“Bethsabée recevant la lettre de David” 1654 détail Willem Drost Musée du Louve Paris
Virée secrète dans la vie amoureuse des plus grands auteurs français.
La lettre d’amour. Oui la LETTRE, écrite à la main sur du papier, à lettre, justement. La lettre que l’on reçoit par la poste, la lettre timbrée. Celle que vous envoie votre cher et tendre ou (mieux encore ?) un admirateur secret. Celle que vous décachetez délicatement à l’abri des regards indiscrets, que vous planquez sous votre oreiller pour la relire chaque soir, en attendant la prochaine. Bref, celle que l’on ne reçoit plus, parce qu’en 2014, on s’envoie des « sextos » … Mais si vous êtes las d’exprimer votre désir en moins de 200 signes, procurez-vous les « Correspondances amoureuses », recueil des lettres les plus intimes de Beaumarchais, Stendhal, Hugo, Flaubert, etc.
A lire ce livre, on a comme la sensation de braver un interdit. On serait entré par effraction dans la chambre de Victor Hugo, on aurait tiré de dessous le lit la petite boîte secrète, et on y aurait découvert quelques-unes de 18 000 lettres que lui a envoyées Juliette Drouet. Quoi de plus indiscret que de lire ces échanges, qui n’étaient absolument pas destinés à être publiés. Et c’est justement ça qui est excitant ! Ces écrits ont échappé à la censure, et à l’autocensure. Lorsque Théophile Gauthier écrit à Apollonie Sabatier en guise d’au revoir : « Une pointe de langue sur ta glande bulbo-vaginale », on imagine aisément que nous ne sommes pas censés lire cela, un siècle et demi plus tard! Le désir s’exprime tout à coup librement. Les cœurs s’ouvrent. On couche sur le papier des mots d’amour, on fait l’amour par lettres interposées. « Tu ne sais faire l’amour que sur un lit. Il est quelque fois charmant sur une feuille de papier » écrit Beaumarchais à sa maîtresse. Skype n’existait pas encore mais le sexe à distance, c’était déjà possible !
Ces correspondances nous parviennent dans un sens unique puisque nous n’avons pas les réponses des destinataires. Nous les devinons seulement. C’est comme un roman morcelé où il nous manquerait un chapitre sur deux. Ces lettres donnent à voir la face cachée des histoires d’amours, leur part la plus intime, et d’un seul point de vue. On suit leur évolution, les rebondissements, comme dans un bon feuilleton. De la lettre de déclaration à la lettre de rupture.
Mais si certains couples s’écrivent alors qu’ils se voient chaque jour, d’autres s’écrivent car séparés par la distance, ou la guerre. Ainsi l’amour est-il exacerbé par l’absence et le manque. Guillaume Apollinaire rencontre Lou quelques jours avant de partir au front. Ses lettres enflammées sont sans doute un espace de rêveries et de fantasmes plus que nécessaires pour lui. En parallèle, il entretient même une deuxième correspondance passionnée avec Madeleine Pagès, qu’il a rencontrée dans le train, de retour d’une permission passée avec Lou. Ecrire des lettres d’amour, c’est tromper ???
Aussi, ces lettes s’inscrivent dans un contexte historique et des courants littéraires. Publiées dans l’ordre chronologique, on passe du romantisme de Musset au réalisme de Flaubert qui conte à son ami Louis Bouilhet ses frasques sexuelles lors de son voyage en Egypte. Les femmes ne sont pas complètement absentes de cette histoire, mais leurs lettres sont plus rares et plus tardives, exception faite de Juliette Drouet et George Sand qui sont passées outre les interdits et les « recommandations de bienséance » faites aux femmes. Ces lettres sont des souvenirs intimes d’une liberté folle.
Alors pour que dans deux cents ans il reste quelque chose de nos amours frénétiques, écrivons-nous !
Mon cher petit Lou, je t’adore,
Mon très cher petit Lou, je t’aime,
Ma chère petite étoile palpitante je t’aime
Corps délicieusement élastique je t’aime
Vulve qui serre comme un casse-noisette je t’aime
Sein gauche si rose et si insolent, je t’aime
Sein droit si tendrement rosé, je t‘aime,
Mamelon droit couleur de champagne non champagnisé, je t’aime
Mamelon gauche semblable à une bosse du front d’un petit veau qui vient de naître je t’aime
Nymphes hypertrophiées par des attouchements fréquents je vous aime
Fesses exquisément agiles et qui se rejettent bien en arrière, je vous aime
[…]
Extrait d’une lettre de Guillaume Apollinaire à Lou le 8 avril 1915
Correspondances amoureuses, ed. Le Monde/Garnier, les grands classiques de la littérature libertine, 2010, Paris