J'ai reçu en cadeau le livre La fabrique des garçons. Sanctions et genre au collège dont je vais vous proposer le résumé.
Sylvie Ayral a étudié le nombre de sanctions dans 5 collèges très différents et a constaté que 75.7% à 84.2% des élèves punis ou sanctionnés étaient des garçons. 84.2% à 97.6% des élèves punis pour violences sur autrui étaient des garçons. Plein d'éléments ont déjà été étudiés afin d'estimer pourquoi des élèves sont punis et sanctionnés mais la sanction ne l'a jamais été par le prisme du genre.
Dans une première partie, l'auteure explique ce qu'est le système de punitions et de sanctions. La punition est une mesure d'ordre intérieur comme des retenues, des devoir en plus. La sanction est une réponse aux manquements graves des élèves comme les atteintes aux personnes et aux biens. Elle est prononcée par le chef d'établissement ou le conseil de discipline.
A l'heure actuelle, on considère que la sanction doit avoir du sens et doit permettre de conserver le lien éducatif. Elle doit donc respecter 4 règles de droit pénal :
- proportionnalité de la sanction à la gravité de l'acte
- légalité : si quelque chose n'est pas expressément interdit, on ne peut être puni pour l'avoir fait.
- individualisation : on ne peut pas punir un groupe pour un acte commis par une personne de ce groupe.
- principe du contradictoire : toutes les parties doivent être entendues.
Toute sanction doit désormais être motivée et expliquée.
L'effet pervers de la sanction est que pour arrêter la violence, on fait soi même preuve de violence. On n'enseigne pas le bon comportement via la sanction.
Depuis 2005, a été créée la note de vie scolaire qui récompense l'assiduité et la ponctualité, le respect des dispositions du règlement intérieur, la participation à la vie de l'établissement, l'obtention de l'attestation de sécurité routière et de l'attestation de formation aux premiers secours. Cette note engendre des tensions car elle représente une double peine pour les élèves ayant déjà été sanctionnés. Les critères servant à l'estimer sont souvent subjectifs. Elle met sur le même plan les notes et le comportement.
Ayral note ensuite les apports des études sur le genre :
- faire éclater les visions essentialistes de la différence des sexes qui attribuent des qualités et défauts immuables aux hommes et aux femmes en fonction de caractéristiques biologiques.
- prôner une approche relationnelle des sexes car les caractéristiques associées à chacun sont socialement construites dans une relation d'opposition.
- appréhender les relations sociales entre les sexes comme un rapport de pouvoir et de hiérarchie.
- considérer que le genre est consubstantiel à d'autres rapports de pouvoir (race, classe sociale etc)
- rendre les hommes visibles en tant qu'individus sexués et pas comme une catégorie neutre
- questionner les stéréotypes de sexe qui imprègnent les représentations sociales et révèlent l'hétéronormativité ambiante.
Daniel Welzer-Lang dit que la virilité est "apprise et imposée aux garçons par le groupe des hommes au cours de leur socialisation pour qu'ils se distinguent hiérarchiquement des femmes. La virilité est l'expression collective et individualisée de la domination masculine." Le virilisme serait l'exacerbation de normes qui régissent les attitudes, les représentations et les pratiques viriles. les enfants mâles ne jouant pas le jeu deviennent les boucs émissaires afin de montrer ce qu'on risque en tant qu'homme si on ne rentre pas dans le moule viril.
Le sexisme et l'homophobie seraient des violences sociales visant à renforcer les preuves de la supériorité des hommes sur les femmes. L'homophobie caractériserait la stigmatisation des qualités ou de défauts attribués à l'autre genre et cela serait un "opérateur hiérarchique ds rapports sociaux de sexe".
la mise à l'écart des garçons les moins virils participe à la mise en ordre du groupe masculin.
Dans son chapitre deux, Ayral montre que le système punitif scolaire finit par construire ce qu'il prétend corriger, l'exacerbation d'une masculinité stéréotypée.
Elle va alors étudier en 2007-2008 5842 punitions et sanctions à travers 5 collèges.
- le collège A : un collège rural de 320 élèves dans une commune de 1088 habitants en Dordogne. 13 classes. 62.5% des profs sont des femmes. Scores aux évaluations à l'entrée en 6eme inférieures à la moyenne nationale. 78% des sanctionnés sont des garçons. 98% des sanctionnés pour faits de violences sont des garçons. 113 punitions et sanctions.
- le collège B : un collège d'une commune du nord de l'agglomération bordelaise de 15 300 habitants. 833 élèves. 29 classes. Scores aux évaluations à l'entrée en 6eme supérieurs à la moyenne nationale. 59.6% de profs femmes. 1443 punitions et sanctions.
- le collège C : un collège au nord de Bordeaux. beaucoup d'immigrés et enfants d'immigrés. 262 élèves. Scores aux évaluations à l'entrée en 6eme inférieurs à la moyenne nationale. 65.7% de profs femmes. 707 punitions et sanctions.
