Aussi discrètement que possible, j’étais sortie du lit. Debout, encore vacillante de sommeil, j’avais retenu ma respiration. La tienne était paisible. Ou j’avais réussi à ne pas te réveiller ou tu jouais très bien le dormeur. J’avais souris en repensant aux heures passées à nous aimer.
J’avais adoré te regarder te caresser. Tu avais accepté mon deal sadique et je l’avais savouré ma victoire, seconde après seconde, tout en sachant qu’elle n’était qu’illusoire. Tu reprendrais la main dès que ce jeu t’agacerait. Et ainsi de suite jusqu’au bout de la nuit. Ou presque.
« Je mouille de toi. »
J’avais léché mes lèvres, par réflexe, par envie aussi, une larme glissait de ton méat. Mais je n’avais pas bougé.
« Tu m’as toujours fait un effet terrible.
– Toujours ?
– Toujours. Tes écrits aussi. Je bande de toi.
– Tu affoles mon corps, tu es conscient de ça ?
– J’espère bien. Tes seins sont tendus ? Ton ventre se sent vide ? »
Qui de nous deux est le plus sadique à cet instant, avais-je songé. Moi qui t’impose cette masturbation ou toi qui me nargue tout en sachant l’effet produit ?
Nous avions entamé le dîner que nous avions préparé à deux. Moi, plus que toi qui m’avait tourné autour pour me voler un baiser, mordiller ma nuque, enfoncer une tomate cerise dans ma bouche, sucer le jus qui en avait jailli sur mes lèvres ou bien encore pincer mes tétons, ton ventre dur plaqué contre mes reins. Tout en poursuivant la préparation d’un repas sommaire, je t’avais rendu la pareille. J’aimais le goût de ce vin qui glissait de mon verre à ta bouche en passant par la mienne.
A chaque fois que j’en avais eu l’occasion, j’avais déboutonné un peu plus ta chemise et ouvert ta braguette. Nous avions atterri sur le canapé. Rieurs. Débraillés. Excités. Je m’étais agenouillée entre tes cuisses et baissée, j’avais léché leur intérieur, remontant lentement vers ton sexe en évitant de le toucher. Je m’étais reculée et redressée afin de planter mes yeux dans les tiens. Tu avais semblé étonné mais tu avais attendu la suite.
« Branle-toi pour moi. »
Je n’avais pas lâché tes yeux noirs en prononçant cette phrase. Tes mains m’avaient obéi. Toi aussi. Je t’avais regardé œuvrer comme on contemple un grand peintre créer son tableau. En silence, dans une quasi extase mystique.
« Écarte les cuisses pour moi. Laisse-moi regarder tes lèvres.
– Je dégouline… Je dégouline de toi.
– J’aime.
– Je te déteste.
– J’adore. Déteste-moi encore. Imagine mon sexe caresser ton clitoris… Mes mains soulever tes fesses pour tendre ton pubis vers moi, mon pouce caressant ton anus, ma bouche engloutissant ton sexe comme un cannibale affamé…
– Tu cherches à me rendre dingue de toi ?
– Non. Suis dingue de tes fantasmes. Dingue de ton corps.
– Je te hais.
– Je t’aime. »
J’avais été fascinée par ta façon de pincer ton gland, pour retarder ton orgasme. Et puis, tu avais joui et éjaculé. Je m’étais allongé sur toi. Tu avais gémi en constatant combien tes gestes m’avaient excitée.
Notre chambre baignait encore dans la pénombre, même le jour tardait à se lever. J’avais enjambé nos vêtements jusque dans les escaliers et dans le salon. Au passage, j’avais récupéré ta chemise et l’avais passée. J’avais frissonné. Pas assez dormi, ma belle. J’avais chipé un morceau de pain oublié sur la table, une banane dans la corbeille à fruits et j’étais sortie en passant par la véranda. Sans me retourner, je m’étais dirigée vers l’antre que j’avais choisi pour ma retraite. Ta fille arrivait. Je ne voulais pas perturber vos retrouvailles. Et puis, j’avais besoin de me retrouver seule, sans toi. Sans nous.
Est-ce que tu sais seulement combien il me coûte de t’abandonner ? Même si je sais que son amour te réchauffe ? Votre amour… Tu me manques. Un peu plus au fil des heures. Mais j’ai besoin de ce manque. J’ai besoin de me répéter que ce qui nous relie l’un à l’autre est si fragile qu’un rien pourrait le rompre. Même si je fais semblant de le croire. Peut-être que tout cela n’est que mensonge ? Que rien ne pourra… Est-ce que nous deux… ? Toutes ces questions cons qui brûlent la cervelle et vérole le cœur. Je coule. J’en ai besoin.
Vos rires atteignent la terrasse où je suis assise à fumer, gobant le soleil, l’œil rivé sur le vol tourbillonnant d’un papillon. Je m’accroupis rapidement derrière la haie fleurie et vous observe jouer, un peu plus loin. Tu as l’air si grand et elle si petite. Un géant et une fée. Son rire pétille à nouveau. Je suis curieuse de toi. De tout de toi. De vous.
A quoi pouvez-vous jouer ? Est-ce que tu es un bandit et elle un gendarme ? A moins qu’elle ne soit un prince et toi, un dragon ? Ou l’inverse. Mais à quoi jouez-vous ?
Elle gambade derrière toi, tentant de t’attraper. Même Le Chien en rit, la langue pendante. Assis, il observe aussi la scène, sans bouger, comme moi qui vous mate, l’œil mouillé. Je l’envie, j’envie ta fille, moi qui n’ai jamais connu cette connivence. J’en suis curieuse mais respectueuse. Je réajuste mes écouteurs et enclenche à nouveau le lecteur.
