresser, son front heurta quelque chose et sa tête retomba sur une sorte de coussin. La douleur ne dura que quelques secondes car elle céda rapidement le pas à la panique, qui prit le dessus sur toutes ses autres sensations.
Elle voulut écarter les bras et pousser sur les côtés, mais là encore, elle se cogna. Impossible également de plier les genoux et de battre des pieds, elle rencontrait un obstacle à chaque fois. En comprenant qu’elle était enfermée, Eva s’agita de plus en plus. Et plus elle paniquait, plus elle ressentait le besoin de bouger, de se libérer de l’étroitesse et de l’obscurité. Elle se mit à crier, à pleurer, elle tambourina avec ses poings sur la cloison au-dessus d’elle, encore et encore… avant de s’immobiliser.
A chaque seconde qui passait, sa poitrine se levait, s’abaissait, et chacune de ses respirations était accompagnée d’un gémissement. Son esprit cherchait une explication, mais il était comme paralysé. Cela dura plusieurs minutes, jusqu’à ce qu’une digue cède et qu’Eva soit submergée par un flot de pensées. Elle devait absolument les saisir au vol, c’était le seul moyen de reprendre un tant soit peu le contrôle de la situation. Elle devait réfléchir. Elle était enfermée. La peur… Réfléchir… Maintenant.
Enterrées vivantes, Arno Strobel, éditions l’Archipel 308 pages 21 €
Traduit de l’allemand par Penny Lewis
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Ma mémoire est un couteau est le troisième roman de Laurie Halse Anderson paru dans la collection La belle Colère (éd. Anne Carrière). Anderson est connue pour aborder les sujets difficiles au travers de romans qui s’adressent aux enfants de tous les âges. Ma mémoire est un couteau traite du trauma d’un père, Andy, qui a combattu en Irak. Sa fille adolescente, Hayley, tente de l’aider à surmonter ses démons alors qu’elle doit cohabiter avec les siens. Après chaque délire d’Andy, Hayley se retrouve dans une nouvelle ville. Cette fois, son père l’a inscrit dans un lycée fréquenté par des jeunes bourgeois. L’adolescente n’en supporte pas l’ambiance. Mais elle y rencontre Finn qui semble porter lui aussi de lourds secrets de famille.
Laurie Halse Anderson mêle adroitement suspense psychologique et humour. Ma mémoire est un couteau est bien loin des clichés contenus dans certains livres destinés au public adolescent. Les profils psychologiques des personnages sont finement étudiés, l’histoire racontée tient la route. Un roman qui peut permettre de mieux comprendre ce qui se joue chez les personnes ayant vécu des drames sordides. Une belle aventure humaine !
Extraits (p. 9 à p.11)
Tout a commencé en retenue. Pas vraiment surprenant, hein ?
Les retenues ont été inventées par les mêmes idiots qui ont sorti de leur esprit dérangé le concept de « coin ». Est-ce qu’être forcé à fixer un mur pendant une plombe a jamais empêché les gosses de fourrer le chat dans le lave-vaisselle ou de redécorer leur chambre fraîchement repeinte en blanc au feutre mauve ? Bien sûr que non. Ça leur apprend juste à être sournois, et vous pouvez être certains qu’au lycée, ils adoreront être collés, parce que c’est un super plan pour roupiller.
Mais j’étais trop furieuse pour faire un petit somme. Les zombies en chef m’obligeaient à copier cinq cents fois « Je ne manquerai pas de respect à M. Diaz ». Avec un stylo, sur du papier, ce qui éliminait l’option du copier/coller.
Est-ce que j’allais vraiment le faire ?
Ha.
J’ai tourné une page d’Abattoir 5, livre interdit à Belmont sous prétexte qu’on était trop jeunes pour lire des histoires de soldats qui jurent, de bombes qui pleuvent, de corps qui explosent et de guerre qui craint.
Lycée Belmont – Préparons nos enfants au monde charmant de 1915 !
J’ai tourné une autre page, rapproché le livre de mon visage et plissé les paupières. La moitié des lampes de cette salle sans fenêtre ne fonctionnait pas. Coupes budgétaires, disaient les profs. A en croire les ragots dans le bus, il s’agissait plutôt d’un complot pour nous rendre aveugles.
Au dernier rang, quelqu’un a gloussé.
Le surveillant de la retenue, M. Randolph, a relevé sa tête d’orque de Sauron et scruté la salle pour identifier le coupable.
« Ça suffit, il a dit en se levant de sa chaise et en pointant le doigt vers moi. Tu es supposée écrire, jeune fille. »
J’ai tourné une autre page. Je n’avais rien à faire en retenue, ni dans ce lycée, et je me fichais éperdument des règles stalinistes édictées par des orques sous-payées.
Deux rangs derrière, la fille en blouson rose avec de la fausse fourrure autour de la capuche a tourné la tête pour me dévisager, les yeux vides, en mastiquant machinalement son chewing-gum.
« Tu as entendu ce que j’ai dit ? » a braillé l’orque.
J’ai marmonné des verbes interdits (Vous savez, le genre qui se termine par « outre », et qu’on n’est pas censé dire ? Ne me demandez pas pourquoi, ça n’a aucun sens.)
« Qu’est-ce que tu as dit ? il a brait.
— J’ai dit que mon nom n’était pas « jeune fille ». J’ai corné ma page. Vous pouvez m’appeler Mlle Kincain, ou Hayley. Je réponds aux deux. »
Il m’a fusillée du regard. La fille en rose a arrêté de mâchouiller. Les zombies et les zarbs dans la salle ont relevé la tête, réveillés par l’odeur du combat potentiel.
« M. Diaz entendra parler de ton comportement, jeune fille, a répliqué l’orque. Il va passer à la fin de l’heure pour ramasser ta punition. »
J’ai juré à voix basse. La fille au blouson a soufflé une bulle de travers avant de l’éclater entre ses dents. J’ai déchiré une page de mon carnet, trouvé un crayon et décidé que c’était encore une journée à effacer de ma mémoire.
Ma mémoire est un couteau, Laurie Halse Anderson, éditions Anne Carrière, collection La belle colère. 300 pages 20 €
Traduit de l’anglais (USA) par Marie de Prémonville
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Michel Canesi et Jamil Rahmani sont tous les deux médecins. Villa Taylor est leur cinquième roman. Ecrire à deux est un exercice périlleux tant il est difficile d’arriver à une fluidité qui permet de ne pas de distinguer le changement d’auteur. Canesi & Rahmani excellent à ce jeu, de mieux en mieux.
Le personnage principal est Diane, une jeune femme qui dirige une banque et dont la vie sentimentale est un désert. A la mort de sa grand-mère Moune, Diane hérite de la Villa Taylor située à Marrakech.
Ce lieu mythique a accueilli de nombreuses figures du XXe siècle : Roosevelt, Churchill et Chaplin. Churchill y a séjourné plusieurs fois pendant la seconde guerre mondiale et y a peint un unique tableau. La Villa Taylor renferme aussi tous les secrets d’enfance de Diane qui n’a pas connu sa mère. Moune a toujours refusé d’évoquer sa fille.
Alors que la jeune femme hésite à vendre la demeure, elle a la possibilité de découvrir son passé familial en étant aidée de Halima la gouvernante, Ahmed le jardinier aveugle et Agathe, une amie de sa grand-mère. En tentant de découvrir l’histoire de sa mère, Diane va aussi rencontrer le ténébreux Salim.
Au-delà de l’enquête menée pour lever les secrets de famille, des anecdotes « historiques », Villa Taylor est un roman qui met en scène la multiculturalité, la passion, la résilience et l’individualisme du monde occidental que les deux auteurs opposent à l’humanité du Maroc.
Un double bémol toutefois : la scène de la rencontre entre Diane et Salim aurait pu être d’une sensualité torride – la chaleur de la nuit, le parc luxuriant de la Villa Taylor, le parfum entêtant de la menthe… – si elle ne se terminait pas par un viol.
Extraits de cette scène. (p.96 p.97)
[… ] Soudain, une étreinte brutale me soulève du sol et me jette face contre terre, dans la menthe. Un corps lourd s’abat sur moi. […]
Je suffoque dans la menthe écrasée. Sa sueur se mêle à la mienne, coule sur mon front et brûle mes yeux. Ses doigts s’enfoncent profondément, je me raidis, une onde partie de mon ventre me submerge, l’homme la perçoit, il se déchaîne, m’écrase entre ses jambes et ses bras, mord mon cou, libère ma bouche et lèche mes lèvres, son sexe s’anime de soubresauts. Il pousse un long gémissement, une longue plainte animale.
Il ne m’a pas pénétrée. […]
Pas de pénétration sexuelle ? Ah bon ? Est-ce que je ne saurais pas lire ?
Pour rappel : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. » Code pénal (article 222-23).
Deux médecins et un éditeur ignoreraient-ils cet article ? J’aimerais qu’on m’explique cette volonté de présenter une scène de viol comme un moment érotique ! Je dis NON. NON.
Extrait du roman (p. 19 à 20)
Ma playlist défile, le sommeil ne vient pas, une meute de souvenirs me lacère. Je t’en veux, grand-mère… Tu n’avais pas le droit, je n’étais pas prête.
Le rituel des jours nous fait croire à l’immortalité et nous traversons la vie, étourdis, sans percevoir l’invisible fil du temps.
Moune, je sens ma main de petite fille dans la tienne, mon pouce sur ta peau un peu flétrie, rugueuse. Cette peau aujourd’hui glacée. Grand-mère, je pense à ta solitude dans la nuit brûlante de Marrakech.
Au crépuscule, nous marchions sous les grands arbres de la Villa Taylor, je me blottissais contre toi et serrais ta main si fort ; les ombres pouvaient bien dévorer le jardin et le noir l’engloutir, tu étais là, rempart éternel contre mes peurs d’enfants.
Avec le temps, les peurs se sont estompées, elles reviennent parfois au détour d’un mauvais rêve et, dans un demi-sommeil, je te vois très droite dans les allées du parc, ton regard bleu m’enveloppe et me rassure.
Ce regard bleu, qui caresse-t-il désormais ?
Comme elle est lourde, la douleur de la perte ; elle s’installe, cruelle, au creux de nos corps et seuls l’apaisent les sanglots étouffés.
Moune, j’aurais aimé te dire ces mots simples qu’il me répugnait, à tort, de prononcer, ces mots qui ne sortiront jamais, ces mots emprisonnés qui font mal.
Villa Talor, Canesi & Rahmani, éditions Anne Carrière 250 pages 18 €
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La veuve de Fiona Barton est un thriller réaliste et glaçant. Combien d’entre nous préfèrent voir la vérité qui nous arrange plutôt que celle qui remet en cause notre indifférence à la vie d’autrui, surtout quand elle paraît si « ordinaire » aux yeux de la communauté ?
La veuve raconte une histoire sordide dont se délectent toujours les médias et ceux qui les suivent avec avidité. La construction qu’a choisie Fiona Barton pour dérouler les évènements est machiavélique. Elle entrelace le chant choral de ses personnages – Jane Taylor, la veuve ; Kate Waters, la journaliste ; Bob Sparkes, l’inspecteur ; Dawn Elliott, la mère – à leur présent et leur passé.
Au début du roman, nous sommes en juin 2010. Jane Taylor est veuve depuis quelques jours. Son mari, Glen est mort, fauché par un bus.
Jane Taylor. Qui est réellement cette femme, mariée à 18 ans à un homme tellement attentionné ? Sa vie a toujours été ordinaire. Un travail sans histoire, une jolie maison et Glen qui lui apportait tout ce qu’elle désirait sans qu’elle lui demande jamais rien. Banal. Ou presque.
En 2006, Bella, une fillette de deux ans a disparu. En quelques semaines, la vie de Jane Taylor a basculé. Les médias ont désigné Glen comme le suspect idéal.
Pendant quatre années, les Taylor vont être harcelés. Jane est abandonnée par le peu d’amis qu’elle avait et perd son emploi. Elle n’a plus aucun répit, même après l’acquittement de Glen.
La mécanique mise en œuvre par Fiona Barton est impressionnante. Son récit malmène le lecteur éblouit par cette lumière jetée sur cette femme mariée à un homme soupçonné d’avoir kidnappé, violé et tué une enfant. Qui dit vrai ? Que s’est-il réellement passé ? Qui est coupable ? Jane Taylor a tout subi. Pourtant, elle est restée aux côtés de Glen.
