Le monde a publié un article de Nancy Huston et Michel Raymond intitulé « Sexes et races, deux réalités« .
Sexes et races sont des constructions sociales. C’est à dire que sur des données immédiatement observables MAIS arbitraires on a catégorisé des humains.
La division de l’espèce humaine en races varie ainsi selon les mentalités et la politique à une époque donnée. Ainsi au moment de l’affaire Dreyfus entendit on Barrès déclarer « Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race« .
Lombroso divise l’Italie en deux races pour mieux déterminer que la « race du sud » est plus criminelle.
Et c’est à la même époque avec Gobineau que toute la pensée racialiste s’est constituée ce qui a permis de justifier la colonisation puisqu’on pouvait ainsi dire que s’il y a des races et que certaines sont inférieures alors la colonisation est un bien civilisationnel (et puis ca n’est pas vraiment mal de coloniser des inférieurs).
Colette Guillaumin montre que la division raciale aux Etats-Unis après l’abolition de l’esclavage s’est constituée sur un système de classe. Celui ou celle qui a eu un ancêtre esclave (peu importe le degré) est de l’ »autre race ». Cela n’est pas la couleur de peau qui compte mais la situation de classe à un moment donné.
Autant donc pour les hypothèses naturalistes. Par ces différents exemples, vous voyez qu’il n’y a aucune évidence biologique à la division raciale mais qu’on est face à un rapport oppressif, la constitution de stéréotypes qu’on justifie a posteriori par l’évidence biologique.
La division en races selon des critères morphologiques date du XVIIIeme siècle où s’opère la mystification suivante ; l’on définit a priori les groupes sociaux et surtout les devoirs des uns face aux autres et l’on justifie cette division par des critères naturels, morphologiques. Ainsi Colette Guillaumin prend deux exemples éclairants. L’on entend souvent dire « c’est la nature des femmes que de s’occuper des enfants et du ménage » (de patauger dans la merde des uns et des autres donc) ou « c’est la nature des noirs que d’être feignants« . Sauf qu’aucune femme n’aime davantage la merde qu’un homme et aucun noir n’aime moins travailler qu’un blanc. Sauf que naturaliser ces deux faits permet de ne surtout pas se questionner sur le fait que les femmes sont dévolues au ménage et les noirs bien davantage au chômage que les blancs. En retournant les choses, en disant que c’est la nature (de leur faute donc), on ne questionne pas les rapports sociaux puisqu’ils n’en sont plus. Naturaliser une situation injuste permet de la rendre tolérable, normale, naturelle. Aristote justifiait ainsi l’esclavage en disant que les esclaves, physiquement plus forts que les citoyens, étaient naturellement faits pour l’être.
La division de l’humanité en races n’a donc strictement rien de « biologiquement logique » mais constitue une construction sociale.
Pourtant, me dira-t-on, les gens ont des couleurs de peau différentes. Certes et les gens ont des couleurs d’yeux différentes aussi. On aurait tout aussi bien pu faire la race des yeux verts, des yeux marrons, des yeux bleus et des yeux noirs. (tant pis pour les yeux vairons).
L’article nous dit alors « Aujourd’hui, les différentes populations humaines n’ont ni la même pilosité, ni la même couleur de la peau, ni les mêmes maladies et systèmes de défense contre celles-ci. » en rajoutant « Les Inuits sont adaptés au froid, tout comme les sherpas de l’Himalaya sont adaptés à la vie en altitude. »
(l’article vise-t-il à faire reconnaître la race des sherpas ? Le mystère est entier).
Il ne leur vient absolument pas à l’idée qu’en ce cas, on pourrait diviser en différences de pilosité, ou en maladies, ou en systèmes de défenses face aux maladies. Ou en ce qu’on veut. Si selon eux, tout se vaut et la division selon la couleur de peau est aussi neutre que la pilosité alors pourquoi le choix de la division selon la couleur de peau a-t-il été fait ? Un hasard vraiment ? La nature vraiment ?
On sait que certains asiatiques (50%) sont incapables de métaboliser l’acétaldéhyde en acétate et ne supportent pas l’alcool. Pour autant, est ce que cela suffit à faire des asiatiques tout entier un seul groupe homogène dont certains membres auraient la caractéristique de ne pas supporter l’alcool ?
On a souvent entendu « les noirs courent plus vite » et l’on en est bien persuadé puisqu’il n’y a « que des noirs en course de sprint ». Il n’y en avait pas un au début du XXeme siècle pourtant ; on évoquera alors la « culture » en disant qu’il n’avaient pas le droit de participer aux courses et on évoquera sans complexe la « nature » quand ils peuvent le faire et remportent des succès. Des chercheurs se sont donc attelés à chercher un gène et ont cru en découvrir un portés par beaucoup de sprinteurs jamaïcains (le « gène du sprint »). Las… Une majorité de la population jamaïcaine ne porte pas ce gène alors que 75% des européens l’ont. La conclusion est assez simple ; parce que, à une époque donnée, des gens qui se trouvent être noirs pratiquent très bien un certain type de course bien précis alors « les noirs courent vite ».
Pour autant est ce que ces critères (une couleur de peau différente, une meilleure capacité à supporter le froid, ou l’altitude) sont ils suffisants pour déterminer un groupe ?
Les auteurs nous parlent de maladie et l’on pense à la drépanocytose qu’on a longtemps uniquement qualifié de maladie portée par des gens à la peau noire en oubliant son importance chez les grecs ou les siciliens par exemple.
