Nous sommes désormais loin des gens "qui ne savent pas". Dans la majeure partie des cas, un propos sexiste, raciste ou homophobe - en particulier dans le domaine de l'humour - est justement prononcé pour créer un buzz tant il faut faire parler de soi à tout prix. Ainsi le buzz du quart d'heure est au sujet d'une marque de fringues (réelle ou non) qui s’appellerait Violparis. Il ne fait aucun doute que les créateurs le font en toute connaissance de cause afin qu'on parle d'eux ; ils nous remercient d'ailleurs de le faire sur leur page FB. Il y a d'ailleurs de sérieuses chances que cette marque soit un fake, juste faite pour faire parler.
Numericable, lorsqu'elle fait sa ridicule publicité sexiste a plusieurs objectifs ; faire rire les gens adeptes de Mars et vénus qui diront "c'est si vrai" en contemplant la pub, énerver les féministes qui lanceront un buzz autour de la pub, faire parler celles et ceux qui aiment regarder les féministes s'énerver. Ils sont donc, de trois manières différentes, réussi à faire qu'on parle d'eux.
Autre cas, bien différent évidemment, Minute. Minute est un journal d'extrême-droite, qui, s'il a un - trop grand - lectorat, reste quand même une lecture confidentielle. Les réseaux sociaux ont permis à l'extrême droite de diffuser tranquillement les unes ; mécaniquement cela a entraîné l'indignation de gens qui ont également relayé la une sur Taubira pour la dénoncer. Les journaux se sont évidemment emparés du buzz et tous le numéro de Minute concerné a été introuvable très rapidement tant des gens se sont précipités pour l'acheter "ne serait-ce que pour voir".
Nous nous heurtons donc ici à plusieurs problèmes :
Il est très difficile de dire "qu'il ne faut pas en parler". Il est compliqué d'expliquer à un-e noir-e qu'il ne doit pas relayer la couverture de Minute car il leur fait de la publicité ; s'il se sent légitiment heurté et blessé par cette une, pourquoi ne la dénoncerait-il pas ?
Il est compliqué d'expliquer à des juifs/enfants de déportés dont je suis qu'ils ne doivent pas faire de la pub à Dieudonné ou Soral ; il y a un moment où la souffrance est telle (je parle pour moi tout du moins) que son expression peut soulager et être utile.
J'ai un temps pensé qu'il ne faut dénoncer que ce qui n'est pas explicitement raciste, sexiste, homophobe. Mais comment définir l'explicite ? Pour moi la publicité de Numericable est explicitement sexiste mais elle ne l'est pas pour beaucoup. D'autres n'ont toujours pas compris - ou voulu comprendre- que la Une de Minute était raciste ; et je ne parle pas ici de gens d'extrême-droite.
Judith Butler dans Le pouvoir des mots. Politique du performatif dit "les projets de réglementation du discours de haine finissent invariablement par le citer longuement". En clair, lorsqu'on dénonce un discours raciste on est obligé de le dire pour montrer qu'il est raciste. Lorsque je veux signaler que le mot "bougnoule" est un mot raciste, vous constatez que je suis obligée de l'écrire et que je lui donne une existence. Pour dénoncer la pub de Numericable, Minute ou que sais-je, je suis bien obligée de répéter le discours qu'ils ont eu. Je réitère donc -même pour le prononcer - un discours sexiste ou raciste.
C'est par exemple tout mon problème dans ma pratique professionnelle - je vous en ai déjà parlé - je voudrais parfois vous montrer quels types de commentaires on peut lire. J'ai déjà pensé copier quelques 10 commentaires sur les 500 reçus sur un article sur les rom ; mais comment le faire sans redire la violence ? Cela n'et pas possible.
Vous le constatez ce billet invite plus à la discussion qu'à une réelle conclusion de ma part.
On sait que des marques, des journaux, des individus (Elfassi pour ne parler que de lui, tiens), jouent sciemment avec des contenus sexistes, homophobes, racistes pour qu'on parle d'eux. Les dénoncer leur accorde un public qu'ils n'avaient pas et nous obligent en plus à répéter leur discours. Ne pas le faire fait qu'on ne montre pas en quoi tel journal est islamophobe, telle publicité sexiste. Nul doute que la pub de Numericable n'aurait pas eu le quart de la notoriété si aucune féministe n'avait réagi, entraînant l'ARPP à examiner cette publicité ; pour autant aurions du nous taire ? Rajoutons que nous sommes, comme beaucoup, entraînés dans un flot interompu d'informations/réactions où nous sur-réagissons sans doute pas toujours de la bonne façon.
J'ai ici mélangé beaucoup de choses ; de la publicité aux discours dit-humoristiques mais je crois que la réflexion peut être menée conjointement sur ces différents supports.
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