La veuve nous renvoie à nos propres paradoxes et au jugement que nous pouvons porter sur les épouses des hommes accusés d’avoir commis des horreurs. N’est-il pas plus facile de vivre en ignorant ce que l’on soupçonne chez l’autre ?
Fiona Barton est journaliste et formatrice internationale dans les médias. Elle a notamment écrit pour le Daily Mail et le Mail of Sunday. Par ailleurs, elle a gagné le prix du reporter de l’année. Son travail lui a permis d’observer les femmes des accusés lors des audiences et donné l’envie d’écrire La veuve, son premier roman.
Extrait (p.9 à 12)
Mercredi 9 juin 2010
La veuve
J’entends le gravier crisser sous ses pas tandis qu’elle remonte l’allée. Une démarche appuyée, des talons hauts qui claquent. Elle est presque à ma porte, elle hésite, se lisse les cheveux. Jolie tenue. Une veste à gros boutons, une robe correcte en dessous et des lunettes remontées sur le sommet de son crâne. Pas un témoin de Jéhovah ni une militante du parti travailliste. Une journaliste sûrement, mais pas du genre habituel. C’est la deuxième aujourd’hui – la quatrième de la semaine, et on est mercredi. Je parie qu’elle va me sortir un : « Je suis navrée de vous déranger dans un moment aussi difficile. » C’est ce qu’ils disent tous, avec une expression contrite idiote. Comme s’ils s’en souciaient.
Je vais attendre de voir si elle sonne deux fois. L’homme de ce matin ne l’a pas fait. A l’évidence, se donner cette peine est d’un ennui mortel pour certains d’entre eux. Ils repartent sitôt le doigt retiré de la sonnette, redescendent l’allée d’un pas pressé, s’engouffrent dans leur voiture et filent. Ils pourront raconter à leur patron qu’ils ont toqué à la porte mais qu’il n’y avait personne. Pathétique.
Elle sonne deux fois. Puis elle frappe du poing : des coups forts et rapides. Comme la police. Elle me voit soulever le bord du voilage et me décroche un immense sourire, celui que ma mère appelle le sourire hollywoodien. Puis elle toque encore.
Lorsque j’ouvre la porte, elle me tend la bouteille de lait qui se trouvait sur le seuil et lance :
— Vous ne devriez pas laisser ça dehors, il va tourner. Puis-je entrer ? Vous faites chauffer de l’eau pour un thé ?
Je n’arrive pas à respirer, encore moins à parler. Elle me gratifie d’un nouveau sourire, la tête penchée sur le côté.
— Je m’appelle Kate. Kate Waters, je suis journaliste au Daily Post.
— Je m’app…
Je me tais brusquement, elle ne m’a rien demandé.
— Je sais qui vous êtes, madame Taylor, réplique-t-elle sans dire ce qui lui brûle en réalité les lèvres : Vous êtes l’info. Ne restons pas dehors.
Sur ces mots, elle se fraie je ne sais comment un chemin vers l’intérieur de la maison.
Je suis trop sidérée par la tournure des évènements pour protester et elle prend mon silence pour un consentement : la bouteille de lait à la main, elle se rend dans la cuisine pour préparer du thé. Je lui emboite le pas – la pièce n’est pas très grande et on se gêne un peu tandis qu’elle s’active, remplissant la bouilloire et ouvrant mes placards, à la recherche des tasses et du sucrier. Je reste plantée là et je la laisse faire.
Elle jacasse à propos des meubles.
— Quelle cuisine agréable et bien rangée ! J’aimerais que la mienne soit pareille ! Est-ce que c’est vous qui l’avez installée ?
J’ai l’impression de papoter avec une amie. Je ne pensais pas que ce serait comme ça, de parler avec la presse. Je croyais que ça ressemblerait aux questions de la police. Que ce serait pénible, comme un interrogatoire. C’est ce que disait Glen, mon mari. Mais en fait ce n’est pas le cas.
Je réponds :
— Oui, nous avons choisi des portes blanches et des poignées rouges pour que ce soit propre et élégant.
Je suis chez moi, en train de discuter éléments de cuisine avec une journaliste. Glen en ferait une attaque.
— Par ici ? demande-t-elle, et je lui ouvre la porte du salon.
Je ne suis pas sûre de vouloir d’elle chez moi ; je ne sais pas très bien ce que je ressens. Mais me récrier maintenant serait grossier. Elle ne fait que bavarder en buvant le thé. C’est drôle, j’apprécie presque l’attention qu’elle me porte. Je me sens un peu seule dans cette maison maintenant que Glen est parti.
Et puis, elle prend les choses en main. C’est plutôt agréable d’avoir à nouveau quelqu’un qui s’occupe de moi. Je commençais à m’angoisser à l’idée de devoir gérer toute seule, mais Kate Waters dit qu’elle peut tout arranger.
Tout ce que j’ai à faire, c’est lui raconter ma vie, assure-t-elle.
Ma vie ? Elle ne veut pas vraiment savoir des choses sur moi. Elle n’a pas frappé à ma porte pour apprendre qui est Jane Taylor. Elle veut connaître la vérité sur lui. Sur Glen. Mon mari.
Voyez-vous, mon mari est décédé il y a trois semaines. Renversé par un bus devant le supermarché Sainsbury’s. Une minute il était là, à m’agacer à propos des céréales que j’aurais dû acheter, l’instant d’après il était mort sur la chaussée. Traumatisme crânien. Clamsé, quoi qu’il en soit. Je suis restée immobile le regard baissé sur lui. Autour de moi, les gens couraient dans tous les sens en quête de couvertures et un peu de sang tachait le trottoir. Pas beaucoup, cependant. Il aurait été content. Il n’aimait pas le bazar.
Tout le monde s’est montré très gentil, on a cherché à me dissimuler son corps ; je ne pouvais tout de même pas avouer que j’étais heureuse qu’il soit mort. C’en était fini de ses bêtises.
La veuve, Fiona Barton, éditions Fleuve Noir 416 pages 19,90 €
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Séverine Quelet
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Avec Choucroute maudite, Rita Falk nous entraîne dans une enquête menée par le commissaire Franz Eberhofer, viré de Munich pour des raisons disciplinaires. Revenu s’installer dans son village natal où il squatte une ancienne écurie presque transformée en appartement, Eberhofer se la coule douce. Entre les repas copieux que sa mémé sourde comme un pot l’oblige à terminer, les promenades chronométrées avec son chien Louis II, les patrouilles qui se terminent devant une bière chez son ami Wolfi ou son pote Simmmerl, le commissaire mène une vie monotone qui lui convient. Jusqu’à ce que les membres de la famille Neuhofer meurent les uns après les autres.
Choucroute maudite est un roman policier désopilant. Rita Falk n’a pas son pareil pour décrire avec humour les relations humaines, notamment celles qu’entretient son personnage principal avec les membres de sa famille ou avec la femme dont il tombe amoureux.
Derrick est mort, vive le commissaire Ebehrofer ! Vive Rita Falk et sa comédie policière bavaroise, kitsch et inimitable !
Rita Falk est née dans le village d’Oberammergau, en Bavière, et vit aujourd’hui à Munich, mariée à un officier de police. Sa série des Commissaire Eberhofer a créé la surprise avec un succès populaire inédit et des ventes de 400 000 exemplaires.
La série bestseller en Allemagne est adaptée en téléfilm.
Extrait
Bon, aujourd’hui je vais chez Simmerl (le mardi, c’est le jour où on tue le cochon, donc : boudin et saucisse de foie). Et là, je tombe encore sur ce bonnet de fourrure, devant la porte. Juste devant la porte d’entrée de la boucherie-charcuterie, il y a ce bonnet. Je ne sais pas si je vous en ai déjà parlé. Non, sans doute pas. Donc, on était mercredi (ou jeudi, peu importe). En tout cas, je faisais ma promenade avec Louis II, comme d’habitude. Il nous a fallu un tour de 1-17, mais ça n’a aucune importance ici. En fait, Louis II trottait tranquillement devant moi comme d’habitude et, d’un seul coup, il a senti un truc. Il m’a devancé, a ramassé quelque chose au sol et l’a gentiment déposé aux pieds de son maître. C’était le bonnet de fourrure dont je vous parlais. Un bonnet plutôt kitsch, avec des rubans roses et des strass, à mes pieds. Louis II remuait de la queue, tout heureux. D’un coup, une femme haletante a surgi de la neige et j’ai cru bien sûr que le bonnet lui appartenait et qu’elle était rudement contente qu’on l’ait trouvé. Mais ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça. Parce que, et d’une, elle n’était pas contente, et de deux, ce n’était pas un bonnet : en regardant de plus près, j’ai supposé que c’était un chien, ou plutôt un petit chien, avec un collier à paillettes. Quoi qu’il en soit, quand la femme a repris son souffle, elle m’a engueulé et demandé pourquoi je ne maîtrisais pas mieux mon énorme monstre. Elle devait parler de Louis II. Ensuite, elle m’a hurlé dessus en demandant si j’avais une idée de ce qu’un (la race du chien ici n’a aucune importance) machin pareil pouvait bien coûter et si je savais combien ils étaient fragiles.
Aucune idée.
Le bonnet était toujours par terre et ne bronchait pas. Si je ne connaissais pas si bien Louis II, j’aurais pu douter que le bonnet ait survécu. Alors la femme a pris dans ses bras la bestiole inerte, a nettoyé les feuilles mortes collées à ses pattes et a tourné les talons, très en colère. Je me suis d’ailleurs demandé comment une créature aussi délicate pouvait claquer des talons de la sorte… Mais bon.
Comme je l’ai précisé, cet incident nous avait mis en retard de huit minutes sur notre meilleur temps et c’était vraiment fâcheux.
En fait, je n’avais jamais vu cette femme auparavant. D’abord, j’ai pensé que c’était une de ces touristes d’un jour qui veulent sortir de la ville, montrer la campagne à leur clebs et lui apprendre qu’on peut pisser sur autre chose que des réverbères. Mais il y a de grandes chances pour que son séjour dure plus longtemps que ça, étant donné que le bonnet est aujourd’hui encore devant la porte de la boucherie-charcuterie.
Choucroute maudite, Rital Falk, Mirobole éditions 256 pages 19,50 €
Traduit de l’allemand par Brigitte Lethrosne et Nicole Patilloux
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Dans Colza mécanique, nous retrouvons l’ironie bon enfant de Karin Brunk Holmqvist. Ici, l’écrivain met en scène deux frères qui habitent dans une maison à la lisière de la campagne suédoise. Henning et Albert ont respectivement 68 et 73 ans. Ces deux vieux garçons vivent dans un grand dénuement, ne se déplacent qu’en bicyclette, bicyclettes qu’ils rafistolent régulièrement comme ils réparent de bric et de broc leur petite maison ou leur cabane à outils. Leur quotidien est rythmé par la météo et rempli de rituels qui leur viennent pour beaucoup de leur mère.
Leur paisible routine est brisée lorsque la maison d’à-côté, la maison où ils ont grandi, va être transformée en centre de désintoxication pour femmes. En chiquant, les deux vieux observent les travaux depuis le champ de colza voisin. C’est alors que les médias lance une rumeur folle : ce champ serait un lieu de débarquement extraterrestre. Henning et Albert se retrouve au centre de la révolution villageoise.
Colza mécanique est un roman ironique, pince-sans-rire et tendre. De quoi réjouir votre été !
Karin Brunk Holmqvist est l’un des auteurs les plus populaires de Suède. Personnalité atypique, elle a publié dix romans vendus à plus d’un million d’exemplaire dont l’ébouriffant succès de librairie Aphrodite et vieilles dentelles (Mirobole 2016), vendu à plus de 100 000 exemplaires.
