Le financement communautaire, ou crowdfunding, est en plein essor. C’est le cas dans la musique, les maisons de disques ne financent plus de carrières montantes et les artistes s’appuient sur leurs fans pour enregistrer leur album ou partir en tournée.
Les projets liés au sexe et à l’érotisme ne sont pas en reste. Dorcel avait fait le premier film porno co-produit par les internautes, et aujourd’hui c’est Imperfect qui fait appel aux financeurs pour réaliser la première BD éro-porn co-produite.
Alors est-ce que le sexe sur papier glacé fait cliquer les foules ? Jérôme (dessin) et Scebha (scénario), à l’origine du projet Imperfect, m’ont expliqué leur démarche.
Pourquoi ce financement-là plutôt qu’un éditeur « classique » (au sens un éditeur classique de BD érotico-pornographique)?
Jérôme : A l’heure actuelle, il est très difficile de présenter un projet BD à des éditeurs. Ils en reçoivent tellement, peu répondent, et la plupart du temps, c’est un message non personnalisé et négatif. Aussi, à moins d’être un grand nom de la BD, les planches ne sont pas très bien payées. Le domaine du X dans lequel nous nous engageons réduit encore plus le public et donc l’espoir de trouver un éditeur qui pourrait avoir confiance en ce projet. Car oui, la BD est un métier, et on a besoin d’argent pour en vivre ! Nous comptons sur l’intérêt des lecteurs afin d’être, pourquoi pas, repérés par un éditeur.
Scebha : Jérôme et moi avions d’abord envie d’un soutien public avant de proposer notre projet aux éditeurs. Nous avons eu envie de tester pour ainsi dire l’impact d’un tel projet et de nous présenter aux éditeurs avec cette force que serait le fait de réunir 7000€ et d’avoir déjà l’argent nécessaire à la confection de l’ouvrage. Si malgré ce soutien public nous ne trouvions pas d’éditeur, nous éditerions le projet grâce à l’argent récolté sur Ulule via un imprimeur / diffuseur.
Que retirez-vous de cette expérience? Comment réagissent les gens?
Scebha : Actuellement l’expérience n’est pas terminée. De mon point de vue de scénariste et gestionnaire de la communication, c’est un travail de chaque jour. Même si Imperfect ne repose pas uniquement sur le X, il en contient beaucoup. Nos cibles sont en premier lieu les amateurs de X mais aussi et surtout ceux recherchant une véritable histoire dans ce genre. La production porn actuelle reste, dans l’ensemble, assez vulgaire et le scénario n’est qu’un prétexte à l’enchaînement de pratiques plus ou moins grossières. Dans Imperfect, j’ai vraiment essayé de faire en sorte que le sexe fasse progresser l’histoire : le sexe devient un moteur du scénario au lieu d’un ajout salace superfétatoire.
Quant aux réactions du public, elles sont bonnes. Beaucoup manifestent leur enthousiasme vis-à-vis du projet et nous soutiennent énormément en partageant nos liens sur Facebook. Certains se montrent très généreux financièrement. Evidemment, Imperfect est un projet clivant car il contient un rapport forcé dès le chapitre 1. Mais contrairement au hentai, nous ne sommes pas dans l’apologie mais dans la dénonciation. Nous montrons le viol dans toute son horreur et sa cruauté. On nous a dit récemment à propos du projet : « je ne soutiens pas le viol d’une femme ». Mais nous non plus, nous ne soutenons sûrement pas le viol, nous le dénonçons, nous le montrons dans ce qu’il a de plus abject. Il fait partie de la nature humaine au même titre que la violence.
Pensez-vous que le fait que la BD tourne autour du sexe facilite ou complexifie la levée de fonds?
Jérôme : Le cul fait vendre ! On est au 21ème siècle, tu ouvres ta télé, internet, tu sors dans la rue, on ne voit que ça et on consomme. On pourrait penser donc que vendre du sexe facilite les choses, mais hélas, il n’est pas vraiment encore entré dans les moeurs publiques. Tout le monde veut et fait du sexe, mais peu en parlent ou osent en discuter en public. Le sexe est pour la plupart du temps intime et privé et c’est là que ça se complique. Les gens préfèreront peut-être découvrir Imperfect en secret, plutôt que de s’afficher avec ce projet.
Scebha : Je ne pense pas que le fait que la BD tourne autour du sexe facilite ou complexifie la levée de fonds. J’ai eu l’occasion de remarquer que la question était surtout de bien cibler le public. Le fait qu’il y ait du sexe n’est pas forcément une aide, car il y a aujourd’hui une mentalité puissante qui s’est développée : celle d’avoir du sexe sans limites et gratuitement via des plateformes comme youporn et les nombreux forums consacrés. Ce qui marche le plus n’est pas forcément ce qui se vend le mieux. Nous ne doutons pas que si Imperfect est édité, qu’il connaît un certain succès, il se retrouvera très vite sur des plateformes de téléchargement illégales. Mon but est que, la qualité scénaristique aidant et via le talent graphique de Jérôme, les gens souhaitent posséder Imperfect dans leur bibliothèque.
Pour en savoir plus : consultez la page Facebook d’Imperfect, ou financez-le sur ulule!