- le collège D : un collège d'une commune de 3265 habitants à l'est de la Gironde. Rural classé en ZEP. 386 élèves. 19% d'immigrés. Scores aux évaluations à l'entrée en 6eme inférieurs à la moyenne nationale. 52.7% de profs femmes. 684 punitions et sanctions.
- le collège E : un collège privé sous contrat d'association au centre de Bordeaux. 621 élèves. Scores aux évaluations à l'entrée en 6eme supérieurs à la moyenne nationale. 69.4% de profs femmes. 1875 punitions et sanctions.
L'étude des différents règlements intérieurs montre l'importance des obligations à travers le vocabulaire, la syntaxe et les règles typographiques. Le lycée A punit et exclut beaucoup en s'appuyant sur un vocabulaire venu de la justice et de la police.
Dans les collèges, le principe de proportionnalité est souvent non respecté. La réponse à des faits de même nature varie entre les établissements et au sein même d'un établissement. Au sujet de la sexualité, les règlements ne sont pas clairs, soit ils n'en parlent pas, soit ils sont trop vagues. L'individualisation des peines n'est pas toujours respectée. La note de vie scolaire est attribuée de façon arbitraire.
Voici les résultats par collège des punitions selon le genre.
Les garçons représentent 79.9% des élèves punis, 83.7% des élèves sanctionnés. Plus la sanction est grave, plus elle s'adresse à des garçons.
Les garçons représentent 76.4% des élèves sanctionnés dans un contexte didactique et pédagogique, 69% de ceux punis pour manquements mineurs au règlement intérieur, 83% de ceux punis pour indiscipline/insolence, 91.7% de ceux punis pour atteintes aux biens et aux personnes.
Les collèges A et D ont un nombre important d'élèves venant de communes éloignées ne se fréquentant pas en dehors du collège. Les collèges C et D qui ont mauvaise réputation punissent peu pour violences.
Les filles sont en général punies pour des retards ; on peut supposer qu'il s'agit d'une stratégie pour éviter les situations conflictuelles du collège comme leur socialisation leur enseigne.
La répression la plus forte a lieu en 6eme sauf dans le collège E où c'est en 5eme. Les filles sont davantage punies en 3eme et 4eme (sauf dans le collège C où c'est en 5eme). Le fait de venir d'une famille défavorisée n'est pas un facteur de plus grande violence sauf dans le collège D. Comme le montrent les études au niveau national, le fait de venir d'une famille monoparentale n'est pas un facteur aggravant de violence.
L'auteure a ensuite mené des enquêtes auprès des professeurs afin de comprendre leur ressenti face à ces sanctions fortement genrées.
Trois grands types d'explications en sont ressorties :
- Explication biologique :
La fille est plus mature, c'est biologique. Il y aurait une nature masculine violente. Cela serait dû à des gènes ou des hormones. La puberté fait grossir les muscles et le pénis, elle est extérieure et les incite à l'agressivité. Chez les filles la puberté est plus intérieure.
- Explication psychologique/psychanalytique :
Les garçons sont immatures. Ils ne voient pas assez leur père, l'adolescent est au milieu de trop de femmes, il ne peut s'identifier donc il est obligé d'être dans l'opposition.
- explication anthropologique :
- Ils marquent leur territoire. Ils sont comme "cro magnon". On applique aux garçons des éléments de la socialisation animale.
Ont ensuite été interrogés les élèves. Les garçons pensent être moins aimés, plus grondés. Ils ont un sentiment d'injustice et d'être étiquetés. Ils disent que les filles sont trop fragiles, pleurent et ainsi on ne peut les punir. Ils disent qu'ils "n'y peuvent rien"', "sont comme ça" et "ça part tout seul".
Les professeurs et les élèves attribuent des caractéristiques immuables aux filles et aux garçons. Certains garçons sont invisibilisés et jamais punis. On note qu'il y a une violence systémique des grands sur les petits et que cela aide à devenir un caïd. Les petits sont frappés dans des lieux invisibles comme les toilettes, les vestiaires, les douches.
La violence verbale est très sexiste (contre la mère, la sœur) et homophobe. Les professeurs ne relèvent pas toujours l'homophobie de ces insultes car "l'élève n'est pas homosexuel".
Les filles sont vues par les professeurs comme discrètes, timide, réservées, studieuses mais aussi comme hypocrites, sournoises et vicieuses. Les garçons sont donc sanctionnés pour des faits mais au fond leur courage est admiré. Les professeurs, sans qu'aucun fait n'étaye leur raisonnement, pensent que les filles sont aussi violentes que les garçons. Leur jugement sur les filles coupables de violence est plus négatif ; ce sont des "garçons manqués", "hystériques".
Les filles font état de violences, d'insultes et d'attouchements. le mythe de la force physique des garçons revient comme un leitmotiv y compris dans le cas où les filles sont plus grandes. beaucoup d'insultes sont de l'ordre de la domination sexuelle (pute, suce moi, bouche à pipe etc). Les garçons entretiennent le fantasme du viol. Il y a beaucoup d'attouchements et aucune punition ou sanction n'est prise contre. Personne, tant chez les profs que chez les élèves ne trouve cela grave.