Extrait (p.7 à 9)
Le bataillon de pies s’éleva avec lourdeur du champ labouré, puis s’en alla à tire-d’aile et à grand renfort de jacassements vers le grand orme au bout du chemin. L’air s’emplit de halètements et de bruits de ferraille. En amont du sentier fangeux, Albert Andersson s’échinait sur son vieux vélo Monark. A chaque coup de pédale, la chaîne frottait sur le garde-boue et couvrait presque le son de sa respiration poussive. Albert savait précisément combien de temps le boyau tiendrait avant de se dégonfler et il s’agissait de ne pas lambiner pour éviter que les jantes ne s’enfoncent dans la gadoue. L’expérience lui avait appris qu’un gonflage lui permettait de faire des rapides emplettes à l’épicerie avant d’effectuer un rapide détour par le cimetière et de revenir à la maison. Il avait essayé de réparer la chambre à air plusieurs fois, mais elle ne restait jamais hermétique. Bon d’accord, il n’avait pas utilisé de vraies rustines, mais il avait découpé un morceau d’un vieux tuyau en caoutchouc, l’avait enduit de colle, puis l’avait placé sur le trou. Malgré ça l’air s’échappait pour se mêler à celui de l’Österlen, qui, en ce début d’été, était saturé de toutes sortes de senteurs.
Quand Albert passa devant l’arbre, les oiseaux s’envolèrent de nouveau, ils s’immobilisèrent un instant, comme pour décider dans quelle direction aller, avant de disparaître silencieusement. Leur bec ressemblait à la pointe d’un compas qui fendait littéralement la brise fraîche du matin. A l’extrémité du champ boueux s’ouvrait une cour de ferme au moins tout aussi boueuse. L’averse de la nuit avait rempli les profondes ornières et, sous la gouttière, le tonneau de bois lasuré en marron menaçait de déborder d’eau de pluie. Albert traversa la zone sans chercher à éviter les grandes flaques, mais en les franchissant au contraire avec détermination et en faisant gicler d’impressionnantes gerbes d’eau. Oui, il se dirigea vers le cabanon délabré comme une torpille. Sur le porte-bagages, il avait fixé en guise de coffre une vieille caisse en bois dont il avait soigneusement isolé le fond d’un sac en toile de jute. Un vieux tapis de lirette suspendu faisait office de porte à l’entrée de la remise. Le toit du bâtiment ressemblait à un ouvrage de patchwork tant on avait employé de matériaux différents pour couvrir la construction. Une fois qu’il eut garé la bicyclette, Albert traversa de nouveau l’étendue vaseuse d’un pas tout aussi résolu. Il portait une bonbonne de pétrole dans une main et un sachet en kraft marron dans l’autre. Mue par l’instinct de survie, la chatte sur le perron s’esquiva d’un bond et, avant d’ouvrir la porte, Albert cracha sa chique dans une vieille marmite en fonte à côté des marches. On voyait que ce récipient était destiné à accueillir le tabac expurgé de nicotine, car le vent soufflait parfois si fort que les crachats manquaient leur cible, ce dont témoignaient les taches brunes que le mur chaulé.
— HENNING, je suis rentré !
— Tu as rapporté du pétrole ?
Albert entra dans la minuscule cuisine sans retirer ses gros godillots de travail, ce qui ne semblait pas d’une nécessité criante vu l’état du sol.
— Tu as rapporté du pétrole ?
Albert posa bruyamment la bonbonne sur la table afin que son frère comprenne qu’il avait effectué l’achat prévu.
Henning était étendu sur une banquette fatiguée, un journal sur la tête et une tapette à mouches à ses côtés. Il jeta le quotidien par terre et se leva. Il adressa à son frangin un grand sourire. Plusieurs de ses dents manquaient, les chicots restants étaient marron.
— C’est bien que tu aies acheté du pétrole, Albert.
— Il va encore pleuvoir cette nuit, dit Albert, comme s’il n’avait pas entendu.
— Encore une chance qu’ils aient rentré le foin au domaine de Nygårda.
Gardant le silence, Albert s’avança vers un petit fourneau à bois sur lequel une vieille cafetière bosselée restait au chaud. Il se servit du breuvage dans une tasse émaillée au fond beige et à la partie supérieure vert kaki. Le revêtement s’était détaché à plusieurs endroits et le mug avait pris une coloration brunâtre.
— Ils rentrent toujours leur foin à temps ; on dirait que les dieux sont de leur côté.
La conversation tenait en peu de mots. La chaleur du fourneau et l’humidité extérieure rendaient l’air poisseux. L’une des fenêtres était cassée, mais on avait rafistolé la vitre brisée à l’adhésif. Au pied de la banquette s’entassait une pile de journaux jaunis. Le coussin avait conservé l’empreinte de la tête de Henning, entourée d’une auréole que leurs cheveux gras avaient déposée au fil des ans. A une époque, la taie avait dû être vieux rose, mais désormais, elle ressemblait à un morceau de tissu beige avec un grand rond marron au milieu.
— La METEO ! lança Albert.
Il n’en fallait pas plus pour que son frère comprenne. Même si le temps de leurs activités tributaires du climat était révolu, pour rien au monde ils n’auraient manqué le bulletin météo. Quand ils parlaient entre eux, les autres avaient parfois l’impression qu’il s’agissait d’une forme de sténographie. De fait, leurs échanges se limitaient à des mots isolés, incompréhensibles pour les non-initiés, mais qu’Albert et Henning avaient appris à interpréter au fil des ans.
Colza mécanique, Karin Brunk Holmqvist, Mirobole éditions 256 pages 19,50 €
Traduit du suédois par Carine Bruy
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Vu sur La Brigandine – Les dessous d’une collection
Romans érotiques truffés d’argot ou de jeux de mots qui font hausser les épaules ou…
Cet article provient de Littérature érotique
Bloody words
14°C. Un vent fort et chaud souffle depuis hier. Les feuilles jaunes d’or des bouleaux s’accrochent encore aux branches malmenées. Je fume sur la terrasse, en jeans et en chaussettes. Mes cheveux détachés caressent et fouettent mon visage.
Génocide» de Srebrenica: la Russie oppose son veto
Quelque 8000 hommes et garçons musulmans ont été tués en juillet 1995 à Srebrenica, peu avant la fin de la guerre intercommunautaire de 1992-95. L’enclave de Srebrenica avait été déclarée zone protégée par l’ONU mais les Casques bleus néerlandais ont été incapables de la défendre. Il s’agit de la plus grave atrocité commise en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
Jean-Paul II – 1995 à 2005
9 juillet 1995, un commando de la marine française neutralise le Rainbow Warrior II de Green Peace dans la zone interdite de Mururoa.
25 juillet 1995, à Paris, station Saint-Michel, une bombe explose dans la sixième voiture de la ligne B du RER (cet attentat, imputé aux terroristes islamiques, fait 7 morts et 84 blessés).
1er août 1995, à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine), premiers raids aériens de l’OTAN sur des positions bosno-serbes.
11 JUILLET 1995 : LA MÉMOIRE DOULOUREUSE DU MASSACRE DE SREBRENICA
Printemps 1992 : Dès les premières semaines, le nord-est de la Bosnie passe sous contrôle des forces serbes. Des milliers de Bosniaques se réfugient dans l’enclave de Srebrenica.
16 avril 1993 : L’enclave de Srebrenica est proclamée « zone de sécurité » par les Nations Unies.
11 juillet 1995 : La ville tombe aux mains des forces serbes. Plus de 8 000 hommes bosniaques, âgés de 16 à 60 ans sont massacrés. Les femmes, les enfants et les vieillards sont expulsés vers Tuzla.
20 septembre 2003 : Inauguration du mémorial de Potočari
6 février 2007 : la Cour internationale de justice (CIJ), organe de l’Organisation des Nations Unies, qualifie le massacre « d’actes de génocide ». Elle considère cependant que la Serbie n’est pas responsable de ce génocide, même si elle n’a rien fait pour l’empêcher.
Juin 2007 : une plainte est déposée par le cabinet d’avocats Van Diepen & Van der Kroef, au nom des survivants et parents des victimes de Srebrenica, contre les Pays-Bas et les Nations Unies pour non-respect d’obligations contractuelles, « échec à prévenir un génocide » et « non-déclaration de crimes de guerre ».
26 mai 2011 : Ratko Mladić, le « boucher de Srebrenica » est arrêté dans le nord de la Serbie.
16 juillet 2014 : Saisie par l’association Les mères de Srebrenica, la justice néerlandaise juge les Pays-Bas coupables de la mort de 300 Bosniaques à Srebrenica.
16 avril 2015 : Première visite officielle du président de la Republika Srpska, Milorad Dodik, au mémorial de Potočari.
L’attentat d’Oklahoma City – la réponse de l’Amérique profonde à Waco
Le 19 avril 1995, un sympathisant du mouvement des miliciens nommé Timothy McVeigh, avec la complicité de Terry Nichols, détruisit à l’explosif le bâtiment fédéral Alfred P. Murrah dans le centre-ville d’Oklahoma City. Ce fut l’acte terroriste le plus important aux USA jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001, avec la mort de 168 personnes et plus de 680 blessés. L’explosion a détruit ou endommagé 324 bâtiments dans un rayon de seize km et souffla les vitres de 258 bâtiments
Le FBI embarrassé par le cas McVeigh
28 mai 2001
L’un des documents du FBI récemment mis à disposition des avocats de Timothy McVeigh, 33 ans, condamné à mort pour l’attentat d’Oklahoma City, le 19 avril 1995, qui avait fait 168 morts et plusieurs centaines de blessés, remet en question des preuves utilisées pour discréditer un témoin qui avait affirmé avoir vu Timothy McVeigh en compagnie d’un autre homme une heure avant l’attentat, selon un rapport récent.
Max, commando marine : « Soit tu progresses, soit tu dégages »
Max est entraîné pour sauter en parachute en pleine nuit, palmes au pied, barda encordé et fusil d’assaut en bandoulière. Puis à rester plusieurs heures sous l’eau, avant de débarquer et d’entamer une incursion nocturne de 50 km en « zone hostile ».
Son corps est son outil de travail, qu’il passe beaucoup d’heures à muscler et endurcir avant de le mettre à l’épreuve sur le terrain.
Le jeune homme est commando marine depuis près de dix ans. Ils sont seulement 450 à exercer ce métier en France, sous la direction du commandement des opérations spéciales (COS). Ces hommes sont l’équivalent français des Navy Seals – les soldats d’élite américains qui ont éliminé Oussama Ben Laden le 2 mai 2011 au Pakistan.
Max est multi-qualifié : en tant que marin, il dispose du permis hauturier, mais il est aussi parachutiste, tireur d’élite, spécialiste de la démolition et secouriste.
« Les commandos marine sont le fer de lance des forces spéciales. Nous sommes les seuls à pouvoir évoluer dans les trois milieux : terre, air, mer. »
Installée derrière son écran, l’écrivain peinait à avancer dans l’écriture d’une scène de son manuscrit. Elle relisait ses notes en diagonale, plusieurs feuillets noircis d’informations pertinentes qui lui permettaient de ne pas s’égarer sur certains faits précis. Pour le reste de l’histoire, nul besoin de ressortir ses fiches. Elle connaissait ses personnages par cœur. Elle était ces personnages, 24h/24. Ou presque. Pour l’heure, un homme aux yeux bruns envahissait son esprit.
Elle s’était installée sous le châtaigner. A portée de main, un paquet de Benson & Hedges neuf. Du thé vert refroidissait dans une tasse. Les morceaux de gingembre frais avaient teinté d’orangé le restant du breuvage oublié. Elle croisa et décroisa les jambes. A plusieurs reprises, ses pieds nus froissèrent l’herbe fraîchement tondue. Signe qu’elle était perdue. Enervée. Décidément, cette scène allait passer à la trappe. A quoi bon se torturer les méninges quand le corps réclame ? A quoi bon se mentir ? Elle l’avait dans la peau. Dans la tête.
Son attention fut attirée par un mouvement, là-bas. Reposant ses notes, elle scruta l’endroit où elle avait perçu un déplacement. Sourit. L’homme-loup était entré dans le bois. Retirant les écouteurs de ses oreilles, elle capta le bruit caractéristique d’un merlin abattu avec force sur des bûches de trop gros diamètre. Son envie de lui se décupla. Mentalement, elle visualisa ses gestes. Concentré, les sourcils froncés, le geste sûr, il levait les bras haut et rabattait l’outil d’un geste ample. Les bûches volaient du billot. Il les empilerait plus tard.
