Le 25 novembre, ce sera la Journée Internationale contre les violences faites aux femmes, c’est pourquoi cette chronique va traiter d’une problématique très particulière : le viol conjugal.
S’il est une idée qui est encore ancrée dans bien des esprits, c’est bien celle de « devoir conjugal ». Quelle horreur que cette affirmation qui transforme le plaisir de la relation sexuelle en obligation légale ! Or, si la validité d’un mariage est soumise à une notion de « consommation » de celui-ci, il faut savoir que cette dernière n’est pas exonérée du consentement des deux parties. Toute relation sexuelle obtenue par violence, contrainte ou suprise au sein d’un couple, constitue un viol depuis 1990.
Si j’ai choisi de traiter du viol conjugal, c’est parce que ce crime (puisque le viol en est un) est loin d’être anecdotique, à tel point que les campagnes nationales d’information de 2011 leur ont été entièrement consacrées. Sur les 120 000 viols recensés annuellement, 30 % seraient en fait des viols conjugaux, d’après l’étude du Collectif Féministe contre le Viol rendue publique en 2011. Malgré cela, on continue de voir sur les forums dédiés aux violences conjugales, des femmes dire « mais ce n’est pas un viol puique c’est mon conjoint ! »
Ce qui rend ce viol particulièrement atroce, c’est la possibilité de répétition de l’acte induite par la vie commune. En effet, vivre sous le même toit, partager le même lit que son agresseur va amplifier le sentiment de culpabilité de la victime, sans parler de la blessure profonde liée à la confiance trahie. La proximité des enfants est également un moyen de pression supplémentaire utilisé par le violeur pour obtenir la passivité -qui ne vaut en aucun cas consentement- de sa victime. Souvent, même si ce n’est pas non plus systématique, la violence sexuelle fait suite à la violence physique, l’agresseur mettant à profit l’état de sidération et de terreur pour parvenir à ses fins, allant même jusqu’à invoquer ultérieurement -en cas de plainte notamment- une réconciliation sur l’oreiller tout à fait banale pour minimiser son crime.
Il y a quelques semaines, un procès s’est ouvert à Créteil, suite à la plainte pour viol, d’une femme agressée sexuellement par son compagnon. Courageusement, cette femme a renoncé à son droit à une audience à « huis clos » afin de se faire la porte-parole de toutes les femmes victimes de violence de la part de leurs conjoints. Ce procès était important car il mettait sur la place publique la violence la plus intime et la plus méconnue qu’il soit.
Le verdict a fait grand bruit, même si la condamnation reste en deçà des réquisitions : cinq ans de réclusion dont deux avec sursis. C’est peu pour un crime qui, dans le cadre du couple bénéficie de circonstances aggravantes, mais c’est néanmoins une victoire tant il reste peu reconnu actuellement.
En matière de sexualité, tout peut se faire à condition que ce soit dans le respect, la complicité et le plaisir réciproque. Si ces conditions ne sont pas respectées, on entre dans le crime.
Je termine cette chronique avec une note personnelle et vous invite à lire ce texte, écrit il y a quelques années de cela. En hommage à toutes les femmes -dont j’ai fait partie- qui se taisent parce que la honte et la peur anéantissent toute forme de révolte.
Je suis seule. Des douleurs lancinantes m’ont réveillée… mon dos est à vif. J’ouvre péniblement les yeux, mes jambes et mes bras sont couverts d’ecchymoses. Un violent mal de tête me vrille les tempes. Depuis combien de temps suis-je allongée par terre, je ne le sais pas… Le carrelage est froid, mais en même temps, cette fraîcheur semble apaiser quelque peu mes douleurs. L’appartement est calme, j’ai l’impression d’avoir fait un cauchemar. Péniblement je m’assois, dos au mur… Quelques touffes de cheveux jonchent le sol… les larmes brouillent ma vue. Mon dieu, j’ai mal… j’ai peur ! Où est-il ? Quand va-t-il revenir ? Mes oreilles résonnent encore de ses cris de rage… c’était juste avant que je ne sombre dans l’inconscience. Je me souviens des coups, de poings… de pieds, du sang qui a coulé au moment où ma tête a heurté le sol et puis plus rien… J’ai pensé avec bonheur « je vais mourir… ça va enfin s’arrêter ! ». Mais non, je n’ai pas eu cette chance (quelle horreur d’en arriver à penser cela !). Tout va recommencer, une fois encore… De combien de temps sera mon répit cette fois : une heure, peut-être deux… et le monstre reviendra.
Je me traîne lentement jusqu’à la salle de bains et là, je découvre l’ampleur du désastre… mes yeux sont enflés et bleus… ma lèvre supérieure éclatée a saigné, mon nez a doublé de volume. Je suis épouvantée par l’inconnue au visage monstrueux que je découvre dans le miroir. Ma poitrine est elle aussi ravagée par les coups… Hagarde, je fixe la fenêtre… Et si la solution était là ? Ouvrir et être délivrée à jamais… Pourquoi pas ? Un sursaut de raison me retient… comme si je savais à ce moment qu’il y a une autre vie possible, heureuse… Cela me semble tellement surréaliste à ce moment précis ! La fraîcheur de l’eau sur mon visage m’apporte un peu de réconfort… il faut que je me calme. J’avale un tranquillisant ! Pilule miracle pour tenter de retrouver une illusion de normalité… J’arrive dans ma chambre et me laisse tomber sur le lit. Dormir… au moins je ne penserai plus !
À ce moment, la porte d’entrée… mon corps se tend. Le voilà… déjà ! Je me recroqueville, j’essaie de disparaître ; dérisoire et désespérée tentative… J’entends son pas lourd se rapprocher, mes yeux se refusent à regarder. Je sens sa présence… « Pourquoi m’as tu obligé à te faire ça ? » ose-t-il me dire d’une voix qui semble désolée… Toujours le même refrain… Il s’approche encore, je sens sa main sur moi… j’ai peur ! « Laisses toi faire, tu verras, tu vas aimer »… C’est surréaliste… Comme s’il n’en avait pas encore assez fait, le voilà qui s’est mis dans la tête de « me faire l’amour» comme il appelle ça ! Je sens son corps peser sur mon corps meurtri, ses jambes forcer les miennes… son sexe me poignarder… Une fois encore, comme je voudrais être morte… Mes mains se crispent sur l’oreiller, les larmes coulent… en silence ! Surtout ne pas provoquer sa fureur… Et cette voix, que je hais autant que je la crains qui me murmure « je le sais que tu aimes ça hein ! » en poussant un grognement de satisfaction. Je ne bouge, je continue de pleurer en silence… Après tout, une morte est silencieuse !