Le Festival Explicit, dont la première édition a lieu à Montpellier les 22, 23 et 24 mai 2015, est plus qu’une occasion de voir des performances, vidéos ou conférences consacrées aux représentations sexuelles : il s’agit de se demander si c’est normal de réduire le sexe à du «fun».
Il existe sur «le marché du désir» des millions de personnes en manque d’un(e) partenaire ou d’un bon coup. Ces personnes postent sur Internet leurs photos, en prenant des pauses tellement codifiées qu’il suffit parfois de les mettre bout à bout pour faire un montage de film. C’est à ce petit jeu que s’est amusé le réalisateur Antonio Da Silva, dont le travail est projeté dans le cadre du Festival Explicit, au CND de Montpellier jusqu’à dimanche soir. Antonio Da Siva a collecté 2500 selfies de gays pour en faire une vidéo de 3 minutes (intitulée PIX), passant à la moulinette, sur un rythme staccato, les postures codifiées de la séduction mâle. Qu’ils se photographient dans un miroir, par devant ou par derrière, leurs mimiques et leurs déhanchés sont à ce point répétitifs que le film donne l’impression que les 2500 corps n’en forment qu’un seul et unique. La démonstration est saisissante. Pour Antonio Da Silva, ainsi qu’il l’explique sur son site Internet, «nous vivons à une époque où nos vies sont dominée par Internet et par les réseaux sociaux. Pour les gays qui ont adopté le système de rencontre en ligne, la recherche d’un partenaire relève tantôt du jeu d’exhibitionnisme narcissique, tantôt de la quête voyeuse sans fin. Ma vidéo intitulée PIX est une mosaïque constituée par des milliers de corps mâles dans les pauses typiques de la virilité…». Ces corps sont sans visage. Ce qui pousse parfois les visiteurs des sites de rencontre à se branler sur les photos plutôt qu’à envoyer des messages à leurs auteurs.
A la rencontre, certains préfèrent la masturbation. Et quand la rencontre a lieu, elle ne possède pas forcément pour eux plus de valeur qu’une masturbation à deux. Que penser de ce constat négatif que dresse Antonio Da Silva ? Pour lui, les auto-portraits de séduction sont devenus à ce point codifiés qu’ils ne se distinguent presque plus des clichés de magazines masturbatoires. «Un miroir, un torse exposé et la promesse d’un NSA fun sont devenus les synonymes du comportement banal des gays dans le domaine de la rencontre», dit-il. Le NSA fun (No String Attached fun) pourrait se traduire «de l’amusement sans obligations». Antonio Da Silva fait-il la morale ? Difficile à dire. Il pose d’ailleurs lui-même la question : «le comportement gay en ligne isole-t-il les homosexuels ou les aide-t-il à communiquer ?». Que les règles de séduction soient stéréotypées ne les empêche en effet pas d’être efficaces : aucune communauté ne peut faire l’économie d’un langage corporel commun. Reste à savoir dans quelle mesure ce langage est facteur d’échanges. C’est ici qu’Antonio s’interroge. Pour lui, semble-t-il, l’imagerie gay est à ce point conventionnelle qu’elle élimine même le désir d’une rencontre en réel.
A quoi bon un contact IRL (In Real Life) quand on peut jouir sur une belle photo ? Les Adonis et les Hercule des sites de rencontres, paraissent finalement plus attirants que les vrais hommes qui se cachent derrière ces pectoraux et ces braquemarts dressés en étendard. «Le besoin de presser le bouton “Télécharger plus de mecs“ n’a t-il pas pris le pas sur le besoin de se connecter émotionnellement ?», demande Antonio. Sa question a des allures douteuses. Qui est-il pour juger la sexualité des autres ? Pourquoi le fait de se masturber sur des selfies serait-il condamnable ? Antonio affirme qu’il se contente de renvoyer en miroir ce que la société actuelle génère en termes d’images… Il parle de la «normalité» à laquelle les gays aspirent. Le fait d’être body-buildé, toujours jeune et Très Bien Membré ne semble pas pour lui être une «normalité» pertinente. Mais l’idéal viril des gays n’est au fond guère plus caricatural que celui des hétéros. Les femmes qui veulent trouver l’âme-soeur sur Internet (ou un plan cul pour la soirée) ne prennent pas forcément de pauses plus inventives. Lorsqu’un répertoire d’attitudes identitaires se met en place et que les membres d’une communauté se mettent à avoir tous les mêmes mimiques et les mêmes façons de bouger, il est toujours facile de crier à l’invasion des clones. Surtout lorsque ces clones se multiplient de façon virale sur Internet. Il y a toujours des gens pour s’en inquiéter et leurs arguments, invariablement basés sur le même système de valeur, soulèvent toujours la question du «sentiment».
Dans notre société, la sexualité reste subordonnée au diktat de l’amour. Raison pour laquelle, peut-être, Antonio Da Silva, affirme avec prudence qu’il n’a personnellement aucune opinion. Son travail, PIX, n’a officiellement pour but que de nous confronter à nous-même. «La prochaine fois que vous vous regarderez dans un miroir en prenant des pauses, réfléchissez à cette vidéo», dit-il. PIX est effectivement si magnifiquement réalisée qu’il est difficile de la voir sans se sentir un peu honteux d’avoir soi-même un jour cédé à la facilité des pauses érotico-démagogiques. Le Festival Explicit, à l’image de cette vidéo, se fixe pour objectif de questionner les standards masculins et féminins. Pour ses deux programmateurs, la chercheuse Marianne Chargois (également auteure de livre et performeuse) et le chorégraphe Matthieu Hocquemiller : «La volonté de ce festival est de traiter du sexuel sous toutes ses formes, présentations et représentations, et hors de toute hiérarchie, si ce n’est celle de l’exigence. Cela implique pour nous que des films post-porn puissent côtoyer du discours universitaire, du documentaire, de la danse contemporaine ou encore des installations. Que le sexuel soit abordé ici comme une contre-culture existante, riche de sens politique et d’inventions artistiques. Le festival réunira autour de cette idée des acteurs et actrices de ces marges de la sexualité mainstream et normative. » Le Festival se fait en partenariat avec Rodrigo Garcia, qui a pris la direction du CND de Montpellier, et qui accueille l’événement dans son lieu.
Festival Explicite. Du 22 au 25 mai 2015. CND de Montpellier.
PIX sera diffusé aujourd’hui, vendredi 22 mai, lors du vernissage à 18h.
Pour en savoir plus sur Marianne Chargois.