Elle se retint d’aller le retrouver. Oh elle pourrait se rapprocher et le mater à loisir mais non. L’attente aiguisait son plaisir. De nouveau un sourire illumina son visage alors qu’elle repensait à ses mots « Arrête ! Je bande… Et j’aime te faire bander. » La réciproque était vraie. Oui. Elle bandait pour lui, parfois à en avoir mal.
D’un geste vif, elle réajusta les écouteurs et Chopin la pénétra. Les yeux fermés, l’écrivain s’abandonna à son désir de lui. Ses mains retroussèrent sa robe, haut sur ses cuisses écartées. Le vent doux caressait son sexe nu offert aux rayons du soleil. Elle ne se touchait pas. Indécente, elle savourait Les Nocturnes qui s’enchaînaient, la chaleur qui l’envahissait autant que les images érotiques de lui qui l’inondaient. Dans ses oreilles, l’interprète égrenait avec doigté les courtes pièces. La tête renversée, l’écrivain rêvait des gestes de l’homme, des caresses de son loup. De leurs deux corps emmêlés et enfiévrés.
Son corps réagissait aux simulations mentales.
Elle sentit sa mouille couler jusqu’à ses cuisses, sa raie. Frissonna du plaisir de l’attendre. « Un jour, tes mots ne suffiront plus ! » Les tiens non plus lui avait-il répondu. Ils avaient osé jouer avec le feu.
Elle gémit et ouvrit les yeux sur lui, à ses genoux. Il avait posé sa bouche sur son sexe gonflé et moite et sa langue, Dieu, sa langue.
Elle lui prit le visage, plongea ses yeux dans son regard brun.
— Attends !
— Non.
— Si. Attends ! Je veux lécher ta peau. Te goûter. M’enivrer de toi.
— Moi aussi ! TU !
D’autorité, elle se pencha vers lui, s’agenouilla et, tout en lui plaçant ses écouteurs sur les oreilles, elle lécha son cou humide de transpiration. De suite il ferma les yeux, ses mains collées à son cul, ses doigts glissant entre sa raie, s’enfouissant en elle.
— TU !
— Copieuse. TU… Chopin…
— Bandant. Terriblement bandant. Sensuel. TOI… Tue-moi… mais prends tout ton temps.
Photographie de couverture ©Akiomi Kuroda
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La mort du deuxième chien de Marek Hlasko est un roman noir et absurde. Les dialogues sont savoureux. En abordant le thème du sacrifice de soi, Hlasko y met en scène avec maestria tous les laissés-pour-compte.
A Tel Aviv, Robert et Jacob montent une nouvelle arnaque pour extorquer de l’argent à une riche veuve américaine qui visite Israël. Le vieux Jacob écrit les tirades douloureuses et passionnées que le beau Jacob interprétera devant la veuve. Jacob est accompagné d’un chien, l’unique bien qu’il est censé possédé et qu’il devra tuer dans un élan de désespoir avant l’ultime scène de son suicide.
Mais, parmi les personnages que le lecteur rencontre au fil des pages, le beau Jacob est-il le seul à jouer un rôle ?
La mort du deuxième chien est un livre à placer dans sa bibliothèque, sur le rayon où se trouvent les meilleurs ouvrages des plus grands écrivains.
Marek Hlasko (1934 – 1969) est une légende vivante en Pologne. Ecrivain et scénariste au destin brûlé, opposant au régime communiste, il était passé à l’Ouest très jeune. Au terme d’une vie folle entre Paris, Israël et Los Angeles, il meurt à 35 ans après l’absorption d’alcool et de barbituriques.
Extrait (p. 17 à 21)
Le trajet de Haïfa à Tel Aviv dure plus de deux heures. A mi-chemin environ, nous voyons que le type va mal. Le chauffeur dit qu’on n’est plus très loin. Il pousse à fond son vieux taxi, fait grincer les pneus dans les virages, de sorte qu’on se sent un peu comme des acteurs dans un film de gangsters. Un policier essaie de nous arrêter : il fait signe de la main, mais le taxi ne ralentit même pas. On voit dans le rétroviseur l’agent se diriger vers sa Harley garée à l’ombre, puis il laisse tomber : il fait trop chaud. Seul au milieu de la chaussée, il ôte son casque et se passe la main sur son visage ruisselant de sueur.
— Comment il va ? demande le chauffeur sans tourner la tête.
— Il agonise, dit Robert. Maintenant, il aura du silence et de l’obscurité, ajoute-t-il en s’adressant à moi. Est-ce qu’il va encore être déçu ?
— Vous le connaissiez ? demande le chauffeur.
— Non, dis-je.
Je suis obligé de tenir notre chien par le collier, car il s’agite et grogne depuis un moment. Il doit être troublé par le mourant.
L’homme meurt peu après. Robert, le chauffeur et moi-même l’extrayons du taxi. On l’allonge sur un banc en attendant l’ambulance. Une personne charitable lui couvre la tête d’un magazine. Sur la couverture, la photo d’un acteur connu nous fixe de ses yeux colorés. Robert soulève la revue et regarde encore une fois le visage du défunt.
— J’ai l’impression que c’est un Roumain, dit-il. Il a dû arriver d’Europe récemment. Il ne connaissait pas un mot d’hébreu.
— Le plus drôle, dis-je, c’est qu’il n’en apprendra plus aucun.
— Mauvais signe.
— Tu parles de lui ?
— Je suis superstitieux. Ce type va nous gâcher notre affaire. On aurait dû venir en train.
— Il n’est pas encore au frais dans sa tombe qu’il s’est déjà fait un nouvel ennemi, dis-je.
— Bien vu, répond Robert. Qu’on le mette en bière vite fait, ce salaud.
Il regarde le chauffeur qui, penché sur le corps, tente de déchiffrer le nom de l’acteur sur le magazine.
— Allons-y, chef, dit-il. On n’a pas de temps à perdre.
— C’est John Wayne, précise le chauffeur en se tournant vers nous. Vous ne pouvez pas attendre encore un peu ? Vous savez comment c’est avec la police. Ils pensent toujours que les choses se sont passées autrement qu’on le dit. Ce serait mieux pour moi.
— On a à faire, dis-je. On habite au 56, rue Allenby. Donne l’adresse aux flics s’ils te la demandent.
— Ils le feront sûrement, dit le chauffeur.
Il se penche à nouveau sur le mort.
— Mais ce n’est pas John Wayne, il jouait dans La Poursuite. C’est quelqu’un d’autre.
Nous traversons la route et entrons dans l’hôtel. Affalé dans un fauteuil, le portier lit un livre dont la couverture me fait penser au macchabée : un bellâtre assassine une femme, à moins que ce ne soit le contraire.
— Vous avez roulé longtemps ? demande le portier.
— Deux heures. Un homme est mort dans le taxi, dis-je. Il est resté appuyé contre Robert pendant tout le trajet.
— Le salaud, ajoute Robert. Il va nous porter la poisse. Tu as deux lits pour nous, Harry ?
Le portier ne répond pas. Il est plongé dans sa lecture et moi, je regarde à nouveau la couverture colorée.
— On paie cash, précise Robert.
Alors seulement le portier pose son livre et lève la tête.
— Vous restez longtemps ?
— Je ne sais pas, dis-je. On est venus se faire quelques ronds. C’est pour ça qu’il est tellement enragé. Il pense que le macchabée va lui saboter son plan.
— Tu vas encore le marier ? demande le portier à Robert.
— Bien sûr. Est-ce que je l’ai déjà mal marié ?
Le portier me dévisage un instant.
— Il est vieux, dit-il enfin. Et il a l’air sacrément fatigué.
— T’en fais pas pour moi, Harry, dis-je. Laisse à Robert le soin d’avoir des idées. Il sait comment trouver le pognon.
— Sûr, dit Robert. C’est pareil pour les dessins. L’essentiel, c’est l’idée. Et moi, j’ai encore plein d’idées pour lui.
— Il est vieux, répète le portier.
— C’est mes oignons. Je sais ce que je dois faire de lui. Cette gueule d’enterrement va me faire gagner le gros lot. Alors, tu les as, ces deux lits, oui ou non ?
— Il faudra aussi payer pour le chien, dit le portier. C’est le règlement.
— On a déjà payé. Quand on l’a acheté.
— Combien ?Presque cent livres. C’est un chien de race. Tu crois peut-être qu’on l’a eu pour rien ? Avec une nourrice en prime ? C’est ce que tu crois ?
— Vous payez d’avance. Quatre livres. Et je ne veux pas voir ce chien traîner dans l’établissement.
— Il reste avec nous, dis-je. Il va là où on va. On n’a rien à lui cacher.
La mort du deuxième chien, Marek Hlasko, Mirobole éditions 192 pages 17,50 €
Traduit du polonais par Charles Zaremba
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Avec Les fugitifs, Christopher Sorrentino installe avec subtilité une atmosphère qui passera de la quiétude à l’étouffement. L’intrigue de son roman se déroule à Cherry City, une petite ville du Nord Michigan, en hiver.
Christopher Sorrentino a choisi la mise en abime pour dérouler son intrigue. Au travers de trois personnages qui, de par leur métier, sont passés maîtres en manipulation de la réalité – un romancier new-yorkais, Sandy Mulligan ; une journaliste, Kat Danhoff ; un conteur de légendes indiennes, John Salteau – l’écrivain interroge le lecteur. A quel moment les histoires que l’on raconte aux autres deviennent des histoires que l’on se raconte à soi et auxquelles on croit au point de ne plus savoir qui on est ?
Les fugitifs est le tableau d’un lieu, d’une époque. C’est un dialogue sous-jacent entre les protagonistes mais aussi entre les personnages et le lecteur. Un parallèle entre les légendes amérindiennes et l’époque contemporaine.
Les fugitifs est un roman qui pourra en dérouter certains, habitués qu’ils sont à moins de virtuosité, à des ficelles grosses comme des cordages de paquebot. C’est justement la complexité des personnages et l’univers proposé par Christopher Sorrentino qui a réussi à me happer jusqu’à la dernière ligne. Qui a commis ce meurtre, comment, pourquoi ? Car oui, un crime va être commis à Cherry City qui entraînera l’explosion des apparences derrière lesquelles se cachent Mulligan, Danhoff et Salteau.
Les fugitifs est une spirale infernale. Un roman ingénieux et original. Puissant.
Bravo à la traductrice, Julie Sibony !
Christopher Sorrentino, fils de l’écrivain Gilbert Sorrentino, est né en 1963 et vit à New York. Après Transes (Sonatine Éditions, 2012), Fugitifs est son deuxième roman.
Extrait (p. 323 à 325)
Il était un peu plus de dix heures, d’après le radio-réveil sur la table de chevet, et j’étais encore au lit, regardant distraitement, Kat s’habiller. J’éprouvai une vague jalousie alors qu’elle plongeait la main dans son énorme valise pour en sortir un pantalon en velours rouille à rayures bordeaux ainsi qu’un pull en cachemire beige ; je n’étais pas seulement jaloux de ses vêtements propres (les miens avaient passé la nuit en boule sur la moquette), mais des millions de pièces de puzzle subtiles, de la vie qui voyageait dans cette valise, de toutes les breloques que les femmes accumulaient et gardaient, et par où commencer pour réussir à reconstituer l’ensemble ? Pourquoi les gens comme moi, qui n’avaient jamais daigné apprendre une langue étrangère, à qui il ne serait jamais venu à l’idée d’étudier l’art floral ni de reproduire avidement des parties d’échecs historiques, qui ne rêvaient jamais de maîtriser le deltaplane ni l’ébénisterie, persistaient-ils à s’attaquer à la tâche monumentale et décevante d’essayer de déchiffrer les autres ? Et toujours commencer par les pièces les plus crues du puzzle : qui d’autre t’a déjà vue enlever ce pantalon et le remettre ? As-tu déjà perdu une de ces boucles d’oreilles dans le lit de quelqu’un ? Que dit ton mari quand il jouit ? L’attirance et ses contrariétés. Un compromis, songeai-je en admirant le galbe du cul de Kat dans sa culotte blanche toute propre. Elle se retourna et surprit mon regard.
« Tu veux que je te présente une de mes amies aujourd’hui ?
— Pourquoi pas. Mais… ajoutai-je en désignant le réveil. C’est l’heure des contes.
— Si tu y tiens.
— C’est toi qui écris un papier sur lui. »
Elle enfila le pantalon de velours, qui lui allait comme s’il avait été fait sur mesure, et vint s’asseoir à côté de moi sur le lit.
