La prostitution, c’est l’échange de sexe contre de l’argent, une zone moins franche que prévue. Catherine Deschamps, sociologue, qui a participé au numéro de la revue « Ethnologie française » consacré aux sexualités négociées, s’est penchée sur ce sujet.
Est ce qu’on doit sortir la prostitution des relations « normales »? Quelle barrière entre les michetonneuses, les « vraies » prostituées, un homme qui couche avec sa femme pour quelle s’occupe des mômes, où est la barrière entre la prostitution et la sexualité négociée?
Ne serait-ce que parce que dans les représentations les plus courantes, la prostitution ne renvoie pas à des relations normales. Ces représentations ont un effet, y compris pour qui voudrait banaliser la prostitution, établir des continuum avec d’autres formes de relations ou faire des parallèles, d’où l’existence même de votre question. Ensuite, entre ce que nous appelons prostitution dans les pays occidentaux et ce qu’on nomme « sexualité transactionnelle » notamment dans les études sur les pays africains, il y a un monde.
Par ailleurs, et contrairement à ce que laisse supposer les représentations occidentales, ce sont nos pays occidentaux qui constituent une exception dans le rapport à la sexualité : nous l’espérons libre d’économie, alors que presque partout ailleurs dans le monde il est admis que la sexualité fait (et doit faire) l’objet de transactions. Certes, entre des transactions qui peuvent être en nature (cadeaux divers et variés, prestige, etc), et somme précise d’argent, il y a des différences.
En France, c’est le ministère du droit des femmes qui porte cette loi sur la prostitution car la prostitution est une violence faire aux femmes. Est-ce qu’une cliente de la prostitution masculine, c’est une violence faites aux hommes?
La critique est bien sûr légitime. Mais il faut quand même bien admettre qu’aucun ministère n’épuise un sujet (que ce soit sur la prostitution ou sur d’autres choses). Il faut donc se demander ce que le choix de tel ou tel ministère dit de la manière dont un gouvernement veut qu’on « lise » un sujet de société. Là, incontestablement, ils ne veulent retenir de la prostitution que son modèle le plus fréquent : une prostituée femme et un client homme. (Extrait du projet de loi : « Enfin, ce phénomène contrevient au principe d’égalité entre les sexes. En effet, même s’il existe une prostitution masculine, les clients sont en quasi-totalité des hommes. »)
Ils ne veulent pas réfléchir à partir des nombreux autres modèles, certes minoritaires : un prostitué homme pour un client homme ou femme, et une prostituée pour une cliente, et un/une prostituée transgenre pour client ou cliente. Non seulement il y a 6 cas de figure alors qu’ils n’en retiennent qu’un, mais encore ils affirment d’emblée que victime il y a et que la victime est forcément la personne qui se prostitue, non le client.
Est-ce qu’on peut dire que les hommes négocient leur sexualité financièrement comme on peut le dire des femmes? Comment expliquez-vous cette asymétrie client/prostitué selon le genre/sexe ?
Il y a effectivement majoritairement des clients hommes. Ou, plus exactement et pour la France, les clients hommes appartiennent à tous les milieux sociaux, économiques et culturels, alors que pour être cliente, il semble falloir à la fois un capital économique et culturel bien supérieur à la moyenne. Par ailleurs, les clientes font peu appel à des prostitué-e-s de rue, d’où leur moindre visibilité dans l’espace public. L’espace public doit être vu là dans son double sens : comme espace physique et comme espace médiatique.
Est-ce à dire pour autant que les hommes négocient moins leur sexualité que les femmes ? En général, sans doute cela semble-t-il vrai. Mais des contre-exemples sont nombreux, et si les manières de signifier la négociation varie pour les hommes et est plus discrète, cela ne veut pas dire qu’elle soit absente.
La classe politique semble se ranger unanimement derrière l’abolition de la prostitution : le dernier texte réaffirmant la position française a été voté à l’assemblée en 2012 par tous les partis politiques. Quel groupe politique aurait les moyens de se positionner pour la défendre comme une activité plus nuancée qu’elle n’en a l’air?
Les Verts, lors des mobilisations des prostitué-e-s de 2002-2003 en France se sont positionnés à leur côté. Ils étaient le seul parti à tenter un discours plus nuancé et encore cela n’a t-il pas été sans remous dans leurs rangs. Il est nécessaire de s’intéresser à ces mobilisations d’il y a à peine 10 ans pour comprendre ce qui se passe et se répète aujourd’hui, d’autant qu’un certain nombre de groupes militants de prostitué-es en sont issus, d’Act Up notamment.
Ethnologies françaises : Sexualités négociées. A télécharger sur le site www.cairn.info.