Certaines zones très sensibles du corps humain ne procurent, au toucher, aucune excitation sexuelle. Les doigts par exemple. D’autres zones, quoique moins sensibles, sont très demandeuses de caresses… Quelles sont ces zones ? Le tissu cicatriciel les rend-elles plus sensibles ?
Pour des raisons médicales, un nombre croissant de chercheurs tente de dresser la carte des réactions dermiques moyennes chez l’humain. Depuis quelques années, les zones génitales masculines font l’objet d’études spécifiques. Il s’agit d’établir des bases de données, afin de comprendre quels sont les seuils de détection cutanés sur le pénis et autour… C’est une question «centrale dans la réflexion sur la santé sexuelle, notamment chez les personnes blessées médullaires et transsexuelles.», explique la kinanthropologue Margaux Blamoutier (dans un mémoire en PDF ici). Mais c’est aussi une manière de savoir quels dégâts sont occasionnés par l’usage du bistouri sur les parties génitales. On touche là un sujet… sensible.
L’initiateur de ce type de recherche s’appelle Bleustein. Dès 2002, il met au point des tests visant à mesurer le degré de perception des contacts très légers, à l’aide d’instruments utilisés en neurologie pour mesurer la sensibilité tactile au «toucher fin». On les appelle mono filaments de Semmes-Weinstein. La méthode habituelle veut que le sujet (volontaire) s’allonge sur un fauteuil allongé et garde les yeux bandés. Le mono filament est appliqué sur son corps, à des endroits qui sont marqués d’un coup de feutre. On lui demande s’il sent quelque chose. Réponse : oui, non. Le stimulus est appliqué pendant environ 1,5 seconde. Chaque stimulation est séparée de la suivante par quelques secondes. L’amplitude de la stimulation est progressivement augmentée, afin de déterminer à partir de quel moment le sujet va se mettre à «sentir». Plus son seuil est élevé, moins il est sensible.
La première fois qu’il mène cette étude, Bleustein se contente d’une seule zone de test : le mono filament est appliqué sur le milieu du gland (face dorsale). Le seuil moyen de détection du toucher léger est établi à 0,90 gramme pour les sujets sains. En 2003, Bleustein recommence. Le seuil de détection est à peu près le même : 0,83 gramme. Est-ce peu ? Est-ce beaucoup ? Bleustein ne le dit pas. Il faut cependant noter que ses cobayes ont la cinquantaine. Or plus on vieillit, plus on devient insensible. Par ailleurs, Bleustein travaille sur des sujets qui sont en majorité circoncis… Or, ainsi qu’il le note lui-même, le seuil des sujets circoncis est plus élevé : ils sont moins sensibles à la stimulation que les sujets au pénis intact. Cela remet complètement en cause les idées reçues : à cette époque, aux Etats-Unis, les seules sources d’information fiables sur ce sujet sont les recherches menées par Masters et Johnson.
Il s’avère que dans les années 60, tout le monde pense que le gland des hommes circoncis est bien plus sensible que celui des hommes au pénis intact. En 1966, Masters et Johnson s’attaquent à ce mythe. Ils établissent comme un fait clinique l’idée selon laquelle il n’y a pas de différence significative de sensibilité entre les deux types de gland. Mais leur étude repose sur un test neurologique établi uniquement au niveau du gland et de la verge (faces ventrale et dorsale) or les zones qui contiennent les récepteurs les plus fins se situent sur la bande striée du prépuce. «Le gland est pratiquement insensible, explique le chercheur Tim Hammond, en 1998. Le seul endroit du corps qui possède aussi peu de récepteurs au toucher léger, dans le corps humain, c’est le talon du pied. Ce test totalement inapproprié pourrait donc être comparé à un test de l’écoute audio sur un patient atteint de la cataracte».
En 2007, pour la première fois, un chercheur décide de mener une étude comparative «sérieuse» entre les pénis circoncis et les non-circoncis. Il s’appelle Morris Sorrells. «Notre idée de départ était que le prépuce est un organe sensible et que, peut-être, cela aiderait les personnes qui cherchent des raisons objectives de laisser leur(s) fils intact(s) (non circoncis). Il nous semblait que pour les personnes qui voulaient étudier cette question, peut-être que des faits objectifs, à supposer que nous puissions les établir, seraient utiles.» Pour y parvenir, Sorrells engage les gros moyens. Il s’agit de ne pas répéter l’erreur de Masters et Johnson. Quatre points de test, ce n’est pas suffisant. Sorrells en trouve… dix-sept !
«Si vous voulez faire de la science, vous devez, autant que possible, mettre en place une étude qui peut vraiment démontrer que vous avez tort. Vous devez être aussi objectif que possible», dit Sorrells (dans une interview en 2009). Ses dix-sept points de contact sont répartis sur la face ventrale et dorsale du pénis, tantôt calotté, tantôt décalotté. «Sur les pénis circoncis, il y en avait 6 de moins puisque évidemment il n’y avait pas de prépuce.» Les cobayes de Sorrells sont jeunes. Un écran est placé entre leur tête et leur pénis afin qu’ils ne puissent rien voir. Un médecin fait le test, un autre enregistre les résultats, une infirmière tient les instruments. Lorsqu’il y a un doute, le test est répété après un nouveau calibrage. Certains tests sont faits en double aveugle pour vérifier que les mêmes résultats sont obtenus à chaque fois. («En fait, nous n’avons pas obtenu exactement les mêmes résultats, mais la proportionnalité de sensibilité était identique à chaque fois.»). Les résultats sont éclairants.