« Tu ne m’as jamais dit ce que tu avais appris de nouveau, au fait.
— Tu ne m’en as pas laissé l’occasion.
— C’est ça, c’est ma faute. Alors ?
— Pas grand-chose. J’ai discuté avec lui l’autre jour. Il m’a confirmé certains trucs que je t’avais dits.
— Très bien. Et donc ?
— Il m’a demandé où tu étais.
— Moi ? C’est bizarre.
— Il t’avait remarquée. Faut dire que tu es assez remarquable. En plus, il est persuadé que tu es indienne. »
Une étrange expression passa dans son regard.
« Quoi, fis-je.
— Il a raison concéda-t-elle. Et alors ?
— Alors rien, j’imagine. C’est plutôt moi qui étais surpris.
— Tu voudrais que je porte une étoile, ou quoi ? »
Elle secoua la tête, écarta les cheveux de son visage. Nous restâmes un long moment sans rien dire.
« Attends une seconde, reprit-elle. Pourquoi il te pose la question à toi ?
— J’en sais rien, répondis-je avec un haussement d’épaules. Il a dû nous voir ensemble, je suppose. Enfin bref, je lui ai dit que tu t’intéressais à lui.
— Purée… comme si j’avais besoin d’un Indien à mes basques.
— Non, rectifiai-je, je lui ai dit que tu étais journaliste et que tu avais envie d’écrire un papier sur lui.
— Alexander, tu n’as pas fait ça ? Merde. »
Elle se leva et se mit aussitôt à fourrer des choses dans son sac à main.
« Pourquoi ? demandai-je. C’est venu dans la conversation.
— Habille-toi si tu comptes m’accompagner. »
Fugitifs, Christopher Sorrentino, Sonatine éditions 528 pages 14,99 €
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Julie Sibony
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Le jour du chien est un thriller à l’américaine, modèle narratif et thématique. En effet, dans son nouveau roman, Patrick Bauwen a privilégié l’action et mis en avant le criminel plutôt que le policier. Son histoire rythmée par des chapitres courts est pleine de rebondissements – quelques fois un peu tirés par les cheveux, mais ces surprises susciteront l’adhésion du lecteur qui cherche à comprendre, voire à résoudre, la fameuse « énigme du mal ».
Dans Le jour du chien, le protagoniste qui s’oppose à l’assassin en série est un médecin urgentiste – Chris Kovak, charmeur, adepte de l’humour sarcastique et profondément blessé par la mort de sa femme, Djeen, déchiquetée par une rame de métro trois ans plus tôt.
Un soir où il prend le métro pour rentrer chez lui, Kovak est agressé et blessé. Son agression ayant été filmée et diffusée sur la Toile, quand il se réveille après son opération, le médecin-urgentiste découvre l’inconcevable : sur la vidéo, Djeen est vivante.
Pour rajouter de la complexité au suspense, Patrick Bauwen a choisi de dérouler son histoire en utilisant les points de vue de plusieurs personnages : Chris Kovak ; le meurtrier psychopathe qui s’est nommé lui-même le Chien, Inquisiteur ou Guerrier Saint, et qui semble connaître tous les recoins les plus sombres de Paris, des squats aux profondeurs du métro et aux catacombes ; la juge Audrey Valenti tombée sous le charme du veuf inconsolable et le policier qui enquête sur la nouvelle série de meurtres.
Comme il a réussi à me surprendre de belle façon, je pardonne à Patrick Bauwen d’avoir utilisé l’un des clichés les plus véhiculés pour évoquer le syndrome d’Asperger. Toutes les personnes souffrant de Troubles du Spectre Autistique (TSA. Le syndrome Asperger en fait partie) n’ont pas un QI atteignant les cimes de l’Himalaya.
Il reste que Le jour du chien plaira beaucoup aux amateurs du genre. Un conseil, ami lecteur, ne rate pas un seul indice ! Une bien belle gourmandise que ce thriller !
Patrick Bauwen dirige un service d’urgence dans un hôpital de la région parisienne. Il partage sa vie entre ses deux passions : l’écriture et la médecine d’urgence.L’œil de Caine (2007) a obtenu le prix Polar des lecteurs du Livre de Poche et le Prix Carrefour du 1er roman, Monster (2009), le Prix Maison de la Presse et Seul à savoir (2010), le Prix Littré.
Extrait (p. 12 à p.13)
[…]
Je m’appelle Christian Kovak. Mes amis m’appellent Chris. Je suis médecin aux urgences. Il est vingt-trois heures, et je viens de prendre le métro pour rentrer chez moi après une journée de travail interminable. Dans un peu moins d’une minute, ma vie va changer.
Là maintenant, je suis avachi sur mon siège, les paupières lourdes. Ma tête cogne contre la vitre au rythme des soubresauts du wagon qui parcourt le tunnel. A chacune de mes inspirations, je perçois le parfum caractéristique du métro parisien, mélange d’odeurs humaines, de caoutchouc chaud et de produits chimiques. Certains trouvent cette odeur désagréable. Pas moi : je la trouve rassurante. Elle signifie que votre existence est sur des rails. Tranquille. Le docteur Kovak plongé dans la monotonie. On se lève, on bosse, on rentre, et on recommence. Comme ça, pas besoin de réfléchir.
Au fait que ma femme est morte il y a plusieurs années, et que je suis incapable de remonter la pente, par exemple.
Il n’y a pas si longtemps, nous étions là, tous les deux, nous nous promenions à vélo, pique-niquant dans les parcs en été, déambulant sur les berges du canal Saint-Martin à l’automne, souriant comme des enfants devant les vitrines au moment de Noël. Nous avions nos habitudes, nos rituels de couple : se lever ensemble quel que soit notre emploi du temps, commencer la journée par un café crème, dévorer les épisodes de nos séries télé favorites d’une seule traite pendant le week-end, déjeuner une fois par semaine au restaurant chinois, s’accorder un verre de vin chacun avant une soirée coquine. Deux amoureux vivant dans leur bulle, année après année.
Et d’un coup, plus rien. Désormais, chacun de ces détails est une plaie ouverte qui vous rappelle la mort de l’autre. […]
Le jour du Chien, Patrick Bauwen, éditions Albin Michel 432 pages 21,50 €
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Un bref moment d’héroïsme se déroule principalement à Marseille, ville que connaît bien Cédric Fabre puisqu’il y vit et y travaille en tant que journaliste indépendant. Il y anime aussi des ateliers d’écriture. Fabre est notamment l’auteur de Marseille’s Burning (éd. La Manufacture de Livres). C’est lui qui a coordonné le recueil Marseille Noir (Asphalte éditions).
Si vous ne connaissez pas l’écriture de Cédric Fabre, apprenez que le type qui a inventé le roman noir et le type qui a créé cet écrivain ont dû coucher ensemble. Un bref moment d’héroïsme est une critique politique de Marseille et de la faune qui la peuple, de la déshumanisation qui sévit dans les grandes métropoles et de la déliquescence du lien social. C’est aussi un regard affûté sur l’Homme, ses travers et ses richesses.
Depuis quelques temps, dès qu’un élu prononce un discours à Marseille, une horde d’activistes l’en empêche en organisant dans la foule de véritables bastons violentes et artistiques. Ces fight mobs sont organisés par Paolo, inventeur du concept et meneur du groupe, et Lang, ancien photographe de guerre au passé trouble. Tous deux ont été amoureux d’Olivia, la fille d’Old Maurice, tuée dans un attentat sur une plage de Tunisie.
Quand Lang est abordé par Awa, elle n’a pas à le supplier beaucoup pour qu’il accepte de l’aider à récupérer son fils, Arsène.
Un bref moment d’héroïsme respire l’humain. Et qui dit humain, dit aussi passions, mensonges, manipulations, vérités, entraide, amour, résilience. Cédric Fabre aime Marseille mais aussi ses personnages. Quelle finesse psychologique possède cet auteur ! Et derrière ses tournures de phrases, quelle poésie !
Le noir n’existerait pas sans la lumière et vice versa. Fabre entraîne le lecteur dans un récit de vies cassées où les moments d’existence contés, les détails qui pourraient lui paraître insignifiants ou superflus sont autant de réflexions mûries, de leçons de vie que de pépites.
La lecture de ce roman n’est pas de tout repos, crois-moi, ami lecteur. Tout comme les personnages de Cédric Fabre, tu prendras des coups. Mais ce roman noir t’amènera aussi à croire, si tu en doute, que chacun d’entre nous possède le pouvoir d’agir sur soi et sur son environnement.
Un bref moment d’héroïsme est un roman-cadeau, un hymne vivifiant, un hommage vibrant à tous les laissés-pour-compte, ceux qui chutent, ceux qui restent à terre et ceux qui arrivent à se relever.
Bref, j’ai kiffé grave ! Merci, Cédric Fabre pour ce très beau moment de lecture !
Extrait (p.40 à p.42)
Je hais cette place, Castellane, avec sa fontaine au milieu et son basson toujours vide au centre duquel s’élève sur plusieurs mètres une colonne coiffée d’une statue de femme portant un navire dans les bras alors qu’en bas, c’est un flot ininterrompu de bus et de voitures qui tournent autour d’elle sur trois voies. Un navire dans le nuage de pollution au-dessus des bagnoles ? L’histoire de cette ville, c’est une succession de malentendus avec des accessoiristes, sans même parler des responsables du casting. La place est gorgée de cafés-bars et de restaus, des terrasses pleines à péter de càcous, avec leurs gourmettes et leurs chaînes plaquées or autour du cou, leurs pantacourts et baskets de marque, maillot de l’OM ou chemisette rose et des tas de doigts qui triturent en permanence des tas de clés de bagnole ou de scooter à trois roues comme si c’étaient des chapelets. Le càcou, indéboulonnable, c’est une sorte de version postmoderne et postindustrielle de l’idiot du village, genre un modèle sérialisé, la figure à la fois ultime et has been du néofolklore antipop de notre métropole tiersmondialisée, la preuve à lui seul que la fabrication d’utopies dans cette ville et dans ce monde est un artisanat en faillite.
Je suis installé à la terrasse du troquet qu’elle m’a indiqué, je sais rien de cette femme. Juste qu’elle connaissait mon nom et mon numéro, qu’elle sait que j’ai été reporter-photographe et que j’ai couvert des guerres, essentiellement en Afrique, pendant quinze ans. Ce qui m’a intrigué et poussé à accepter de la rencontrer, c’est qu’elle était persuadée que j’accepterais de l’aider.
— Vous verrez, vous ne pourrez pas refuser, elle a tranché, d’une voix aiguë, avec un léger accent d’Afrique noire, avant de couper la communication.
Evidemment, comme un con je suis là et c’est évident, elle me connaît parfaitement parce qu’elle sait que c’est le genre de rendez-vous que je serais incapable de décliner. Elle s’en doute aussi, que sa voix perchée, cristalline et humide, elle évoque un mouvement du bassin. Je projette qu’il y a quand on a été élevé par les sœurs de l’Immaculée Conception toute son adolescence, dans la culture du silence, du péché et de la prière, qu’on parvient à développer par la suite un tel niveau de sensualité.
— Grégoire Lang ? Je peux m’asseoir ?
Elle est en face de moi, immense, mince, la peau claire, des yeux verts en amande aux pupilles parsemées d’éclats scintillants.
— Vous n’êtes pas certaines que c’est moi ? Vous ne me connaissiez donc pas de vue ?
— J’avais peur de ne pas vous reconnaître, après toutes ces années.
Je sursaute sans doute.
— Vous vous appelez ?
— Je peux m’asseoir, même si mon prénom ne vous dit rien ?
Je désigne la chaise en face de moi d’un signe de la main, je sais que je suis devenu un mufle, je m’en félicite pas, j’aurais dû me lever, mais quelque chose me cloue le cul à ma chaise.
