Photo Nicolas Yoroi
Avoir besoin d’être attaché à une personne, dans une société qui a tellement besoin de recréer du « lien social », est profondément humain. Vouloir, l’espace d’une minute ou d’une heure, se laisser aller à être totalement pris en charge par quelqu’un, voilà aussi qui peut être attirant.
Est-ce là une bonne explication de l’expansion de la pratique du « bondage » qui fleurit en France ? Petite tentative de définition: le bondage, ou « shibari » (qui veut dire « attacher » en japonais), est une pratique consistant à attacher un modèle (ou plusieurs), généralement à l’aide de cordes. La recherche esthétique, gymnastique, érotique ou philosophique qui l’accompagne est aussi multiple que ses adeptes. Je ne partage pas la définition de Wikipedia qui cantonne le bondage à l’érotisme mais c’est sûrement parce que j’ai fait un stage de yoga-bondage, je vous en parlerai une autre fois.
Danse méditative?
Le bondage serait donc une sorte de méditation désexualisée ? Si comme la danse, la pratique peut susciter le désir, comme la danse, ce n’est pas forcément la première chose qu’on y cherche. Céline, adepte depuis longtemps, la pratique comme une danse justement. « Une fois en suspension, je peux jouer à rechercher quels mouvements me sont encore possibles, explorer mes limites. » C’est aussi un moment où on se laisse aller : « je suis prise en charge par quelqu’un qui m’attache, c’est très reposant, je peux m’abandonner et ne plus être en contrôle. » Quant à la relation entre l’attacheur et l’attaché, elle se passe sans les mots. Il faut apprendre à écouter l’autre dans ses réactions, ses crispations, ses mouvements. Il existe des stages de bondage qui se focalisent quasi exclusivement sur la communication et le lâcher prise, les nœuds deviennent alors accessoires.
Reste qu’attacher quelqu’un, surtout en suspension au-dessus du sol, n’est pas un acte anodin et nécessite une certaine maîtrise, que ce soit de la part de l’attacheur ou de l’attaché. La première fois qu’elle a été suspendue en l’air, Medellia, qui avait chroniqué avec brio « 50 nuances de Grey », a perdu connaissance. « J’ai accueilli les cordes de façon très naturelle, j’étais prête à tout essayer. Il semble que le fait de me soulever, même un petit peu, juste amorcer une suspension me fasse être prise de nausée et même tomber dans les pommes – c’est arrivé. Donc je vais très doucement. Je vais toujours à des ateliers en groupe. Je n’ai pas d’attacheur.se fixe. Je préviens, je discute avant toute session. Je suis toujours tombée sur des attacheur.ses sympa, compréhensifs et patients. En fait ça me détend toujours énormément. »
L’important n’est pas la destination, mais le chemin
En bondage comme en sexe ou en cuisine, tout est question de parcours et d’expérience. C’est aussi le point de vue de Nicolas Yoroï, qui a appris auprès de grands maîtres japonais et encadre la Jam D, séance ouverte où chacun peut apprendre à attacher à son rythme. « La suspension peut venir après un chemin qui a été parcouru, mais la pratiquer tout de suite serait comme mettre une formule 1 dans les mains de quelqu’un qui vient juste d’avoir son permis. »
Et de citer cette anecdote : « Quand j’ai commencé ma première carrière professionnelle (expert en finance et informatique), j’ai eu la chance de travailler dans une petite start-up, avec deux humanistes qui avaient cette utopie que la finance doit être utile à tous. L’un de ces deux créateurs avait le dilemme suivant : on ne peut exister dans la finance que si l’on a une vision très court-termiste, la valeur même de notre art ne peut être utile que si l’on a une vision a long terme et globale (largement plus loin que le spéculateur et l’actionnaire). Ce n’est pas compatible avec l’idée d’être une start-up et, le 11 septembre aidant, ils ont disparu. Je dois avouer que cette idée de construction lente me pose question : est-ce compatible avec l’engouement que suscitent les cordes actuellement ? Car construire un sens à la pratique des cordes est un long chemin. »
Un chemin que Medellia va continuer à arpenter : « Ce qui est sûr c’est que cela questionne mes rapports à la domination (sexuelle ou même dans le couple) et me fait considérer le SM d’une façon plus positive. Après je ne sais pas si c’est une façon d’apprendre sur moi. À part que ça me plait. »
Avant de partir : une petite vidéo de Paris Première, qui était allé interroger Nicolas Yoroi.