Première constatation : les pénis intacts ont des seuils de détection situés entre 0,159 et 1,141 gramme. Les pénis circoncis ont des seuils de détection situés entre 0,192 et 1,180 gramme. Cela signifie que, toutes zones confondues, les pénis intacts sont plus sensibles au toucher léger que les pénis privés de prépuce.
Deuxième constatation : la zone la moins sensible du pénis se situe au milieu du gland. A cet endroit, les hommes circoncis sont moins sensibles (1,180 gramme) que les hommes intacts (1,141).
Ce qu’en dit Sorrells : «Le gland était plus sensible au toucher léger chez les personnes non circoncises. Cela est tout à fait logique parce que le pénis non circoncis est couvert la plupart du temps. Il reste dans un environnement relativement humide, tout comme l’intérieur de votre bouche est plus sensible que l’extérieur et plus sensible que l’extérieur de la lèvre, et vous pouvez mesurer cela. Donc ce n’était pas vraiment surprenant».
Troisième constatation : la zone la plus sensible du pénis circoncis se situe au niveau de la cicatrice (celle de la face ventrale étant plus sensible que celle de la face dorsale). Le seuil de détection est en moyenne de 0,192 gramme à cet endroit. La zone du pénis intact la plus sensible se situe au niveau du prépuce (face ventrale), plus précisément sur les points 13 et 14 dont les seuils de détection sont respectivement de 0,159 et 0,177 grammes.
Ce qu’en dit Sorrels : «Il est apparu que les zones les plus sensibles du pénis étaient sur le prépuce et que les zones les plus sensibles du pénis non circoncis étaient plus sensibles que les zones les plus sensibles du pénis circoncis. Donc non seulement le gland du pénis était moins sensible au toucher, mais la zone la plus sensible de toutes était la zone du prépuce (totalement absente chez l’homme circoncis) révélée quand le prépuce se replie sur lui-même en découvrant le gland. Cette zone était extrêmement sensible, plus sensible que n’importe quelle zone d’un pénis circoncis, statistiquement. C’était très intéressant».
S’il faut en croire Morris Sorrells, il y a donc cinq zones sur le prépuce du pénis qui sont plus sensibles que n’importe quelle zone sur le pénis circoncis. «Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de plaisir sexuel chez l’homme circoncis, dit-il. Cela n’est clairement pas vrai. Nous ne suggérons rien de tel. Nous disons simplement qu’il y a une différence, qu’il s’agit d’une partie particulièrement sensible de l’anatomie pénienne. La circoncision supprime définitivement la partie du pénis la plus sensible au toucher».
En 2011, une kinanthropologue – Margaux Blamoutier – décide de vérifier les données enregistrées par Sorrels. Elle utilise aussi des mono filaments, établit un protocole d’enquête strict, limite son terrain à des cobayes âgés de 25 à 35 ans et… obtient des résultats similaires à ceux de Sorrells. Ses points de test sont seulement au nombre de 10 sur le pénis (verge, couronne, gland, frein, base, face ventrale et dorsale) et ses résultats s’alignent sur ceux de Sorrells pour les hommes au pénis intact : leurs seuils de détection se situent entre 0,192 et 1,522 gramme. Margaux ne compare pas avec des hommes non-circoncis. Cela ne l’intéresse pas. En revanche, elle s’intéresse beaucoup à l’anus et note que Sorrells aurait peut-être dû intégrer d’autres point de tests en dehors du pénis. Après tout, le pénis n’est pas tout dans la vie. Il y a les bourses, l’intérieur des cuisses, la prostate, l’anus, la nuque… Toutes ces zones que, dieu merci, aucun scalpel ne pourra retrancher de notre corps.
LES DIX SEPT ZONES DE TEST (sur le pénis intact)
SURFACE DORSALE DU PENIS
(1) La verge (près de la couronne du gland)
(2) Le prépuce externe
(3) Le pourtour de l’orifice du prépuce
(4) La jonction entre la peau de la verge et la muqueuse du gland
(5) La bande striée
(6) La muqueuse du prépuce
(7) Le sulcus (sillon situé derrière le rebord du gland décalotté)
(8) La couronne du gland
(9) Le milieu du gland
(10) Le méat
SURFACE VENTRALE DU PENIS
(11) La couronne du gland
(12) Le frein sur la fente urétrale
(13) Le frein près de la bande striée
(14) Le frein à la jonction muco-cutanée
(15) Le pourtour de l’orifice du prépuce
(16) Le prépuce externe
(17) La verge
LES ONZE ZONES DE TEST (sur le pénis circoncis)
SURFACE DORSALE DU PENIS
(1) La verge (près de la couronne du gland)
(6) La muqueuse du prépuce
(7) Le sulcus (sillon situé derrière le rebord du gland décalotté)
(8) La couronne du gland
(9) Le milieu du gland
(10) Le méat
SURFACE VENTRALE DU PENIS
(11) La couronne du gland
(12) Le frein sur la fente urétrale
(17) La verge
(18) Cicatrice dorsale
(19) Cicatrice ventrale
Sources : une interview de Sorrells réalisée en 2009, sur YouTube. L’étude de Morris Sorrells et de son équipe (Snyder James, Reiss Mark D, Eden Christopher, Milos Marilyn, Wilcox Norma, Van Howe Robert) intitulée «Fine-touch pressure thresholds in the adult penis», en PDF téléchargeable ici. La recherche de Margaux Blamoutier, réalisée en 2011, intitulée «Cartographie des seuils de détection cutanés de la région périnéale chez l’homme», téléchargeable en PDF ici. Merci à l’équipe de Droit au corps pour l’aide à la traduction.
Illustration : Tony Ward.