Elle a un peu plus de la trentaine, la tête haute, le regard fier et les traits tirés. Elle a les cheveux courts, défrisés et épais, elle porte une croix sur un chemisier vert olive un chouïa transparent sous lequel elle a eu le bon goût de mettre un soutif noir à dentelle. Des seins que je devine en forme de lotus, généreux, comme diraient les critiques spécialisés. Le mec qui a inventé les seins et le mec qui a inventé la générosité se connaissaient forcément et leur route a dû croiser celle du mec qui a inventé la souplesse dans les doigts. […]
Un bref moment d’héroïsme, Cédric Fabre, éditions Plon, collection Sang Neuf. 350 pages 17 €
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Ecrivain et journaliste franco-suisse, François Hauter a été correspondant en Afrique, en Chine et aux Etats-Unis. Il est lauréat du Prix Albert Londres et du prix Louis Hachette pour son ouvrage Planète chinoise (éd. Carnets Nord). Les Enfants perdus est son second roman, après Rouge glacé (éd. Stock).
Avec Les Enfants perdus, François Hauter aborde le thème de la parentalité en opposant deux parents à la réussite sociale « éclatante » aux difficultés qu’un père Haïtien connait pour élever sa fille alors qu’il est pauvre comme Job.
Stanilas, veuf et homme d’affaires strasbourgeois apprend que son fils Alexandre est recherché par la police australienne. Personne ne sait où il se trouve.
Jade, la fille de Rose – requin de la finance internationale basée à Hong-Kong, vient d’être arrêtée en Thaïlande pour trafic de drogue. Elle risque la peine de mort.
Bienaimé qui tente de survivre en Haïti décide de partir travailler au Qatar afin de permettre à sa fillette de pouvoir suivre des études et d’avoir, un jour, une vie meilleure.
L’idée d’opposer la réussite sociale à la parentalité est intéressante. Au travers de son roman Les Enfants perdus, Hauter pose plusieurs questions : comment s’émancipent des enfants délaissés par des parents carriéristes ? Quelle est la place de l’humanisme dans une société devenue matérialiste à l’extrême ? Est-il possible de nouer des liens familiaux quand ils sont quasi inexistants ?
Il est dommage que les personnages de François Hauter tournent le plus souvent à la caricature, le message délivré dans Les Enfants perdus – il n’est pas trop tard pour s’éveiller à la vie – aurait eu plus de puissance.
A noter que, dans cette histoire, ce sont les parents qui sont perdus, bien plus que leurs enfants.
Extrait (p.21 à p.23)
Rose entendait sans les écouter les plaisanteries masculines échangées par les membres de son conseil d’administration. Après cette séance où elle avait obtenu ce qu’elle voulait, ces messieurs se détendaient comme des gamins autour de l’imposante table de réunion, dominant de cent dix étages la baie de Hong-Kong.
Francis, l’assistant de Rose, profita de cet instant de flottement pour se glisser près d’elle et lui passer un mot.
Elle pâlit et se dit qu’elle avait quitté le camp des vainqueurs.
Elle rebrancha ses téléphones et, à la surprise générale, Rose Delabaume se leva et quitta précipitamment son fauteuil, se justifiant d’un lapidaire :
— Désolée, une affaire personnelle très urgente.
Des regards inquisiteurs et un grand silence accompagnèrent cette femme toujours avare de la moindre émotion.
La crème de l’establishment financier de l’ex-colonie britannique était réunie autour de la table et Rose devait avoir de tragiques raisons pour traiter ses hôtes si cavalièrement.
Arrivée presque en chancelant à la porte de son bureau grand comme un court de tennis, elle se précipita vers un fauteuil et s’y effondra. Elle suffoqua une longue minute, et les poings serrés sur les yeux, s’abandonna à un long frisson.
— Pas croyable ! Quelle conne ! Mais quelle conne !
C’était tellement brutal, inattendu !
Elle se précipita derrière son immense bureau et aboya au téléphone :
— Francis, venez immédiatement !
A peine entré, l’assistant fut accueilli par une sorte de rugissement :
— Qui nous défend à Bangkok ? Dressez-moi la liste des meilleurs avocats sur place ! Prenez un rendez-vous avec le Premier ministre thaï, le général machin-chose, j’ai oublié son nom. Et le chef de la police, un autre général j’imagine ! Vous notez, Francis ? Pour quand les rendez-vous ? Mais le plus vite possible, demain ! Ça urge ! Quel est mon agenda cet après-midi, après le déjeuner avec les membres du conseil ?
Francis énuméra : la réunion hebdomadaire avec les directeurs régionaux à quinze heures, puis une interview avec le correspondant du Financial Times avant quelques collaborateurs entre dix-sept et dix-neuf heures.
— Enfin, madame, vous dînez au China Club à vingt heures avec nos deux gros courtiers de Singapour.
— Annulez-moi tout ça, expliquez à tous que j’ai de graves soucis familiaux, sans plus de détails. Préparez-moi un mot personnalisé pour chacun d’eux, je signerai. Je pars à Bangkok après le déjeuner. Faites préparer l’avion. Prévenez le bureau là-bas, qu’on vienne me chercher, et faites réserver la suite habituelle à l’Oriental. Le journaliste du FT, je le prendrai au téléphone en vol. insistez, je veux lui parler ! Vous entendez ! Faites prendre une valise chez moi par le chauffeur. Ah oui, préparez-moi aussi une mallette avec trois cent mille dollars en liquide. De grosses coupures. Dépêchez-vous !
Les enfants perdus, François Hauter, Editions du Rocher 334 pages 19,90 €
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Premier roman d’Eugène Deschiffres, Idées fixes vient de paraître dans la collection e-ros D/s des…
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Je regarde le granit glacé dans mon verre. Une bonne idée, ce glaçon qui ne fond pas. Il ne va pas ruiner le goût du rhum. Ni sa couleur, un or liquide qui semble se caraméliser sous mes yeux. Je ferme les yeux pour la première gorgée. C’est toujours la meilleure. Je la savoure un … Read More →
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Alors voilà, mon deuxième bouquin est en librairie aujourd’hui, ce qui fait de moi officiellement une écrivaine si je me fie aux lignes directrices de Wikipedia (n’allez pas me créer un article pour autant, de toute façon vous ne saurez pas quoi y mettre). Ça s’intitule Amants et comme pour Le carnet écarlate, c’est publié par les (féministes et légendaires depuis plus de quarante ans) Éditions du remue-ménage. Si vous avez envie d’en acheter une copie, rendez-vous sur leur site plutôt que d’engraisser Blaise Renaud.
Amants est un livre que je n’avais pas prévu écrire; il s’est en quelque sorte présenté de lui-même. Au commencement, je ne faisais que m’amuser sur Facebook en racontant des histoires invraisemblables avec des contraintes simples : la première ligne devait commencer par un prénom masculin, la deuxième devait contenir une chute rigolote, la troisième ligne ne devait contenir que le hastag #Amants et la longueur des lignes devait tenir dans la fenêtre des statuts de Facebook sans être brisées. À ma grande surprise, non seulement les gens qui me suivent sur Facebook ont tout de suite apprécié, mais illes se sont mis(es) à me confier leurs propres anecdotes pour que je les passe à la moulinette et les transforme en #Amants. J’ai ainsi reçu presque deux cent confidences qui sont devenues la base du bouquin, la majorité provenant de personnes s’identifiant comme femmes – et au moins le tiers par des personnes s’identifiant comme hommes. Comme la narratrice est toujours une femme, j’ai dû inverser les genres dans ce dernier cas et franchement, ce fut beaucoup plus facile que je ne l’aurais cru – comme quoi le genre, ce n’est peut-être pas si important que cela quand raconte des histoires de fesses. Le reste des #Amants (parce qu’il y en a 741) est constitué de mes expériences personnelles, de pures inventions ou encore sont des prétextes à jeux de mots idiots – parce que franchement, à part le chocolat et l’orgasme, il n’existe rien de meilleur au monde que les jeux de mots idiots.
Lorsque j’ai abordé les filles du remue-ménage avec le projet de publier un recueil de ces histoires en deux lignes, le problème qui s’est immédiatement posé fut : « Combien d’amants devrais-je inclure dans le livre? ». Trois-cent soixante-cinq, pour en avoir un par année? Six-cent soixante-six, parce que c’est le chiffre de la bête? Mille et un, parce que whatever? Il me fallait une raison à cette accumulation et cette raison est venue avec la structure que j’ai choisie pour organiser le tout.
<SPOILER ALERT>
Amants est un acrostiche géant. La première lettre de tous les prénoms masculins forme le poème Il n’y a pas d’amour heureux d’Aragon – amputé de la dernière strophe patriotarde, comme le chantait Brassens. Voilà pourquoi je n’ai cessé de me plaindre de la rareté des prénoms commençant par la lettre U, voyelle on ne peut plus utile pour écrire de la poésie. Le dernier vers de chaque strophe (« Il n’y a pas d’amour heureux ») forme les premiers mots de chaque interruption et aussi du récit qui clôt le livre – les coïts interrompus et la déprime post-coïtale. Le résultat, c’est que la structure porte un message tragique qui contredit l’humour souvent niais du texte et cette contradiction à mon sens reflète l’essence des relations humaines : une tragédie immense, vécue à coup de banalités et de niaiseries parfois rigolotes, parfois tendres, parfois sublimes, parfois lamentables ou même horribles.
</SPOILER ALERT>
Si j’avais à critiquer mon propre bouquin, voici ce que j’écrirais :
Amants est un curieux objet littéraire. L’objet est l’hétérosexualité telle qu’on la vit en 2017 et le portrait qu’en fait l’auteure n’est pas réjouissant, malgré le recours constant à l’humour. Le constat est clair : il n’y a pas d’amour heureux, la chair est triste et j’ai lu toutes les contrepèteries. Chaque anecdote est une pénétration, la première ligne étant le IN, la seconde ligne étant le OUT. Ces pénétrations forment quatre coïts qui sont interrompus et conclus par quatre textes où on s’interroge sur le consentement, l’amour, la violence et le caractère érotique ou non des rhinocéros. Ne vous attendez toutefois pas à y trouver une moralité, un sens ou des valeurs pour guider votre vie. Amants est amoral et l’accumulation martelée d’anecdotes finit par tuer le désir et l’amour. C’est un voyage au bout de la nuit qui débouche sur le néant et le désespoir – et vous vous demanderez pourquoi vous avez ri à ce point. ★ ★ ★ ☆ ☆
N’étant pas critique, je vais plutôt me contenter de vous inviter à vous en procurer une copie – ou alors attendre quelques jours et tenter de solutionner la prochaine grille de mots croisés, pour en obtenir une copie dédicacée gratuite !
Vu sur Hommes à vendre de Marika Moreski
Hommes à vendre ? En réalité, ils sont prostitués par des proxénètes femmes, un couple…
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Aujourd’hui, je vous donne à lire le récit que j’ai écrit pour le Prix de la Nouvelle Erotique, édition 2016. Le principe du concours est le suivant : il faut écrire de nuit, puisque le sujet est donné à minuit, et la nouvelle doit être rendue au petit matin. Le thème était : « Est épris … Read More →
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Avec Le vertige des falaises, roman méchamment beau et cruel, Gilles Paris aborde à nouveau l’un de ses thèmes favoris, l’enfance. A une différence près : ici, l’héroïne est une adolescente âgée de 14 ans. Ce qui, pour cet auteur, est une première.
Mise en abîme et chant choral.
Gilles Paris a choisi d’isoler les membres de cette famille sur une île inconnue où chacun cache ses secrets derrière des murs transparents et froids.
L’écrivain a posé son histoire sur l’Île où règne depuis plus de trente ans une famille très riche, les Mortemer. Ils vivent en haut des falaises, à Glass, une très grande maison toute en verre et en acier construite par Aristide, le grand-père architecte, sur un terrain qui appartenait à la famille d’Olivia, sa femme.
Leur fils, Luc, s’est marié à la belle et intelligente Rose qui est venue s’enfermer avec eux. Devenu père de Marnie, Luc a fini par quitter sa femme, sa fille et l’Île pour partir habiter sur le Continent et voyager à travers le monde. Mais que s’est-il passé derrière ses murs vitrés ?
Au fil des pages, le lecteur découvrira que cette famille n’est pas aussi lisse que les murs de Glass. Elle cache beaucoup de secrets. Ceux-ci seront révélés par Olivia et Marnie Mortemer et quelques personnages secondaires.
Olivia est née sur cette terre sauvage dont elle connaît tous les habitants. Certains lui obéissent par amour ou par respect, tel le médecin ou le curé. D’autres accepteront de l’argent pour se taire et oublier certains faits.
