Son éducation sexuelle ayant été marquée par les non-dits, elle a développé très tôt dans sa jeunesse un fétichisme de la confidence. Un secret murmuré à son oreille lui donnait des bouffées de chaleur. Deux secrets et ses vêtements tombaient un à un. Trois secrets et elle devenait tremblante, humide et pantelante. Le quatrième secret suffisait la plupart du temps à la faire basculer dans l’orgasme. A contrario, si son amant ne pipait mot pendant la pipe, s’il restait coi pendant le coït, l’amour devenait une tâche aussi fastidieuse que de plier une brassée de draps contour.
Elle rencontra un séduisant jeune homme gentiment introverti, ce qui, croyait-elle, promettait un monde intérieur riche et une source inépuisable de secrets aptes à la faire grimper jusqu’au septième ciel. Or, elle s’aperçut rapidement que monsieur était impénétrable quand venait le temps de la pénétration. Elle l’encouragea donc en lui confiant les épisodes les plus obscurs et les plus salaces de son passé :
«J’ai baisé avec ma meilleure amie à l’université. Dans le bureau d’un prof. Pendant qu’il nous regardait en se branlant et en invoquant le nom de sa femme.»
«Je me suis fait prendre par un inconnu dans un coin à l’écart d’un cimetière pendant que ma famille éplorée mettait en terre mon grand-papa.»
Elle choisissait toujours le meilleur moment pour balancer ces obscénités, celui où les traits du visage se crispent et la respiration s’accélère. Il avait l’air d’apprécier. En fait, de fois en fois, il aimait de plus en plus, jusqu’au point de plus pouvoir s’en passer. Il refusait toutefois catégoriquement de lui rendre la pareille et de lui livrer ses précieux secrets.
«Je ne sais pas quoi dire.»
«Je ne comprends pas.»
«S’il te plaît, dis-moi pourquoi tu veux ça de moi.»
«Je n’ai pas de secrets, je te jure.»
«Inutile, je n’y arrive pas.»
«Je ne peux pas faire ça.»
C’était sans compter sa patience et son obstination. Elle revint systématiquement, résolument à la charge. Puis, enfin, au moment où elle s’y attendait le moins, elle finit par obtenir de lui un secret – un vrai, un croustillant, un délicieux qui craquait sous la dent puis fondait dans la bouche.
«J’ai triché dans mon examen d’admission à l’université.»
Je lendemain, elle en eut un autre. Puis quatre autres en autant de jours. Elle les recevait comme des caresses qui la faisaient presque défaillir de plaisir.
«J’ai cette douleur au fond de moi… que je ne peux pas montrer.»
«Malgré ce que je raconte, je ne veux pas d’enfants.»
«Au bureau, je me masturbe chaque midi dans les toilettes.»
«J’ai déjà payé une fille pour avoir du sexe. Et c’était la meilleure baise de ma vie.»
«Quand mon père s’est remarié, j’ai couché avec la fille de sa femme. Ça me semblait être de l’inceste et ça m’excitait à mort.»
«Je travaille pour le SCRS la NSA.»
«Je suis recherché pour meurtre en Uruguay.»
«J’ai en ma possession des photos compromettantes du premier ministre en compagnie de mineurs.»
«Les programmes de fluoration de l’eau sont en réalité une stratégie pour faire ingérer è la population des drogues induisant l’obéissance.»
Un jour, elle en saura trop, c’est une évidence. Elle disparaîtra sans laisser de traces. Ou alors, on retrouvera son corps et on conclura à une mort naturelle – à un suicide, à la rigueur . En attendant, chaque secret la transporte un peu plus vers l’orgasme absolu, l’orgasme définitif, celui qui se trouve au-delà des mots, au-delà du corps, par-delà la vie et la mort.