Si une maladie peut être plus présente à un endroit du globe, il parait difficile de dire que ceux qui ressemblent physiquement à ceux qui sont porteurs de cette maladie, appartiennent au même groupe.
Il ne viendrait à l’idée de personne de faire un groupe de tous les gens porteurs de cette maladie parce que cela semble intellectuellement abberant.
On l’aura compris, toutes les justifications sont bonnes pour justifier un rapport de classe par la nature. Nous dire « ca n’est pas parce que Hitler a a fait n’importe quoi de l’histoire des races qu’elles n’existent pas » est une escroquerie intellectuelle. Les races n’ont jamais existé, n’ont jamais été fondées, créées, inventées et imaginée que pour mieux justifier l’oppression de l’une sur l’autre en justifiant cette oppression par la nature.
On n’a pas divisé l’humanité en races et, ensuite, par un glorieux hasard, des gens très méchants se sont emparés de cette idée neutre pour commettre qui un génocide, qui l’esclavage. On a imaginé les races POUR commettre des génocides, l’esclavage et la colonisation ; il n’y a aucune autre raison et inverser de choses est juste historiquement faux.
Corollaire de la race, le sexe avec la phrase « Les races et les sexes, c’est bon pour les plantes et les animaux. Nous, on est supérieurs ! On décide de notre propre sort ! »
C’est oublier un peu rapidement que les chiens n’en ont rien à taper de se diviser en mâle et femelle, que le geranium se fout de ne pas appartenir à la même espèce que le cosmos et que O SURPRISE la classification animale et végétale est humaine.
Evidemment les choses sont encore ici plus logiques et naturelles en matière de sexe puisque l’homme a un pénis (et c’est immédiatement observable surtout dans le metro à l’heure de pointe), la femme a un vagin et magie des choses, les deux s’emboîtent pour faire un bébé.
On est donc, me dira-t-on, dans le fait naturel le plus observable et logique qu’il soit.
Au passage jusqu’au XVIII eme siècle on pensait qu’il n’y avait qu’un seul sexe ; hommes et femmes ayant les mêmes organes génitaux, la femme ayant manqué de « force vitale » pour pousser ses organes à l’extérieur. (y z’étaient cons nos ancêtres hein. dire qu’on va dire de nous la même chose dans 500 ans).
Au départ l’on parlait d’anomalies pour définir toutes les personnes ne rentrant pas dans les critères définis comme norme (qu’on qualifiait d’hermaphrodite et qu’on appelle aujourd’hui « intersexué » même si le terme me semble interrogeable) sauf qu’on a vu qu’il y avait un peu trop de personnes concernées et on a alors parlé de sexe chromosomique, sexe gonadique et sexe phénotypiques. Fausto-Serling écrivait ainsi il y a 20 ans « The Five Sexes: Why Male and Female Are Not Enough » pour démontrer justement que nos divisions sexuées sont construites socialement et politiquement.
« Pourtant, dire que seules les femmes ont un utérus, ou que les hommes ont en moyenne un niveau de testostérone plus élevé qu’elles, ce n’est ni spéculer quant à l’ »essence » de l’un ou l’autre sexe, ni promouvoir une idéologie sexiste, ni décréter l’infériorité des femmes par rapport aux hommes, ni recommander que les femmes soient tenues à l’écart de l’armée et les hommes des crèches, c’est énoncer des faits ! »
Mais c’est aussi procéder encore une fois à l’envers. Je suis de celles qui pensent que le genre précède le sexe et que c’est la femme qui fait l’uterus et pas l’inverse. En clair, les auteurs ne prennent pas ici le temps de définir ce que sont une femme et un homme, en partant du principe qu’on est dans une évidence biologique.
Dire que seules les femmes ont un uterus ou que les hommes ont davantage de testostérone n’est pas et n’a jamais été un propos idéologiquement neutre. Comme je l’ai expliqué ultérieurement, la façon de définir une femme s’est fondée sur des critères arbitraires visibles (et certainement pas sur la présence ou non d’un uterus à moins que vous vous baladiez avec un speculum). Vous ne définissez pas une personne comme femme, dans la rue, parce qu’elle a un uterus que vous avz (désolée) très peu de chances de voir.
Je prétends qu’il n’est pas neutre pour les auteurs de présenter les femmes comme « porteuses d’un uterus » et les hommes comme « plein de testostérone » à l’heure où l’on nous présente en permanence les hommes comme agressifs par nature et les femmes toutes contenues dans leur fonction maternelle.
Alors est ce que les races et les sexes n’existent pas ? Je prétends que puisqu’ils ont été conceptualisés, théorisés, ils ont une existence. Je ne répondrais pas aux auteurs que la race n’existe pas ou que le sexe n’existent pas puisqu’on opprime bien en leur nom.
Je pense que la création politique de ces concepts (de race, de sexe) sert à justifier les devoirs des un-e-s face aux autres et naturalise un devoir d’oppression. Les mots ont un sens dit-on et supprimer le mot ne fera pas disparaître son signifié.
La grande escroquerie est de penser que ces concepts ont été inventés, puis détournés à des fins racialistes ou sexistes alors qu’ils ont été inventés et créés que dans ce but unique. La nature sert toujours à justifier a posteriori des oppressions et des rapports de classe.