Un bref moment d’héroïsme se déroule principalement à Marseille, ville que connaît bien Cédric Fabre puisqu’il y vit et y travaille en tant que journaliste indépendant. Il y anime aussi des ateliers d’écriture. Fabre est notamment l’auteur de Marseille’s Burning (éd. La Manufacture de Livres). C’est lui qui a coordonné le recueil Marseille Noir (Asphalte éditions).
Si vous ne connaissez pas l’écriture de Cédric Fabre, apprenez que le type qui a inventé le roman noir et le type qui a créé cet écrivain ont dû coucher ensemble. Un bref moment d’héroïsme est une critique politique de Marseille et de la faune qui la peuple, de la déshumanisation qui sévit dans les grandes métropoles et de la déliquescence du lien social. C’est aussi un regard affûté sur l’Homme, ses travers et ses richesses.
Depuis quelques temps, dès qu’un élu prononce un discours à Marseille, une horde d’activistes l’en empêche en organisant dans la foule de véritables bastons violentes et artistiques. Ces fight mobs sont organisés par Paolo, inventeur du concept et meneur du groupe, et Lang, ancien photographe de guerre au passé trouble. Tous deux ont été amoureux d’Olivia, la fille d’Old Maurice, tuée dans un attentat sur une plage de Tunisie.
Quand Lang est abordé par Awa, elle n’a pas à le supplier beaucoup pour qu’il accepte de l’aider à récupérer son fils, Arsène.
Un bref moment d’héroïsme respire l’humain. Et qui dit humain, dit aussi passions, mensonges, manipulations, vérités, entraide, amour, résilience. Cédric Fabre aime Marseille mais aussi ses personnages. Quelle finesse psychologique possède cet auteur ! Et derrière ses tournures de phrases, quelle poésie !
Le noir n’existerait pas sans la lumière et vice versa. Fabre entraîne le lecteur dans un récit de vies cassées où les moments d’existence contés, les détails qui pourraient lui paraître insignifiants ou superflus sont autant de réflexions mûries, de leçons de vie que de pépites.
La lecture de ce roman n’est pas de tout repos, crois-moi, ami lecteur. Tout comme les personnages de Cédric Fabre, tu prendras des coups. Mais ce roman noir t’amènera aussi à croire, si tu en doute, que chacun d’entre nous possède le pouvoir d’agir sur soi et sur son environnement.
Un bref moment d’héroïsme est un roman-cadeau, un hymne vivifiant, un hommage vibrant à tous les laissés-pour-compte, ceux qui chutent, ceux qui restent à terre et ceux qui arrivent à se relever.
Bref, j’ai kiffé grave ! Merci, Cédric Fabre pour ce très beau moment de lecture !
Extrait (p.40 à p.42)
Je hais cette place, Castellane, avec sa fontaine au milieu et son basson toujours vide au centre duquel s’élève sur plusieurs mètres une colonne coiffée d’une statue de femme portant un navire dans les bras alors qu’en bas, c’est un flot ininterrompu de bus et de voitures qui tournent autour d’elle sur trois voies. Un navire dans le nuage de pollution au-dessus des bagnoles ? L’histoire de cette ville, c’est une succession de malentendus avec des accessoiristes, sans même parler des responsables du casting. La place est gorgée de cafés-bars et de restaus, des terrasses pleines à péter de càcous, avec leurs gourmettes et leurs chaînes plaquées or autour du cou, leurs pantacourts et baskets de marque, maillot de l’OM ou chemisette rose et des tas de doigts qui triturent en permanence des tas de clés de bagnole ou de scooter à trois roues comme si c’étaient des chapelets. Le càcou, indéboulonnable, c’est une sorte de version postmoderne et postindustrielle de l’idiot du village, genre un modèle sérialisé, la figure à la fois ultime et has been du néofolklore antipop de notre métropole tiersmondialisée, la preuve à lui seul que la fabrication d’utopies dans cette ville et dans ce monde est un artisanat en faillite.
Je suis installé à la terrasse du troquet qu’elle m’a indiqué, je sais rien de cette femme. Juste qu’elle connaissait mon nom et mon numéro, qu’elle sait que j’ai été reporter-photographe et que j’ai couvert des guerres, essentiellement en Afrique, pendant quinze ans. Ce qui m’a intrigué et poussé à accepter de la rencontrer, c’est qu’elle était persuadée que j’accepterais de l’aider.
— Vous verrez, vous ne pourrez pas refuser, elle a tranché, d’une voix aiguë, avec un léger accent d’Afrique noire, avant de couper la communication.
Evidemment, comme un con je suis là et c’est évident, elle me connaît parfaitement parce qu’elle sait que c’est le genre de rendez-vous que je serais incapable de décliner. Elle s’en doute aussi, que sa voix perchée, cristalline et humide, elle évoque un mouvement du bassin. Je projette qu’il y a quand on a été élevé par les sœurs de l’Immaculée Conception toute son adolescence, dans la culture du silence, du péché et de la prière, qu’on parvient à développer par la suite un tel niveau de sensualité.
— Grégoire Lang ? Je peux m’asseoir ?
Elle est en face de moi, immense, mince, la peau claire, des yeux verts en amande aux pupilles parsemées d’éclats scintillants.
— Vous n’êtes pas certaines que c’est moi ? Vous ne me connaissiez donc pas de vue ?
— J’avais peur de ne pas vous reconnaître, après toutes ces années.
Je sursaute sans doute.
— Vous vous appelez ?
— Je peux m’asseoir, même si mon prénom ne vous dit rien ?
Je désigne la chaise en face de moi d’un signe de la main, je sais que je suis devenu un mufle, je m’en félicite pas, j’aurais dû me lever, mais quelque chose me cloue le cul à ma chaise.
Elle a un peu plus de la trentaine, la tête haute, le regard fier et les traits tirés. Elle a les cheveux courts, défrisés et épais, elle porte une croix sur un chemisier vert olive un chouïa transparent sous lequel elle a eu le bon goût de mettre un soutif noir à dentelle. Des seins que je devine en forme de lotus, généreux, comme diraient les critiques spécialisés. Le mec qui a inventé les seins et le mec qui a inventé la générosité se connaissaient forcément et leur route a dû croiser celle du mec qui a inventé la souplesse dans les doigts. […]
Un bref moment d’héroïsme, Cédric Fabre, éditions Plon, collection Sang Neuf. 350 pages 17 €
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