A 14 ans, rousse à la peau blanche, Marnie vient d’enterrer son père et veille sur sa mère qu’elle adore, Rose souffre d’un cancer inéluctable. Gamine sauvage, Marnie n’obéit à personne, – et surtout pas à Prudence qui sert aveuglément la famille –. Elle ne sourit jamais et fugue régulièrement, au grand plaisir de sa grand-mère Olivia qui l’aime par-dessus tout.
Marnie aime passionnément l’Île qu’elle connaît par cœur pour l’avoir parcourue en baskets ou pieds nus. L’adolescente n’imagine pas vivre dans un autre endroit, même si elle rêve de visiter le Continent. Pourtant, elle s’y rendra avec Vincy, l’adolescent qui l’attire et dont elle ne sait que faire.
Marnie semble vivre dans son monde, à l’écart de tous et de tout, sauf de sa mère et de l’Île. Et c’est bien là tout l’astuce de Gilles Paris : aveuglé le lecteur en ayant créé un personnage aussi flamboyant que sa chevelure ; une adolescente insolente, avide de vivre alors qu’elle est entourée d’adultes qui meurent les uns après les autres. Marnie la rousse indomptable qui n’est peut-être pas aussi innocente que certains pourraient le croire.
Le vertige des falaises est l’un des romans les plus aboutis que Gilles Paris ait jamais écrit. Mais gageons que l’auteur de Au pays des kangourous, L’Eté des lucioles et du best-seller Autobiographie d’une courgette (adapté au cinéma par Claude Barras, Ma vie de courgette) n’a pas dit son dernier mot !
Extrait (p.9 à 10)
Marnie
Papa est mort. Je devrais avoir du chagrin, je n’en ai aucun. J’irais bien jouer avec Jane, mais la main baguée de grand-mère Olivia m’emprisonne. Le vent, lui, me décoiffe, et des mèches rousses me rendent aussi aveugle que Jane. Je ne vois plus le trou béant dans lequel deux costauds de l’Île font descendre le cercueil d’où papa ne s’enfuira plus. Il n’aurait pas aimé être mort de son vivant. J’entends leurs efforts, ce lit en bois qui cogne sa nouvelle demeure sur laquelle nous allons lâcher une poignée de terre. Tout comme il y a un ana, après la mort de grand-père Aristide. Ils sont enterrés l’un près de l’autre comme deux amis qu’ils n’étaient pas. C’est comme ça dans la famille. On ne pense jamais à haute voix, sauf au bord des falaises, là où le vent emporte tout. Je retiens mes mèches, ramasse de la terre rouge et la jette sur le bois vernis. Olivia retire vivement sa main. La bague m’a griffée, je saigne un peu. Les larmes glissent sous ses lunettes, ses rides les retiennent. Elle vient de perdre son fils qui n’aimait que les casinos, les voitures de sport, et les jolies femmes. Je répète juste ce que j’ai entendu derrière les portes. Le vent se lève comme toujours sur cette Île, la terre tourbillonne au-dessus du cercueil. Olivia tremble. Je ne sais pas si c’est le chagrin ou le climat changeant de l’Île. Elle salut de la tête Géraud le médecin, et Côme le curé. Elle ne se risquera pas à les embrasser. Chez les Mortemer, on garde ses émotions pour soi. Elle vient d’attraper mes doigts, sans s’y accrocher cette fois, comme lors de nos promenades le long des falaises. On remonte lentement l’allée du cimetière, la maison des morts avec toutes ces tombes grisâtre où ont été ensevelis des hommes, des femmes et des enfants que je n’ai pas connus et pour lesquels je ne ressens rien. Tout comme avec grand-père et papa. J’ai mes raisons. Olivia s’appuie sur mon épaule et fait peser son grand âge. En un an elle a perdu un mari et un fils. Je serais presque heureuse de rentrer à la maison si maman n’était pas malade. On n’a pas besoin des hommes. Ils n’apportent que du malheur.
Le vertige des falaises, Gilles Paris, éditions PLON, 240 pages 16,50 €
En librairie le 6 avril 2017
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En ce moment, je lis pas mal de romances (dis-moi ce que tu lis, je te dirai ce que tu écris). J’en profite donc pour vous parler de quelques titres qui m’ont beaucoup plu, et qui ont su dépasser l’éternel cliché de la jeune femme naïve et du mec hyper puissant (pour des raisons X … Read More →
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Je veux une petite robe rouge
Une petite robe rouge bon marché
Une petite robe rouge trop mince
Une petite robe rouge trop serrée
Qui pourrait déchirer à tout moment
Une petite robe rouge trop échancrée
Une petite robe rouge trop décolletée
Une petite robe rouge fendue comme un fruit mur
Une petite robe inconvenante et vulgaire
Une petite rouge malhonnête
Mais assez honnête pour qu’on n’ait pas à deviner
Ce qu’il y a – ou n’y a pas – en dessous
Je veux me balader dans cette robe rouge
Sur le trottoir en face de chez toi
En me déhanchant si intensément
Que le bruit de frottement
Que ferait mes fesses et mes jambes
Serait assez tonitruant
Pour ameuter tout le voisinage
Je veux qu’à mon passage
Les ouvriers de la voirie
En aient la bouche si sèche
Qu’ils seraient incapables de siffler leur désir
Et que leurs plates obscénités
Resteraient prises dans leur gorge
Tant que tous leurs sens seraient subjugués
Sous l’empire de ma petite robe rouge
Je veux que les gamins
Inscrits à l’école buissonnière
La clope volée chez le dépanneur à la bouche
Soient pétrifiés de panique
Saisis par leur première érection
À la vue de mes seins sur le point de bondir
Hors de ma petite robe rouge
Je veux que le ménagères
Celles qui tâtent toutes les courgettes du marché
En perdent toute contenance
Toute retenue toute bienséance
Et qu’elles se mettent à couler de sève printanière
Folles de désir et de jalousie
À la vue de mes jambes
Fuyant hors de ma petite robe rouge
Je veux même que les flics
Le regard vacant et la sueur bovine
La matraque entre les cuisses
Et le code de la route dans le crâne
En oublient leur devoir de chiens savants
Pour se transformer en êtres humains
Et spontanément tapissent leur slip
De foutre constabulaire
Devant l’émouvant spectacle mouvant
De ma petite robe rouge
Je veux une petite robe rouge
Pour déclencher dans la foule un tel orage hormonal
Qu’il produirait assez de phéromones
Pour saturer l’air de ton quartier
Et puisse te tirer de ta torpeur
Pour te sortir de ta chambre
Pour que tu coures te jeter à mes pieds
Toi qui n’as pas encore daigné me rappeler
Parce que je n’avais pas de petite robe rouge
Je veux une petite robe rouge
Pour enfin devenir moi-même
– Mais en mieux
Un moi-même sublime et sublimé
Défini par ma coupe et ma couleur
Et par rien d’autre
Je veux une petite robe rouge
Impossible à enlever
Car elle serait ma peau et mes os
La surface lisse indissociable de mon être
Sous laquelle on ne trouverait que le néant
Si on avait l’audace inouïe de la soulever
Je veux une petite robe rouge prête à porter
– Dans le sens que ce serait elle
Qui serait prête à me porter
Pendant que moi je me contenterais
De ne rien dire
De penser à rien
De ne rien vouloir
Et même de ne pas exister
Autrement qu’en tant que petite robe rouge
Un chiffon qui sert à faire bander
Sur lequel on éjacule et on s’essuie
Et que l’on jette après usage
Sans arrière-pensée
Et sans regrets
Colin Johnson alias Mudrooroo est né en 1938 en Australie-Occidentale. Chat sauvage en chute libre est son premier roman. Paru en 1965, ce livre politique et esthétique n’a cessé d’être réédité depuis sa sortie en librairie.A la fin des années 90, suite à une controverse sur ses origines aborigènes, Mudrooroo est écarté du monde des lettres australien. Il choisit alors de s’installer au Népal pour travailler son autobiographie.
Dans Je suis moi. Et personne d’autre ! (qui suit ici* Chat sauvage en chute libre), il explique ses choix stylistiques. Passionné par la culture aborigène et l’art du conte, l’écrivain a développé une oralité du style, recherchant la puissance du langage plutôt que celle de l’écrit. De même, Johnson aura recours au concept de « fiction autobiographique » développé par Henry Miller. Pour lui, la vérité se révèle dans le discours et non pas dans le contenu : « […] cette vérité peut même inclure des contre-vérités qui pourront être discutées avec une méthodologie de lecture attentive et critique. »
Revenons à ce roman. Ainsi, le parcours de vie du héros de Chat sauvage en chute libre présente quelques similitudes avec celui de Colin Johnson. Métis aborigène, le narrateur sort de prison où il purgeait une peine suite à un cambriolage. Elevé par sa mère, le jeune homme a connu une enfance tumultueuse qui la conduit de la maison de correction à la prison. Nous sommes en Australie, dans les années 60.
Confronté aux multiples barrières dressées entre lui et les Aborigènes, lui et les Blancs, lui et la société, l’histoire initiatique du personnage le ramène à ses racines, de la ville et ses banlieues au bush. Il va faire face aux évènements qui s’enchaînent, En attendant Godot à la main.
Le retour à la case départ ayant été annoncé dès le début du roman, la fin de l’histoire est bien fidèle à sa structure. Les chapitres sont surtout constitués de flashbacks qui expliquent les évènements actuels.
Le personnage dont on ne connaîtra jamais le nom, apparemment « vide » et indifférent à ce qui l’entoure, pointe avec une ironie certaine les clichés racistes des Blancs sur les Aborigènes. Rappelons qu’en Australie-Occidentale, le peuple aborigène était parqué dans des réserves, l’assimilation étant érigée en politique gouvernementale. Chat sauvage en chute libre a constitué une prise de position radicale bien avant qu’elle ne devienne une mode des années 60/70. En effet, il faudra attendre 1972 pour que naisse une conscience aborigène.
Le roman retrace aussi les subcultures des années 60 en Australie. Son jeune héros, « sapeur progressiste » empreint de la culture des bodgies et des milk-bars, donne l’occasion à Mudrooroo de critiquer les valeurs « bidon » des étudiants contemplatifs de la classe moyenne. Par l’intermédiaire du jazz et de son personnage qui agit, l’auteur fait « pénétrer des idées » dans leurs têtes.
Le passage très noir où le narrateur quitte la société pour s’enfoncer dans le bush rappellera à tout artiste le cheminement vers la créativité – la carabine dont le coup part dans un moment de panique en est la représentation métaphorique : solitude, travail solitaire, interactions impromptues et limitées avec les autres. Celui du rêve du chat sauvage représente le traumatisme politique aborigène : l’oubli de son Histoire. Quant au vieil Aborigène qui révèle les clés du rêve, il montre le mouvement culturel qui est alors en marche dans ce pays : la recherche des racines et le maintien des liens entre l’Australie aborigène contemporaine et l’Australie aborigène traditionnelle.
Entre spleen urbain et retour au bush, Chat sauvage en chute libre est aussi une très belle histoire de rédemption. Un livre qui mériterait d’être dans toutes les bibliothèques !
*Asphalte éditions
Extraits choisis (p. 13 à 14 ; p. 81 ; p. 85 ; p.89)
Aujourd’hui, c’est fini, les portes vont s’ouvrir et me rejeter, seul et soi-disant libre. Encore une dette payée à la société alors que je ne lui devais rien. J’émerge enfin dans ce paradis de pacotille dont je rêvais depuis dix-huit mois. Des mois de galère dans une vie. Des mois d’ennui sans fins, sans bornes. Les mêmes visages, les mêmes conversations, les mêmes blagues salaces jusqu’au dégoût. Les mêmes récits pathétiques de combines passées et à venir. Souvenirs héroïques. Espérances folles.
Il est près de onze heures, je m’apprête à prendre la couche qui purifiera nos corps souillés par la prison, les préparant à l’air doux et frais du monde libre. Un maton nous observe tandis que nous nous alignons. Les cabines nous arrivent à la taille, pour éviter que les prisonniers ne transgressent les règles. Pas de bavardage. Pas de sexe. Aujourd’hui, il n’empêche pas les conversations et choisit de regarder dans le vide, impassible. Personne ne songerait à enfreindre le règlement le dernier jour. A part moi, peut-être.
