C’est le soleil qui l’a brûlée – flickr/lucie_ottobruc
Cordélie fut escort. Elle veut prendre la parole, pour que son expérience soit entendue, reconnue. Je lui souhaite la bienvenue sur Sexpress.
Je parle, écris ici pour la première fois.
C’est important de dire qui je suis, et pourquoi j’écris.
Je suis Cordélie. Je n’existe plus beaucoup. Mes interstices d’existence sont exigus, mais denses et lumineux..
J’existe dans les lignes que vous lisez et lirez ici.
J’existe dans la tête de celle qui les écrit, au moment où elle les écrit, et j’existe encore un peu dans ses souvenirs.
J’existe encore sur un blog (ou faut il dire, un prétexte ?), quelques pages immuables, et aujourd’hui probablement envahies de publicité, sur lesquelles se vantent mes qualités les plus attractives.
Bien que tout le monde affirme savoir qui je suis, je sais, moi, que je n’existe pas dans l’imaginaire collectif.
J’écris pour exister, ou plutôt pour avoir existé. Pas à mes yeux, oh non ! Je sais bien de quoi je suis faite, je sais bien ce que j’ai vécu, et je vis très bien ce que j’en pense.
J’écris pour avoir existé aux yeux des autres, de tous les autres, ou du plus d’autres possible.
J’écris au présent, parce qu’en apparaissant noir sur blanc, mon existence ne peut plus n’être qu’un souvenir.
J’écris parce qu’aujourd’hui, je suis niée, moi, mes choix, et mon vécu. Et puisqu’ici et ainsi j’ai la possibilité d’exister, je ne m’en prive pas.
Le débat (a t-il eu lieu ?) autour de la pénalisation du client, puis le vote de la loi a fait de moi au mieux une victime consentante d’un système social défaillant, au pire une esclave à la dignité bafouée.
Je sais bien, moi, que je suis épanouie, et pas salie.
Il a fait de l’activité à laquelle je me consacre un corps de métier honteux, de ceux qu’une civilisation moderne et respectable ne devrait pas laisser exister.
Je sais bien, moi, que non content d’être le plus vieux métier du monde, c’est mon plus beau métier du monde.
Il a fait de mes amants coquins et dépensiers des sous-hommes à la virilité lâche, des pervers férus de domination pécuniaire.
Je sais bien, moi, que tous autant qu’ils sont, ils sont remarquables et beaux, quelque part.
Il déclare malsain le commerce des services que j’aime rendre, vendre.
Je sais bien, moi, que ça me rend belle et que leurs sourires, leurs compliment, leur gène et leur maladresse sont sincères…
Je sais aussi que je ne suis pas comme les autres, du moins, pas exactement comme toutes les autres, comme mes collègues invisibles. Plus elle se déploie, et plus mon expérience est positive. Peut-être même est-elle, au sens propre, exceptionnelle ? Et alors ? Si c’est le cas, alors elle l’est aussi au sens figuré. Et elle n’a pas moins le droit d’exister que toutes les autres…
Il n’y a qu’ici que je concède l’indécence : j’ai de la chance, une chance insolente.
J’ai fait le pari que je pouvais gagner de l’argent sans produire d’effort, simplement en utilisant mon corps et sa capacité à prendre du plaisir quand il en donne, et en faisant confiance à la fois au genre humain et à mon intuition. J’ai gagné.
C’est possible, je le promets. Ça peut exister, ça existe.
Je, soussignée Cordélie, déclare sur son honneur jamais bafoué être une escort girl occasionnelle qui a exercé quelques mois, qui ne pratique plus, et pour qui cette parenthèse auto-commerciale a été enchantée. Pour faire valoir mon existence.