Il y a incorporation de la domination masculine. Les filles se dévalorisent en se trouvant nulles, faibles et peureuses. Les professeures font la même chose en disant qu'un élève garçon a plus peur d'un professeur que d'elles. Elles pensent qu'elles sont moins respectées à cause de leur petite taille et de leur inaptitude au combat et elles ont intégré l'idée qu'un homme domine et se fait mieux respecter.
Les professeurs hommes expliquent qu'au fond c'est à qui sera le plus viril entre eux et les élèves. Il y a comportement de défi de la part des élèves et il est important de les remettre en place physiquement. Ainsi un professeur homme a remis en place un élève et a été conforté dans sa virilité.
Beaucoup de garçons punis font état du plaisir de la transgression et disent que cela renforce leur prestige auprès des filles.
Transgresser fait qu'un garçon devient aimé des filles et amuse les autres garçons. Il est ainsi consolidé dans son identité masculine toujours faillible. Il existe beaucoup de violences de groupe chez les garçons ce qui permet une hypersocialisation et induit une conduite de groupe ritualisée où l'individu est aboli.
La sanction est donc :
- un rite différentiateur de sexe car elle marque la différence avec l'autre sexe.
- un rite fusionnel car elle atteste de la conformité aux normes de la virilité
- un rite de passage qui marque l'entrée dans le groupe des dominants et l'accession à un état supposé supérieur
- une parade sexuée masculine devant les filles
- une pratique d'intégration résultant d'un hypersocialisation
En conclusion, l'idéologie de la violence légitime devrait être supprimée. Le genre n'est jamais envisagé comme la variable centrale de l'indiscipline. Le discours est toujours au masculin neutre ce qui permet d'ignorer le genre des acteurs (profs et élèves) qui sont toujours asexués ; on oublie qu'il y a des hommes, des femmes, des garçons, des filles et des expériences de la masculinité et de la féminité. L'hétérosexisme empêche de penser en dehors de shemas induits a priori conduisant les uns et les autres à essentialiser les comportements sexués.
Sexisme et homophobie sont peu pris en compte, relativisés voire niés ce qui revient à les favoriser.
Les garçons sont punis pour des motifs masculins comme l'insolence, l'indiscipline ou la violence. Les filles le sont pour des motifs féminins comme le bavardage ou un téléphone portable. Les filles condamnées pour violences sont sur-visibilisées et vu comme aberrantes. l'appareil punitif trie, oppose et hiérarchise les élèves en fonction de leur genre et de la conformité de leurs comportements aux rôles sociaux attribués à chacun. Il distingue le garçons dominants et invisibilise les filles et les garçons sages.
Les professeur hommes qui voient une professeure punir un élève prennent cela pour une défaillance de la prof, pas comme un manquement de l'élève. Beaucoup de professeures se plaignent d'injures sexistes de la part des élèves. Ainsi l'autorité est vue comme une compétence masculine par essence que les femmes pallient en punissant davantage.
Le mythe du Père comme fonction symbolique majeure est relayé en permanence par ... les femmes. Les enseignantes, les éducatrices, les infirmières ne cessent de déplorer l'absence du père et les carences maternelles. Le manque de père donc de l'homme est tenu pour responsable de la plupart des maux dont souffrent l'école et la société. Le rôle de l'institution scolaire est donc tout tracé ; il faut rester l'ordre symbolique et devenir un substitut au père absent d'où la nécessité de rendre le plus visible possible, dés la 6eme, des règles de fonctionnement d'inspiration autoritaire. C'est oublier que ce système d'autorité patriarcal n'est qu'une construction historique fidèle aux formes traditionnelles de la domination masculine qui ne tient pas compte de l'évolution des formes familiales et des rapports entre les sexes. Comment s'étonner que les femmes aient de la difficulté à asseoir leur autorité quand l'autorité est vue comme uniquement masculine ?
Lutter contre les inégalités sexuées c'est les reconnaître et mettre en place des dispositifs pour les corriger. Comment comprendre et gérer les conflits enfants/adultes si on ne prend pas compte que l'injonction à la virilité et à l'hétérosexualité encourage chez la garçons l'indiscipline, le défi, le sexisme et l’homophobie ? Comment peut on attendre des professeurs qu'ils pacifient les relations entre élèves quand on constate combien ils sont porteurs de stéréotypes de sexe et essentialisent les comportements sexués ?
Les statistiques nous montrent que 80% des élèves punis sont des garçons, que 88% des personnes mises en cause par la justice sont des hommes (chiffre qui monte à 94% lorsqu'il y a acte violent), 83% des conducteurs impliqués dans la délinquance routière sont des hommes etc. Gérer ces phénomènes par la sanction et la répression participe à la reproduction d'une société écrasée par les valeurs viriles. Montrer que l'école fonctionne comme une "fabrique des garçons" apparaît donc intéressant.
Sur Welzer-Lang cité dans ce texte, il est important de lire ces liens
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