La prison de Freemantle a été une sorte de refuge pour moi. Ils m’ont accepté ici comme j’ai moi-même accepté le désespoir et la futilité. Les autres ont su garder l’espoir. J’en connais même certains qui ont pris des résolutions, mais ils ne s’y tiendront pas et rechuteront. Libéré pour quelques semaines, quelques jours, puis de retour dans cette prison bien-aimée quelques années. L’espoir et l’illusion des tocards. Moi, je ne me laisserai plus avoir. Je me fous de tout. Je me suis endurci afin qu’aucune émotion bidon ne puisse plus m’effleurer. J’agis dans la vie comme dans un rêve. Acteur et spectateur en même temps. Limite schizo. J’arrive à m’extirper de moi-même pour me regarder agir.
[…]
A peine ai-je touché la poignée que la porte de la salle s’ouvre. A l’intérieur, la pièce baigne dans l’obscurité, mais les hautes fenêtres laissent entrer des rayons de lune qui s’étalent sur le sol. N’importe quoi pourrait jaillir de l’ombre derrière les casiers. La nuit est étouffante, pourtant, mes dents se mettent à claquer, mes genoux à trembler et à vaciller.
Je devrais peut-être faire demi-tour. Personne ne se sera encore aperçu de ma disparition là-haut. Non. Il faut que je m’échappe d’ici. De toute façon, j’aurai droit à la ceinture demain, dès que Dickie aura vu mes exercices de calcul. Il faut que je me tire au plus vite. Loin de ce trou à rat, « oui, monsieur », « non, monsieur », repaire des sports d’équipe, des légumes pourris, des ragoûts et des frères qui nous brutalisent.
C’est le directeur, le pire de tous. Sa sangle fait moins mal que celle de Dickie, mais c’est un vieux bouc particulièrement crétin. Les gamins racontent qu’une fois, une souris a grimpé le long de sa jambe de pantalon et qu’elle est retombée raide morte. Toujours à déblatérer qu’il se décarcasse pour nous et que nous sommes des ingrats, à nous espionner pour vérifier que nous allons bien communier et à nous interroger sur la nature de nos péchés. J’en ai ma claque !
[…]
Déprimé par mes souvenirs, je reviens vers les bâtiments et ne tarde pas à trouver L’Expresso, le café où je suis censé avoir rendez-vous avec la fille. Des étudiants vont et viennent, certains l’air grave, des livres sous le bras, d’autres en groupes ou en couples, riant ou bavardant. Je tends l’oreille pour écouter leurs conversations :
« Aucun doute possible ! Le plus grand des misanthropes, c’est Kafka ! »
Plus grand que qui ? Et qu’est-ce qu’un misanthrope ? J’ai lu un livre de cet écrivain, en prison. C’était étrange, mais je pense avoir fini par le comprendre. Je suis le groupe vers le café et l’un des étudiants me tient la porte, attendant que j’entre à mon tour. Je fais non de la tête et reste dehors, les poils de mes bras hérissés comme ceux d’un chat de gouttière effrayé, surpris dans un lieu incongru. […]
J’ai remarqué la librairie près du café. Un livre ferait bien dans ma panoplie et pourrait presque me faire passer pour un étudiant. J’entre et reste stupéfait devant les rayons et les tables qui débordent de volumes. Que choisir dans tout ça ? Un bouquin pas cher. Peut-être un de ces livres de poche à l’air austère. J’en tire un d’un rayon. Crime et Châtiment. C’est drôle, je l’ai lu en prison. Chouette histoire. Guerre et Paix. Anna Karénine. Mince ! On ne s’attendrait pas à les trouver ici aussi.
Je passe à la section Psychologie et creuse comme un chien déterrant un os. Plus mon genre, mais trop cher. Le temps passe. Théâtre. En attendant Godot. Je le feuillette au hasard.
Chat sauvage en chute libre, Mudrooroo, Asphalte éditions. 208 pages 18 €
Titre original : Wild Cat Falling
Traduit de l’anglais (Australie) par Christian Séruzier
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Vu sur Les Délices de la duchesse, Charles Delygne
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Cet article provient de Littérature érotique
Quelle psychologie toute en finesse que celle de Lee Martin ! Quel suspense ! Et quelle question ! Comment réagirions-nous si notre enfant disparaissait et que nous apprenions le nom du coupable ? Cet été-là est un roman magnifique qui donne à réfléchir sur notre nature humaine.
Que s’est-il passé le soir du 5 juillet, trente ans auparavant ?
Les Mackey, qui possèdent la verrerie de la ville, sont en train de dîner. Autour de la table, ils sont quatre : le père, la mère, Gilley, le grand frère et Katie, la petite sœur. L’aîné est toujours furieux après la benjamine. L’après-midi, Katie est entrée dans sa chambre avec son amie. Les fillettes ont écouté son album et ont fait une rayure sur l’un des morceaux. Alors, pour se venger, pour que sa sœur ait des problèmes avec leur père, Gilley balance qu’elle n’a pas rapporté les livres empruntés à la bibliothèque. Cela fonctionne. Monsieur Mackey pique une crise. Tous les habitants de la ville ont les yeux fixés sur eux, les riches, les nantis. Ils se doivent d’être respectables. Katie bondit de sa chaise et enfourche son vélo rouge. La bibliothèque ferme à sept heures, elle a le temps de rendre les livres.
Gilley la regardera grimper la colline et puis disparaître de sa vue.
Katie portait un short orange et un tee-shirt noir. Elle est partie sans prendre le temps de chausser ses sandales, pieds nus.
Pour dérouler l’enquête, Lee Martin a choisi la structure du roman polyphonique. Trente ans après le drame, quelques-uns des habitants racontent leurs souvenirs : « Raymond R. Wright » et Clare Mains, sa compagne ; Monsieur Dees, le professeur de mathématiques ; Gilley Mackey, le frère aîné de Katie.
Parmi ces personnes, qui a dit la vérité lors de l’enquête ? Qui a menti ? Et aujourd’hui encore, qui manipule qui ?
Au travers des dires des uns et des autres, l’écrivain explore en profondeur le désir, l’amour, le mensonge et la perte. Au fur et à mesure que les langues se délient, des secrets émergent. Dans cette petite ville écrasée par la chaleur estivale, il était des amours interdites et des amours sincères, d’autres étaient des faux-semblants. Katie disparue, un homme, coupable « idéal », sera tué. Ils seront plusieurs à devoir vivre avec cet autre secret.
Sans exagération aucune, avec une poésie qui n’est pas sans rappeler l’univers mélancolique de Saul Leiter, Lee Martin réussit à raconter l’inracontable tout en maintenant un rythme cadencé : le pourquoi et le comment du meurtre d’une fillette de neuf ans.
L’auteur vit dans l’Ohio où il enseigne la littérature. Cet été-là est son premier roman traduit en français.
Extrait choisi (p.13 à 15)
Le soir où c’est arrivé – le 5 juillet – le soleil ne s’est pas couché avant 20h33. J’ai vérifié par la suite l’illustration de la météo en une de l’Evening Register : un visage souriant sur un soleil brillant férocement. Je l’ai fait parce que c’était le cœur de l’été, et je ne pouvais m’empêcher de penser à cette lumière qui n’en finissait pas et à tous ces gens qui étaient sortis pour en profiter ; je les avais vus assis sous les porches buvant des Pepsi et écoutant le Top 50 de WTHO des transistors. Je savais qu’ils riaient en lisant Snoopy et Hi and Lois dans le journal, qu’ils frémissaient en découvrant les aventures de Steve Canyon. Des voitures passaient dans High street – des Trans-Am et des GTO, des Mustang et des Road Runner, des Charger et des Barracuda. Certaines se dirigeant vers le drive-in à l’est de la ville – une double affiche, Un été 42 et Bless the Beats and Children. D’autres se rendraient dans le centre-ville. Des adolescents entraient discrètement dans le drugstore Rexall ou dans le nouveau supermarché Super Foddliner pour acheter un paquet de Marlboro ou de Kool. Des couples déambulaient sur la place centrale, flânant après un dîner à la Coach House ou un steak et une bière fraîche à la Top Hat Inn. Ils faisaient du lèche-vitrine, les femmes admirant les nouvelles bottes qui montaient jusqu’aux genoux chez le chausseur Bogan’s, les lycéennes lorgnant les premières lunettes à monture d’acier chez l’opticien Blank’s, les pantalons à pattes d’éléphant dans la boutique de vêtements pour femmes Helene’s, les bracelets d’amitié et les bagues de fiançailles de la bijouterie Lett’s.
Tant de temps et de possibilités, et pourtant personne ne pouvait empêcher ce qui allait arriver.
Nous n’étions qu’une minuscule ville de l’Indiana, dans la grand plaine au-delà des collines ondoyantes de la forêt Hoosier – une ville qui abritait une verrerie, proche de la White River qui serpentait vers le sud-ouest avant de se jeter dans la Wabash et de s’écouler jusqu’à la rivière Ohio. Ce jour-là, un mercredi, la température avait atteint les trente-quatre degrés, et l’humidité qui s’était installée avait assommé tout le monde. L’air était chargé de l’odeur des fumées des fours de la verrerie, de la puanteur de poisson mort de la rivière, des sons de la vie de tous les jours : glaçons qui s’entrechoquaient dans les verres, pots d’échappement qui produisaient un bruit de ferraille, portes-écrans qui grinçaient, mères qui appelaient leurs enfants pour rentrer à la maison.
Le soir, quand le vent se levait suffisamment pour agiter les feuilles des gigantesques chênes de la place centrale et que la nuit commençait à tomber, l’air se rafraîchissait juste assez pour faire oublier combien la journée avait été torride et implacable. Après des heures passées à travailler à la verrerie ou à la carrière ou la gravière, les gens étaient heureux d’aller à leur propre allure, de prendre leur temps, de laisser l’obscurité approchante et le bruissement de l’air les convaincre qu’il pleuvrait peut-être bientôt et qu’alors la chaleur retomberait. J’étais pour ma part content de rester à la table de ma cuisine, réfléchissant aux problèmes mathématiques que je proposerais le lendemain aux élèves à qui je donnais des cours pendant l’été, dont l’une était Katie Mackey.
Par la suite, certaines personnes se présenteraient à la police en disant qu’elles avaient peut-être des informations à donner. Leur nom apparaîtrait dans la presse – jusqu’à Saint-Louis et Chicago – et serait mentionné dans les chaînes de télévision de Terre-Haute et d’Indianapolis, il figurerait dans les carnets des reporters qui arriveraient en ville, des beaux parleurs venus d’ailleurs avec leurs questions, des journaleux d’Inside Detective et de Police Gazette qui demanderaient comment trouver untel ou untel.
Je n’ai jusqu’à présent jamais réussi à relater cette histoire et le rôle que j’y ai tenu, mais écoutez, je la raconterai en toute honnêteté : un homme ne peut vivre qu’un temps avec une telle chose sans la partager. Mon nom est Henry Dees et j’étais alors enseignant – professeur de mathématiques et tuteur pendant l’été auprès d’enfants tels que Katie, qui en avaient besoin. Je suis désormais un vieil homme, et même si plus de trente années se sont écoulées, je me rappelle encore cet été et ses secrets, la chaleur et la manière qu’avait la lumière de se prolonger le soir comme si elle n’allait jamais partir. Si vous voulez écouter, vous allez devoir me faire confiance. Sinon, refermez ce livre et retournez à votre vie. Je vous préviens : cette histoire est aussi dure à entendre qu’elle l’est pour moi à raconter.
Cet été-là, Lee Martin, Sonatine éditions, 21 €
Titre original : The Bright Forever
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau
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Idée du désir organise un concours d’écriture érotique sur le thème de la Saint-Valentin. Je…
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J’ai téléchargé plusieurs textes sur ma liseuse, il y a déjà un certain temps. Parmi…
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Chers lecteurs, chères lectrices, j’ai besoin de vos lumières. Le débat est vaste : pensez-vous qu’on puisse, dans un récit, au sein d’un même paragraphe, glisser du passé composé au passé simple sans déclencher un cataclysme stylistique et grammatical ? Je m’explique. Longtemps, j’ai évité, par habitude, de mélanger le passé composé, plus familier, et … Read More →
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Je ne vais pas faire de billet de blog sur chaque titre, je ne demande…
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