Les notes de Liebesträume retentissent. Liszt s’échappe. Pas toi. La petite a agrippé l’une de tes jambes de pantalon et tu te laisses tomber au sol au ralenti, l’entraînant dans ta chute. Aussi rapide et agile qu’une mangouste attaquant un mamba noir, elle te grimpe sur le dos et attrape tes cheveux, ta barbe, tes oreilles. Tu avances à quatre pattes, en zigzaguant, mimant ta fin. Amusée, je ne perds rien de cette scène fille-père. David a vaincu Goliath.
Dans mes oreilles, les notes des Rêves d’amour s’envolent et je contemple votre amour. Elle et toi. Toi et elle. Tu te retournes et t’allonges sur le dos pour l’attirer au-dessus de toi, bras en l’air. Elle gigote en tous sens. Ses cris surexcités me parviennent. « J’ai gagné ! J’ai gagné ! » J’aperçois ton visage. Tu n’as pas ce sourire avec moi. Pas le même sourire. Celui-ci, qui relève les deux coins de ta bouche, c’est pour elle, uniquement pour ta petite. Dans un mouvement souple, tu te relèves et te mets à tourbillonner avec elle qui s’accroche à ton cou. « Oui, ma princesse pirate, tu as gagné ! » Je vous regarde vous éloigner, tu la portes, serrée contre toi. Elle a calé son menton par-dessus ton épaule. Le Chien s’est relevé et vous suit en remuant la queue.
Je me recule et rallume une cigarette, pensive. Ne pas regretter ce qui n’a pas existé. Mais… aurais-je été différente si j’avais connu cet amour paternel ? Tu ne m’aurais pas aimée.
Je dors mal sans toi. J’ai froid. C’est con. Avoir froid en été dans le sud, c’est très con. J’ai évité la terrasse, un peu. Et puis, merde, j’y suis revenue. Pas vous. Ni Le Chien. Où êtes-vous ? Je vous en ai voulu et puis non. J’ai imaginé à quoi tu occupais tes heures sans moi. Avec elle. Quand elle est repartie, je l’ai su. Le Chien zonait en reniflant le sol. Toi aussi. Je t’ai aperçu, la tête baissée, égaré et puis quelques heures plus tard, tu semblais ragaillardi. Oui, je t’observe. Je te sens. J’ai mal quand tu souffres. Et puis quoi ? Est-ce que tu sens ma souffrance ? Est-ce que tu la vois ? Il m’arrive encore de douter de moi. De toi. De nous. J’en joue aussi de ce doute. Comme si ce bonheur m’effrayait. Comme s’il m’était interdit ? Comme si ne plus ressentir de peur ou de douleur pouvait me faire oublier que j’étais vivante. Pourtant, je te veux toi. Juste toi. Tout toi. Pourtant.
Parfois, je me laisse couler encore plus loin, plus profond. Voilà pourquoi je t’abandonne, j’abandonne celle que tu aimes et je redeviens l’adolescente qui sait si bien se détruire. Et je ne veux pas que tu me voies ainsi. J’ai pas envie que tu sois mon psy.
Je crève d’envie de me blottir dans tes bras, de baiser ta bouche, de chercher ta langue, ton souffle, tes yeux. Je crève d’envie de coller mon cul à ton ventre. Tu es l’un des rares dont j’accepte les mots, tous les mots, l’as-tu deviné ? Oui, homme-sorcier. Aussi bien tes mots-caresses que tes mots-flèches ou tes mots-lames de rasoir. « Je suis un taiseux, pourtant. » m’expliquerais-tu de ta voix grave. Oui et ce sont certains de tes silences qui me blessent le mieux. Ou qui me troublent le plus. « Tu interprètes. » Oui. Oui. Oui. J’interprète tes silences en me référant à ce que je connais, à ceux que j’ai connus. Tu me déstabilises encore. Et j’aime ça. J’aime ça mais je suis incapable de te le dire.
« Pousse-moi dans mes retranchements.
– J’aime quand tu te débats.
– J’aime quand tu me tues.
– J’aime tes cris. J’aime tes fluides. J’aime être couvert de toi.
– J’aime te sniffer. »
Je sirote un café glacé. Est-ce que tu t’es branlé tous ces jours sans moi ? Moi, non. Je veux affamer mon corps autant que mon esprit. Je n’arrive pas à écrire sans toi, là. J’ai faim de toi. Pire que cannibale, ça existe tu crois ? T’ai-je dit que tu m’intimidais ? Oui. Je t’ai reconnu aussi. Ou choisi. A moins que ce ne soit l’inverse ? Mais on s’en fout. Je suis nue devant toi. Voilà aussi pourquoi j’ai besoin de ces absences.
Mais tu me manques, tu me manques à un point… C’est terrible ce manque de toi. Il grandit et enfle telle une tempête tropicale. Je joue avec ce manque, il va et vient au fond de mon ventre, au creux de mes reins. Il me baise, j’en jouis et j’aime ça. Un temps.
C’est trop long sans toi. Je te veux toi. Juste toi.
Je referme la porte. Un court instant, j’hésite. Et puis non, je rentre. Et si tu étais parti pendant mon absence ? Mon cœur est fou.
Tes yeux noirs et ton sourire. Tes mains sur mes hanches.
« Que veux-tu de plus, dis-moi ?
– Toi. Juste toi. Viens… »
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