Le peintre punk Antoine Bernhart, dresse actuellement au Musée d’art contemporain de Genève un catalogue de perversions enfantines à faire frémir. Chaque tableau, comme au cirque, représente un numéro. Dans l’arène circulaire et fatale, des martyres croisent des satyres, sont livrées aux bêtes ou découpées en morceaux.
«Meurtres, viols, mutilations en tous genres, zoophilie, coprophagie… Le catalogue d’actes de barbarie proposé par Antoine Bernhart est-il soluble dans le champ de l’art contemporain ? Membre du groupe néo-surréaliste Phases dès 1968, A. Bernhart finira par se faire exclure du mouvement quelques années plus tard au prétexte que ses délires pornographiques seraient trop extrêmes.» Sur le site du Mamco (Musée d’art contemporain de Genève), c’est ainsi que les travaux d’Antoine Bernhart sont présentés : comme des œuvres radicales, qui tranchent sur la production dominante de l’art contemporain. L’exposition – interdite aux moins de 18 ans – s’intitule «Jouer avec le feu» et confronte le visiteur à des scènes infernales de tortures sexuelles travaillées par la joie. Joie d’être en vie, joie d’être en rut. Joie sauvage de l’enfant qui découpe au canif tout ce qui lui tombe sous la main… Les tableaux d’Antoine Bernhart ressuscitent ces moments de jouissance pure qui hantent nos noirs paradis. Interview.
D’où viennent ces visions ?
«Les images me tombent toujours dessus à l’improviste et je les saisis au vol dans mes petits carnets. J’en ai des centaines en attente».
Votre technique de travail est assez spéciale je crois : vous piochez dans des collections de mains coupées, de pieds tranchés, de têtes décapitées, de chaussures, de vêtements, d’éléments de décor en pièces puis vous assemblez tous ces éléments disjoints ?
«Je commence par dessiner les corps en m’aidant parfois de photos pour des détails. Puis je les découpe suivant les contours et je feuillette les classeurs dans lesquels sont mes croquis de visages. Quand l’un d’entre eux me convient, je le colle sur le corps dessiné, sinon j’en fais un pour l’occasion. Je fais de même avec tous les personnages et je les place en situation sur une feuille et je les fixe provisoirement. A présent je m’occupe des mains et des pieds dessinés au préalable sur des petits bouts de papier. Je les découpe et les ajoute aux personnages. Pour finir il reste le décor –forêt ou papier peint– que je glisse derrière les personnages et je colle le tout. Se rajoutent souvent des flammes, des éclairs, des animaux, les agents du chaos. Une fois que tout est en place, j’en tire des photocopies à la dimension voulue et je décalque le tout à la table lumineuse.»
Y’a t-il un lien entre le chaos de ces corps en pièces détachées que vous collectionnez et la violence que vous mettez en scène ?
«J’aurais tendance à répondre : «Quelle violence?». Je ne pense pas que cette restitution des corps par collage de parties anatomiques ait quelque chose à voir avec la violence. Découper du papier ce n’est pas comme planter les ciseaux dans un œil. D’autre part je ne crois pas que ma manière de construire l’image soit particulièrement originale, mais c’est une technique que j’aime bien, c’est amusant, excitant et surprenant car il y a toujours des dérapages, des trucs qui apparaissent dans le feu de l’action.
Mais revenons à la violence. J’aime mes personnages et peut-être plus encore ceux que je torture et massacre. J’ai un rapport érotique avec eux et je me contrefous de savoir si cette relation est perçue comme violente. Ce sont des images, c’est de la représentation. Si mes images perturbent, ce n’est pas mon problème, moi elles m’enchantent, c’est tout ce qui compte.
Bien sûr il m’est arrivé de pratiquer la vraie violence. Tous les gamins font des expériences… Mais c’est tout à fait autre chose. Et je dois ajouter que les personnes qui se permettent de critiquer ce que je fais d’un point de vue moral, ne font rien pour s’opposer aux vrais tueurs que sont, par exemple, Tepco et Areva.»
Quels sont vos jeux préférés ?
«Les jeux érotiques, ça tombe sous le sens. Mais les jeux en tant que jeux, et non pas comme «préliminaires», mot que j’ai en horreur. A l’âge de cinq ans je m’amusais avec mes petites voisines légèrement plus âgées que moi et c’était une excitation quotidienne merveilleuse. On s’enfonçait des doigts, des objets, on se mordait, on se léchait, on se pissait dessus, chaque trouvaille était chargée, mais on ne savait rien du rapport sexuel proprement dit, la queue dans la schneck. Ce qui fait que ces jeux avaient leur propre finalité, ce n’était pas des «étapes» avant la baise. Retrouver l’état de grâce des émotions érotiques enfantines est une de mes drogues préférées. Je pense que l’art du ligotage rejoint cette notion de jeu en créant un désir lancinant, une excitation permanente sans forcément déboucher sur l’accouplement. Du coup l’imaginaire prend son vol. Les images érotiques ont le même pouvoir.»
Exposition «Jouer avec le feu», d’Antoine Bernhart
Du 18 février 2015 au 10 mai 2015, au MAMCO
MAMCO : 10, rue des Vieux-Grenadiers, CH-1205 Genève
Téléphone : +41 22 320 61 22
Pour en savoir plus : un article d’Etienne Dumont sur le site Bilans ; article sur Les 400 culs : «Au coeur des ténèbres» et «Les contes sombres et sadiques d’Antoine B.»